V. QUELLES MESURES COMPLÉMENTAIRES EN CAS DE RÉVISION DES HYPOTHÈSES ?

A. LA NÉCESSITÉ DE PRIVILÉGIER LES RÉDUCTIONS DE NICHES FISCALES ET SOCIALES

Les économistes considèrent généralement que les plans de consolidation les plus efficaces sont ceux qui portent essentiellement sur la dépense. On peut cependant se demander si la causalité indiquée est bien la bonne, et si ce ne sont pas tout simplement les Etats dans lesquels la volonté et le consensus politique sur la nécessité de réduire le déficit sont les plus grands (et donc ont le plus de chance de réussir leur ajustement) qui ont tendance à donner plus d'importance à la maîtrise de la dépense. En particulier, il est paradoxal que les plans reposant essentiellement sur les dépenses soient les plus efficaces, alors que ce sont les réductions de dépenses qui ont l'impact le plus dépressif sur l'activité.

On a vu ci-avant que le Royaume-Uni a décidé de réaliser un plan d'ajustement budgétaire massif, reposant à 75 % sur la dépense. Ce plan ne paraît pas transposable en France. En effet, il prévoit une très forte réduction des dépenses sociales, des dépenses des administrations publiques locales, ainsi que des dépenses d'investissement, qui ne sont pas conformes aux orientations du Gouvernement. Il prévoit également une très forte diminution du nombre de fonctionnaires. De même, la question d'une éventuelle majoration du taux normal de TVA (accru de 2,5 points au Royaume-Uni) ne pourra être envisagée qu'après l'élection présidentielle de 2012.

Dans ces conditions, le plan français semble devoir reposer essentiellement sur des mesures de recettes, et plus précisément sur des réductions de niches fiscales et sociales.

B. QUELQUES ORDRES DE GRANDEUR

A titre illustratif et pour prendre conscience des ordres de grandeur, le tableau ci-après présente des mesures dont la mise en oeuvre permettrait d'atteindre d'ici 2013 l'objectif d'un déficit inférieur ou égal à 3 % du PIB, si le parti était pris d'atteindre quoi qu'il arrive l'objectif d'un déficit de 3 % en 2013 et si les prévisions de croissance et d'évolution des dépenses n'étaient pas confirmées.

Elles sont conçues de manière à ce que l'effort soit également réparti chaque année.

Dans le cas de l'année 2011, les mesures supplémentaires par rapport à ce que prévoit déjà le Gouvernement seraient relativement modestes. En effet, du fait du contrecoup du plan de relance et de la réforme de la taxe professionnelle, l'année 2011 devrait connaître des mesures « automatiques » de réduction du déficit de l'ordre de 15 milliards d'euros. Dans ces conditions, une fois prises en compte la maîtrise des dépenses de l'Etat et de l'assurance-maladie, l'effort de réduction du déficit est déjà de 30 milliards d'euros, ce qui correspond quasiment à l'objectif que la commission des finances propose de fixer. Il serait probablement contre-productif de prévoir pour l'année 2011 un effort beaucoup plus important (même si cela n'empêche pas que les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2011 prévoient des mesures destinées à produire leurs effets les années suivantes).

C'est pour les années 2012 et 2013 que les mesures prévues par le Gouvernement nécessiteraient le plus d'être complétées. L'effort de réduction du déficit prévue en 2011 reposant essentiellement sur les dépenses, on propose que les années suivantes elles consistent majoritairement en des augmentations de recettes, qui présentent l'intérêt de moins déprimer l'activité et d'être plus aisées à mettre en oeuvre, dès lors que les sommes en jeu sont importantes.

Il ressort des montants figurant dans le tableau qui suit que, si les « gisements » existent pour aller plus loin du côté des recettes en réduisant les sommes consacrées aux régimes dérogatoires, l'effort supplémentaire en dépense nécessiterait des mesures courageuses.

En recettes :

- il serait possible, dès 2011, de porter de 0,5 % à 0,65 % le taux de la CRDS, comme la commission des finances l'a proposé lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, ce qui fournirait 1,8 milliard d'euros de recettes annuelles supplémentaires ;

- la réduction des niches pourrait engendrer 10 milliards d'euros supplémentaires, provenant pour moitié de la remise en cause partielle de dispositifs coûteux , sur la base d'évaluations. Les travaux en cours concernant le crédit d'impôt recherche (dont le montant pourrait être réduit de 1,5 milliard d'euros si l'on combine les propositions des commissions des finances des deux Assemblées), la prime pour l'emploi , le crédit d'impôt « développement durable » (et en particulier, comme l'a souligné la ministre de l'économie, de industrie et de l'emploi lors de son audition par votre commission des finances le 22 juin 2010, sa composante portant sur les aides aux énergies renouvelables), la fiscalité immobilière ou encore celle de l'assurance-vie pourraient engendrer un produit supplémentaire de l'ordre de 5 milliards d'euros. L'autre moitié de l'effort serait obtenu en procédant à un examen sélectif des mesures réduisant l'assiette des différents impôts (abattements, exonérations, déductions), qui constituent plus de la moitié des dépense fiscales associées à l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et l'impôt de solidarité sur la fortune. Si le dispositif de « rabot » proposé par le Gouvernement lors du projet de loi de finances ne concerne, comme l'actuel plafonnement, que l'impôt sur le revenu, il faudra l'étendre à l'impôt sur les sociétés et l'impôt de solidarité sur la fortune ;

- évidemment, aucun ajustement de grande envergure ne pourrait être réussi sans recourir à la TVA. Un taux réduit qui passerait de 5,5 % à 8 %, engendrerait un produit supplémentaire de 7 milliards d'euros. Après 2012, la mise en oeuvre d'une TVA sociale « à l'allemande » pourrait permettre de majorer de l'équivalent d'un point de taux normal le produit de cet impôt, soit 7 milliards d'euros.

- l'abaissement du point de sortie des allègements généraux de charges sociales pourrait être engagé dès 2012 ;

- les exemptions d'assiette , qui limitent les recettes de la sécurité sociale, pourraient commencer à être réduites. Le Gouvernement a employé cette méthode pour financer une partie de la réforme des retraites.

En dépenses :

- pour l'Etat, il est difficile d'imaginer aller beaucoup plus loin que l'application stricte de la norme « stabilisation en valeur des dépenses hors pensions et charge de la dette », car cela représente déjà un défi. La non revalorisation temporaire des pensions des retraités de la fonction publique serait le corollaire du gel du point d'indice. Comme l'a suggéré le Premier président de la Cour des comptes lors de son audition par votre commission des finances le 23 juin 2010, la « réduction de 10% des dépenses d'intervention et des dépenses courantes nécessite la modification du régime des guichets pour mieux cibler la dépense ».  La remise en cause de certaines lois de programmation doit aussi être envisagée ;

- dans ces conditions, l'ajustement des dépenses devrait porter également sur les administrations de sécurité sociale , qui doivent se livrer à une nouvelle vague de « RGPP sociale ». Mais le levier le plus fort réside, comme pour l'Etat, dans la non revalorisation du niveau des prestations légales . Concevable pour les prestations familiales , une telle mesure serait évidemment inenvisageable pour les retraites .

Pour votre rapporteur général, qui n'est pas un « fétichiste du solde », il serait tout aussi vertueux de ne pas atteindre l'objectif de 3 %, à la virgule près, en 2013, mais de procéder, à hauteur du différentiel, à un emprunt obligatoire auprès des ménages les plus aisés , qui viendrait marginalement réduire le besoin de financement de l'Etat sur les marchés et serait l'expression d'un partage équitable des efforts en période de crise . Au demeurant, pour les ménages intéressés, l'effort serait d'ailleurs limité puisque le capital serait garanti et même, faiblement, rémunéré.

A défaut d'emprunt obligatoire, le même objectif pourrait être atteint par la non-indexation du barème, ou d'une partie du barème de l'impôt sur le revenu.

Evidemment, ce plan de 50 milliards d'euros résulte de l'analyse de votre commission selon laquelle les recettes procurées par la croissance seront inférieures aux prévisions, de même que les économies attendues s'agissant des dépenses des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale hors régimes obligatoires de base. Si l'exécution était plus proche des prévisions du Gouvernement que de celles de votre commission, et notamment si le Gouvernement parvenait à atteindre ses objectifs en matière d'évolution des dépenses, le besoin d'ajustement supplémentaire serait réduit d'autant.

Les mesures de réduction du déficit de 2011 à 2013 : quelques ordres de grandeur

(en mesures nouvelles et en milliards d'euros constants)

2011

2012

2013

Total

Mesures déjà « documentées » par le Gouvernement

30

10

10

50

Dépenses

13,7

8,7

8,7

31,0

Etat hors plan de relance

5,0

5,0

5,0

15,0

Gel du point fonction publique (mesure annoncée pour 2011)

0,5

0,9

0,9

1,8

Plan de relance

5,0

5,0

Retraites

1,7

1,7

1,7

5,0

Assurance maladie

2,0

2,0

2,0

6,0

Recettes

16,0

1,3

1,3

18,5

Contrecoup des mesures fiscales déjà votées

10,0

10,0

Réductions de niches fiscales et sociales*

6,0

1,3

1,3

8,5

Réforme des retraites

3,0

3,0

Mesures complémentaires **

10

15

15/22

40/47

Dépenses

1,3

3,6

3,9

8,8

Non indexation des pensions de retraite de l'Etat

0,7

0,7

0,7

2,1

Non revalorisation des prestations légales de famille

0,6

0,4

0,7

1,7

RGPP des administrations de sécurité sociale

2,5

2,5

5,0

Recettes

8,8

11,0

11,5/

18,5

31,3/

38,3

CRDS (amendement CF PLFSS 2010)

1,8

1,8

Autres réductions de niches fiscales

5,0

5,0

10,0

Passage du taux réduit de TVA à 8 %

7,0

7,0

Abaissement du point de sortie des allégements généraux

1,0

1,5

2,5

Réduction d'exemptions d'assiette de sécurité sociale

5,0

5,0

10,0

Le cas échéant : augmentation d'1 point du taux normal de TVA

7

7

TOTAL

40

25

25/32

90/97

Dépenses

15

12

13

40

Recettes

25

12

13/20

50/57

Dont effort structurel

36

21

21/28

78/85

Emprunt obligatoire (n'améliorant pas le solde)

0

5

5

10

Total des mesures complémentaires

10

20

20/27

50/57

TOTAL GENERAL

40

30

30/37

100/107

* Le montant figurant dans le programme de stabilité 2010-2013 est de 6 milliards d'euros. Cependant, le rapport du Gouvernement préparatoire au débat d'orientation des finances publiques évoque désormais un montant global de réductions de niches d'« au moins 8,5 milliards d'euros ».

** Compte tenu d'un probable optimisme du Gouvernement en matière de croissance du PIB et des dépenses des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale hors assurance maladie et assurance vieillesse (cf. ci-avant).

*** Dispositifs ciblés de manière à ne pas avoir d'impact sur l'emploi.

Source : commission des finances

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