TROISIÈME PARTIE QUELLE GOUVERNANCE POUR LES FINANCES PUBLIQUES ?

I. LES RÈGLES ACTUELLES : DES INTENTIONS LOUABLES, UN BILAN PEU FLATTEUR

A. LA PROGRAMMATION DES DÉPENSES DE L'ETAT

La loi de programmation des finances publiques comprend deux outils de pilotage des dépenses de l'Etat stricto sensu . Le premier, énoncé dans son article 5, dispose que la progression annuelle des dépenses de l'Etat n'excède pas l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation. Cette règle, en raison du périmètre qu'elle recouvre, est dénommée « norme de dépense élargie » .

Le second outil, dit de programmation triennale , figure à l'article 6 et consiste à fixer les montants d'autorisations d'engagements et de crédits de paiement des missions du budget général sur la période 2009-2011. Les développements qui suivent s'attachent à évaluer la portée et l'application de ces deux dispositifs.

1. La norme de dépense élargie : des intentions louables mais des effets limités
a) Un outil imparfait

La norme de dépense « élargie » agrège les dépenses du budget général, nettes des remboursements et dégrèvements et hors fonds de concours, ainsi que les prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales et de l'Union européenne et les affectations de taxes à des opérateurs lorsque ces affectations viennent en substitution de crédits budgétaires. Cette norme est plus rigoureuse que la précédente en ce qu'elle permet de contenir les dérapages des prélèvements sur recettes, récurrents par le passé. Néanmoins, plusieurs séries de critiques ont pu être adressées à cette norme, intéressant son périmètre , son calcul et ses finalités .

Pour élargie qu'elle soit, la norme de dépenses ne couvre pas un certain nombre de « dépenses » de l'Etat, entendues au sens large. Il en va ainsi des dépenses portées par les comptes spéciaux , qu'il est difficile d'agréger aux dépenses budgétaires en raison des risques de double comptabilisation que l'exercice comporte, et des remboursements et dégrèvements d'impôts, qui répondent à une logique de recettes et sont, comme tels moins aisément pilotables que la dépense budgétaire au sens strict. A contrario , l'on peut légitimement se poser la question de l'inclusion dans la norme de dépenses du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne , notre contribution au budget communautaire dépendant de paramètres institutionnels que nous ne maîtrisons pas et ne pouvant, par conséquent, être pilotée annuellement.

Les dépenses fiscales ne sont pas davantage incluses dans le périmètre de la norme élargie, alors même que leur dynamisme vide en grande partie de sa portée l'exercice de maîtrise des dépenses de l'Etat. Les raisons techniques invoquées pour « piloter » séparément les dépenses fiscales, notamment au moyen d'une règle de gage largement inopérante ( cf. infra ), doivent pouvoir être surmontées.

L'Etat a également été prompt à considérer que certaines dépenses substantielles ne devaient pas être incluses dans la norme qu'il s'était donnée, en raison de leur caractère « exceptionnel » . Ainsi des crédits ouverts dans le cadre du Plan de relance, qui répondaient à une dégradation sans précédent de la conjoncture, appelant des mesures de soutien à l'investissement et à la consommation d'une ampleur incompatible avec le respect de la stabilisation en volume des dépenses de l'Etat. Ainsi également, et de manière plus contestable, des « investissements d'avenir » prévus par la loi de finances rectificative pour 2010 du 9 mars 2010 (n° 2010-237), et financés par des crédits « décaissés » en dehors de la norme de dépense alors même que les modalités retenues conduiront, pendant plusieurs années, à des flux financiers en direction des opérateurs, qui seront juridiquement des flux de trésorerie.

S'agissant ensuite du mode de calcul de la norme , la comparaison des dépenses d'une année sur l'autre exige des retraitements destinés à rapprocher des périmètres de dépenses similaires. Bien que ces retraitements soient explicités dans une charte de budgétisation annexée à chaque projet de loi de finances, des débats subsistent sur la nécessité de prendre ou de ne pas prendre en compte tel ou tel type d'opération. Techniquement nécessaires, ces ajustements et les controverses qu'ils suscitent ne contribuent ni à la lisibilité ni à la robustesse de la norme de dépense.

Enfin, et il s'agit du principal défaut de la norme élargie, une ambiguïté demeure sur les finalités de cet outil et sur ce qu'il convient de comparer par son truchement. Initialement, la norme de dépense a été conçue comme un instrument de pilotage des dépenses, donc comme un outil de construction des projets de loi de finances permettant de comparer, d'une année sur l'autre, les prévisions de dotations budgétaires pour s'assurer qu'elles respectaient un certain rythme d'évolution. Dans cette perspective, la norme de dépenses s'appréciait de loi de finances de l'année n à projet de loi de finances de l'année n +1.

L'expérience a néanmoins démontré qu'elle pouvait revêtir une autre signification, et s'apparenter à un instrument d'évaluation des efforts réellement accomplis pour tenir la dépense. Votre rapporteur général s'est efforcé de promouvoir cet usage en comparant, à l'occasion de l'examen des projets de loi de règlement, la progression des dépenses en norme élargie d' exécution de l'année n -1 à exécution de l'année n .

b) Un « zéro volume » souvent prévu, jamais atteint

Calculer l'évolution des dépenses « élargie » en exécution a permis d'établir que, si la norme était toujours respectée en prévision, elle l'était moins en réalisation :

1) de loi de finances pour 2007 à projet de loi de finances pour 2008, la règle du zéro volume était respectée, mais d'exécution 2007 à exécution 2008, la progression réelle des dépenses aura été de 0,5 % ;

2) de loi de finances pour 2008 à projet de loi de finances pour 2009, la règle du zéro volume était à nouveau respectée, mais d'exécution 2008 à exécution 2009, la progression réelle des dépenses aura été de 0,3 % en retranchant les effets du Plan de relance, mais de 4,8 % en les intégrant au calcul.

L'évolution de la dépense en norme élargie de l'exécution 2008 à l'exécution 2009, avec et hors effets du Plan de relance

(en millions d'euros)

R&D = remboursements et dégrèvements et PSR = prélèvements sur recettes Source : commission des finances, d'après la Direction du budget

Enfin, le Gouvernement lui-même aura été tenté de « jouer » sur les bases de calcul de la norme de dépense lorsque son respect menaçait d'être compromis . Ainsi de l'année 2009, où l'effondrement de l'hypothèse d'inflation à 0,4 % a rendu singulièrement plus complexe la tenue de l'objectif zéro volume, et a conduit le Gouvernement à proposer une méthode de calcul « innovante » de la norme.

Lors de l'examen du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2009, l'exécutif a ainsi pu soutenir qu'il convenait de recalculer la norme à partir de l'exécution 2008, et non de la prévision. De fait, l'exécution 2008 ayant connu une augmentation importante de la charge de la dette (+4 milliards d'euros), elle constituait un « point haut » à partir duquel il était plus facile de demeurer « dans les clous » de la norme l'année suivante : de 1,2 % de LFI 2008 à LFI 2009, la progression de la norme tombait à 0,0 % d'exécution 2008 à LFI 2009.

Au total, ces observations démontrent que si des intentions louables ont présidé à l'élaboration de la norme de dépense élargie, les défauts de conception initiale dont elle a pâti et le contexte économique « tourmenté » dans lequel elle a trouvé à s'appliquer en ont passablement réduit la portée.

Une norme respectée en prévision, moins en réalisation

* Hors Plan de relance

Source : commission des finances, d'après les projets de loi de finances pour 2008, 2009 et 2010 et les projets de règlement pour 2008 et 2009

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