Mercredi 26 mai 2010 M. Jacques Oudin, ancien Sénateur, Vice-président du conseil général de la Vendée

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président

La mission a procédé à l'audition de M. Jacques Oudin, ancien sénateur, vice-président du conseil général de la Vendée.

M. Jacques Oudin a tout d'abord rappelé qu'il avait siégé 18 ans au Sénat et qu'il était élu de Noirmoutier depuis 1976, dont les deux tiers de la superficie sont situés sous le niveau de la mer. Ayant connu les tempêtes de grande ampleur de 1972, 1978, 1987, 1999 et 2010, il s'est efforcé, ces trente dernières années, de faire réaliser d'importants travaux de consolidation des ouvrages de défense littoraux.

Puis M. Jacques Oudin a fait valoir que la politique du littoral avait réellement débuté avec le rapport Picard de 1972, suivi de la circulaire Chirac de 1976 et du décret d'Ornano de 1979. Puis la création de l'association nationale des élus du littoral (ANEL) a débouché sur la loi « littoral » du 3 janvier 1986. En 1988, la Vendée a été déclarée zone pilote pour l'application de cette dernière, donnant naissance à l'association vendéenne des élus du littoral (AVEL), puis à la création de l'observatoire du trait de côte sur l'île de Noirmoutier.

M. Jacques Oudin a rappelé que le groupe d'études sur la mer du Sénat, qu'il avait présidé de 1998 à 2005, avait fait porter ses réflexions sur une approche globale de la politique de la mer. Il a relevé l'échec de la planification territoriale sur le littoral en remontant à celui, à la fin des années 70, des schémas d'aptitude à l'utilisation de la mer (SAUM) et des schémas de mise en valeur de la mer (SMVM), ainsi que de l'opération pilote de gestion des zones côtières débutée en 2003. Faisant état de réflexions sur un schéma de cohérence territorial (SCOT) maritime, il a souligné la nécessité d'une politique globale du littoral.

Citant l'exemple des Pays-Bas qui, après la catastrophe nationale de 1953, ont élaboré les plans Delta I, puis Delta II, et qui consacrent un milliard d'euros chaque année à la prévention du risque de submersion, M. Jacques Oudin a estimé que les réussites qu'étaient, en France, la loi « littoral » et le Conservatoire du littoral et, à l'échelle européenne, la directive européenne 2007/60/CE du 23 octobre 2007 relative à l'évaluation et à la gestion des risques d'inondation, étaient fortement atténuées par certains éléments. Zone fragile, limitée et convoitée, le littoral est exposé à une intense pression démographique. L'augmentation substantielle du coût du foncier qui en résulte évince les populations locales qui, auparavant, entretenaient les ouvrages de protection contre la mer.

M. Bruno Retailleau, président, a précisé que la mission s'intéressait de près à la transposition en droit interne de ladite directive dans le projet de loi portant engagement national pour l'environnement, dont il a regretté qu'elle soit faite a minima.

M. Jacques Oudin a déploré l'absence de débat public préalable à cette transposition. Il a également regretté que la loi « littoral », adoptée durant le processus de décentralisation, ait été contrariée par la volonté de l'État de conserver au dispositif un certain degré de centralisation. Il a rappelé que le conseil national du littoral n'avait été créé qu'une vingtaine d'années après celui de la montagne. Revenant sur les tentatives infructueuses visant à planifier l'utilisation du littoral, ainsi que sur l'échec des 25 opérations de gestion intégrée de la zone côtière menées entre 2004 et 2007, à la fois excessives dans leur nombre et leurs délais, il a jugé que les SCOT, créés par la loi solidarité et renouvellement urbain, dite SRU, du 13 décembre 2000, devraient intégrer un volet côtier. Il a également pointé l'incohérence de la stratégie de protection des zones côtières, illustrée par l'instruction en six mois seulement de l'opération Natura en mer, ainsi qu'un manque certain de concertation, lors notamment de la création des aires marines protégées.

Il a critiqué par ailleurs la mise en place de gigantesques zones éoliennes, ainsi que l'autorisation d'extraction de quantités substantielles de sable près des côtes. Estimant que la gestion administrative du littoral était en outre perturbée par les revendications excessives de mouvements environnementaux, il s'est félicité toutefois de la restriction par la loi « littoral » de l'urbanisation, se référant au plan d'occupation des sols (POS) cantonal de Noirmoutier, qui a divisé le territoire en 27 % de surfaces constructibles et 73 % de non constructibles, et s'y est depuis tenu.

M. Jacques Oudin a recommandé de s'intéresser à l'évolution des crédits publics consacrés à la défense contre la mer, qu'il a qualifiée d'incohérente. Il a fait référence au vote récent des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), adoptés pour les six derniers en 2009, en regrettant l'absence de distinction entre le risque de submersion marine, conditionné par le coefficient de marée, la force du vent, la pression atmosphérique et la topographie du littoral, et le risque de crue. Déplorant que le volet de ces schémas consacré à la submersion marine ait été reporté à 2015, puis insistant sur la grande hétérogénéité des littoraux français, il a fait observer que le monde agricole n'avait cessé, pendant douze siècles, de chercher à gagner des terres sur la mer, en réalisant des polders, zones situées en-dessous du niveau de la mer, mais pas nécessairement inondables, ni « à risque ».

M. Jacques Oudin a fait observer que le « plan digues » était toujours attendu depuis la tempête Xynthia.

Il a ensuite recommandé pour l'avenir plusieurs mesures telles que :

- la poursuite des réflexions sur une politique de gestion intégrée du littoral, qui n'hésite pas à faire appel à des « défenses dures », dont certaines permettent de protéger des richesses écologiques ;

- le renforcement du rôle du conseil national du littoral ;

- l'évaluation de l'efficience des actions. A cet égard, il a mis en balance le coût global des dommages liés à la tempête Xynthia, de l'ordre de 3,3 milliards d'euros, avec celui des travaux d'urgence qui auraient été nécessaires pour prévenir ces dégâts, s'élevant à 100 millions d'euros, et celui du « plan digues » préconisé par les départements de Charente-Maritime et de Vendée, s'élevant à 300 millions d'euros. Les Pays-Bas, a-t-il poursuivi, recourent à un tel bilan coût-avantage, qui les amène à diviser leur territoire en trois types de zones : les zones agricoles, dans lesquelles le degré de risque a été fixé à une probabilité de submersion d'une fois tous les 4 000 ans, les zones d'urbanisme diffus, où il a été fixé à une fois tous les 10 000 ans, et les zones d'urbanisme dense, où il a été fixé à une fois tous les 12 500 ans. Le conseil général de Vendée avait, en 2009, voté une motion demandant aux pouvoirs publics de mettre en place une politique permettant d'atteindre une probabilité d'occurrence du risque de submersion proche de zéro. Estimant que la classification en « zones noires » n'était « pas sérieuse », il a jugé qu'il devait être tenu compte du fait que le coût des travaux de protection indispensables à l'atteinte d'un tel objectif de risque sont inférieurs à celui qu'implique pour la collectivité la survenance d'un évènement de type « Xynthia » ;

- l'application de la directive européenne. Il convient à cet égard d'évaluer les installations existantes avant d'élaborer un « plan digues » ; de fixer des critères et normes de sécurité, qui n'ont jamais été définis alors que cela serait aisé, s'agissant d'éléments prévisibles et quantifiables ; de cartographier l'ensemble des zones basses, qui ne sont pas nécessairement des zones inondables ; d'harmoniser le grand nombre d'outils de programmation spatiale existant ; d'unifier la multiplicité de maîtres d'ouvrage, ce qui implique de modifier la loi de 1807 sur l'assèchement des marais ; d'élaborer des « plans digues » départementaux ; et d'engager le débat sur la directive 2007/60/CE du 23 octobre 2007 précitée.

M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité savoir si la capacité de résistance à la submersion des digues pouvait être considérée comme parfaitement fiable. Il a demandé s'il existait des documents techniques et des normes encadrant la construction des digues, et s'il convenait d'unifier leur propriété et à quel niveau.

En réponse, M. Jacques Oudin s'est dit perplexe suite à la réponse du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer à l'un de ses courriers transmettant la motion votée par le département de Vendée en 2009, qui expliquait que la protection contre la submersion marine n'incombe pas à l'État. Il a estimé que des digues bien conçues n'étaient assurément pas submersibles, comme l'illustre l'exemple hollandais, auquel cas il ne servirait à rien de construire des barrages. Il a indiqué qu'il n'existait aucune norme en la matière et que les travaux d'entretien des digues affectées par la tempête Xynthia n'avaient pas été réalisés depuis une quinzaine d'années.

Soulignant que les Pays-Bas avaient fixé une hauteur de digues de deux à trois mètres supérieure au niveau de submersion de 1953, M. Jacques Oudin a fait état de la nécessité de normes techniques sur la résistance des matériaux, que pourraient édicter les organismes techniques de normalisation. Indiquant que la face externe des digues devait absorber, et non restituer, le choc des vagues, et que la face interne, la plus fragile car exposée à l'érosion, devait être composée de matériaux solides. Il a vu dans l'enrochement le meilleur procédé actuellement disponible, ajoutant que les digues devaient comporter un chemin, qui pouvait être situé au-dessus, à l'intérieur ou à l'extérieur, et être raccordées à des bassins d'évacuation des eaux situés derrière les zones protégées.

Il a fait observer que le rehaussement des digues impliquait une révision de la structure et souligné que leur propriétaire pouvait varier. La gestion par une structure communale ou par des syndicats mixtes associant le conseil général peut constituer une bonne solution. Elle laisse cependant subsister une part d'autofinancement qui peut poser un problème. Aussi l'intercommunalité de Noirmoutier a-t-elle choisi de racheter 25 km de digues à leurs propriétaires.

En réponse à M. Bruno Retailleau, président, il a exclu l'idée de créer un établissement public d'Etat pour la gestion des digues.

M. Jacques Oudin a souligné que la faiblesse des digues résidait essentiellement dans leurs points de jonction et au niveau des estuaires, ainsi que sur les berges d'étais, qui peuvent être consolidées soit par un rehaussement, soit par l'avancement des écluses.

Répondant à une question de M. Alain Anziani, rapporteur, il a estimé, que les partenariats publics-privés ne fonctionnaient que s'ils ouvraient la perspective de la perception de recettes à venir.

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