Rapport d'information n° 157 (2010-2011) de M. Jean-François HUMBERT , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 7 décembre 2010

Disponible au format PDF (125 Koctets)


N° 157

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 décembre 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la crise financière et bancaire en Irlande ,

Par M. Jean-François HUMBERT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet , président ; MM. Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Michel Billout, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour , vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange , secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Jean-François Humbert, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, François Marc, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca, M. Richard Yung.

Le souhait de la commission des affaires européennes de s'intéresser à la politique européenne de l'Irlande, était initialement mû par la volonté de sonder les autorités locales et la société civile sur leur sentiment à l'égard de la construction européenne, quelques mois après la ratification, à l'issue d'un deuxième référendum, du Traité de Lisbonne. Considéré il y a encore peu comme un excellent élément de la zone euro, souvent cité en exemple pour sa discipline budgétaire, l'Irlande se distingue aussi par son affirmation sans cesse renouvelée de sa souveraineté, notamment en matière économique et fiscale.

La faillite du système bancaire irlandais est venue bouleverser le champ de ce suivi, tant les limites du modèle irlandais sont apparues au grand jour, rendant nécessaire l'intervention financière de l'Union européenne. C'est dans ce contexte qu'un déplacement à Dublin a été organisé les 1 er et 2 décembre derniers.

Ce rapport tire les enseignements des entretiens organisés sur place. Il a pour ambition de dresser un état des lieux de la situation locale, tant au plan politique qu'économique. Il présente également les modalités de l'intervention européenne, ainsi que ses conséquences tant au plan national qu'en matière de gouvernance économique européenne.

L'Irlande en quelques chiffres

Superficie : 70 273 km²

Population : 4 400 000 (dont 280 000 d'Europe de l'est)

PIB (2009) : 164,2 milliards d'euros

PIB par habitant (2009) : 36 800 €

Taux de croissance (2009) : - 7,5 %

Taux de croissance 2010 (prévision) : - 1,4 %

Taux de chômage (2009) : 11,7 %

Taux de chômage 2010 (prévision) : 14,00 %

Taux d'inflation (2009) : - 1,5 %

Taux d'inflation (2010) (prévision) : - 0,6 %

Solde budgétaire(2009) : - 14,4 % du PIB

Balance commerciale(2009) : + 28,3 milliards d'euros (16 % du PIB)

Principaux clients : États-Unis (19 %), Royaume-Uni (18,4 %), Allemagne (6,9 %), France (5,8 %)

Principaux fournisseurs : Royaume-Uni (37,7 %), USA (11,5 %), Allemagne (8,6 %), France (3,9 %)

I. UN TIGRE AUX ABOIS : LA CRISE DU MODÈLE IRLANDAIS

A. UNE ÉCONOMIE EN MARGE DE L'UNION EUROPÉENNE

1. Les fondements de la croissance irlandaise

La croissance irlandaise de la période 1992-2006 est le fruit d'une stratégie en solitaire au sein de l'Union européenne.

Bénéficiant des fonds de celle-ci en matière de cohésion jusqu'en 2004, elle a reçu entre 1973 et 1999 une aide équivalente à cinq fois sa contribution au budget européen et pu financer ainsi en partie la modernisation de ses structures. Un tiers de ces transferts ont été affectés au développement des ressources humaines (éducation et formation professionnelle).

Parallèlement, et au moyen d'une politique fiscale à rebours de celle de ses partenaires, elle a su dynamiser son économie. Le taux de l'impôt sur les sociétés est le symbole de cette course à la croissance en solitaire. Fixé à 20 % dans les années quatre-vingt dix, puis à 16 % en 2002, il s'élève à 12,5 % depuis 2003 alors que la moyenne européenne est de 27,5 %. Son produit représente un dixième des recettes de l'État. Il s'ajoute à de nombreux crédits d'impôts en faveur des ménages et à un taux réduit d'imposition des bénéfices pour les entreprises exportatrices, fixé à 10 %.

Cette politique fiscale n'a pas été sans conséquence en matière de gouvernance économique pour l'ensemble de l'Union européenne. Refusant tout rapprochement des fiscalités, elle a constitué un obstacle à une intégration plus poussée des économies européennes.

Combinée à un code des investissements extrêmement favorable, cette fiscalité avantageuse a fait de la terre rurale que constituait l'Eire un territoire attractif, ouvert, drainant encore 110 milliards d'euros d'investissements directs étrangers l'an passé.

Les plus grandes multinationales se sont ainsi installées en Irlande, employant 240 000 personnes, dont 110 000 au sein des seules entreprises américaines, à l'instar de Google, Microsoft, Twitter, Intel ou eBay. Rappelons que la population active s'élève à 1,9 million de personnes. L'Irlande est de fait devenue la porte d'entrée en Europe de la Silicon Valley. Aux emplois directs s'ajoutent, par ailleurs, ceux indirects liés à l'implantation étrangère : 20 % des emplois dans le pays sont découlent la présence de ces entreprises sur le territoire irlandais.

De fait, il n'est pas étonnant que l'Irlande ait souhaité au cours des négociations avec ses partenaires européennes en vue du second referendum sur le traité de Lisbonne, que sa spécificité fiscale, comme ses positions quant à l'interdiction de l'avortement ou la neutralité militaire, soit formellement reconnue au Conseil européen de Bruxelles des 18 et 19 juin 2009 et plus tard inscrite au sein d'un protocole annexé au prochain traité soumis à la ratification des États membres.

L'Irlande est devenue dans le même temps une place financière spécialisée dans les hedge funds . Sa croissance a été soutenue par une main d'oeuvre qualifiée et bon marché. Les capacités productives du pays ont été, à cet égard, renforcées par l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail. Modèle de discipline budgétaire, l'Irlande est rapidement devenue un exemple pour les pays d'Europe centrale, impressionnés par cette croissance rapide qui en fait en quelques années un des pays les plus riches des Vingt-Sept.

Les banques sont au coeur de cette transformation d'une terre rurale en une nation entièrement dévolue au secteur tertiaire. Comme en Belgique, en Islande ou en Écosse, le secteur financier irlandais est organisé en oligopole. Trois grandes banques de détail (l'Anglo Irish Bank, l'Allied Irish Bank et la Bank of Ireland) et deux caisses hypothécaires se partagent l'essentiel d'un marché domestique de 4,4 millions d'habitants. Privées d'un important marché local, les grosses banques des petits pays se sentent souvent obligées de croître au-delà de leur base de départ, multipliant les prises de risques. Dans le cas irlandais, celles-ci ont particulièrement concerné le secteur immobilier.

La croissance (8 % de moyenne entre 1994 et 2004) et l'élévation du niveau de vie concomitante posait en effet la question de l'investissement des dépôts qui ne cessaient d'augmenter au sein des banques. Les fruits de la croissance ont été, avec l'appui réglementaire et fiscal de l'État, investis à partir de 2001 par les banques dans le secteur immobilier, notamment commercial et de bureau, qui faisait preuve, alors, d'une certaine atonie.

2. L'éclatement de la bulle immobilière et la crise bancaire

Cumulant parfois les fonctions de gestionnaires de fonds et de promoteurs, les établissements bancaires ont été les moteurs de la bulle immobilière qui s'est alors créée, faisant grimper artificiellement les prix. 17 % des revenus de l'État vont alors provenir de l'immobilier, limitant de facto toute tentative de régulation de la part des autorités. L'immobilier devient le second moteur de la croissance. L'État entretient parallèlement cette bulle en multipliant les avantages fiscaux en faveur du secteur. Aucune taxe foncière n'est ainsi perçue depuis près de trente ans.

Cette frénésie immobilière s'explique par de nombreuses raisons. Membre de la zone euro, l'Irlande bénéficie alors de la faiblesse des taux d'intérêts, inférieure au taux d'inflation. L'argent n'est pas cher. L'accession à la propriété représente par ailleurs un idéal pour une population venant de rompre avec des décennies de pauvreté. L'Irlande a voulu rattraper ses voisins occidentaux au risque de vouloir grandir trop vite.

Cette stratégie n'a pas suscité non plus de réserves marquées de la part des institutions internationales, comme en témoignent les rapports annuels de l'OCDE et du FMI. Leurs conclusion, ont en effet, régulièrement écarté tout risque de chute brutale des prix de l'immobilier et ont souligné la capacité des banques à amortir les chocs. Les « stress tests » bancaires européens, ces tests de résistance des établissements bancaires, encadrés par la Commission, avaient, quant à eux, souligné en juillet dernier la capacité des banques irlandaises à demeurer solvables. Ces tests imposaient notamment que le ratio de solvabilité soit supérieur à 6 % d'ici 2011. Or les scenarii les plus pessimistes mettaient en avant un ratio de 6,5 % pour l'Allied Irish Bank et de 7,6 % pour la Bank of Ireland.

La crise financière mondiale est cependant venue montrer la fragilité de ce tropisme immobilier. L'augmentation des taux a rendu difficile l'issue pour les banques de se refinancer. La baisse des prix de l'immobilier, commercial comme d'habitation, a par ailleurs directement frappé leurs actifs. Les prix sont en effet revenus au niveau de 2002. Les banques irlandaises sont confrontées, par ailleurs, à l'augmentation du nombre de défauts de remboursements. Liée au ralentissement de l'activité dans le secteur du bâtiment (3 593 mises en chantier en septembre 2010, contre 21 622 en décembre 2007), l'augmentation du chômage renforce ce phénomène tout en creusant les déficits publics. Le surendettement de nombreux foyers, facilité par l'octroi de près de 790 000 crédits hypothécaires - la durée de remboursement des prêts peut aller jusqu'à cinquante ans - est également un élément déterminant dans cette crise bancaire. L'endettement des ménages est ainsi évalué à 160 milliards d'euros, soit pratiquement 100 % du PIB, dont 144 milliards au titre des crédits hypothécaires.

Les crédits hypothécaires en Irlande

En Irlande, les crédits hypothécaires sont consentis avec un recours contre la personne du débiteur. En conséquence, il ne suffit pas de vendre le bien immobilier ou de le rendre à la banque pour s'alléger de sa dette. En effet, en cas de vente, si la valeur vénale du logement se révèle inférieure au capital restant dû, le débiteur doit quand même régler le solde. On estime à 200 000 le nombre d'emprunteurs qui se trouvent dans cette situation dite de « negative equity ».Sur 790 000 débiteurs hypothécaires, près de 70 000 se trouvent en situation de retard de paiement. Les arriérés sont estimés à environ 1,2 milliard d'euros. Les arriérés supérieurs à 180 jours sont évalués à 562 millions d'euros et concernent plus de 28 000 emprunteurs.

Les crédits hypothécaires visent à la fois le logement principal et les crédits accordés aux particuliers pour l'immobilier locatif. Avec 31,3 milliards d'euros sur 144. Ces derniers représentent plus de 21 % de l'encours total de crédit,

Il convient de souligner que l'effondrement bancaire irlandais n'est pas le simple résultat du naufrage de la banque Lehman Brothers en septembre 2008, argument maintes fois mis en avant par le gouvernement irlandais depuis le début de la crise. Ce désastre économique est avant tout une crise « home made », faite maison, selon les termes du gouverneur de la Banque centrale irlandaise. Elle est le fruit d'attitudes nationales, de l'imprudence des banques à celle du gouvernement. Rappelons qu'au début de la crise, à l'automne 2008, celui-ci a pris soin de garantir l'ensemble des dépôts et des prêts octroyés par les établissements bancaires, soit un engagement de 480 milliards d'euros, trois fois le produit intérieur brut local.

3. Une crise bancaire ruineuse pour l'Etat irlandais

Avec l'effondrement du marché immobilier, les banques irlandaises se sont trouvées confrontées à un double problème : un défaut de solvabilité suivi d'un manque de liquidités.

La recapitalisation opérée par le gouvernement irlandais et encouragée par la Commission européenne s'est traduite par un investissement de près de 46 milliards d'euros dans un secteur désormais quasi nationalisé. Le sauvetage de l'Anglo Irish Bank à hauteur de 30 milliards d'euros a été un des éléments les plus visibles de cette politique.

Participations de l'État dans le secteur bancaire

Part actuelle de l'État

Après le programme de recapitalisation

Anglo Irish Bank

100 %

Allied Irish Bank

18 %

> 90 %

Bank of Ireland

34 %

> 50 %

EBS

51 %

Irish Nationwide

51 %

Irish Life & Permanent

0 %

La création de la National Asset Management Agency (NAMA) lui a, par ailleurs, permis de racheter près de 90 milliards d'euros de prêts aux banques.

Ces dispositions, si elles ont considérablement creusé le déficit public qui a atteint 32 % du PIB en 2010, n'ont pas pour autant rétabli suffisamment la confiance pour empêcher une véritable hémorragie des dépôts. 30 milliards d'euros ont ainsi été retirés du secteur bancaire irlandais pour le seul mois de septembre, l'Anglo Irish Bank a, quant à elle, vu ses dépôts fondre de 13 milliards d'euros depuis janvier dernier. Pour faire face à ce problème de liquidités, la Banque centrale européenne a injecté au sein du système bancaire 165 milliards d'euros depuis le début de la crise et a souhaité, le 12 novembre dernier, arrêter ces versements.

Le gouvernement irlandais se retrouve également confronté à un problème de liquidité. Ses investissements massifs dans le secteur bancaire conjugués aux diminutions de recettes liées à la crise ne lui permettent plus de disposer de liquidités suffisantes au-delà du premier semestre 2011. Cette situation est d'autant plus inquiétante que le gouvernement a déjà entrepris de réduire la dépense publique de 14,5 milliards d'euros sur les trois derniers exercices, au moyen de réductions des salaires dans la fonction publique ou de baisses des allocations destinées aux familles et aux chômeurs.

Solde budgétaire de l'Irlande (en % du PIB)

2006

2007

2008

2009

2010

+ 2,9 %

0 %

- 7,3 %

- 14,4 %

- 32 %

C'est dans ce contexte particulièrement difficile qu'est intervenue, le 21 novembre, la demande d'utilisation du mécanisme européen d'ajustement financier. Si la situation irlandaise n'a rien à voir avec le caractère d'urgence que revêtait le cas grec, l'annonce d'un nouveau plan d'austérité par le gouvernement n'apparaissait pas suffisante pour juguler la crise de liquidités qui menaçait à terme l'État irlandais. Par ailleurs, aucune alternative à l'aide européenne - liquidation complète du fonds de réserve des retraites, vente d'actifs de l'Etat ou défaut de la dette souveraine - ne semblait crédible.

B. UN APPEL A L'AIDE EUROPÉENNE INÉVITABLE EN DÉPIT DES RÉSERVES DE L'OPINION PUBLIQUE

1. Un contexte politique délicat

Cet appel à l'aide n'est pas sans poser un véritable problème politique pour le Gouvernement alliant centre droit et écologistes, déjà au plus bas dans les sondages d'opinion et ne disposant plus que d'un soutien relatif au Parlement. La majorité parlementaire ne tient qu'à deux voix, mais les Verts et les députés indépendants qui y participent ont marqué récemment une certaine défiance à l'égard du gouvernement et appelé à la tenue d'élections législatives anticipées.

Le Gouvernement a partiellement répondu à leur demande en annonçant la tenue d'élections législatives à l'issue du vote du budget 2011. La fin du mois de février devrait donc donner un lieu à un nouveau scrutin et à une alternance probable à la tête du gouvernement. Une nouvelle coalition Fine Gael (centre droit) et Labour travailliste devrait, selon toute vraisemblance, arriver aux responsabilités.

Le Premier ministre et son parti, le Fianna Fail, sont contestés à double titre dans l'opinion publique. Brian Cowen, ministre des finances durant les années de croissance du Tigre celtique, est jugé responsable des errements des banques durant cette période au nom du soutien qu'il a pu leur apporter. Son parti, dont l'histoire se confond avec la lutte pour l'indépendance semble trahir son engagement traditionnel en acceptant l'aide conditionnée de l'Union. Son refus de mettre en oeuvre une régulation effective, sa proximité avec les banques et les promoteurs immobiliers au sein d'un « triangle toxique » selon l'expression d'un parlementaire, l'impunité dont jouissent les banquiers et les promoteurs impliqués dans l'effondrement du système provoquent un sentiment aigu de colère au sein de la population. La perspective de nouvelles élections devrait en partie permettre de le dépasser.

Par ailleurs, l'intervention européenne et celle du Fonds monétaire international sont vécues comme une atteinte à l'indépendance nationale. A ce titre, l'annonce d'un nouveau plan de rigueur dans la foulée de l'appel à l'aide européenne est assez mal vécue, la dureté du plan pouvant apparaître comme dictée par les instances internationales.

2. Un plan de rigueur ambitieux, mais contesté

Le gouvernement a en effet annoncé le 24 novembre dernier une nouvelle réduction des dépenses publiques de l'ordre de 15 milliards d'euros d'ici 2014, 6 milliards devant être obtenus au cours du prochain exercice. L'ambition du gouvernement est de revenir à cette date à un déficit public inférieur à 3 % du PIB.

Le volet « recettes » du plan prévoit une augmentation de celles-ci de 5 milliards d'euros sur quatre ans. Le Gouvernement prévoit la suppression de niches fiscales (665 millions d'euros, dont 405 en 2011) et de crédits d'impôts portant notamment sur les retraites (865 millions d'euros récupérés sur la période 2011-2014). La suppression de crédits d'impôts est conjuguée à une baisse du seuil d'imposition par contribuable, de 18 300 à 15 300 €. Le gouvernement entend percevoir par ce biais 1,9 milliard d'euros sur la période, dont 1,245 milliard dès 2011. La taxe sur la valeur ajoutée est portée de 21 à 22 % d'ici 2013, puis à 23 % l'année suivante, soit 570 millions d'euros de recettes supplémentaires. Le gouvernement prévoit par ailleurs la mise en place d'une taxe foncière pour financer les services publics locaux, dont l'eau. Celle-ci sera forfaitaire jusqu'en 2012 (100 euros par immeuble d'habitation) puis assise sur les valeurs immobilières à compter de cette date. Une taxe carbone sera également créée et devrait rapporter 300 millions d'euros à l'Etat.

Concernant les dépenses, l'Etat envisage une réduction de celles-ci de 10 milliards d'euros sur quatre ans. Les principales mesures concernent les dépenses sociales diminuées de 2,8 milliards d'euros sur la période et l'augmentation d'un tiers des droits d'inscription à l'Université qui passent de 1 500 à 2 000 € et une compression de 1,4 milliard d'euros des dépenses de santé.

La réduction des dépenses passe également par des meures visant spécifiquement la Fonction publique dont les salaires et les effectifs ont augmenté durant les années de prospérité du Tigre celtique, suscitant de nombreuses critiques au sein de l'opinion publique. Le gel des recrutements et des promotions devraient ainsi permettre une économie de 1,2 milliard d'euros sur la période. 24 750 emplois publics seront par ailleurs supprimés pour revenir aux effectifs de 2005. La fonction publique irlandaise compte, à l'heure actuelle, 300 000 agents. Le régime des retraites des fonctionnaires est également visé, les pensions étant diminuées de 6 à 12 %. Concernant les salaires des nouveaux fonctionnaires, ils seront réduits de 10 %.

Afin d'améliorer la compétitivité du pays, le salaire minimum horaire est réduit d'un euro pour passer à 7,65 €, le Gouvernement espérant créer de la sorte 90 000 emplois et ramener à 10 % le taux de chômage, contre 14 % aujourd'hui.

Plusieurs réserves entourent néanmoins ce programme ambitieux. Le cadrage macroéconomique ne prend pas en compte le problème des banques, puisqu'il n'intègre pas la dégradation continue de la position irlandaise sur le marché des taux. Les hypothèses de croissance retenues paraissent de surcroît optimistes, le gouvernement maintenant les chiffres de 1,75 % en 2011 et 3,25 % en 2012 et ce malgré l'impact déflationniste du plan d'ajustement.

Concernant les réformes structurelles, il convient de s'interroger sur le maintien de l'accord « Croke Park » avec les syndicats de la fonction publique qui semble limiter l'impact de toute entreprise volontaire de réduction des dépenses en maintenant un niveau de salaire relativement haut pour les fonctionnaires actuellement en poste. Aucune privatisation ne semble par ailleurs clairement envisagée.

Ce plan n'a bien évidemment pas suscité l'adhésion de l'opinion publique, comme en a témoigné l'organisation le 27 novembre d'une manifestation à Dublin contre le plan. 50 000 personnes se sont ainsi réunies alors que le pays est traditionnellement peu enclin à manifester. Le dispositif est clairement perçu comme une mise à contribution des plus pauvres, suscitant un réel sentiment d'injustice.

Une courte majorité devrait être trouvée pour le vote concernant la création de nouvelles taxes, préalable indispensable à l'examen du budget. Le discours politique se heurte en effet à une réalité économique : aux yeux de la Commission et du FMI, le plan d'austérité est considéré comme la condition indispensable pour le déblocage du prêt. Celui-ci devient chaque jour de plus en plus indispensable comme en témoigne les révisions régulières des besoins de financement du secteur bancaire.

Les partis d'opposition, Fine Gael et Labour, ne feront pas obstacle à son adoption, même si le Labour milite pour une réduction des dépenses limitée à 4,5 milliards pour l'exercice 2011. Rappelons par ailleurs que le Fianna Fail et le Fine Gael sont deux partis relativement proches en matière de politique économique et que la coalition Labour - Fine Gael avait été à l'origine de la réduction du taux d'imposition sur les sociétés à la fin des années quatre-vingt dix. Cette proximité idéologique des trois grands partis n'est pas sans susciter la crainte d'une progression de mouvements plus radicaux à l'occasion du prochain scrutin, Sinn Fein en tête.

3. Le tabou irlandais : l'impôt sur les sociétés

La dureté du plan proposé par le gouvernement irlandais peut laisser songeur tant il fait porter sur le citoyen le coût de la faillite du système bancaire. Entièrement consacré à la recherche de nouvelles recettes, il ne prévoit pas, pour autant, d'actionner le levier de l'imposition sur les sociétés, fût-ce de façon modérée.

L'impôt sur les sociétés demeure en Irlande un sujet tabou, la faiblesse de son taux suscitant un large consensus au sein de la société. Ce sentiment est renforcé par les déclarations alarmistes des responsables des entreprises multinationales, qui, à l'image de la Chambre de commerce americano-irlandaise, prévoient la fermeture des sites en cas d'augmentation de la fiscalité. S'il devait y avoir remise en cause de son taux, celle-ci ne pourrait concerner que les entreprises ne disposant en Irlande que d'une adresse fiscale.

L'avantage comparatif lié à la fiscalité est donc considéré comme un élément fondamental de l'identité nationale irlandaise à l'heure de l'intégration européenne. L'attractivité du territoire et l'ouverture aux multinationales qu'elle induit constitue une double réponse aux peurs de dilution de l'Irlande au sein du vaste ensemble européen et à une perception d'une Europe émolliente, à croissance économique limitée, incapable d'adopter une stratégie de développement viable et de répondre au défi du chômage de masse.

L'attitude de la population irlandaise peut apparaître paradoxale. Elle condamne, tout en l'acceptant de façon résignée, l'austérité imposée par le gouvernement à l'ensemble de la société mais elle refuse, dans le même temps, une participation des entreprises au redressement des banques. Elle critique l'intervention européenne au motif qu'elle remet en cause l'indépendance nationale, mais estime celle-ci garantie par l'ouverture de son territoire et la mondialisation.

Ces réticences justifient les hésitations puis les effets d'annonce du Gouvernement irlandais à l'heure de solliciter l'intervention de l'Union européenne et du Fonds monétaire international. Après avoir été niée, l'aide a été ainsi initialement présentée comme une réponse à la seule crise du secteur bancaire, ne visant pas directement les comptes publics, dont la maîtrise appartient encore au Gouvernement. Les autorités ont toujours affirmé en même temps que la révision du taux d'imposition sur les sociétés ne pouvait constituer un préalable à l'octroi de l'aide.

II. L'INTERVENTION EUROPÉENNE

Le conseil Ecofin, réuni en urgence le 21 novembre, a répondu favorablement à une demande d'aide internationale formulée par l'Irlande le jour même. La sauvegarde de la stabilité financière de l'Union européenne et de la zone euro justifie, aux yeux des ministres des finances, la nécessité d'une intervention.

La rapidité de la réaction européenne ne doit pas conduire à éluder, pour autant, les questions que pose une intervention financière européenne dans un pays qui a pris soin de déterminer en solitaire ses orientations économiques, usant largement de la concurrence fiscale au détriment de ses partenaires au sein de l'Union.

L'aide de l'Union européenne n'est, à cet égard, envisageable que sous l'angle de la conditionnalité. A cet égard, le plan d'austérité annoncé par le Gouvernement rejoint le souhait formulé par l'Union européenne et le Fonds monétaire international d'opérer un réel ajustement de l'économie irlandaise. La crise irlandaise accrédite la thèse d'un nécessaire renforcement de l'intégration économique, à moins de ne considérer l'Union que comme un pompier, agissant sporadiquement pour tenter d'éviter que la zone euro ne s'embrase.

A. LES CONTOURS DE L'AIDE EUROPÉENNE

Les Vingt-Sept ont trouvé un accord le 28 novembre dernier sur l'extension du mécanisme de crise à l'Irlande.

Le montant de l'aide européenne est chiffré à 67,5 milliards d'euros sur trois ans auxquels viennent s'ajouter 17,5 milliards d'euros prélevés sur le Fonds de réserve des retraites irlandais, soit au total 85 milliards d'euros.

La contribution des instances européennes et internationales se décompose de la façon suivante :

• un tiers, soit 22,5 milliards d'euros, supporté par le Fonds monétaire international ;

• un tiers financé par le mécanisme européen d'assistance financière, financé par des emprunts réalisés par la Commission sur les marchés ;

• un dernier tiers, constitué à la fois de montants levés sur les marchés via le Fonds européen de stabilité financière qui réunit les pays de la zone euro, mais également par des prêts bilatéraux accordés par la Suède, 600 millions d'euros, le Danemark, 400 millions d'euros, et le Royaume-Uni, 3,8 milliards d'euros.

L'implication britannique est motivée par les liens qui unissent les deux économies. Les banques britanniques ont ainsi la plus forte exposition au monde à l'économie irlandaise (162 milliards d'euros), les prêts qu'elles octroient visent les entreprises, les banques et les ménages irlandais. L'Irlande constitue, par ailleurs, le cinquième marché pour les exportateurs britanniques. L'aide à l'Irlande s'impose donc à plus d'un titre tant la faillite de son système bancaire ne serait pas sans incidence pour la City.

Le taux d'intérêt moyen de cette aide s'élève à 5,8 %. La durée de remboursement est de sept ans et demi.

L'intervention financière de l'Union européenne répond à trois objectifs. Le premier vise le système bancaire, 10 milliards servant à la recapitalisation des banques, 25 milliards étant déposés au sein d'un fonds de réserve. Sur ces 35 milliards, la moitié serait financée par l'Irlande. L'Union souhaite parallèlement que le déficit irlandais repasse en dessous des 3 % d'ici 2015 et appelle de ses voeux un ajustement fiscal d'envergure de la part du gouvernement, sans plus de précision. Le Conseil Ecofin a, à cet égard, pris soin dans son communiqué d'indiquer que l'aide et les conditions de celle-ci respectaient les fondamentaux de l'économie irlandaise, là encore sans plus de détail. L'Union européenne n'entend pas de la sorte imposer un débat sur la fiscalité des entreprises en Irlande. Le troisième objectif concerne le retour de la croissance en Irlande et nécessite, aux yeux de l'Union, une réforme du marché du travail local.

De fait, si elle n'aborde pas directement la question de la fiscalité attractive du territoire, l'Union européenne entend accompagner les réformes ambitieuses et courageuses entreprises par le Gouvernement irlandais. C'est par ce biais qu'elle entend tempérer l'autonomie économique de l'Irlande au sein de la zone euro. Cette voie, plus mesurée que les déclarations allemande et française sur la nécessité de mettre fin au dumping fiscal irlandais, tient compte d'un impératif : le retour rapide à la croissance. Imposer une révision à la hausse du taux d'impôt sur les sociétés serait une réponse conjoncturelle à un problème financier mais conduirait sans doute à la délocalisation d'une partie des multinationales et tuerait dans l'oeuf toute dynamique de reprise. Ainsi, la conditionnalité de l'aide européenne se limite à une obligation de résultats.

B. UN PLAN CRITIQUÉ AU SEIN DE L'OPPOSITION ET DE L'OPINION PUBLIQUE

Si le gouvernement irlandais se félicite du montant du prêt européen et de ses contours, l'opposition comme l'opinion publique apparaissent plus critiques.

Le taux d'intérêt moyen de l'aide fixé à 5,8 % concentre l'essentiel des réactions négatives. L'opposition comme l'opinion publique soulignent que la Grèce a bénéficié d'un taux plus modéré, 5,2 %, sans néanmoins prendre en compte la durée de remboursement plus longue (sept ans et demi en Irlande contre trois en Grèce). Le doute sur la capacité de la Grèce à rembourser à terme son aide a, à cet égard, eu une influence indéniable sur la détermination de la durée de l'emprunt et donc de son taux. Cette logique n'est toutefois pas prise en considération par les Irlandais qui estiment que ce taux d'intérêt sera supérieur à la croissance nominale du PIB sur la période 2011-2015. La question de la soutenabilité du plan de redressement est dès lors posée. Le débat sur le taux tel qu'entretenu occulte cependant un élément majeur : le taux relativement bas des prêts accordés par la Banque centrale européenne depuis le début de la crise bancaire, soit 1 %.

La Banque centrale est surtout considérée comme l'avocate des banques européennes exposées en Irlande. Celles-ci, et en particulier les banques allemandes, britanniques et françaises sont censées avoir favorisé la bulle immobilière. Le refus de la Banque centrale européenne de voir opérée une décote sur les dettes dites « senior » qu'elles détiennent est notamment mis en avant par le Labour qui voit dans ce plan d'aide à l'Irlande un plan d'aide aux banques européennes. Rappelons que le montant des dettes dites « senior » s'élève à 41,6 milliards d'euros. Le Fonds monétaire international échappe quelque peu à cette critique pour avoir esquissé l'idée d'une potentielle décote.

Exposition des banques étrangères à l'économie irlandaise

(en milliards d'euros)

Allemagne

Espagne

Etats-Unis

France

Italie

Royaume-Uni

Japon

150

13

83

63

21

162

17

L'utilisation du Fonds de réserve des retraites est également sujette à caution. L'affectation d'une partie de ces crédits au financement des banques choque l'opinion publique. Elle est également contestée par l'opposition parlementaire qui se voit privée d'éventuelles marges de manoeuvres budgétaires en cas d'arrivée au pouvoir au cours de l'hiver prochain.

L'aide britannique n'est pas, non plus, sans susciter quelques crispations au sein de la population irlandaise, pour des raisons historiques évidentes.

C. QUELLES PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES AU DELÀ DE L'AIDE EUROPENNE ?

Il convient à cet égard de souligner la spécificité de la crise irlandaise qui reste une crise essentiellement bancaire. A la différence d'autres pays de la zone dite périphérique, notamment l'Espagne et le Portugal, l'Irlande dispose encore de relais de croissance et ne souffre pas d'un déficit de compétitivité. La banque mondiale classe encore l'Irlande parmi les dix meilleurs pays au monde pour la facilité à exercer des activités commerciales Le pays se classe au deuxième rang européen en ce qui concerne la productivité et la flexibilité. Le programme des Nations unies pour le développement classe enfin l'Irlande parmi les cinq pays bénéficiant de la meilleure qualité de vie.

Par ailleurs alors que la consommation devrait diminuer d'environ 4 % en 2011 en raison, notamment, des mesures d'austérité adoptées depuis trois ans, le secteur des exportations est le seul estimé à la hausse (environ 5 % en 2011). Seules les exportations, générées pour l'essentiel par les compagnies étrangères (88 %), devraient permettre une reprise de la croissance. Cette bonne tenue des exportations devrait permettre à l'Irlande de retrouver le chemin de la croissance et à l'horizon 2013-2014 d'observer une réelle reprise de la consommation. Rappelons que celle-ci était en baisse de 7 % en 2009.

La croissance demeure néanmoins difficile à évaluer comme en témoignent les hésitations de la Commission à ce sujet, validant l'hypothèse du gouvernement irlandais d'une progression du PIB de 1,75 % avant de la contredire quelques semaines plus tard pour la ramener à 0,9 %.

Par ailleurs, le poids de l'endettement privé, 160 milliards d'euros, soit l'équivalent du PIB, risque de peser durablement sur la reprise de la consommation. Le chômage des non diplômés issus du secteur du bâtiment ou de la distribution demeure important. L'émigration de diplômés, cette nouvelle fuite des cerveaux, vers les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la Nouvelle-Zélande ou l'Australie est également source d'inquiétude. Rappelons que 100 000 jeunes diplômés sont actuellement sans emploi en Irlande. Une centaine d'entre eux quittent le pays chaque semaine. Cette émigration ne vise pas uniquement les jeunes, les candidats au départ ayant entre 25 et 50 ans. Le taux d'émigration net est le plus haut de l'Union avec 9 %, la Lituanie se classant derrière avec 4,6 %.

Ce taux constitue une rupture avec les années de prospérité du tigre celtique, où une partie de la diaspora irlandaise était revenue vers l'Eire. Ce faisant, l'Irlande renoue avec une tradition migratoire entamée avec la grande famine de 1840, événement à partir duquel l'exil constitue une réponse aux crises récurrentes qui frappent le pays.

Par ailleurs, au delà du montant de l'aide, les marchés demeurent très sensibles au contexte qui l'entoure. L'incertitude politique, les craintes entourant la soutenabilité de la dette irlandaise en 2013 comme les déclarations d'Angela Merkel sur la participation des sociétés au mécanisme de gestion de crise après 2013 ont largement contribué au maintien des taux à 10 ans concernant l'Irlande à un niveau relativement haut la semaine suivant l'annonce du plan d'aide européen, 9 % contre 2,74 % pour l'Allemagne.

Taux à 10 ans le 29 novembre 2010 au lendemain de l'annonce du plan d'aide à l'Irlande

Allemagne

France

Espagne

Grèce

Irlande

Portugal

2,73 %

3,14 %

5,18 %

11,77 %

9,20 %

6,99 %

L'une des grandes questions demeure à cet égard la mesure exacte de l'ampleur des pertes des banques qu'il apparaît encore difficile d'évaluer.

D. QUELLES CONSÉQUENCES EN MATIÈRE DE GOUVERNANCE ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE ?

La crainte d'une contagion a également motivé l'effort européen en faveur de l'Irlande. Les menaces que font peser les crises irlandaise et grecque, comme les incertitudes espagnoles ou portugaises, sont en effet source d'inquiétude. Si la confiance à l'égard de la monnaie unique s'affaiblissait, les obligations d'Etat verraient leurs taux d'intérêt ou d'assurance augmenter. La charge de la dette payée par l'impôt augmenterait en conséquence créant les conditions d'une défiance des marchés sur les capacités d'emprunt des pays concernés, au risque de voir certains pays trop endettés se retrouver dans l'impossibilité d'emprunter sur les marchés. Ces Etats se retrouveraient eux aussi confrontés à une crise de liquidités.

La question de la contagion ne tient pas à la similarité des crises mais au climat de défiance vis-à-vis de la dette souveraine européenne. Là où il y a deux ans, toute obligation venant de la zone euro était traitée sur un plan d'égalité, qu'elle vienne de Grèce ou d'Allemagne, les marchés développent désormais une crainte à l'égard de la dette souveraine européenne toute aussi excessive que ne l'était la confiance.

La restauration de la confiance à l'égard d'un pays est donc à cet égard primordiale. La zone euro permet de mutualiser le risque, les Etats confrontés à de sérieuses difficultés pouvant emprunter à des taux raisonnables.

Au-delà de la question de la stabilité de la zone euro, cette crise n'aura pas non plus été sans incidence en ce qui concerne la gouvernance économique de l'Union européenne. La faillite du système bancaire local et son renflouement par les deniers publics européens sont venus à l'appui du souhait allemand de faire participer les établissements financiers au mécanisme permanent de gestion de crise prévu à la mi-2013.

Le dispositif d'aide potentielle valable jusqu'en 2013

Fonds européen de stabilité financière (FESF) - 440 milliards d'euros (Volet intergouvernemental)

Cet instrument aide les États en difficulté après avoir emprunté sur les marchés grâce aux garanties apportées par les seize États de la zone euro. Le fonds a été mis en place en mai dernier pour une durée de trois ans. Il est activé à l'unanimité des États participants.

Il convient de relativiser le chiffre de 440 milliards d'euros. Les moyens disponibles sont plutôt de l'ordre de 255 milliards d'euros selon les économistes, ni la Grèce ni l'Irlande ne pouvant être appelées en garantie. Il est, par ailleurs, raisonnable de ne pas compter sur la contribution du Portugal, voire celle de la Grèce. La part française de la garantie s'élève pour sa part à 110 milliards d'euros.

Mécanisme européen d'assistance financière - 60 milliards d'euros (Volet communautaire)

Il est financé par des emprunts réalisés par la Commission sur les marchés, garantis par le budget communautaire. Il est activé à la majorité qualifiée des Vingt-Sept États membres de l'Union

Fonds monétaire international - 250 milliards d'euros

Les ministres européens des finances sont, à cet, égard, parvenus à un accord le 28 novembre dernier. Reprenant les principes du dispositif actuel, le Mécanisme de stabilité européenne (ESM) prévoit de conditionner l'aide à l'égard d'un pays à l'adoption par celui-ci d'un programme drastique d'ajustement de la dette souveraine. Le futur mécanisme prévoit parallèlement une participation du secteur privé, au cas par cas. Deux cas sont envisagés :

• Lorsqu'un pays faisant appel à l'ESM est considéré comme solvable, les créanciers privés sont encouragés à conserver leur exposition à la dette souveraine ;

• Dans le cas contraire, s'il est tenu pour insolvable, le pays concerné doit négocier un plan exhaustif de restructuration de sa dette avec les créanciers privés.

Les pays de la zone euro devront, à ce titre, inclure dans leurs émissions de dette souveraine des clauses d'action collective après la mi-2013. Les créanciers pourront alors décider à la majorité qualifiée de modifier les termes des contrats liés aux titres de dette et d'accepter notamment un rééchelonnement du remboursement, une baisse du taux d'intérêt voire une décote de la valeur des titres de dette.

La création de l'ESM sera entérinée après modification du Traité de Lisbonne.

La crise irlandaise invite également la Commission à renforcer ses normes en matière de supervision bancaire et notamment en ce qui concerne ses « stress tests », ces tests de résistance des banques aux chocs macroéconomiques, afin de prévenir ce type de crise. A partir de 2011, ces tests seront organisés chaque année sous le contrôle de l'Autorité européenne de supervision bancaire.

La crise irlandaise incite enfin l'Union à accélérer la mise en place du mécanisme de surveillance macro-économique tel que mis en place par le Conseil européen des 28 et 29 octobre derniers. La mise en place de ce cadre devrait permettre d'évaluer chaque année les déséquilibres et les faiblesses macroéconomiques. Cette estimation serait effectuée en fonction d'indicateurs : déficit commercial, situation de la balance des paiements, évolution des prix et notamment ceux de l'immobilier, etc. Si les chiffres des pays concernés s'écartent de la moyenne de l'Union européenne, la Commission serait en mesure de demander des éléments d'explications aux autorités des États membres. Avec ce mécanisme, l'Irlande comme l'Espagne auraient pu être interrogées sur la bulle immobilière en gestation dans leurs pays, où les prix ont été multipliés par 4 ou 5 sur une courte période. En l'absence de justification et en cas de déséquilibre particulièrement grave, le Conseil déclarerait l'État membre concerné en « situation de déséquilibre excessif » et lui adresserait un ensemble de recommandations destinées à corriger les déséquilibres. Si ces recommandations n'étaient pas mises en oeuvre, la question serait portée devant le Conseil européen. Pour les États membres de la zone euro, des sanctions - éventuellement financières - pourraient être décidées.

CONCLUSION

La crise irlandaise vient sanctionner en partie une course en solitaire à la croissance au sein de la zone euro. La crise de croissance qui frappe le jeune « tigre celtique » a montré que le développement ne peut s'opérer durablement au mépris de normes de régulations adéquates. Elle invite à réfléchir au renforcement de celles-ci à l'échelle européenne. Par delà, la crise justifie la mise en place d'une véritable gouvernance économique européenne.

L'austérité à laquelle va être confrontée l'Irlande dans les prochaines années ne devrait pas à moyen terme empêcher le retour à la croissance. Un consensus politique sur l'ajustement économique à opérer aidera à atteindre cet objectif. La fiscalité des entreprises installées sur son territoire constitue aujourd'hui sa principale arme pour une reprise à l'horizon 2013-2014.

EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le mardi 7 décembre 2010 pour l'examen du présent rapport.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes :

Je me réjouis que cette communication puisse avoir lieu aujourd'hui, alors que l'Union européenne a officialisé en début d'après-midi son plan d'aide et que le gouvernement irlandais présente à l'heure actuelle son budget devant le Parlement.

M. Pierre Bernard-Reymond :

La situation irlandaise appelle plusieurs observations.

D'abord, à quoi servent les « stress tests » ? J'aimerais que les responsables de ces contrôles viennent nous expliquer l'écart entre leurs estimations et l'état réel des banques irlandaises. Ces tests sont ils surévalués de façon à adresser un message positifs aux agences de notation ? Quoi qu'il en soit, ils ont beaucoup perdu en termes de crédibilité.

Je m'interroge par ailleurs sur la contradiction entre cette volonté irlandaise de faire respecter sa souveraineté et le soin particulier qu'a mis Dublin à fonder sa croissance sur les investissements internationaux.

Je souscris à la nécessité de renforcer la gouvernance économique, notamment par le bais du mécanisme de surveillance macro-économique. Celui-ci devrait notamment nous permettre de repérer la formation des bulles spéculatives. Mais comment faire éclater ces bulles avant qu'elles ne menacent les économies nationales ?

La gouvernance économique européenne implique de véritables transferts de souveraineté et, notamment, la mise en place d'un gouvernement économique. Or on constate une différence notable entre le discours sur la nécessité d'une vraie gouvernance économique et la crispation des États sur leur souveraineté dans le domaine économique. A l'heure actuelle, les pays les plus vertueux parent aux difficultés des autres. Cette situation ne peut tenir durablement, comme en témoignent les réticences de l'Allemagne lors de la crise grecque.

M. Jacques Blanc :

Je tenais à rappeler que l'Irlande a été une des grandes bénéficiaires des fonds structurels européens, devenant même avec la Lozère et le Mezzogiorono un territoire expérimental en ce qui concerne la convergence des crédits européens en matière de cohésion.

Je souligne également que l'Irlande a été un de nos principaux soutiens en matière de politique agricole commune comme en a témoigné il y a quelques années notre combat commun sur le problème des ovins.

Cette adhésion à l'idée européenne trouve néanmoins des limites, comme l'a montré le rejet du Traité de Lisbonne. Peut-être faut-il trouver dans l'influence britannique une raison à ce scepticisme. La crise permettra peut-être à l'Irlande de se rapprocher à nouveau de l'Europe.

Concernant le montant de l'aide européenne, je veux croire, puisqu'il s'agit de prêts, qu'elle ne coûtera rien au contribuable européen.

M. Michel Billout :

La crise irlandaise comme la crise grecque donne lieu à une plaidoirie en faveur de la gouvernance économique. Je m'interroge néanmoins sur un point. Si elle avait été mise en place il y a une dizaine d'années, cette gouvernance économique aurait-elle tempéré les excès irlandais ? Rien n'est moins sûr ! Je me demande même si elle n'aurait pas alors encouragé la croissance irlandaise.

Je suis peu satisfait du niveau de la réponse apportée par l'Union européenne aux difficultés irlandaises. La crise irlandaise est une crise bancaire. L'effondrement des banques irlandaises a conduit à une socialisation de la dette en Irlande. La peur d'un effet domino et d'un effondrement des banques européennes exposées en Irlande s'est propagée et a conduit dans la précipitation à mettre en oeuvre un véritable plan de sauvetage européen des établissements financiers dont les deux tiers seront financés par des emprunts sur les marchés financiers, laissant libre cours à la spéculation.

Force est de constater qu'en Irlande, ce sont les personnes en difficulté qui vont contribuer au redressement de l'économie via la réduction des salaires et des allocations sociales. Le levier de la fiscalité des entreprises ne sera, quant à lui, pas actionné.

M. Jean Bizet :

Il y a quelques semaines, Jacques Delors a rappelé devant cette commission que l'Union économique et monétaire ne marchait que sur une jambe. Le semestre européen ou le mécanisme de surveillance macro-économique sont autant d'avancées en faveur d'une véritable gouvernance économique européenne. Les transferts de souveraineté ne sont pour autant pas à l'ordre du jour, comme en témoigne le programme sur lequel a été élu John Cameron au Royaume-Uni.

Pour revenir aux propos de Jacques Blanc sur le coût pour le contribuable, je pense que s'il y a un coût, il sera à terme à la charge du secteur privé qui sera confronté tôt ou tard à la nécessité de restructurer les dettes.

Je veux croire comme Angela Merkel que nous n'assistons pas à une crise de l'euro, mais bien à des crises liées aux dérives des finances publiques. Cela étant, une telle situation risque de nous obliger à ne pouvoir annoncer que des mesures de rigueur et d'austérité.

A l'issue du débat la commission a autorisé la publication du rapport.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES À DUBLIN

• M. Brendan Halligan, ancien député et ancien membre du Parlement européen, président de l'Institute of International & European Affairs et M. Daithi O'Ceallaigh, directeur général de cet institut ;

• M. John Fitzgerald, chercheur à l'ESRI - Economic and Social Research Institute et président de l'Irish Economic Association ;

• M. Dick Roche, Secrétaire d'État aux Affaires Européennes ;

• M. Bernard Durkan, député, président de la commission des affaires européennes du Parlement irlandais, M. Timmy Dooley, député, vice-président de cette commission, et M. Noel Treacy, député, ancien ministre, membre de cette commission ;

• M. Nial Gleeson (Alstom) et M. Paul Owens (BNP Paribas), actuel et futur présidents de la Chambre de Commerce Irlande-France ;

• M. Antoin Murphy, professeur d'économie au Trinity College ;

• S.E M. Julian King, Ambassadeur du Royaume-Uni en Irlande et M. John Hennessey-Nieland, premier conseiller auprès de l'Ambassade des États-Unis en Irlande ;

• S.E Mme Emmanuelle d'Achon, Ambassadrice de France en Irlande, Mme Aurélie Bonal, premier conseiller, MM. Philippe Boin, conseiller économique et Alain Verninas, premier secrétaire.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page