III. LE PARTAGE GLOBAL DE LA VALEUR AJOUTÉE, UNE GRANDE DIVERSITÉ DES SITUATIONS INDIVIDUELLES DONT L'ACTION PUBLIQUE DOIT TENIR COMPTE

Les constats macroéconomiques portant sur la répartition de la valeur ajoutée s'accompagnent d'une très grande diversité des situations réelles qui rend difficile de concevoir et de conduire une politique pertinente.

Une chose est sûre : les variations des coûts de production ne sont pas un handicap pour l'économie française et la modération salariale a globalement amélioré sa compétitivité .

A la faveur de la dégradation du commerce extérieur, on a pu évoquer une perte de compétitivité économique.

En toute hypothèse, celle-ci ne vient pas de l'évolution des coûts unitaires de production.

Ceux-ci vont dans le sens d'une amélioration de la compétitivité économique française.

COMPÉTITIVITÉ DE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE

(Indicateurs déflatés par les coûts salariaux unitaires dans le secteur manufacturier)

Source : Banque de France. Zone euro. Principaux indicateurs économiques et financiers. Janvier 2011.

Une partie importante de cette évolution favorable résulte de la modération salariale relative de l'économie française.

Si l'on exclut l'Allemagne, la France connaît des variations de ses coûts salariaux unitaires qui lui permettent d'améliorer sa compétitivité notamment vis-à-vis de ses partenaires européens.

COÛTS SALARIAUX UNITAIRES DU SECTEUR MANUFACTURIER

Note de lecture : les coûts salariaux unitaires mesurent le coût du travail en le corrigeant de son efficacité relative (la productivité du travail).

Source : OFCE

Autrement dit, dans les problèmes de compétitivité que rencontre la France, les facteurs salariaux ne pèsent pas vraiment.

Sont en cause les spécialisations, l'existence de voies alternatives de pénétrations des marchés étrangers (les investissements directs comme substituts à l'exportation) et les variations du change de l'euro, toutes variables qui influencent considérablement le pacte social du travail en France et sa perception.

A. LE PARTAGE GLOBAL SALAIRES/PROFITS, UNE LARGE GAMME DE SITUATIONS MARQUÉE PAR LA DUALISATION DU TISSU ÉCONOMIQUE

Le rapport de M. Jean-Philippe Cotis souligne la grande dispersion des situations de partage de la valeur ajoutée selon le secteur ou le type d'entreprise : un quart des entreprises consacre aux salaires 89 % de leur valeur ajoutée (contre 67 % en moyenne) ; un quart moins de 44 %.

Le rapport indique qu'il est difficile de déterminer si ce constat vient de données techniques (part plus ou moins élevée du capital) ou de pratiques salariales. Mais quelques éléments structurels évoqués plus haut (voir la partie du présent rapport consacrée à décrire la diversité des situations salariales en fonction des entreprises) paraissent exercer un rôle important sur les conditions de répartition de la valeur ajoutée .

A cet égard, la complexification des entreprises joue un rôle particulier .

On a observé à quel point on était passé d'une « entreprise conglomérale » à une « entreprise réticulée », c'est-à-dire d'une entreprise intégrée à une entreprise où la chaîne de production se trouve désormais segmentée avec l'intervention de filiales spécialisées ou de sous-traitants.

Ce processus paraît s'accompagner d'une différenciation accrue des situations salariales sur lesquelles les indicateurs de partage de la valeur ajoutée donnent des indications paradoxales.

Ainsi, la part de la valeur ajoutée des entreprises dominées revenant aux salaires ressort comme plus élevée que chez les donneurs d'ordre. Mais, les salaires y sont d'un niveau beaucoup plus faible .

Si, en apparence, au niveau microéconomique des entreprises, il n'existe pas de conflit entre rentabilité économique du capital et salaires, c'est en partie à des phénomènes de restructuration des entreprises que cela est dû.

ÉCLATEMENT DU MODÈLE DE L'ENTREPRISE INTÉGRÉE
EFFETS SUR LA RÉPARTITION DE LA VALEUR AJOUTÉE ET SUR LES SALAIRES

L'éclatement du modèle de l'entreprise intégrée en un modèle en réseau d'entreprises participant à la production d'un bien ou d'un service (des opérations les plus en amont à l'aval de la filière) ne produit pas (nécessairement) d'effets sur la valeur ajoutée à l'occasion de la production de ce bien. En revanche, elle modifie la répartition de cette valeur ajoutée entre les différents intervenants .

Par la différenciation des positions de marché des entreprises résultant de la segmentation de la production, certains acteurs se trouvent à même de peser sur le prix de certains des éléments de la production. Si cette stratégie leur réussit, ils se procurent à des coûts plus bas de leurs consommations intermédiaires, ce qui augmente leur productivité. La productivité des fournisseurs baisse en contrepartie si bien que l'opération est neutre macroéconomiquement : la productivité globale ne s'élève pas.

Si les salaires sont inchangés, la part des salaires dans la valeur ajoutée des fournisseurs augmente (puisque leur valeur ajoutée a baissé) tandis que pour l'entreprise « tête de pont » elle baisse (sa valeur ajoutée a augmenté).

Le surplus de productivité dégagé par cette dernière entreprise peut aller aux salaires ou aux profits. Si on pose l'hypothèse qu'une partie de ce surplus va aux salaires, dans un tel cas, la part des salaires dans la valeur ajoutée de cette entreprise baisse mais les salaires s'améliorent. On peut former l'hypothèse inverse pour les entreprises dominées où la part des salaires dans la valeur ajoutée augmente mais un peu moins que, si les salaires ne s'ajustaient pas à l'inflexion de leur productivité. En revanche, les rémunérations des salariés et des détenteurs du capital de l'entreprise dominée se détériorent.

Ces processus semblent particulièrement importants pour expliquer la différenciation des situations salariales. Elles font écho à la diversification des productivités au niveau microéconomique suite aux processus des restructurations des entreprises. Pourtant, macroéconomiquement, la productivité est inchangée.

Au niveau microéconomique, la diversification des productivités résulte de plus en plus, dans une proportion qui reste à déterminer, non de l'existence de performances économiques différentes associées à des gains d'efficacité divergents des facteurs de production, mais de modifications institutionnelles qui permettent à certains d'exploiter des positions de marché plus favorables quand les autres subissent la détérioration de leur position. Ceci pose un problème manifeste d'équité.

Si l'on ajoute que le processus de segmentation de la production s'est déroulé parallèlement à la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée, on mesure à quel point, sur le long terme, les situations salariales ont pu se diversifier en fonction de l'appartenance à telle ou telle entreprise.

Ce constat, qui nourrit l'ambition de restaurer les conditions de situations plus équilibrées entre entreprises, tant du point de vue de la rentabilité du capital que de celui des salaires, invite à s'interroger sur la mise en place de mécanismes tendant à restaurer un partage plus équitable de la valeur ajoutée par chacun des acteurs concourant à la production d'un bien ou service.

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