C. APPRÉHENDER LES PROBLÈMES DE RÉPARTITION DE LA VALEUR AJOUTÉE AU BON NIVEAU

La fragmentation des chaînes de valeur est une tendance forte de l'économie contemporaine qui concourt à la dualisation du salariat mais aussi aux déséquilibres de la répartition des revenus.

S'ils ne bénéficient pas de la totalité de la valeur ajoutée attraite par elles du fait de leur seule position de marché, les salariés des entreprises dominantes « profitent » partiellement de cette domination. Les salariés des entreprises dominées la subissent.

Les bénéficiaires sont les détenteurs du capital des entreprises dominantes même si leurs bénéfices ne correspondent pas toujours à des surprofits. L'existence de ceux-ci est dépendante de la situation de marché concrète que ces entreprises occupent.

Un examen systématique des marchés devrait être entrepris pour évaluer leur état alors que jusqu'ici les outils de la politique de la concurrence restent utilisés de manière « existentielle ». On peut attendre d'un tel examen la mise en oeuvre de politiques visant à un fonctionnement plus concurrentiel des marchés qui peut s'accompagner d'un rééquilibrage de la répartition de la valeur ajoutée entre les firmes mais aussi d'une baisse des prix 263 ( * ) .

Celle-ci serait favorable à des gains de pouvoir d'achat des revenus d'activité, en particulier des salaires, et à une production plus forte.

Par ailleurs, il pourrait être utile d'adapter le niveau de la négociation des salaires aux réalités économiques d'une économie marquée par un tissu productif en voie de dualisation. Ceci suppose d'identifier le niveau le plus pertinent de négociation et que des interlocuteurs représentatifs puissent animer celle-ci.

Mais, compte tenu de l'internationalisation des chaînes de production et du contexte d'ouverture mondialisée des économies, une telle orientation implique la définition d'un espace transnational de négociation, tâche qu'on devine peu aisée.

D. STABILISER LES INVESTISSEMENTS

L'un des problèmes majeurs que pose l'affectation du revenu est son réinvestissement dans la combinaison productive nationale, que ce soit sous forme matérielle ou immatérielle, aux fins d'élever la croissance potentielle.

Ce problème est particulièrement crucial pour un pays comme la France dont l'objectif doit être, dans le mouvement de redistribution mondiale des activités économiques, de rejoindre la frontière technologique. Or, cet objectif suppose d'allouer suffisamment de moyens pour développer le stock de capital ce qui suppose un prélèvement sur le revenu mais aussi des investissements soutenus en quantité mais aussi dans le temps.

Une telle allocation du revenu pose manifestement problème dans les conditions actuelles de répartition du revenu national et de mobilisation de l'épargne : le taux d'investissement n'a pas suivi l'élévation du taux de marge des entreprises, l'effort de recherche et développement est stagnant, les moyens consacrés à la formation du capital humain sont, soit insuffisants, soit remis en cause, alors que l'employabilité, qui devrait être une priorité, nécessite une mise à niveau dans un contexte de montée en gamme impérative des activités de production.

Avant d'évoquer quelques voies d'amélioration, il faut s'interroger sur la question de l'adéquation entre le niveau de l'épargne et les investissements nécessaires.

Il existe en France un véritable paradoxe de l'épargne .

LE PARADOXE FRANÇAIS DE L'ÉPARGNE

Sur la base d'équations purement comptables, le déficit extérieur d'un pays peut s'analyser comme le résultat d'une insuffisance d'épargne. Il montre que la demande domestique y excède les capacités du système productif local à la satisfaire 264 ( * ) .

Ainsi, en France, le déficit extérieur observé depuis plusieurs années témoignerait d'une insuffisance d'épargne.

Pourtant, le taux d'épargne des ménages français est l'un des plus élevés du monde développé tandis que l'évolution du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits montre que les entreprises ont réuni les conditions nécessaires à la disposition d'une épargne abondante.

Or, cette relative abondance, combinée avec le plafonnement du taux d'investissement, qui devrait avoir favorisé le respect de l'équilibre extérieur, après avoir un temps permis aux entreprises de dégager une capacité de financement, les laisse aujourd'hui en situation de besoin de financement et s'accompagne d'un besoin de financement de la Nation.

Le besoin de financement de la Nation étant égal à la somme des besoins de financement des différentes catégories d'agents économiques, on pourrait voir dans le besoin de financement de la Nation le résultat du besoin de financement des administrations publiques. Mais, si, de fait, les administrations publiques ont connu un déficit public année après année, cette analyse serait erronée. En effet, hors la période récente où les déficits publics ont été gonflés par la crise globale, ils n'ont jamais connu une dégradation suffisante pour expliquer à eux seuls le besoin de financement de la Nation.

Sans doute y ont-ils contribué dans la mesure où l'épargne des administrations publiques n'a pas été suffisante au cours de ces années pour couvrir le financement de l'investissement mais, leur contribution a été loin d'être exclusive. La baisse du taux d'épargne des entreprises (rapport de leur épargne à leur valeur ajoutée) passé entre 2000 et 2006 de 16,5 à 12,7 % (- 3,8 points de leur valeur ajoutée) largement dû à leurs stratégies financières (augmentation des revenus versés aux actionnaires, recours à l'endettement...) et apparemment pas à un accroissement du stock de capital productif national (le taux d'investissement des entreprises est resté stable) a autant compté que la dégradation des comptes des administrations publiques.

Le potentiel d'épargne des entreprises françaises a été absorbé par des stratégies financières qui ont augmenté leur recours à l'endettement sans profiter au socle productif national.

Autrement dit, une partie des efforts des agents économiques localisés en France paraît structurellement distraite du circuit économique national.

Il est donc important de réintroduire cette épargne potentielle dans le circuit de production française.

Les conditions d'une disponibilité abondante de l'épargne semblent réunies. Mais, la mobilisation de l'épargne pour renforcer la base productive présente plus de difficultés .

Ce constat semble faire l'objet d'un consensus et les propositions abondent pour remédier à une situation très peu satisfaisante.

Un récent rapport du Conseil d'analyse économique 265 ( * ) s'attache à proposer les moyens propres à favoriser l'investissement de l'épargne dans des projets de long terme, ce afin de répondre au court-termisme des investisseurs et à ses effets sur la gestion des firmes. On renvoie à ses dix propositions dont les unes tendent au développement de l'offre de capitaux longs par les ménages, dont les autres concernent le cadre de la gestion de l'épargne par les investisseurs de long terme, et les dernières la place des partenariats publics/privés.

Pour utile que soit l'examen détaillé de ces propositions, elles ne sauraient se substituer à la nécessaire mise en place d'un cadre macroéconomique plus favorable à l'investissement productif. Celui-ci implique de réfléchir à un partage de la valeur ajoutée qui concilie de meilleures perspectives de demande et le renforcement des capacités de production.

De ce point de vue, la répartition des revenus de la croissance, sujet sur lequel le Président de la République avait souhaité que s'ouvre un débat, doit être au coeur d'un pacte social et économie de progrès .

Sur ce point, compte tenu des tendances oligopolistiques de l'économie française, il n'est pas évident que l'élévation du taux de marge de certaines grandes entreprises ne soit pas un obstacle majeur à un recyclage des revenus propice à une plus forte croissance.

Autrement dit, si la question de l'utilisation de leur excédent brut par certaines entreprises se pose, devrait aussi être posée celle de la répartition de l'EBE entre les différentes entreprises localisées en France .

Une résolution des déséquilibres du circuit économique, qui peut enfin passer par l'augmentation des revenus des ménages tout à fait compatible, sous certaines conditions, avec le financement de l'investissement national, suppose un projet concerté entre Etats européens de développement analogue. Faute d'accord entre eux, le cadre macroéconomique risque d'être structurellement dissuasif pour une affectation des revenus épargnés à l'investissement sur leurs territoires, en plus que d'être défavorable à la demande nécessaire pour consolider les perspectives de l'investissement.

Enfin, dans le projet d'une refonte de la fiscalité, toute mesure visant à favoriser la conciliation entre une demande dynamique et une épargne suffisamment consacrée à améliorer l'efficacité productive en France devrait être prioritairement examinée .


* 263 Les positions dominantes se traduisent par des surprofits gagnés au détriment non seulement des autres entreprises mais aussi des consommateurs à travers un niveau de prix excessif.

* 264 Economiquement, cette situation n'implique pas nécessairement un excès de demande que permettrait de résorber un surcroît d'épargne. Elle peut résulter d'une dégradation de la compétitivité des produits et/ou d'une demande étrangère insuffisamment dynamique.

* 265 Investissements et investisseurs de long terme - Analyse économiques n° 05/2010 - Rapport CAE n° 91 de Jérôme Glachant, Jean-Hervé Lorenzi, Alain Quinet et Philippe Trainar

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