B. DES ARGUMENTS À CONSIDÉRER SOIGNEUSEMENT MAIS DONT L'ISSUE NE PARAÎT PAS DEVOIR ÊTRE UNE RÉFORME RADICALE DU SMIC

L'opportunité d'une réforme du SMIC est évidemment discutée.

Ses effets favorables sur l'emploi sont notamment suspendus à la vérification qu'une partie du chômage est explicable par un coût du travail trop élevé.

Ses conséquences sur le salariat sont incertaines, notamment dans un contexte où la négociation collective des salaires peut être déséquilibrée, tandis que les mécanismes de redistribution n'offrent pas de garantie d'efficacité.

Les effets du SMIC sur la production passent par une analyse du sous-emploi. Or, l'analyse du chômage distingue usuellement au moins deux formes de sous-emplois :

- le « chômage classique » résultant d'un coût du travail trop élevé qui limite les possibilités d'emploi ;

- le « chômage keynésien » qui provient d'une offre bridée par une demande insuffisante.

Les deux explications peuvent se cumuler : une partie du chômage relevant d'un coût du travail excessivement élevé, l'autre étant plutôt keynésienne.

L'assouplissement du SMIC est cohérent avec une configuration du chômage classique. En revanche, il est inefficace pour lutter contre le chômage keynésien et est même de nature à l'aggraver.

La composition du chômage, entre chômage classique et chômage keynésien, fait partie des questions les plus controversées à l'image de celle portant sur le niveau du taux du chômage structurel.

En lien notamment avec la modération salariale, l'enrichissement de la croissance en emplois ainsi qu'inversement la persistance du chômage paraissent plaider pour l'existence d'une composante classique du chômage.

Dans le sens contraire, la flexibilité du chômage à la baisse dans les périodes d'accélération de la croissance économique montre que la croissance a de forts effets sur le chômage et qu'alors le niveau des salaires ne représente pas un obstacle à la création d'emplois. Ceci jette un doute sur les estimations pessimistes du niveau du chômage structurel qui pourrait être sensiblement moins élevé que les 9 % évoqués dans différentes analyses aux méthodes plus ou moins convaincantes.

De même, les expériences étrangères fournissent des résultats ambivalents : l'introduction d'un salaire minimum porté à un haut niveau au Royaume-Uni ne paraît pas y avoir pénalisé l'emploi tandis que l'instauration d'emplois à très faibles rémunérations en Allemagne est citée comme un facteur de résistance de ce pays contre le chômage.

La question n'est donc pas vraiment tranchée même si différents leviers de politique ont été mobilisés pour réduire le coût du travail sans réforme du SMIC en profondeur. Ainsi en va-t-il des exonérations de charges sociales au niveau du SMIC qui permettent de délier la rémunération nette perçue par les salariés de la charge qu'elle représente pour les employeurs.

Dans le même sens, différentes tentatives ont été faites pour assouplir pour certaines catégories de salariés l'application du SMIC. Ainsi, du CNE et du CPE.

Il est d'ailleurs à observer qu'au total, le niveau relatif du salaire minimum par rapport au salaire médian est aujourd'hui inférieur à ce qu'il était au milieu des années 70.

RATIO DU SMIC AU SALAIRE MÉDIAN (1959-2006)

Note : sur la période 1998-2006, le salaire minimum considéré correspond à la moyenne des situations des salariés à 35 heures et à 39 heures, pondérées par leurs poids respectifs.

Source : DGTPE, « Le smic », conférence emploi, pouvoir d'achat, 23 novembre 2007

Ainsi, au niveau des entreprises, il n'est pas évident que l'assouplissement du SMIC soit une urgence même si d'un point de vue social la concentration des dépenses fiscalo-sociales, au bénéfice des salaires au SMIC et autour, pose un problème d'équité.

En outre, de même que les exonérations de cotisations sociales peuvent parfois comporter des effets d'aubaine , toute réforme déréglementant le SMIC pourrait entraîner de tels effets , d'autant que les négociations salariales paraissent marquées par une inégalité des positions des parties à la négociation, défavorable aux salariés.

L'application d'une règle générale a le mérite, parfois ambigu, de résoudre un problème économique classique : celui des effets en termes de distribution du bien-être de l'asymétrie d'information entre des cocontractants. En l'absence de règle, chacun d'eux tend à dissimuler ses préférences : ici, l'employeur ne révèlera pas le salaire auquel il consentirait pour employer le salarié et celui-ci ne dévoilera pas le vrai prix auquel il estime son renoncement au loisir ou la contrepartie de ses efforts. Or, sur un marché du travail où il existe du chômage, et compte tenu des connaissances supérieures de l'employeur sur sa situation, il y a toutes chances pour qu'il existe une asymétrie d'informations jouant au détriment des salariés. En imposant un salaire minimum, l'Etat agit comme régulateur et rétablit un certain équilibre de cette information en obligeant les employeurs à révéler leurs préférences.

Cela peut ne pas être bénéfique macroéconomiquement si le superviseur fixe une référence trop élevée. Mais, du moins, en ce cas, la rente de l'employeur résultant de son niveau particulier d'information est réduite, voire supprimée.

Cet acquis n'est pas négligeable pour l'équilibre de la répartition du revenu national, notamment dans une situation qui, comme celle d'aujourd'hui, est caractérisée par une complexification de la structure productive, par un chômage réduisant les possibilités de négociation des salariés et par une segmentation du marché du travail où les salariés ont des capacités très inégales notamment du fait d'une insuffisante mobilité.

Toute baisse du SMIC, plutôt que d'entraîner davantage de production et plus d'emplois, pourrait se traduire par une érosion supplémentaire de la part salariale dans la valeur ajoutée .

Un tel enchaînement, qui s'accompagnerait d'une élévation du nombre des travailleurs pauvres, serait particulièrement difficile à compenser, dans un contexte où les mécanismes de redistribution sont difficiles à mobiliser.

Et, il n'est pas acquis étant donné les secteurs concernés, fortement concurrencés par les pays à bas salaires et pas nécessairement très intensifs en capital, que l'amélioration du rendement économique de celui-ci apporte beaucoup plus d'investissements et de croissance à une économie française dont l'avenir est plutôt de se spécialiser dans les secteurs très productifs à haut niveau de qualification de la main d'oeuvre.

Au total, l'assouplissement du SMIC s'il devait être démontré qu'il puisse avoir des vertus sur le niveau de l'emploi et de la production semble ne pas devoir représenter une solution généralisable à un problème qui n'apparaît pas général.

Toutefois, le recours à des situations salariales marquées par la perception de salaires inférieurs au SMIC n'est pas à exclure d'emblée d'autant que, dans les faits, de telles situations ne sont pas rares si l'on se base sur une norme de SMIC mensuel. De nombreux salariés à temps de travail atypiques connaissent une position salariale de cette nature. En outre, une approche prospectiviste ne peut ignorer que la diffusion de bas salaires dans des pays voisins (l'Allemagne, par exemple) risque de peser sur le maintien d'un salaire minimum comparativement élevé en France. Dans ces conditions, il serait utile de prendre la mesure de la contrainte économique s'exerçant sur les conditions de rémunération du travail peu qualifié mais aussi de la resituer dans une perspective de progrès. Autrement dit, l'éventuel assouplissement du SMIC devrait être non seulement ciblé mais encore accompagné de la perception de revenus de compensation et d'un projet personnalisé visant à garantir une meilleure employabilité des personnes concernées à des conditions salariales plus favorables.

Au demeurant, plus globalement, c'est bien à un enrichissement des qualifications que la prospective invite afin que le capital humain des salariés réponde mieux aux conditions de la valorisation du travail dans une économie soumise à la nécessité de redistribuer ses activités productives pour faire face aux nouvelles demandes susceptibles de lui être adressées dans un contexte économique mondialisé où il importe plus que jamais de valoriser ses avantages comparatifs.

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Au total, l'intuition que les facteurs les plus mobiles (capital, travail « très qualifié »...) qui sont les plus à même de défendre leurs positions dans la distribution des revenus primaires sont aussi ceux qui peuvent le mieux les défendre relativement aux systèmes de redistribution secondaire du revenu paraît confirmée par les évolutions des structures fiscales des pays développés.

Ces tendances limitent la redistributivité des systèmes fiscaux mais aussi, compte tenu des contraintes de soutenabilité budgétaire, les facultés de financer des dépenses publiques destinées à égaliser les conditions et/ou à produire des biens publics. Si l'on considère que les dépenses publiques peuvent jouer un rôle important de rééquilibrage et de dynamisation de la croissance économique, on mesure les effets de la concurrence fiscale.

Or, celle-ci n'a sans doute pas produit l'ensemble de ses « potentialités » :

- les écarts de taux effectifs d'imposition de capital n'ont sans doute pas encore été entièrement traduits dans la réallocation des stocks de capital, qui prend du temps ;

- ces écarts pourraient encore s'accentuer dans un contexte où, le recours à l'endettement pour financer l'investissement étant mois facile, l'attraction de l'épargne serait, encore plus qu'aujourd'hui, un enjeu fort pour les entreprises ;

- cette perspective s'imposerait d'autant plus que les Etats, notamment européens, pourraient diverger dans leurs stratégies économiques et sociales, soit par des « croyances » différentes dans les vertus de tel ou tel modèle, soit par des capacités inégales à convaincre leurs populations des mérites de telle ou telle orientation...

Manifestation d'une rivalité entre Etats, la concurrence fiscale semble désarmer le projet de résoudre les difficultés économiques et sociales résultant d'une distribution primaire des revenus sous-optimale par le recours aux transferts publics.

Seul un rapprochement politique des Etats pourrait desserrer cette contrainte.

En interne, il est encore possible d'identifier et de mobiliser les quelques marges de manoeuvre qu'offre malgré tout la réforme fiscale. Mais, sans doute faut-il aussi compter sur l'acclimatation de nouvelles formes d'action publique. On a mentionné la détermination d'un bon niveau de négociation des salaires. On évoque, dans le même sens, ci-après des mécanismes de gouvernance réformée allant dans le sens d'une meilleure prise en compte des équilibres du pacte social du travail ainsi que des procédés de certification sociale maîtrisés.

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