3. Des compétences partagées entre l'Union et les Etats

De fait, les questions sociales en Europe relèvent de compétences partagées entre l'Union et les Etats.

a) Les intentions de la commission

La commission, on l'a vu, ne dispose, en la matière, que d'un simple pouvoir de recommandation.

Dans un livre vert, publié en 2006, intitulé « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIème siècle », elle s'est intéressée notamment à la flexisécurité avec le souci d'associer un minimum de droits sociaux aux nouvelles formes de travail plus souples qui se développent (en vue de remédier aux inconvénients de l'insécurité juridique liée aux contrats de travail atypiques).

Plus récemment, en novembre 2010, elle a présenté cinquante propositions tendant à relancer le marché unique et à lui donner une dimension plus sociale . Elle fait figurer, parmi ses objectifs, des mesures destinées à :

- renforcer la solidarité (droits sociaux fondamentaux) ;

- assurer à tous un accès à l'emploi et à la formation tout au long de la vie ;

- lancer une consultation publique en matière de gouvernance des entreprises.

b) Les propositions du Centre d'analyse stratégique

Dans un document 360 ( * ) paru en 2007, le Centre d'analyse stratégique (CAS) s'était demandé, de son côté, comment relancer la dimension sociale du projet européen.

« On se rend compte aujourd'hui - était-il écrit - que le progrès social ne résulte pas automatiquement du fonctionnement du marché intérieur et que celui-ci peut aussi, notamment à court terme, accroître les inégalités ».

Le CAS faisait figurer parmi ses priorités « un fonctionnement harmonieux du marché intérieur sur le plan social », ainsi que « la mise en place d'outils facilitant la prévention et la gestion des transitions professionnelles répétées ».

c) Les obstacles au rêve d'un modèle social européen

Mais la concrétisation de ces intentions échappe à la seule volonté de la France.

Une réelle harmonisation des législations tendant à empêcher les distorsions de concurrence d'origine fiscale et la course, en Europe, au moins-disant social, serait pourtant l'un des principaux facteurs souhaitable d'émancipation par rapport aux pesanteurs du scénario au fil de l'eau.

Mais est-elle possible ?

Dans le numéro précité de la revue Esprit, Jacques Le Goff s'interroge : « Peut-on concevoir - se demande-t-il - un modèle européen qui ne soit pas seulement défensif ou résiduel ? ».

Il appelle, d'un côté, de ses voeux une flexisécurité européenne qui lie travail et protection, « en étendant la sécurité au-delà des risques classiques » (maladie, chômage), y compris la formation et les transitions professionnelles (et aussi l'égalité et la conciliation entre travail et vie privée).

Mais il estime, par ailleurs, que « partout, la crise provoque le retour de l'Etat. Et ce retour se traduira sans doutes - selon lui - par l'accentuation des spécialités nationales, y compris dans le mode de négociation collective ».

Dans cette même édition de la revue précitée, Alain Supiot 361 ( * ) regrette que l'élargissement ait conduit, selon ses termes, « à saper les bases politiques d'un modèle social européen déjà bien fragile ».

De son côté, Marc Clément 362 ( * ) estime que « l'émergence d'une protection sociale européenne ne pourra que prendre la forme de normes, en l'état actuel d'une Europe qui se construit par le droit ».

« Nous devrons vivre encore de nombreuses années » observe-t-il « dans un régime où la question de l'articulation entre les différents systèmes de protection sociale nationaux et le marché unique continuera de se poser ».

Beaucoup des concepts fondamentaux en cause sont entendus, selon lui, différemment par les Européens suivant leur culture nationale. C'est là que se situe une des très grandes difficultés d'une approche européenne de la protection sociale. En effet, les mêmes termes ne signifient pas les mêmes choses dans les différentes langues (les expressions françaises « partenaires sociaux » ou « précarité », par exemple, sont difficilement traduisibles en anglais).

Il faut d'abord, conclut-il, que les citoyens européens aient le sentiment d'appartenance à une même communauté avant de vouloir leur imposer un même système de protection sociale .

Ces remarques sont évidemment transposables au périmètre du pacte social dans l'entreprise. Elles posent la question des facteurs de rapprochement des préférences collectives des Etats membres.

Cette interrogation a bien sûr de multiples facettes. Parmi elles, il semble utile de réfléchir à des conditions plus démocratiques et plus pluralistes de décision publique en Europe. L'ouverture d'un chantier politique de définition de l'Europe sociale et de sa gouvernance (pourquoi pas un « pacte social de croissance » ?) paraît une priorité non seulement d'ordre social mais aussi d'ordre économique et sur le plan même de la cohésion politique de l'Europe.


* 360 Quelle dimension sociale pour le projet politique européen ? Contributions et pistes d'action.

* 361 Juriste et sociologue, professeur d'université.

* 362 Magistrat administratif.

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