C. COMMENT MESURER LES SALAIRES ?

Outre les problèmes de détermination des richesses à prendre en compte pour mesurer la part des salaires dans l'économie, il faut mentionner les difficultés que suscite la détermination des salaires eux-mêmes . Elles sont nombreuses et on se bornera à évoquer trois d'entre elles.

On laissera donc de côté les autres difficultés et notamment le traditionnel problème de suivi des salaires perçus par les entrepreneurs individuels dont le nombre s'est réduit au cours du temps et celles, déjà signalées, qu'il y a dans une économie globalisée à circonscrire les salaires versés sur un territoire donné de sorte qu'ils correspondent bien à un travail fourni pour développer la production strictement nationale.

Mais, auparavant, une observation fondamentale s'impose.

1. Le salaire et ses évolutions : un changement de nature ?

On a pu relever qu'un processus de différenciation des rémunérations salariales était en cours au terme duquel le travail est de moins en moins rétribué pour compenser la valeur de l'engagement des salariés dans l'entreprise en tant que tel , mais se trouve de plus en plus dépendant de la contrepartie marchande de cet engagement .

Le développement des composantes variables de la rémunération (qu'elles soient incluses dans les salaires au sens juridique - comme les primes et compléments - ou non - comme la participation -) concrétise cette tendance.

Le lien entre la répartition du revenu et la performance des entreprises sur leurs marchés mais aussi avec leur situation financière - qui peut être plus ou moins autonome de leurs positions de marché en fonction des comportements financiers des entreprises - est de plus en plus serré. Il tend à renouveler fondamentalement la nature du salaire.

A la limite, le salaire entendu comme la contrepartie de la mobilisation de son temps et de sa force par le salarié pourrait disparaître. On peut voir, à cet égard, dans les perspectives d'extension du nombre des « auto-entrepreneurs » une illustration de ce processus, nouveau « signal faible » (comme disent les prospectivistes) d'un avenir où le salariat aurait disparu au profit de l'agglomération d'auto-entrepreneurs définitivement dégagés de la relation stable avec l'entreprise que consacre le salariat.

Après tout, cette perspective ne serait pas sans rapport avec les phénomènes de restructurations d'entreprises au terme desquels certaines portions de l'entreprise intégrée sont séparées d'elle pour lui permettre d'accroître sa productivité, et, ce, en économisant des coûts rendus allégés par l'externalisation.

Quoi qu'il en soit, les salaires d'aujourd'hui ne peuvent plus être considérés comme ceux d'hier et la part salariale dans la valeur ajoutée comporte une proportion de plus en plus élevée des rémunérations qui s'apparentent à un prélèvement sur l'excédent brut d'exploitation c'est-à-dire dépendant de celui-ci ou de certaines de ses composantes .

Dans ces conditions, le constat d'une stabilité de la part salariale dans la valeur ajoutée est parfaitement compatible avec celui d'une réduction de la part des « salaires traditionnels » dans la valeur ajoutée.

Par ailleurs, compte tenu des inégalités salariales grandissantes, on doit observer que même dans l'hypothèse d'une stabilité globale de la répartition de la valeur ajoutée, des pans entiers du salariat ont connu une réduction de leurs « droits de tirage » sur la valeur ajoutée.

La question de l'équité de cette tendance et de ses effets sur la dynamique économique n'est pas une fausse question et le débat ouvert sur ce point par le Président de la République doit se poursuivre .

LE CAS PARTICULIER DES TRÈS HAUTS SALAIRES

Parmi les salariés pour lesquels il existe une tendance à relier leurs rémunérations aux performances des firmes, qu'elles soient opérationnelles ou financières, figurent les salariés du sommet de la hiérarchie. Ils perçoivent les rémunérations les plus élevées et ces rémunérations se particularisent aussi comme celles ayant connu un rythme d'augmentation particulièrement soutenu.

Les spécificités de la position salariale de ces salariés conduisent à s'interroger sur la notion même de certains éléments de leur rémunération . S'agit-il encore de salaires ou doit-on évoquer des prélèvements sur les résultats des entreprises ? Les « stock-options » sont exclues du champ des salaires défini par la comptabilité nationale mais cette exclusion suffit-elle à circonscrire le champ des salaires ?

Cette question a un aspect un peu conventionnel mais elle traduit l'existence du problème de fond abordé ci-dessus quant à la nature du salaire et elle est légitime compte tenu de la singularité des dynamiques salariales de la population en cause.

Au demeurant, celle-ci est si forte que, selon qu'on inclut ses rémunérations dans la masse salariale ou non, le profil d'évolution de la part des salaires dans la valeur ajoutée varie parfois du tout au tout.

Ainsi, pour les Etats-Unis, une exclusion du 1 % des salariés percevant les plus hauts salaires conduit à passer du constat d'une relative stabilité de la part des salaires dans la valeur ajoutée à celui d'une baisse prononcée de cette part.

LA PART SALARIALE AUX ÉTATS-UNIS (1970-2005)

Source : La revue de l'IRES n° 64 - 2010/1

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page