D. LES PERSPECTIVES D'UN VIEILLISSEMENT DÉMOGRAPHIQUE

Le ralentissement des gains moyens de pouvoir d'achat du salaire brut a été amplifié au niveau du salaire net par l'augmentation des prélèvements sur les salaires destinés principalement à financer les dépenses sociales.

A rendement constant des cotisations sociales, les prélèvements sur les salaires bruts peuvent être considérés comme de purs salaires différés. Ainsi, la répartition du salaire brut entre le salaire net réellement perçu par les salariés à l'instant « T » et les cotisations sociales peut-elle être analysée comme le résultat d'un choix (plus ou moins) implicite entre la perception immédiate et la perception différée du revenu d'activité.

Encore faut-il que le rendement des cotisations soit constant et uniforme pour les salariés, ce qui n'a que peu de chances d'être le cas s'agissant de systèmes dont les variables sont naturelles (la nature change comme le montre le vieillissement démographique) ou/et institutionnelles (les institutions font l'objet de choix politiques qui n'ont pas de constance nécessaire).

A cet égard, le vieillissement démographique prévu à l'horizon 2060 et l'augmentation du ratio de dépendance économique qui en découlerait sont deux tendances susceptibles d'augmenter les besoins sociaux sur fond de ralentissement de la croissance potentielle des économies concernées.

Pour la France, les prévisions démographiques de l'INSEE, d'octobre 2010, peuvent être résumées par les deux graphiques ci-dessous :

ÉVOLUTION DE LA PART DES 60 ANS OU PLUS

Source : Insee, estimations de population et projection de population 2007-2060

ÉVOLUTION DU RATIO DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE

Source : Insee, estimations de population et projection de population 2007-2060

Dans le scénario central, la part des 60 ans et plus augmenterait de 80 % contre une diminution de la population des 20-59 ans (la plus active) qui passerait de 53,8 à 45,8 % du total.

Pour la France, le ratio de dépendance économique qui rapporte les personnes d'âge inactif (les moins de 20 ans et les plus de 60 ans) aux personnes d'âge actif s'élèverait de 0,86 en 2007 à 1,18 en 2060.

Ces prévisions s'accompagnent de la perspective d'une augmentation des dépenses liées à l'âge des populations.

Le tableau ci-après récapitule les projections réalisées en ce domaine par la Commission européenne.

AUGMENTATION DES DÉPENSES LIÉES À L'ÂGE 2010-2060 (EN % DU PIB)

Pensions

Santé

Dépendance

Chômage et éducation

TOTAL

2010

Variation
de 2010
à 2060

2010

Variation
de 2010
à 2060

2010

Variation
de 2010
à 2060

2010

Variation
de 2010
à 2060

2010

2060

Variation
de 2010
à 2060

Belgique

10,3

4,5

7,7

1,1

1,5

1,3

7,3

-0,3

26,8

33,4

6,6

Bulgarie

9,1

2,2

4,8

0,6

0,2

0,2

3,0

0,2

17,1

20,3

3,2

République tchèque

7,1

4,0

6,4

2,0

0,2

0,4

3,3

0,0

17,0

23,3

6,3

Danemark

9,4

-0,2

6,0

0,9

1,8

1,5

8,0

0,1

25,2

27,4

2,2

Allemagne

10,2

2,5

7,6

1,6

1,0

1,4

4,6

-0,4

23,3

28,4

5,1

Estonie

6,4

-1,6

5,1

1,1

0,1

0,1

3,2

0,3

14,8

14,7

-0,1

Irlande

5,5

5,9

5,9

1,7

0,9

1,3

5,3

-0,2

17,5

26,2

8,7

Grèce

11,6

12,5

5,1

1,3

1,5

2,1

3,8

0,1

21,9

37,9

16,0

Espagne

8,9

6,2

5,6

1,6

0,7

0,7

4,8

-0,2

20,0

28,3

8,3

France

13,5

0,6

8,2

1,1

1,5

0,7

5,8

-0,2

29,0

31,2

2,2

Italie

14,0

-0,4

5,9

1,0

1,7

1,2

4,3

-0,2

26,0

27,6

1,6

Chypre

6,9

10,8

2,8

0,6

0,0

0,0

5,8

-0,6

15,5

26,2

10,7

Lettonie

5,1

0,0

3,5

0,5

0,4

0,5

3,3

0,3

12,3

13,6

1,3

Lituanie

6,5

4,9

4,6

1,0

0,5

0,6

3,5

-0,4

15,1

21,1

6,0

Luxembourg

8,6

15,3

5,9

1,1

1,4

2,0

4,0

-0,3

19,9

38,1

18,2

Hongrie

11,3

2,6

5,8

1,3

0,3

0,4

4,5

-0,3

21,8

25,8

4,0

Malte

8,3

5,1

4,9

3,1

1,0

1,6

5,0

-0,7

19,2

28,4

9,2

Pays-Bas

6,5

4,0

4,9

0,9

3,5

4,6

5,6

-0,2

20,5

29,9

9,4

Autriche

12,7

1,0

6,6

1,4

1,3

1,2

5,2

-0,2

25,7

29,0

3,3

Pologne

10,8

-2,1

4,1

0,8

0,4

0,7

3,8

-0,6

19,1

18,0

-1,1

Portugal

11,9

1,5

7,3

1,8

0,1

0,1

5,6

-0,4

24,9

27,8

2,9

Roumanie

8,4

7,4

3,6

1,3

0,0

0,0

2,7

-0,2

14,7

23,2

8,5

Slovénie

10,1

8,5

6,8

1,7

1,2

1,7

5,1

0,7

23,1

35,8

12,7

Slovaquie

6,6

3,6

5,2

2,1

0,2

0,4

2,9

-0,6

14,9

20,4

5,5

Finlande

10,7

2,6

5,6

0,8

1,9

2,5

6,4

0,0

24,7

30,6

5,9

Suède

9,6

-0,2

7,3

0,7

3,5

2,2

6,6

0,0

27,1

29,8

2,7

Royaume Uni

6,7

2,5

7,6

1,8

0,8

0,5

4,0

0,0

19,2

24,0

4,8

UE-27

10,2

2,3

6,8

1,4

1,3

1,1

4,9

-0,2

23,2

27,8

4,6

Zone euro-16

11,2

2,7

6,8

1,3

1,4

1,3

5,0

-0,2

24,5

29,6

5,1

Le tableau suivant, extrait des travaux de l'OCDE, montre que ces perspectives d'augmentation (des seules dépenses publiques ici) sont déjà assez nettes à l'échéance 2025.

PROJECTION DES AUGMENTATIONS DES DÉPENSES PUBLIQUES LIÉES AU VIEILLISSEMENT DANS CERTAINS PAYS DE L'OCDE
Variation 2005-2025, en points de pourcentage du PIB

Source : OCDE

On voit que la France ne serait pas le pays le plus touché . Avec un accroissement des dépenses de 2,2 points de PIB (à l'horizon 2060) et de 1,8 point de PIB (à l'horizon 2025), la France est, par exemple, loin derrière l'Allemagne (+ 5,1 points de PIB en 2060 et + 2,5 points en 2025).

Il n'empêche « qu'à législation inchangée », les perspectives de croissance du salaire net seraient limitées par celles des dépenses nécessitées par le vieillissement de la population, même si l'ampleur du freinage n'est pas considérable. Toutefois, la France resterait dans le peloton de tête des pays où les dépenses liées à l'âge sont les plus élevées, étant donné un point de départ relativement important. En 2060, ces dépenses atteindraient 31,2 points de PIB (contre 29 points en 2010) contre 28,4 points de PIB en Allemagne (23,3 points de PIB en 2010). Une certaine convergence interviendrait entre les Etats européens mais des écarts parfois importants demeureraient.

Face à ces perspectives, il existe sans doute des marges de manoeuvre. Elles sont différenciées :

- la réduction de la dynamique des dépenses par une inflexion des besoins (diminution des rythmes de croissance des dépenses de pension, de soins...) ;

- l'augmentation de la croissance potentielle qui, comptablement, dépend du taux de croissance de la population active et des gains de productivité.

Si certaines mesures peuvent agir sur les deux termes de l'équation (l'augmentation du taux d'emploi), d'autres mesures, favorables pour l'un ne le sont pas pour l'autre. Par exemple, la réduction des dépenses de santé peut contrarier l'objectif d'élévation de la croissance potentielle si l'état de santé de la population se détériore ou/et si elle entraîne un ralentissement du progrès technique.

Par ailleurs, des marges de manoeuvre qui sont évidemment difficiles à mobiliser n'ont pas nécessairement l'efficacité qu'on est tenté de leur prêter.

S'agissant de l'élévation du taux de croissance potentielle, il n'est pas certain que, même couronnée de succès, elle puisse conduire à elle seule à une baisse des dépenses de pension 222 ( * ) , sauf, par exemple, à consentir à une baisse des taux de remplacement.

De même, les actions sur les dépenses peuvent buter sur des résistances. Ainsi, l'augmentation de l'âge de liquidation des pensions n'est une alternative crédible à l'inflexion des salaires nets qu'occasionnerait une augmentation des cotisations et/ou à la baisse du taux de remplacement qu'impliquerait une réduction du taux de liquidation qu'à la condition que le taux d'emploi de la population active augmente à due proportion.

Au-delà de ces interrogations importantes, il existe une assez forte probabilité pour que, quoi qu'il en soit, la pression des dépenses résultant du vieillissement exerce une contrainte sur la dynamique des salaires nets. Dans ces conditions, le conflit de répartition prévisible serait d'autant moins douloureusement ressenti que la croissance serait forte, ce qui implique d'accorder une priorité aux politiques la croissance.

En effet, l'alternative, que paraissent choisir certains grands Etats européens qui serait de faire porter l'effort de financement des besoins prévisibles par les espaces économiques extérieurs, comporte des risques considérables et suppose des sacrifices qui peuvent être cumulatifs. Il faut, en effet, alors, à la fois financer les besoins des générations déjà vieillies et ceux des futures générations âgées .

A cet égard, les conditions dans lesquelles les pays européens s'adaptent aux perspectives de vieillissement démographique, et celles-ci en elles-mêmes, devaient être considérées comme des questions d'intérêt commun. Par leur ampleur, elles ne sont pas loin de représenter un choc analogue à celui subi par ces économies à l'occasion de l'actuelle crise globale .


* 222 Qu'elles soient publiques ou privées.

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