B. UNE REFORME EN ATTENTE DE FINITIONS

La loi de 2010 a elle-même reconnu que le nouvel édifice de la répartition des compétences appelait à être aménagé après son entrée en vigueur, en janvier 2015. Elle a ainsi prévu que, avant la fin de la deuxième année suivant son entrée en vigueur (soit avant la fin de l'année 2017), un comité composé de représentants du Parlement, des collectivités territoriales et de l'État procèdera à l'évaluation du dispositif relatif à la clarification des compétences. Au vu de ce rapport, et dans les six mois suivant sa transmission, un projet de loi devra prévoir l'adaptation de la loi.

S'il n'est pas question qu'elle s'érige en juge d'appel de la réforme, votre délégation aux collectivités territoriales a incontestablement vocation à apporter sa pierre au débat ainsi annoncé par le législateur.

A ce stade, elle souhaite mettre l'accent sur plusieurs points qui lui semblent appeler des précisions ou des aménagements.

1. Sur l'exclusivité des compétences attribuées par la loi aux différents niveaux de collectivités territoriales

On l'a vu, la logique des blocs est susceptible de plusieurs variantes.

Le législateur de 2010 a eu le mérite d'en choisir clairement une : celle des compétences exclusives. Toute compétence attribuée à une catégorie de collectivités territoriales le sera en effet à titre exclusif et, sauf exception prévue par le législateur, non partageable , puisque les collectivités relevant d'une autre catégorie ne pourront « intervenir dans aucun des domaines relevant de cette compétence ».

Certes, les compétences d'une collectivité (qu'elle en dispose à titre exclusif ou, par exception, partagé) peuvent être déléguées par elle, par convention, à une collectivité relevant d'une autre catégorie ou à un EPCI à fiscalité propre.

On peut cependant se demander si ce choix, radical autant que clair, d'un monopole d'attributions est le meilleur dans la panoplie des solutions offertes par une logique de blocs :

- que se passera-t-il si la collectivité attributaire est dans l'impossibilité absolue, par exemple pour des raisons budgétaires, d'exercer sa compétence ou de l'exercer de manière satisfaisante ? Doit-on systématiquement laisser une infrastructure se délabrer si la collectivité responsable de son entretien n'en a pas les moyens financiers ? Peut-on accepter qu'un réseau soit interrompu sur le territoire d'une collectivité si, sans aucune mauvaise volonté de sa part, elle n'est pas en mesure de prendre en charge la totalité des opérations d'investissement qui lui incombent au titre de sa compétence exclusive ?

- comment seront gérées les spécificités locales pour des compétences attribuées à titre exclusif à la région (voire au département) ? Certes, la région pourra elle-même moduler ses interventions pour les adapter aux particularités de certaines zones situées sur son territoire, voire déléguer sa compétence, mais, dans tous ces cas, la compétence ne sera exercée que par une seule autorité (région ou collectivité délégante). Ne sera-t-il pas plus efficient, dans certains cas, que les deux collectivités interviennent en complémentarité ?

- comment seront réglés les « problèmes de frontière » entre des compétences attribuées à des collectivités différentes ? Un système de navette par autobus entre un centre-ville et un monument historique ou un parc d'attraction relève-t-il de la compétence « transports », « tourisme », « culture », « développement économique »... ?

Ces diverses interrogations induisent à penser que la variante des blocs de compétences exclusives pures n'est peut-être pas la plus adaptée.

Néanmoins, la variante laissant les collectivités libres d'agir dans des domaines attribués à un autre niveau de collectivités viderait de sa substance la logique des blocs de compétences.

Une solution intermédiaire doit donc être recherchée. Votre délégation estime que les autorités décentralisées seront les mieux à même de le faire, car la « donne locale » peut être différente selon les territoires. Aussi, à une solution centralisée stricte, inscrite dans le marbre de la loi, préfère-t-elle un dispositif faisant, pour paraphraser les conclusions de la mission temporaire précitée, « confiance à l'intelligence territoriale ».

Ce dispositif repose sur deux piliers :

- d'une part, l'affirmation du principe de l'exclusivité des compétences attribuées par la loi à chaque niveau de collectivités, conformément à la décision du législateur de 2010 (et, bien entendu, le maintien de la possibilité de délégation) ;

- d'autre part, l'habilitation expresse, pour les collectivités attributaires, de déroger à cette exclusivité en partageant une ou plusieurs de leurs compétences avec d'autres collectivités.

En d'autres termes, il est proposé de substituer au dispositif des compétences exclusives pures (ou simplement « délégables ») un dispositif de compétences obligatoires partageables par accord entre collectivités .

Ainsi, pour une compétence attribuée par la loi à une catégorie de collectivités territoriales :

- ou bien les collectivités (dont, bien entendu, la collectivité attributaire) se seront accordées pour la partager, auquel cas la compétence pourra être exercée par chaque partie prenante dans le respect de la convention de partage ;

- ou bien les collectivités n'auront pas prévu de partage (soit qu'elles ne l'aient pas jugé utile, soit qu'elles ne soient pas parvenues à un consensus), auquel cas la compétence sera exercée à titre exclusif par la collectivité désignée par la loi (ou par une collectivité agissant sur délégation).

Piste 1 : Substituer au dispositif des compétences exclusives pures un système de compétences obligatoires partageables

Si cette proposition de principe était retenue, se poserait alors la question des modalités du partage des compétences entre collectivités.

2. Sur les modalités d'un partage éventuel des compétences entre les collectivités territoriales

Comme on vient de le voir, le partage des compétences ne pourrait intervenir que sur la base d'un accord unanime entre les collectivités concernées.

Ainsi, la question de ses modalités se pose en des termes différents selon les niveaux de collectivités territoriales.

a) Le partage des compétences entre la région et les départements

S'agissant du partage région-départements, l'obtention d'un accord devrait être sensiblement facilitée par, d'une part, le nombre limité de parties prenantes et, d'autre part, l'existence d'une courroie de transmission en la personne du conseiller territorial.

Les modalités du partage de leurs compétences pourraient être prévues, afin de ne pas ajouter un nouvel instrument, dans le cadre du schéma d'organisation des compétences que la région et les départements sont invités à conclure.

Piste 2 : Élargir le contenu du schéma d'organisation des compétences région-départements aux conditions du partage de leurs compétences respectives

b) La question des interventions des communes

La question est plus délicate, dès lors qu'il s'agit d'impliquer les communes ou leurs groupements dans le partage de compétences.

Il semble difficile de transformer le schéma région-départements prévu par la loi de 2010 en un schéma triangulaire, associant les communes ou leurs groupements : il en résulterait un alourdissement sans doute dirimant de la procédure d'adoption, laquelle serait en outre grandement hypothéquée par la nécessité de recueillir un accord unanime.

Inversement, écarter purement et simplement les communes de la répartition des compétences se traduirait par l'impossibilité pour le département et la région de partager certaines de leurs attributions avec elles (ou avec leurs groupements).

Pour résoudre ce problème, le département pourrait être autorisé, dans le cadre du schéma de compétences (et donc en accord avec la région) à partager certaines de ses attributions avec les communes ou les EPCI. En pratique, la répartition des compétences entre les trois niveaux s'effectuerait donc ainsi :

- dans un premier temps, serait déterminé le champ des compétences, exclusives et partagées, du département (soit par la conclusion du schéma en accord avec la région, soit, à défaut, selon les attributions énumérées par la loi) ;

- dans un second temps, le département pourrait conclure, avec des communes de son territoire (ou avec des EPCI) des schémas départementaux d'organisation de leurs compétences respectives . Ces schémas départementaux devraient, bien entendu, s'il existe, respecter le schéma régional ; inversement, l'absence de schéma régional ne devrait pas faire obstacle aux schémas départementaux, lesquels ne pourraient cependant pas porter, dans une telle hypothèse, sur les compétences des régions.

Piste 3 : Autoriser la conclusion de schémas départementaux de partage des compétences du département et des communes ou EPCI :

- pouvant couvrir les compétences régionales attribuées, en tout ou en partie, au département par un schéma régional, dans le respect de celui-ci ;

- ne pouvant concerner les compétences de la région à défaut d'accord sur un schéma régional.

c) Le cas des compétences exercées de plein droit par des EPCI

La loi de 2010 prévoit, dans la perspective de l'adoption du schéma régional d'organisation des compétences, la consultation de plein droit de chaque métropole située sur le territoire de la région.

Si l'idée d'un schéma départemental, ci-dessus proposée, était retenue, il serait cohérent de prévoir, par parallélisme, la consultation de plein droit des métropoles du département.

Néanmoins, qu'il s'agisse du schéma régional ou de l'éventuel schéma départemental, on est en droit de se demander si la simple consultation d'une métropole est à la hauteur des compétences relevant de celle-ci. On peut en effet s'interroger sur la cohérence d'un dispositif, d'un côté suffisamment hardi pour attribuer de plein droit à la métropole des compétences relevant du département (transports scolaires,...) et de la région (promotion du territoire à l'étranger,...) et, d'un autre côté, trop frileux pour associer pleinement cette catégorie d'EPCI à la distribution des compétences entre ces collectivités. D'où la proposition suivante :

Piste 4 : Subordonner la signature du schéma régional d'organisation des compétences à l'accord des métropoles situées sur le territoire de la région, dans la mesure où sont concernées des compétences qu'elles exercent de plein droit

La même logique conduit à formuler une proposition analogue pour les schémas départementaux ; elle conduit également à l'étendre à l'ensemble des EPCI, dans la mesure où ils exercent de plein droit des compétences qui, relevant des communes, pourraient être « impactées » par un schéma départemental. La portée pratique de cette condition doit cependant en l'espèce être relativisée : elle ne jouerait que dans le cas, qui devrait être fort rare, où deux ou plusieurs communes envisageraient la conclusion d'un schéma départemental, portant par hypothèse sur des compétences non transférées à des EPCI mais nécessitant, pour leur bonne mise en oeuvre, l'exercice de compétences transférées. Comme l'a fort justement noté notre collègue Yves DAUDIGNY lors de l'examen de cette suggestion par votre délégation, la logique devrait alors conduire, dans la quasi-totalité des cas, à ce que l'EPCI soit lui-même partie au schéma départemental. Aussi est-ce plutôt à titre de précaution, pour garantir de manière absolue qu'aucun schéma départemental ne pourra « impacter » un EPCI sans son accord, que votre délégation propose la piste suivante :

Piste 5 : Subordonner la signature du schéma départemental d'organisation des compétences à l'accord des EPCI situés sur le territoire du département, dans la mesure où sont concernées des compétences qu'ils exercent de plein droit

3. Sur le risque d'inertie de la collectivité détentrice d'une attribution

Une fois les compétences distribuées, qu'elles le soient de manière partagée ou à titre exclusif, se posera la question des voies ouvertes à une collectivité pour que soit exercé un domaine de compétence qui ne lui est pas attribué : que pourra faire cette collectivité si, pour une raison ou pour une autre (conflit local, manque de moyens financiers,...), la collectivité attributaire s'abstient d'exercer sa compétence ?

La mission temporaire du Sénat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales avait fort opportunément recommandé que les compétences attribuées aux collectivités le soit à titre obligatoire . Dans la droite ligne de cette proposition, elle s'était prononcée pour la consécration en droit français de la procédure dite du « constat de carence ». Elle en avait même précisé les modalités, permettant à une collectivité d'adresser une mise en demeure d'agir à la collectivité chargée de la compétence et, à défaut de réponse positive, d'en saisir le préfet (avec la perspective, éventuellement, d'un recours devant le juge administratif).

Le fait est qu'une procédure de carence semble le corollaire d'un partage strict et, a fortiori, d'un exercice à titre exclusif des compétences attribuées à des collectivités territoriales. D'où la proposition suivante :

Piste 6 : Mettre en place une procédure de constat de carence en cas d'inertie de la collectivité habilitée à exercer une compétence

4. Sur le respect des règles de répartition des compétences

La perspective de compétences partagées (déjà entérinée par la loi de 2010 pour le tourisme, la culture et le sport) implique la mise en place d'un dispositif destiné à assurer la cohérence des différentes interventions dans un même domaine.

Votre délégation s'est interrogée sur la manière d'y parvenir à droit constitutionnel constant, ce qui supposait notamment de respecter la règle de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre (que nul en son sein n'a d'ailleurs proposé de remettre en question). Cela supposait également de ne pas modifier les conditions du recours à une collectivité « chef de file », qui aurait pu être une solution à condition de renforcer la portée de cette qualité.

Partant de là, le respect des règles de répartition des compétences ne peut, en cas de désaccord entre deux collectivités, être tranché que par le juge.

Un recours pour excès de pouvoir « classique » pourrait constituer une réponse.

Mais celle-ci serait sans doute insuffisante pour plusieurs raisons, parmi lesquelles :

- l'impossibilité, sauf acte détachable, de saisir le juge administratif d'un contrat dans le cadre d'un simple recours pour excès de pouvoir ;

- les conditions plutôt strictes de la mise en oeuvre du référé-suspension ;

- le fait que, même avec des procédures de publicité adaptées, une intervention d'une collectivité peut échapper à la vigilance d'une autre, si bien que cette dernière peut ne prendre conscience d'un problème qu'après l'expiration du délai de recours.

Pour résoudre ces difficultés, il est concevable d'édicter des règles propres au recours pour excès de pouvoir lorsque celui-ci vise à assurer le respect de la répartition des compétences entre les collectivités territoriales. Votre délégation constate cependant qu'une solution beaucoup plus simple, car familière aux praticiens, peut être envisagée en s'inspirant du contrôle de légalité : il s'agirait d'instaurer un « contrôle de légalité territorial », mis en oeuvre selon les modalités suivantes :

- obligation pour une collectivité intervenant dans un domaine de compétence partagé de transmettre ses décisions aux autres collectivités parties à ce partage ;

- possibilité pour celles-ci d'adresser leurs observations à la collectivité intervenante et, le cas échéant, de saisir une autorité habilitée à se prononcer sur la compatibilité entre l'initiative contestée et les règles régissant les compétences en question, qu'elles résultent de la loi ou d'un schéma (régional et/ou départemental) de compétences. Cette autorité se prononcerait en droit (et non en opportunité) et, pour éviter de retarder trop certaines initiatives, dans un délai à déterminer.

Piste 7 : Assurer le respect des partages de compétences par l'information obligatoire de la ou des collectivités attributaires d'un domaine de compétence lorsqu'une autre collectivité intervient dans ce domaine

Piste 8 : Créer un « contrôle de légalité territorial » permettant de trancher, dans un délai déterminé, les éventuels conflits entre collectivités relatifs au partage de leurs compétences

5. Sur la distribution concrète des compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales

La logique des blocs qui sous-tend le dispositif prévu par la loi de 2010 pour le département et la région et, dans une certaine mesure, pour la commune (car rien n'empêche que la commune, bien que conservant la clause générale, soit formellement investie par la loi d'une compétence, que ce soit pour la lui attribuer à titre exclusif ou pour la partager avec une autre catégorie) implique, pour chaque compétence, de s'interroger sur le niveau adéquat de son exercice.

Malgré les possibilités de délégation et, si sont retenues les propositions ci-dessus, de partage laissées aux responsables locaux, la recherche, par le législateur, de la meilleure distribution « sur le papier » est essentielle : à défaut de consensus au niveau local, c'est en effet la répartition figurant dans la loi qui s'appliquera.

La période qui s'ouvre doit être mise à profit pour préparer, dans les meilleures conditions, le « grand saut » du 1 er janvier 2015. D'ores et déjà, la décision a été prise de partager les compétences « tourisme », « culture » et « sport ». Il ne fait guère de doute que d'autres décisions seront prises, et doivent être prises, dans les quatre années à venir.

Le présent rapport, consacré à la problématique générale de la répartition des compétences, n'a pas vocation à entrer dans le détail des attributions de chaque collectivité, domaine par domaine. Votre délégation y apportera sa contribution par des rapports thématiques, dont deux, relatifs aux compétences « santé » et « transports » et confiés respectivement à nos collègues Marie-Thérèse BRUGUIERE et Yves KRATTINGER, devraient être prochainement examinés.

Pour le reste, votre rapporteur tient à rappeler le consensus obtenu au sein de la mission temporaire du Sénat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales. Sans émettre formellement une recommandation sur ce point, il considère que ses conclusions devraient servir de support de travail pour la distribution des compétences à opérer.

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