C. LES DÉFIS ESPAGNOLS

L'effondrement du secteur de la construction et de l'immobilier, qui a pu représenter jusqu'à 30 % du produit intérieur brut, conduit à s'interroger sur la reconversion de l'économie espagnole et les conséquences sociales de ce bouleversement. Il pose également, en filigrane, la question de l'adéquation de son modèle territorial aux exigences économiques et financières du temps.

1. Quelle croissance à l'avenir ?

La croissance devrait, aux yeux des observateurs, demeurer atone au cours des trois à cinq prochaines années. Si la récession semble écartée, l'Espagne va devoir composer avec une croissance molle tirée par les exportations - l'augmentation de celles-ci équivaut à 2,7 % du PIB en 2009 - qui viendront compenser une consommation intérieure mécaniquement trop faible. Le chômage de masse, la politique de rigueur comme les réformes structurelles en vue d'une amélioration de la compétitivité de son économie ne sont, en effet, pas sans conséquence sur le pouvoir d'achat des ménages.

Taux de croissance du PIB 2008-2011

2008

2009

2010

2011 (estimation)

+ 0,9 %

- 3,7 %

- 0,1 %

+ 0,7 % à + 1,3 %

Au-delà des ménages, il convient de s'interroger sur la capacité d'investissement des entreprises en vue de moderniser l'appareil productif espagnol et opérer une montée en gamme indispensable dans un contexte mondialisé. L'une des principales conséquences de la crise immobilière et bancaire tient en la capacité des établissements financiers à pouvoir faciliter les projets des entrepreneurs. Par delà la question de leur volonté, fragilisée par une prudence exacerbée, il convient de déterminer si les établissements bancaires disposent des moyens d'encourager l'adaptation de l'économie espagnole. Tant que leurs bilans seront grevés par le stock immobilier - un million de logements à vendre - il apparaît délicat de voir les banques effectuer de tels investissements. Ce problème d'accès au financement des entrepreneurs risque, de surcroît, de se renforcer au regard du renchérissement probable des taux d'intérêts de la Banque centrale européenne d'ici à la fin de l'année. D'autant que l'Espagne a pu prendre un certain retard, les investissements dans le secteur immobilier ayant absorbé une large part des liquidités.

Cette absence de financement privé se conjugue à la quasi impossibilité, pour l'État, de pouvoir, lui aussi, accompagner les secteurs innovants. Les contraintes imposées par les programmes de rigueur mis en place conduisent à une raréfaction de l'injection d'argent public dans l'économie, à l'exception notable de la recapitalisation des caisses d'épargne. De plus, après 2013, les autorités espagnoles ne devraient plus pouvoir bénéficier dans les mêmes proportions qu'actuellement de la manne européenne, l'Espagne n'étant plus éligible aux fonds de cohésion et devenant dans le même temps contributeur net au budget européen dans le cadre des perspectives financières 2014-2020.

La question de l'investissement est pourtant d'une relative urgence au regard de la faible compétitivité du modèle espagnol actuel. L'industrie locale reste une industrie d'imitation, 2 277 brevets ont ainsi été déposés en 2008 contre 17 308 en Allemagne, 10 811 en France et 3 590 en Pologne. Le secteur industriel, en partie hérité des délocalisations des entreprises européennes en Espagne, est aujourd'hui moins attractif que l'Europe de l'Est ou l'Asie, en dépit des parts de marchés conservées ici et là par les industries automobile et textile.

Une enquête de l'hebdomadaire britannique The Economist avait pointé en novembre 2008 cette moindre compétitivité du pays, le classant au trentième rang mondial. La créativité commerciale et l'innovation technologique y seraient également plus faibles qu'en Autriche, en Slovénie ou en Grèce. La liberté d'entreprendre y est également fragilisée par de lourdes pesanteurs en matière de création d'entreprises - l'Espagne serait le 118 ème pays sur 178 en matière de création et de lancement d'entrepriss -, liées pour partie au mode de fonctionnement de ses administrations.

Ces analyses ont été confirmées par une analyse de la Fondation espagnole Everis , au sein d'un document rendu public en novembre dernier, la déclaration Transforma España . Le texte insiste notamment, comme la plupart de nos interlocuteurs, sur la nécessité d'une réforme en profondeur du système éducatif en vue d'une part, d'éliminer l'échec scolaire (31 % des élèves quittent l'enseignement secondaire sans qualification) et d'autre part, de corréler l'enseignement supérieur aux besoins du monde du travail. De fait, si la génération d'étudiants actuels est sans doute la mieux formée que l'Espagne ait connue, elle semble dans une large mesure à rebours des tendances du marché du travail. La moitié des étudiants espagnols choisissent ainsi le droit et les sciences humaines - l'Espagne compte ainsi deux fois plus d'avocats que la France -, quand 9 % d'entre eux seulement s'orientent vers les sciences dites « dures » et 15 % vers un cursus d'ingénieur. Aucune réforme d'envergure ne semble avoir été menée dans le secteur, dont la compétence relève, pour partie, du pouvoir régional. Seules les questions liées à l'enseignement des langues régionales ou à la place de la religion semblent susciter un réel débat politique dans le domaine éducatif.

Le cas de l'enseignement secondaire est pourtant relativement délicat, tant les élèves qui quittent l'enseignement sans diplôme ne bénéficient plus aujourd'hui de l'opportunité de trouver un emploi non qualifié dans le secteur de la construction.

A cette insuffisance d'investissement politique et financier dans le secteur universitaire s'ajoute une faible participation des autorités espagnoles dans la recherche et développement. Le plan 2008-2012 mis en oeuvre par le gouvernement et destiné notamment à favoriser les activités autour de la santé, des biotechnologies ou de l'énergie tarde à déboucher sur des résultats concrets, freiné notamment par les réductions budgétaires. L'effort gouvernemental s'élève en effet à 1,28 % du PIB. Le crédit impôt-recherche, moins avantageux qu'en France, équivaut à investissement de l'État de l'ordre de 300 millions d'euros annuels contre 4,8 milliards d'euros en France. L'Espagne dispose pourtant d'un potentiel de croissance indéniable, notamment dans le secteur énergétique, via les investissements effectués dans l'énergie éolienne ou photovoltaïque.

L'hypothèse haute du gouvernement prévoit pour 2011 une croissance de 1,3 % du PIB, là où la Banque d'Espagne table sur un taux de 0,7 %. Aux yeux de l'OCDE et de la Commission européenne, le taux de croissance ne devrait pas dépasser 2 % au cours des deux prochains exercices et ne déboucherait donc pas sur de réelles créations d'emplois. Le tourisme et plus largement le secteur des services devraient contribuer à la progression mesurée de la richesse nationale. Le développement d'infrastructures touristiques pour les seniors européens représente, à cet égard, une piste pour une relance partielle de l'économie du pays en général et du secteur de la construction et de l'immobilier en particulier.

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