XXIX. AUDITION DE M. ERIC BESSON, MINISTRE AUPRÈS DE LA MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, CHARGÉ DE L'INDUSTRIE, DE L'ÉNERGIE ET DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

M. Martial Bourquin , président . - Bienvenue au Sénat, monsieur le ministre : vous clôturez les auditions de cette mission sur la désindustrialisation de la France. En dix ans, notre pays aura perdu entre 500 et 700 000 emplois dans ce secteur tandis que des territoires entiers ont été dévitalisés. Il y a eu les états généraux de l'industrie et le Sénat a créé, il y a quelques mois, cette mission : elle a multiplié les auditions de chercheurs, d'économistes, de partenaires sociaux, de chefs d'entreprise, de responsables de PME pour essayer d'avoir un diagnostic le plus complet possible sur ce phénomène de désindustrialisation. Nous avons procédé à de nombreux déplacements : dans les territoires, nous avons rencontré les élus, les entreprises et ces visites ont été extrêmement intéressantes. La semaine dernière, nous étions à Stuttgart pour faire le point sur le Land de Bade-Wurtemberg qui a mené une politique très innovante en matière d'aide à son industrie.

Nous attendons maintenant le point de vue du ministre en charge de l'industrie.

M Eric Besson, ministre auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. - C'est bien volontiers que je vais parler avec vous de la désindustrialisation potentielle des territoires.

Je souhaite évoquer avec vous trois enjeux : tout d'abord, les chiffres n'indiquent pas tous une véritable désindustrialisation. Je vous rappellerai ensuite les actions prises par le Gouvernement depuis la crise en 2008 pour permettre à notre industrie de résister et je vous présenterai enfin mes priorités en matière de politique industrielle dans les dix-huit prochains mois pour lutter contre une éventuelle désindustrialisation et surtout pour muscler notre industrie afin qu'elle soit plus forte et plus innovante.

En matière de désindustrialisation, le constat doit être nuancé. Deux indicateurs sont généralement utilisés pour étayer l'idée d'une désindustrialisation de nos territoires : l'emploi industriel tout d'abord, qui au regard, des statistiques, a en effet diminué d'un tiers entre 1980 et 2007 et le poids de l'industrie dans le PIB, qui, en valeur, est passé de 24% à 13,8% entre 1980 et 2008. Et pourtant, ces chiffres sont en partie trompeurs s'ils ne sont pas replacés dans un contexte plus général. Les chiffres de l'emploi industriel et de la part de l'industrie dans le PIB ne reflètent en effet ni les considérables gains de productivité qu'a réalisés notre industrie, ni l'évolution de notre économie productive.

Sur les gains de productivité, quand on regarde l'activité économique, non pas en valeur, mais en volume, c'est-à-dire lorsqu'on regarde la quantité réelle qui est produite, on s'aperçoit que la part de l'industrie en volume dans notre économie a peu évolué : alors que cette part était de 17,7% en 1998, elle en est restée très proche à 16,4% en 2008.

La baisse de la part de l'industrie dans le PIB en valeur traduit donc surtout les gains de compétitivité importants qui ont été réalisés par nos entreprises et qui sont de l'ordre de 4% par an entre 1998 et 2007. Ces gains de compétitivité, qui sont la condition même du maintien durable de notre industrie, ont été obtenus par une amélioration continue des processus de production. Ces progrès sont indispensables face à la montée en puissance des pays émergents, car sans gains de compétitivité, nous ne serions plus compétitifs.

Plus que de désindustrialisation, il faut donc parler de transformation de notre industrie. Cette transformation concerne également l'équilibre entre industrie et services. Un grand nombre de fonctions que les entreprises industrielles effectuaient en interne ont été confiées à des entreprises de services spécialisées, d'où transfert d'emplois de l'industrie vers les services.

La création en France, au cours des vingt dernières années, de 2,4 millions d'emplois de service aux entreprises a ainsi plus que compensé sur un plan numérique le déclin de l'emploi industriel, même si ce ne sont pas les mêmes types d'emplois.

Sur les dix dernières années, le secteur des services a ainsi créé plusieurs centaines de milliers d'emplois : 310 000 emplois pour l'intérim, 290 000 pour le nettoyage et la sécurité, 110 000 dans le secteur informatique, 90 000 pour celui de l'administration d'entreprises. Une partie non négligeable de la baisse de l'emploi industriel observée dans les statistiques correspond donc à un transfert d'emplois, auparavant industriels, vers les services. Selon une étude menée par la direction générale du trésor en février 2010, ces transferts d'emplois expliqueraient à eux seuls 25% de la baisse de l'emploi industriel apparent sur la période 1980-2007.

Au-delà de ces mutations de fond, le sentiment de désindustrialisation provient par ailleurs de la perception que l'on a du phénomène des délocalisations. Toutes les études réalisées sur le sujet tendent cependant à relativiser l'ampleur numérique de ce phénomène.

D'après les travaux de l'INSEE, pour l'industrie hors énergie, les délocalisations auraient concerné 13 500 emplois par an en moyenne depuis 1995. Il ne s'agit pas de nier ces faits, mais de rappeler que les délocalisations concernent 0,35% des emplois industriels en France. C'est déjà trop, et je mesure pleinement les conséquences que cela a sur de nombreuses familles, mais ces chiffres sont bien éloignés du sentiment de délocalisations massives que la médiatisation de certains évènements peut parfois engendrer.

Il faut surtout rapprocher ces chiffres de ceux relatifs aux relocalisations d'activités industrielles. On observe en effet depuis quelques années des exemples de plus en plus nombreux d'entreprises françaises parties produire à l'étranger et qui décident finalement de revenir produire en France. Un seul exemple récent, celui de la société de skis Rossignol, qui a décidé en septembre 2010 de rapatrier dans son usine de Sallanches la production de 60 000 paires de skis jusqu'ici produites par un sous-traitant taïwanais.

M. Daniel Raoul . - C'est l'arbre qui cache la forêt !

M Eric Besson, ministre . - J'essayais de parler des arbres et de la forêt !

Une trentaine de cas ont ainsi été recensés depuis 2005, illustrant que le facteur coût du travail n'est pas le seul déterminant de la compétitivité. Plus de 6 000 emplois ont été recréés ou maintenus grâce à ces relocalisations.

Le constat doit donc être plus nuancé, car plutôt que de parler de désindustrialisation, il serait préférable d'évoquer la mutation de notre système productif.

J'en viens maintenant à l'action que mène l'État pour défendre notre industrie, notamment depuis le début de la crise en 2008.

Nous avons d'abord essayé d'anticiper les difficultés des entreprises pour les aider à les surmonter. Je ne citerai ici que quelques dispositifs parmi ceux que le Gouvernement a mis en place. La création de la Médiation du crédit, sous l'égide de René Ricol puis de Gérard Rameix, a permis de limiter les effets de la crise. Les résultats, fin novembre 2010, sont parlants : 3,22 milliards d'encours de crédit débloqués, 13 000 entreprises confortées et 227 000 emplois préservés.

Un médiateur de la sous-traitance a également été nommé, M. Jean-Claude Volot, afin de lutter contre les pratiques de certains donneurs d'ordres, qui mettent en péril leurs sous-traitants. Les équipes de M. Volot traitent en ce moment environ une quinzaine de cas de médiation collective - lorsque les sous-traitants se groupent à plusieurs pour dénoncer une pratique déloyale de leurs donneurs d'ordres - et environ 70 cas de médiation individuelle.

Le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), qui n'est pas un outil nouveau, puisqu'il existe depuis 1982, a vu ses effectifs renforcés pendant la crise, et a sauvé 69 entreprises, soit près de 100 000 emplois en 2009. A titre d'exemple, le CIRI a sauvé la société SG Desjonquères, spécialisée dans les flaconnages pour parfums, en obtenant des 72 banques de la société qu'elles se mettent autour de la table et qu'elles injectent 140 millions dans la société. Grâce à cette action du CIRI, 6 000 emplois ont été sauvés. Nous avons également créé dans le même ordre d'esprit dix commissaires à la réindustrialisation, dans les dix régions les plus touchées par la crise, et qui ont pour mission d'identifier et d'aider les entreprises les plus en difficultés.

Notre commissaire en Midi-Pyrénées, M. Robert Castagnac, s'est mobilisé sur les nombreux dossiers de restructuration qu'a connus cette région. Un soutien spécifique a également été apporté aux filières les plus durement touchées, notamment le secteur automobile. Grâce à la stratégie d'une sortie progressive de la prime à la casse, le marché automobile français a mieux résisté que le marché européen. Plus d'un million de primes à la casse ont été accordées depuis début 2009, 2 300 000 voitures ont été vendues en 2009 et le chiffre de vente reste très honorable pour 2010.

Enfin, le gouvernement a encouragé la revitalisation des territoires, politique à laquelle vous êtes particulièrement attentifs. L'obligation de revitalisation est financée par les entreprises de plus de 1 000 salariés qui réalisent une restructuration affectant de manière significative un territoire. La mise en oeuvre de cette obligation légale se traduit chaque année par un financement privé de l'ordre de 50 millions représentant environ 400 conventions de revitalisation signées et mises en oeuvre par les entreprises concernées.

Le Président de la République a par ailleurs souhaité créer un dispositif pour renforcer encore l'accompagnement des territoires. C'est dans cet objectif qu'a été créé en 2008 le fonds national de revitalisation des territoires (FNRT), qui mobilise 135 millions de prêts sans garanties. Depuis juin 2009, 62 territoires ont été déclarés éligibles pour un montant plafond de prêts de 100 millions et 171 prêts ont été accordés, permettant de mobiliser 300 millions de financements publics et privés grâce à l'effet de levier.

Un dispositif d'aide à la réindustrialisation a été mis en place en juillet 2010 dans le cadre des États Généraux de l'Industrie, avec une enveloppe de 200 millions pour les investissements d'avenir. Ce nouveau dispositif de soutien à l'investissement permettra d'accompagner une quarantaine de projets sur trois ans. Un premier projet à été retenu en août, celui de la fonderie Loiselet à Dreux. Une dizaine de manifestations d'intérêt sont en cours d'analyse par mes services et un nouveau projet fera l'objet d'une aide d'ici à la fin de la semaine, sur une société de papiers d'hygiène située dans l'Ardèche.

L'État n'est donc pas resté inactif et a mis en oeuvre toute une série de dispositifs pour répondre aux enjeux liés à la crise économique et financière. Bien plus, au-delà des efforts engagés, nous menons aujourd'hui une politique industrielle structurelle et durable afin de rendre nos industries plus fortes et plus innovantes.

J'ai eu l'occasion, le 1 er décembre, lors de la conférence de presse des ministres de Bercy, d'exposer mes priorités, afin que dans les dix-huit mois à venir, tout soit mis en oeuvre pour rendre notre industrie encore plus forte et plus innovante.

Je compte tout d'abord poursuivre la mise en place des vingt-trois mesures des États généraux de l'industrie, annoncées par le Président de la République le 4 mars. J'ai ainsi réuni hier, mardi 14 décembre, la Conférence nationale de l'industrie (CNI), qui rassemble l'ensemble des parties prenantes concernées par le développement de notre industrie, pour leur donner leur feuille de route des dix-huit mois à venir. Si nous voulons atteindre l'objectif fixé par le Président de la République, qui est d'augmenter la part de l'industrie dans le PIB de plus de 25% à horizon 2015, nous devons agir tous ensemble, de manière collective, et c'est à la CNI de le faire.

Au-delà des États généraux de l'industrie, j'entends également développer toute une série d'actions qui permettront de renforcer notre tissu productif. Nous devons mieux comprendre les causes de notre manque de compétitivité vis-à-vis de l'Allemagne. Tout indique que notre compétitivité comparée à celle de notre voisin est en train de se dégrader dans des proportions qui deviennent importantes. Michel Didier, président de Rexecode, me remettra début janvier un rapport sur la compétitivité France-Allemagne, tandis que Xavier Bertrand et moi-même lancerons une concertation sur le coût du travail qui apparaît comme l'une des explications de ce différentiel.

Je souhaite aussi renforcer la politique en matière d'innovation, car si nous disposons déjà de solides atouts, notamment grâce au crédit d'impôt recherche (CIR), qui représente une dépense de 4 milliards pour l'État chaque année, nous devons continuer à renforcer l'innovation dans notre pays. Je crois au potentiel de développement du véhicule électrique et je viens de signer récemment une convention entre l'État et l'ADEME qui affecte 1 milliard au développement des véhicules du futur.

De manière plus générale, je souhaite que l'industrie tire le plus de bénéfices possibles des 35 milliards des investissements d'avenir. Je pense notamment aux 71 pôles de compétitivité : ils doivent se structurer davantage pour bénéficier des investissements d'avenir. Les pôles sont par exemple les mieux à même de répondre aux appels à projets lancés sur les instituts de recherche technologique (IRT) dotés d'un financement de deux milliards, ainsi que sur les instituts d'excellence dans les énergies décarbonnées (IEED), dotés d'un milliard. Les pôles de compétitivité sont en outre concernés par la quasi-totalité des actions des investissements d'avenir.

Je souhaite également que des pôles de compétitivité européens soient créés, pour que l'effet de synergie joue au maximum et j'enverrai prochainement au Commissaire Tajani en charge de la politique industrielle les propositions de la France pour que de véritables pôles de compétitivité européens émergent. Je milite à cet égard pour qu'une véritable politique industrielle se concrétise, et je me réjouis que le commissaire Tajani croie à la nécessité d'une politique industrielle européenne. La France a été très active dernièrement dans l'adoption de conclusions en ce sens.

Je souhaite à cet égard que les travaux sur le brevet communautaire se poursuivent et je me réjouis que onze pays, dont la France, aient décidé de se lancer dans une coopération renforcée en la matière. Je souhaite également que nous créions au niveau européen un fonds européen de capital-risque pour les entreprises innovantes.

Vous le voyez, le Gouvernement est actif et continuera à l'être encore davantage. Nous avons aidé les entreprises françaises à résister mieux que la moyenne européenne pendant la crise, et donc à maintenir l'emploi en France, et nous continuerons à aider les entreprises françaises à aller de l'avant.

M. Martial Bourquin , président . - Vous faites un constat nuancé sur la désindustrialisation qui frappe la France. Nous avons reçu plusieurs économistes qui vont dans votre sens. En revanche, nous étions tout à l'heure avec des représentants des territoires de tous bords politiques : pour eux, la désindustrialisation est d'une cruelle réalité.

Les transferts d'emplois sont une vraie question. Le fait d'externaliser les services est de nature à relativiser les pertes d'emplois. En revanche, les économistes et les statisticiens ne prennent en compte dans leurs chiffres que les entreprises qui sont parties à l'étranger. Ils font l'impasse sur le global sourcing , qui provoque, chaque fois qu'une entreprise se fournit sur internet, la disparition de productions et donc de quelques dizaines ou de quelques centaines d'emplois à chaque fois. Quand on appréhende ainsi la question, on s'aperçoit que les délocalisations sont beaucoup plus importantes qu'on ne le dit.

Il faudrait peut être prendre en compte le repli structurel de l'industrie française. Par exemple, la prime à la casse a bénéficié essentiellement aux petits véhicules fabriqués à l'étranger : auparavant, l'industrie automobile apportait beaucoup à notre balance commerciale. Aujourd'hui, il lui arrive d'être déficitaire.

M. Alain Chatillon , rapporteur . - Nous connaissons une révolution industrielle qui sera sans doute plus importante que celle de la fin du XIXème siècle. Des pans entiers de notre économie vont tomber tandis que d'autres vont émerger - biomatériaux, bioénergies, agroalimentaire - pour peu qu'on le leur permette. Les gisements d'emplois sont très importants et ils concernent même le bâtiment. Nous devons appréhender au mieux ces mutations.

Lors de la suppression de la taxe professionnelle et de l'instauration de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), le lien entre l'entreprise et le territoire s'est quelque peu défait : les intercommunalités et les communautés d'agglomérations sont les grands lésés de cette réforme.

Il conviendrait de mieux orienter l'épargne des Français vers l'entreprise, et donc vers le risque. Il faut que l'argent soit au service de l'emploi. L'État mais aussi les régions sont concernés par cette problématique : comment irriguer le territoire, les pôles de compétitivité, les pépinières d'entreprise ? Ne faudrait-il pas renforcer l'avantage Madelin ?

Enfin, comment l'Europe pourrait-elle mieux se protéger ? Les adjudications publiques françaises sont ouvertes à 75% aux opérateurs internationaux, alors qu'aux États-Unis et au Japon, les taux ne sont respectivement que de 10 et 5%.

Nous interdisons les OGM au nom du principe de précaution. Soit. Mais des bateaux arrivent tous les jours à Bordeaux et Saint-Nazaire avec des aliments bourrés d'OGM pour nos animaux et au final, nous en mangeons tous ! Si une loi s'impose aux Français, il faut qu'elle s'applique aux autres, notamment dans le secteur agroalimentaire.

Mme Élisabeth Lamure . - Vous avez animé hier la Conférence nationale de l'industrie et vous avez parlé de l'étude présentée par Rexecode qui comparait les compétitivités allemandes et françaises. J'ai été frappée de constater que l'écart a commencé à se creuser entre nos deux pays il y a dix ans à cause du passage à l'euro, qui nous empêche désormais de recaler nos monnaies, et du coût du travail. Mais quand on aborde ce point, les 35 heures surgissent, et c'est un sujet tabou ! J'aimerais avoir votre avis sur cette analyse.

M. Daniel Raoul . - Vous avez dit que les externalisations dans l'industrie faussaient un peu les statistiques, mais cela ne représente que 25% des emplois perdus. En outre, personne ne nie que l'industrie ne représente plus que 16% du PIB.

Ensuite, il y a des délocalisations masquées : on importe un certain nombre de composants, que l'on fabriquait jadis chez nous, et on se contente de les assembler sur notre territoire. C'est ce qui se passe dans le secteur de l'informatique, mais aussi dans celui de l'automobile. Ainsi, Molex, qui était une entreprise rentable, a été complètement dépouillé.

La semaine dernière, nous avons été à Stuttgart et nous nous sommes attachés aux coûts salariaux. Chez Bosch, on a découvert des faits qui coupent des ailes à certains canards : je fais allusion à un article du JDD qui estimait qu'il faudrait choisir entre les 35 heures et l'euro. Chez Bosch, on travaille 32 heures et sur l'année, les salariés travaillent moins qu'en France. Je ne parle pas des accords dans l'automobile où la moyenne hebdomadaire fluctue entre 29 et 32 heures. D'autre part, le coût horaire allemand est inférieur à celui pratiqué en France. Que l'on arrête donc de nous opposer des vérités qui n'en sont pas ! Nous avons sans doute des problèmes d'innovation, mais que l'on n'invoque pas les coûts salariaux ni la productivité : le numéro deux de Bosch nous a dit que l'usine française était la plus performante de son groupe.

Avec la réforme de la taxe professionnelle, des SCOT sont bloqués parce que le lien direct entre les entreprises et les collectivités a été coupé. Ces dernières refusent désormais de créer des zones d'activité et elles préfèrent définir des zones d'habitation. Je pense en particulier au SCOT du pays du Mans. Les communes n'acceptent plus les nuisances dans la mesure où elles ne percevront plus de recettes.

Tout le monde saute sur sa chaise comme un cabri en criant « Innovation ! Innovation ! ». Mais on vient de porter un coup bas aux jeunes entreprises innovantes dans la loi de finances. Ces entreprises ont besoin en moyenne de huit ans pour monter en charge. Or, on vient de ramener le délai d'aide à cinq ans : c'est un véritable scandale.

M. Jean-Jacques Mirassou . - La désindustrialisation est une réalité, même si certains emplois ont été redirigés vers les services. Le phénomène que nous avons vécu en France l'a également été en Allemagne.

Vous avez vanté la politique menée pour sauver l'industrie automobile : en tant que sénateur de la Haute-Garonne, je ne puis cautionner votre analyse alors que Molex a été démantelé. Quand l'État a accordé des prêts à Renault et à Peugeot, il aurait dû leur demander de continuer à travailler avec Molex ! C'est un loupé qui marque les limites de la politique gouvernementale.

Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre, sur les comités de pilotage des filières ? Dans le secteur aéronautique, la mise en place d'une filière au niveau des aérostructures est indispensable et urgente. Si Aerolia délocalise avec enthousiasme, sa soeur jumelle allemande, Premium Aerotec, ne le fait pas.

Que fera l'État à l'égard des entreprises dont il détient des participations ? Il faut arrêter la cacophonie !

Pendant longtemps, nous avons entendu M. Gallois nous expliquer que la parité entre l'euro et le dollar pénalisait l'aéronautique. Il y a deux jours, un des dirigeants d'EADS a dit exactement le contraire. Qu'en est-il ?

M. Michel Teston . - On nous dit que la France attire les investissements étrangers. C'est vrai, mais ils portent le plus souvent sur des sites d'assemblage et très rarement sur des centres de recherche ou de décision. La plupart du temps, les sites français d'entreprises étrangères sont des lieux où l'on assemble des produits dont la vente profite à l'État étranger. Que peut-on faire pour éviter de simples vitrines en France ?

M. Rémy Pointereau . - Vous avez dit que les délocalisations représentaient une perte de 13 000 emplois par an depuis quinze ans, ce qui fait quand même 200 000 emplois en tout. Nous disposons d'atouts et d'outils pour renforcer notre industrie : je pense en particulier aux fonds capital risque, à Oseo, mais aussi aux compétences et à l'excellence de la main d'oeuvre. En revanche, le secteur bancaire est trop frileux. Les élus doivent quotidiennement essayer de débloquer des situations inextricables. Les banques disposent de millions d'euros mais répugnent à les investir.

N'oublions pas non plus les délocalisations nationales : des entreprises implantées en milieu rural ont préféré se rapprocher d'agglomérations mieux desservies. Il faudra sans doute repenser l'aménagement du territoire en ce domaine.

Les délocalisations se sont portées vers l'Est, puis vers le Maghreb et maintenant, c'est l'Asie qui est privilégiée. Lorsque des entreprises françaises délocalisent dans d'autres pays européens, la solution à ce problème ne peut être qu'européenne, notamment en ce qui concerne le coût du travail et les charges sociales.

Certaines entreprises relocalisent après être parties en Asie, parce qu'elles ne sont pas satisfaites du travail effectué sur place. Mais je crains que l'on ne voie revenir que de l'assemblage d'équipement. C'est d'ailleurs ce qui va se passer à Châteauroux où une entreprise chinoise va monter une usine pour assembler des panneaux solaires.

En outre, la parité euro dollar pose problème. Les États-Unis et la Chine ont tout intérêt à avoir un dollar faible pour nous inonder de leurs produits. Comment sortir de cette situation ?

La France veut développer l'énergie éolienne et le photovoltaïque. Or, il n'y a pas une éolienne ni un panneau solaire qui soit fabriqué en France. Pourquoi ne pas essayer de développer ces filières ?

Enfin, l'agriculture et l'agroalimentaire sont délocalisables. L'Asie achète des milliers d'hectares dans le monde et nous sommes en train de perdre la main dans ce secteur. Même chose pour les tracteurs : il n'y a pas un engin produit en France !

M. Benoît Huré . - Je suis originaire d'un département, les Ardennes, où 26% des salariés travaillent dans l'industrie, mais cette proportion diminue rapidement. Avant la crise, le système bancaire était frileux, aujourd'hui, il est réfrigérant. Les financements proposés aux entreprises ne sont qu'à court terme alors que les investissements s'amortissent sur le long terme.

Dans ces conditions, comment relocaliser des capitaux pour les mettre durablement à disposition des entreprises ? Dans notre région, le capitalisme est essentiellement familial. Lorsque les chefs d'entreprise passent le relais, ils seraient prêts à laisser une partie de leurs capitaux dans l'entreprise s'ils pouvaient le faire dans un fonds qui mutualiserait les risques, comme des fonds d'investissement de proximité. Or, à l'heure actuelle, rien de tel n'existe. Quand des opérations importantes ont lieu, les fonds de pension américains s'en mêlent : ils essorent les entreprises, les pillent et les savoir-faire disparaissent. Quel gâchis !

La faiblesse de nos PME est souvent montrée du doigt, mais la question de leur financement se pose, une fois de plus. Lorsque des capitaux étrangers arrivent, la production se poursuit dans l'entreprise quelque temps puis, un jour, les machines et les bons de commande partent à l'étranger.

M. Martial Bourquin , président . - Nous étions tout à l'heure avec des présidents de région et de conseils généraux. M. Patriat, président de la région Bourgogne, a soulevé le problème du Fonds stratégique d'investissement (FSI) chez lequel la peur du risque est patente.

A chaque audition, on nous a parlé de l'attitude de Renault qui a une stratégie low cost encore plus outrancière que PSA, alors que l'État dispose de 15% de son capital.

Je tiens à rappeler ce que nous a dit la semaine dernière le numéro deux de Bosch qui, chiffres à la main, nous a assuré que l'usine française était un peu plus productive que celle située à Stuttgart. En revanche, contrairement à l'Allemagne, nous ne disposons pas de tous les chaînons, notamment en ce qui concerne la structure productive et l'innovation.

M. Éric Besson, ministre . - Je ne cherche pas à nier la réalité, mais il y a un hiatus entre les données globales et ce que ressentent nos concitoyens sur le terrain. Il en va de même sur le plan macroéconomique : l'euro nous protège-t-il ou entrave-t-il la compétitivité de nos entreprises ? La France gagne à la mondialisation des échanges, c'est une certitude chiffrée, or - particularité française - nombre de nos élus et de nos concitoyens la vivent comme un risque...

L'industrie française a de grandes forces et de grandes faiblesses. J'essaie de dire la réalité de manière nuancée : il ne s'agit pas de vanter l'action du gouvernement, mais de présenter les actions qu'il prétend engager pour traverser la crise, être plus offensif et préparer l'avenir. J'accompagnais hier le Président de la République dans l'Eure, où il a annoncé des moyens considérables pour le successeur au lanceur Ariane 5. Nous sommes les seuls à consentir un tel effort !

Les pays qui avaient une industrie forte, ou relativement forte, comme la France et l'Allemagne, ont mieux traversé la crise que les économies dites « postindustrielles», basées sur les services financiers, comme la Grande-Bretagne.

La contribution directe et indirecte de l'industrie à l'emploi reste très importante, même si on peut regretter la fin du modèle des emplois intégrés ; il est indéniable que l'externalisation a des conséquences sociales. Enfin, 80% de nos exportations sont le fait de l'industrie ; en termes de recherche et développement, ce taux est de 90%.

Je ne cherche pas à enjoliver la réalité. Sur les technologies de rupture, sur l'innovation, nous avons un retard important. La Chine et l'Inde, mais aussi l'Indonésie, le Mexique, la Turquie auront pris une place significative en la matière d'ici 2025-2030. La France a manqué le virage des nanotechnologies, des biotechnologies, même si le retard est rattrapable. Face au développement du numérique, vous aurez des options importantes à prendre, sur le dividende numérique ou sur la « taxe Google » - qui taxera tout le monde sauf Google... Voulons-nous être les meilleurs fournisseurs de réseaux, utiliser des produits asiatiques et des services américains ? Il faut bâtir une stratégie pour le numérique.

Monsieur le président, je partage vos propos sur les territoires. La France compte beaucoup de zones de mono-industrie ; l'absence de mobilité des personnels et de formation tout au long de la vie y fait de la fermeture d'une entreprise une véritable catastrophe. C'est pourquoi nous avons créé le Fonds national de revitalisation des territoires (FNRT), qui intervient de façon ciblée.

J'employais le terme de « délocalisation » au sens de l'INSEE, mais il y a en effet d'autres mouvements, comme le global sourcing . Votre mission pourrait d'ailleurs utilement préciser quels sont les bons outils d'analyse pour apprécier les mutations.

L'industrie automobile française reste exportatrice nette. La prime à la casse a aussi profité à la production en France, qui a augmenté de 15% sur les neuf premiers mois de 2010. Vous connaissez les mesures prises par le gouvernement : outre la prime à la casse, les prêts aux industriels de 3 milliards d'euros, et la création du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA).

M. Jean-Pierre Sueur . - Combien pour les sous-traitants, par rapport aux 3 milliards pour PSA et Renault ?

M. Éric Besson, ministre . - Le FMEA a déjà investi 200 millions.

M. Jean-Pierre Sueur . - Bref, nettement moins... Nous avons pourtant vu le désespoir des salariés des sous-traitants au journal de 20 heures.

M. Éric Besson, ministre . - Vous dites que nous avons été généreux avec les gros, pingres avec les petits. Mais par capillarité, tout ce que l'on fait pour les producteurs touche les sous-traitants ! D'ailleurs, quand l'industrie automobile se serre la ceinture, on lui reproche de pénaliser ces derniers...

Si seulement 200 millions ont été utilisés, c'est qu'il faut trouver des équipementiers prêts à s'adapter. Les industriels citent le FMEA en exemple !

Les 3 milliards pour PSA et Renault sont des prêts, les 600 millions, des investissements en capital : ce n'est pas la même chose ! Et je ne parle pas de la prolongation des prêts verts pour les véhicules décarbonés.

Monsieur Chatillon, nous continuons à mettre en oeuvre des réformes structurelles. Le crédit d'impôt recherche a été préservé : c'est 4 milliards d'euros, dans un contexte budgétaire contraint. La France s'est distinguée, pendant la crise, en ne sacrifiant pas les investissements d'avenir, et les 35 milliards du grand emprunt ont été salués par les économistes internationaux.

Oui, il faut améliorer le financement de l'industrie ; c'est aussi une demande des syndicats. Nous allons mettre en place avec Mme Lagarde un groupe de travail sur le sujet.

Madame Lamure, le rapport Didier me sera remis en janvier. La compétitivité de notre pays a commencé à se dégrader en 2000, c'est incontestable. L'analyse varie selon l'orientation politique : certains incriminent les 35 heures, d'autres le retard en matière d'innovation et de recherche... Les deux explications valent ! Le coût du travail « chargé » est incontestablement plus élevé en France que chez nos concurrents.

M. Daniel Raoul . - C'est ce que nous avons vérifié.

M. Éric Besson, ministre . - Les statistiques indiquent un retournement en quinze ans. Je ne parle pas des salaires ; ce sont les cotisations sociales qui sont bien plus importantes qu'en Allemagne. Il faudra ouvrir le débat sur le financement de la protection sociale...

Les autres éléments qui pèsent sur notre compétitivité sont connus : mauvaises stratégies, absence de PME-PMI performantes, etc. Sur les 35 heures, permettez-moi de ne pas me prononcer : c'est un sujet pour les grandes échéances électorales. Après l'exonération des heures supplémentaires, il appartient au Président de la République de se prononcer sur une éventuelle nouvelle étape.

Monsieur Raoul, on fabrique en effet en France à partir de pièces venues de l'étranger : c'est l'évolution des industries modernes. Nous voulons que l'essentiel soit fabriqué et assemblé en France - sachant qu'une telle attitude pourrait être contestée au sein de l'Union européenne.

Le low cost est un marché, et il est injuste de reprocher à Renault de s'y implanter avec les véhicules de marque Dacia, fabriqués en Roumanie. D'autant que le low cost permet souvent d'initier le moyen et haut de gamme. Si Renault n'était pas présent sur ce marché, d'autres le seraient !

En matière de nucléaire, nos deux champions ont des stratégies différentes. La France a opté pour la sûreté maximale, avec l'EPR de troisième génération, que propose Areva, mais il y a un marché mondial de la deuxième génération : c'est le créneau d'EDF. Il n'est pas question de low cost nucléaire : ce sont les centrales que nous utilisons aujourd'hui, et que nous prolongeons. L'idée est de proposer une gamme de produits, adaptée aux différents marchés.

Nous voulons parvenir, au sein de la Conférence nationale de l'industrie, à un diagnostic partagé, sachant que les positions de départ sont assez éloignées. Nous allons créer avec Xavier Bertrand un groupe de travail chargé de se pencher sur les conséquences à tirer du différentiel avec l'Allemagne, qui est à la fois notre premier client, notre premier fournisseur et notre premier concurrent.

Monsieur Mirassou, mon prédécesseur s'est battu pour trouver un repreneur à Molex ; une cinquantaine d'emplois ont été créés. Nous nous battons pour que Molex respecte aujourd'hui ses obligations relatives au plan social, fort ambitieux, qui a été mis en place.

Sur les jeunes entreprises innovantes, nous avons trouvé un compromis. Depuis la création du dispositif, le crédit d'impôt recherche est monté en puissance. Le niveau prévu pour 2011 reste donc acceptable.

Je n'entre pas dans le détail de nos actions en matière aéronautique...

M. Jean-Jacques Mirassou . - Quid de la création d'un comité de suivi ?

M. Éric Besson, ministre . - Je tiens à animer personnellement ce comité, qui a été mis en place par mon prédécesseur. Je suis très attaché à cette filière : l'avenir de nos principaux avionneurs s'y joue.

M. Teston a évoqué le problème de la localisation de la valeur ajoutée et la place de la France dans cette chaîne de valeur. La concentration des moyens sur certains secteurs ne doit pas nous empêcher de réfléchir à l'évolution de la localisation. Le Parlement a voté, contre mon avis, la taxe sur la publicité sur Internet. Dont acte. Je comprends le diagnostic qui a conduit votre rapporteur général, M. Marini, à estimer que tant de richesses ne peuvent échapper à toute imposition. À titre personnel, je crains que cette taxe ne pénalise les entreprises françaises et n'encourage les délocalisations. Il faut toutefois réfléchir au moyen de ramener la valeur en France et d'en taxer une partie : je ferai des suggestions au Parlement sur ce sujet.

Monsieur Pointereau, il faut en effet desserrer la contrainte bancaire. C'est le rôle du Médiateur du crédit. L'action de M. Ricol, et aujourd'hui de M. Rameix, est appréciée, même si l'on peut toujours faire mieux.

Face à la concurrence des pays émergents comme la Chine, la réponse ne peut être qu'européenne. À titre personnel, je trouve la Commission européenne bien orthodoxe : on s'impose un mythe de concurrence pure et parfaite dont les autres se dispensent ! Sur Draka, je me suis entretenu avec le commissaire Tajani. D'autres pays s'arrogent un droit de regard sur les investissements étrangers. Il ne s'agit pas de faire du protectionnisme déguisé, mais d'instaurer une vraie réciprocité, or l'Union européenne nous met en position de faiblesse.

D'accord pour prolonger l'action de mon prédécesseur sur le « fabriqué en France », à condition de ne pas suggérer qu'il s'agit de protectionnisme. Beaucoup de nos entreprises sont elles-mêmes de grands groupes internationaux. Quand le Président de la République se rend à l'étranger, accompagné de chefs d'entreprise, il plaide pour un partenariat industriel ; attention à ne pas tenir de discours contradictoires !

Monsieur Huré, nombre des dossiers de votre département sont suivis par le ministère. Nous avons créé un dispositif pour tenter de conserver les savoir-faire. Le FSI est intervenu dans la vallée de l'Arve pour éviter que les entreprises de décolletage ne soient reprises par les Chinois. Le FSI se veut un fonds souverain à la française ; le ministère essaie de peser pour qu'il investisse dans des entreprises en difficulté, mais il faut conserver un équilibre avec des investissements rentables. Nous allons travailler avec M. Gilet pour adapter la doctrine du Fonds.

Merci de m'avoir auditionné. Il était très intéressant pour moi d'entendre les préoccupations des sénateurs.

M. Martial Bourquin , président . - Pour Renault, le problème n'est pas tant la Dacia que la Clio, fabriquée en Turquie.

Lors de notre déplacement en Allemagne, nous avons été surpris par l'ardeur du patriotisme industriel ; 70 % des composants automobiles sont fabriqués en Allemagne. C'est impressionnant.

Cette audition était la dernière. Nous remettrons notre rapport en février. Il sera transmis fin janvier aux membres de la mission, puis adopté et présenté en assemblée plénière.

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