13) LE DÉFI NUMÉRIQUE

- Villes réelles et villes virtuelles

- Le numérique, facteur de diffusion urbaine

- Le numérique, facteur de non ville

Quoique récente, la révolution de la société numérique modifie déjà en profondeur le fonctionnement de la ville et elle devrait continuer fortement à faire évoluer la ville dans le futur . Déjà, une nouvelle image de la ville apparaît : c'est celle de la ville virtuelle, imaginée, créée, visualisée avec les techniques de l'informatique. Déjà, elle a de nouveaux noms, « Métapolis », « ville générique », et elle crée sur les images un nouvel « urbanisme » qui est « liquide ».

Cette révolution transforme d'abord la communication entre les habitants en modifiant profondément les conditions de l'accès à l'information, au savoir et à la formation Elle permet ensuite de mieux appréhender le futur de l'urbain par une simulation de l'évolution des villes grâce à des travaux d'une plus grande complexité statistique ou urbanistique. Elle modifie enfin les relations entre les habitants et les responsables des villes grâce à la mise en oeuvre de nouveaux outils de consultation et de participation politique , notamment pour l'amélioration des besoins de transport et pour l'offre de nouveaux services aux populations.

Dans le cadre d'un travail effectué par le Centre de Prospective et de Veille scientifique du Ministère des transports, de l'équipement du tourisme et de la Mer entre 1995 et 2001 131 ( * ) , il est apparu tout d'abord que les technologies nouvelles de communication fondées sur les ordinateurs, internet et les téléphones portables font l'objet de logiques d'appropriations différentes selon qu'il s'agit des individus, des entreprises ou des collectivités.

Les individus -et tout particulièrement les habitants des grandes villes- se sont fortement appropriés ces nouveaux outils dans leur vie quotidienne : développement des communications interpersonnelles de messageries, création de réseaux d'appartenance collective par affinités, recours aux moyens d'information pour les transports, les démarches administratives, le commerce etc.

Moins évidente est l'appropriation de ces outils dans le cadre des relations et des formes de travail ; le télétravail, considéré pourtant par beaucoup comme une perspective d'avenir, n'a pas trouvé la place qui lui avait été prédite ; même si la productivité du travail a incontestablement progressé grâce à ces technologies -aussi bien dans les process industriels que dans l'organisation des services-, il ne semble pas que les gains obtenus aient conduit à des relations humaines d'une qualité sensiblement meilleure au sein des entreprises.

« Paris Ville Numérique »

Depuis 2006, la ville de Paris a mis en place un programme et un label PARVI , pour Paris Ville Numérique , qui rassemble toutes les initiatives visant « à mettre tout le potentiel des nouvelles technologies de l'information et de la communication au service des Parisiens » 132 ( * ) . Si la municipalité a décidé de mettre au coeur de son action politique le numérique, c'est parce qu'il est « source de croissance, d'activité, de progrès, dans une ville moderne » 133 ( * ) .

A sa création, le programme PARVI s'est attaché à la refonte des sites internet de la ville : Paris.fr, sites des mairies d'arrondissement... Ainsi, sur le site Paris.fr, il est désormais possible pour les citoyens de faire la demande en ligne d'un certain nombre de documents administratifs : acte de naissance, de mariage, de décès... A travers ce programme, la municipalité a également souhaité développer des outils afin de lutter contre la fracture numérique. Pour y parvenir, ont été créés des Espaces publics numériques : ces espaces, implantés dans les quartiers en difficulté, permettent la maîtrise des logiciels de traitement de texte ou l'apprentissage des langues. La mise en service, depuis fin 2007, de plus de 400 bornes wifi installées dans les lieux publics (mairies, bibliothèques, parcs et jardins) participent aussi à la promotion des nouvelles technologies.

Parce qu'il est essentiel d'avoir à sa disposition un réseau internet performant, notamment pour des raisons de compétitivité, la municipalité a décidé de faciliter le déploiement de la fibre optique qui offre un débit plus élevé et rend ainsi possible de nouvelles avancées notamment dans le domaine médical. D'ailleurs, les nouveaux immeubles construits dans le cadre du Grand Projet de Renouvellement Urbain devront être des « immeubles intelligents » 134 ( * ) , intégrant tous les équipements nécessaires au numérique.

Aujourd'hui, la ville de Paris va encore plus loin en accompagnant de jeunes entreprises innovantes tournées vers la production de contenus numériques (communication multimédia, industrie de la connaissance). Les entreprises sélectionnées bénéficient de bureaux (en incubateur ou pépinière) équipés des derniers outils technologiques, d'une équipe de consultants (en marketing, finance, ingénierie), de formations personnalisées... Comme le souligne Bertrand Delanoë, le but est d'exploiter au mieux « les atouts de Paris pour lui donner, plus que jamais, le statut de véritable `capitale numérique' » 135 ( * ) .

L'appropriation par les collectivités publiques ou privées de ces technologies, a priori moins évidente que les deux autres catégories, se révèle en définitive beaucoup plus mobilisatrice sur la longue durée au service des habitants des villes : développement des outils de sécurité collective, amélioration de la circulation, gestion des crises, administration décentralisée des territoires, meilleure participation des citoyens à la vie démocratique locale etc.

Le travail effectué par le Centre de Prospective posait finalement plusieurs questions qui restent toujours actuelles :

- l'émergence du virtuel signifie-t-elle la fin des distances et des territoires ?

- quelles perspectives peut-on tracer pour les véhicules et les systèmes de transports intelligents et à quels obstacles se heurte leur diffusion ?

- dans quelle mesure et à quelles conditions ces nouvelles technologies peuvent-elle contribuer au développement des territoires et éventuellement à la réduction des inégalités spatiales ?

- les nouveaux outils d'aide à la conception et de visualisation peuvent-ils accompagner utilement les processus de concertation et de débat public ?

- ces technologies ouvrent-elles réellement des opportunités de constitution de « nouveaux » espaces publics et de construction d'une « démocratie en réseau » ?

Ces technologies sont en renouvellement permanent. C'est un mouvement brownien brutal qui change radicalement le fonctionnement de la société, et, par là, des ensembles urbains.

On trouve des réponses à ces questions dans le rapport sur la ville numérique de la fondation « Territories of Tomorrow » 136 ( * )

Celui-ci note que tous les points d'accès à ces nouvelles technologies sont en évolution accélérée :

- les réseaux qui, avec les infrastructures, peuvent fonctionner en symbiose pour recueillir et fournir de l'information urbaine, communiquer avec de nouveaux écosystèmes de perception et de mesure ;

- les panneaux d'affichage, les écrans et les futures interfaces homme-machine organiques, flexibles, fluides, évolutives et déformables, à la fois terminaux fournissant, mais aussi recueillant de l'information écrite, orale, graphique, voire émotionnelle, dans le cadre d'une ville « ubiquitaire » ;

- les objets assurant le lien entre le physique et le numérique qui vont progressivement peupler la ville autour de ses habitants (GPS, puces de localisation, codes barres 2 D, mobilier urbain détenteur d'informations, objets bavards, objets communicants sans écrans, néo-objets insérés dans de nouvelles chaînes de valeurs, porteurs de différences de perceptions, etc.).

La déclinaison des applications possibles est quasi infinie : animations artistiques, e-démocratie sur smartphones « Do-it-Yourself Democraty », e-gouvernement notamment pour les petites villes sous-dotées en services publics, e-santé et e-services pour les personnes dépendantes, création de passerelles entre l'urbanisme, le marketing, la grande distribution, la sociologie, la promotion immobilière, le transport, le design, l'art, etc.

L'avènement du numérique dans les aires urbaines est un évènement de type révolutionnaire qui apporte brutalement un nouveau système de richesse par l'augmentation phénoménale de l'offre de connaissances : « La ville de demain, au-delà des écrans pervasifs et des réseaux ubiquitaires, ce sera aussi une profusion de néo-objets, des objets interactifs et augmentés, augmentés d'autant d'information que leurs géniteurs ont pu leur conférer, d'autant de savoirs aussi parfois, des savoirs sur eux-mêmes, des propositions qu'ils sont en mesure de faire à tous ceux qui les côtoient, mais aussi aux autres objets et équipements urbains ». 137 ( * )

Travaillant sur une douzaine de « e-enjeux urbains » en cours d'expérimentation, le rapport a identifié à l'horizon 2020 une dizaine de réalités numériques des villes ou des territoires de demain :

1. la démultiplication des actions municipales et régionales de formation ;

2. la mise en place de dispositifs de polarisation des compétences par la concentration d'expérimentations et de lectures du futur sur un même territoire (expériences de parcs technologiques menées en Finlande à Lahti et en Espagne à Bilbao et à Saragosse) ;

3. l'administration électronique en tant qu'instrument de gestion du changement de modèle urbain ;

4. une recherche territorialisée par la mutualisation locale des moyens de calcul et le partage avec les habitants des travaux de recherche ou d'amélioration de la ville ;

5. des outils de visibilité et d'observation de capital « immatériel » de la ville au service du secteur politique et public ;

6. des espaces régionaux et interrégionaux de connaissances pour faciliter transferts technologiques et mutualisation des outils des nouvelles « cités-savoir » ou des réseaux de villes créatives (expérience de la Hanse numérique de Bergen à Tallin) ;

7. de futurs services d'aide au savoir par la mise en place de communautés intensives de connaissance s'appuyant sur les possibilités à venir de recueils d'information auprès des habitants ;

8. un environnement constitué de strates chronologiques ou symboliques d'espaces et de flux informationnels par l'utilisation des espaces sans fil informationnels multiples permettant une nouvelle construction identitaire de la ville ;

9. le repérage, la cartographie et la gestion territoriale de la connaissance de la ville dans de très nombreux domaines, - sciences de la vie, planification urbaine, gestion des entreprises - afin de gérer et d'optimiser le capital intellectuel des centres de valeur ajoutée et au final d'améliorer la capacité de décisions des élus ;

10. un urbanisme de la gestion des connaissances et la construction de quartiers du savoir associant dans des pôles urbains de connaissance les universités, les centres technologiques, les centres de recherche et les activités productives.

Les Centres Européens de Nouvelles Technologies (CENT)

laboratoires de la ville numérique de demain ?

Depuis 2006, la commune de Saint-Julien en Saint-Alban, la Communauté de communes Privas Rhône et Vallées ainsi que le groupe immobilier Faure et l'entreprise initiatrice du projet, Summitco, travaillent, à travers un partenariat public-privé, à la réalisation d'un Centre Européen de Nouvelles Technologies (CENT) en plein coeur de l'Ardèche. Le but du projet est la construction d'un village, à l'architecture rurale traditionnelle, qui hébergera des activités innovantes utilisant « les technologies de l'information et de la connaissance comme moyen clé de création de valeur ajoutée » 138 ( * ) .

Pour ce faire, quatre secteurs d'activités seront développés : les prestations de service à distance (assistance bureautique, enseignement à distance, création graphique, intelligence économique), la recherche et développement (génie logiciel, prototypage virtuel, simulation numérique, applications médicales 3D), le commerce électronique et la vente de produits à distance (vins, cosmétiques, livres électroniques), les technologies de l'information et de la connaissance dans le domaine du conseil en systèmes d'information et réseaux, de la gestion de bases de données, de la télémaintenance...

Afin d'attirer les entreprises, il sera créé un Central de services qui « permettra au TPE et PME d'aborder les marchés avec la capacité d'action des grandes entreprises » 139 ( * ) : tutorat assuré par des chefs d'entreprises expérimentés, équipements high-tech (très haut débit, visioconférence, reprographie), services communs (secrétariat, restauration). En plus de l'accompagnement professionnel, les promoteurs mettent l'accent sur la qualité de vie : le village sera édifié dans « un environnement naturel protégé » 140 ( * ) et constitué de logements de qualité pour que lieu d'habitation et lieu de travail soient concentrés en un même espace.

Dans un premier temps, il est espéré la venue de 60 entreprises représentant 240 professionnels (chercheurs, ingénieurs). Mais par la suite, les promoteurs du projet tablent sur plus de 1000 emplois créés, en faisant le pari qu'un emploi issu des technologies de l'information et de la connaissance génèrera « par le développement d'activité et les besoins périphériques, deux emplois supplémentaires à échéance de cinq à huit ans » 141 ( * ) .


* 131 Centre de prospective et de veille scientifique du Ministère des transports, de l'équipement du tourisme et de la Mer : Des TIC et des territoires, quelles conséquences des technologies de l'information et de la communication sur la vie urbaine, les territoires et la mobilité 2005

* 132 Site internet de la mairie du 20 ème arrondissement, Rubrique « Innovations et NTIC », http://www.mairie20.paris.fr/mairie20/jsp/site/Portal.jsp?page_id=741

* 133 Bertrand Delanoë, Discours de présentation du plan Paris Ville Numérique, Mardi 4 janvier 2006

* 134 Ibid.

* 135 Ibid.

* 136 André Jean-Marc Loechel, « Territories of Tomorrow » La ville numérique, 1 er janvier 2010

* 137 Idem

* 138 André Jean-Marc Loechel, La ville numérique, Rapport pour La Fondation des Territoires de Demain, 2010

* 139 Ibid.

* 140 Ibid.

* 141 Ibid.

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