15) LE DÉFI DÉMOCRATIQUE ET DE LA GOUVERNANCE

- Différents types de gouvernance locale

- Démocratie au niveau de l'agglomération

- Démocratie directe dans la commune et indirecte dans  l'agglomération

- Démocratie aux dimensions de l'aire urbaine (au-delà de  l'agglomération)

- Gouvernances étatiques

- Gouvernances plurielles et contractuelles

En 2006, PriceWaterhouseCoopers a publié un rapport 155 ( * ) sur les villes du futur rédigé sur la base de l'interview de quarante maires ou responsables de grandes villes à travers le monde 156 ( * ) . Ce rapport a cherché à établir les principaux défis et tendances qui influencent la stratégie des responsables de ces quarante grandes villes. En dépit des différences qui existent dans les situations locales, l'enquête a mis en évidence un certain nombre de thèmes que ces responsables croient nécessaires de traiter pour leurs villes.

Ces thèmes, qui confortent ceux qui ont été identifiés de son côté par Julien Damon sous le vocable générique « d'attractivité résidentielle », sont regroupés autour de six axes principaux :

- le capital intellectuel social et humain ;

- la démocratie, la participation et la consultation des citoyens ;

- le capital culturel : valeurs, comportements et expressions  collectives ;

- le capital environnemental et les ressources naturelles ;

- le capital technique, en particulier les infrastructures ;

- le capital financier .

Pour les personnalités interviewées, la gouvernance de ces différents types d'actifs des grandes villes conduit à une gestion « holistique » dans la mesure où chacun de ces actifs dépend des autres ; il s'agit de tenir compte de chacun d'entre eux dans les décisions quotidiennes tout en regardant l'avenir pour voir comment leurs politiques et leurs stratégies peuvent s'adapter à la dynamique sociale, économique et environnementale de leurs agglomérations.

Les représentants de chaque ville ont ainsi dû identifier la situation dans laquelle elle se trouve, le but qu'elle poursuit et auquel elle veut parvenir et, partant de là, elle a besoin de comprendre les tendances significatives qui influencent la direction dans laquelle s'oriente le futur de la ville. Certaines de ces tendances, comme par exemple le retour à l'individualisme ou les conséquences des technologies de la communication en matière de demandes en information et en consultation des citoyens, sont communes à toutes les grandes villes. Elles s'ajoutent aux données particulières locales.

Le rapport souligne qu'un des éléments essentiels de cette enquête tient au thème de la collaboration et de la participation des habitants. Les dirigeants des grandes villes, au même titre que les autres organes de gouvernement sont confrontés au déclin de la participation citoyenne dans les affaires de la Cité. C'est pourquoi ils ont tous mis en oeuvre des politiques plus transparentes dans le processus de décision et incité les citoyens à intervenir plus directement dans la prise de décisions les concernant. Il s'agit notamment de développer des actions communes avec des groupes de citoyens considérés non plus seulement comme des consommateurs ou des électeurs, mais aussi comme des coproducteurs de politiques communales.

A ce titre, l'existence d'internet fournit plus qu'un simple moyen d'information pour les citoyens. C'est un outil de dialogue entre la ville et ses habitants qui peut être adapté à tous les types traditionnels de politiques locales, en particulier pour déterminer les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en oeuvre, notamment dans l'adaptation des services traditionnels. Ces nouveaux modes de communication et de consultation permettent également de dépasser les limites géographiques ou administratives habituelles pour toucher l'ensemble de la population de l'agglomération ou de la conurbation.

Le rapport résume dans un schéma cette interaction entre la ville, la société et l'économie pour optimiser le capital démocratique d'une mégapole.

L'OPTIMISATION DU CAPITAL DÉMOCRATIQUE D'UNE VILLE DU FUTUR

Source: PriceWaterhouseCoopers: Cities of the future, global competition, local leadership 2006

Une illustration de cette démarche est fournie dans le rapport sur la ville numérique publié par André Jean-Marc Loechel dans le cadre de la Fondation des Territoires de Demain 157 ( * ) . Soulignant que la condition première de l'attractivité économique d'un territoire réside dans une connaissance minutieuse des savoirs existants, le rapport décrit la démarche de la petite ville de Mataró en Catalogne qui consiste à mesurer et gérer le capital intellectuel de chacun des micro-clusters présents dans cette ville, notamment à travers un processus de benchmarking qui permet d'obtenir un index de confiance globale dans le processus engagé.

Quelle gouvernance pour les métropoles : l'exemple de Toronto

Depuis 1910, l'agglomération de Toronto est composée de cinq regroupements de communes : Halton, Peel, York, Durham et Metropolitan Toronto, cette dernière rassemblant six communes dont la ville de Toronto. Ces regroupements étaient généralement chargés « d'harmoniser les politiques urbaines des communes concernées en prenant en charge l'adduction d'eau potable et le retraitement des eaux usées, la gestion des routes importantes, la collecte des ordures ménagères et étaient dotés de quelques prérogatives sur le plan social » 158 ( * ) .

En 1995, avec l'arrivée des conservateurs au pouvoir dans la province de l'Ontario, il est décidé de procéder à une fusion des communes au sein du Metropolitain Toronto. A travers cette réforme, il s'agit pour ses partisans « d'adapter la ville aux contraintes économiques actuelles, de modeler un territoire nouveau destiné à rendre la ville-centre plus attractive » 159 ( * ) . Après plusieurs mois de débats, le City of Toronto Act est adopté en décembre 1997 : le Metropolitan Toronto laisse place à une « mégacité » qui prend le nom de Toronto.

Pour autant, cette réforme territoriale n'a pas été accompagnée des économies budgétaires promises : la nouvelle Toronto a ainsi embauché 3500 personnes pour assurer son fonctionnement. De plus, si Toronto est aujourd'hui plus attractive pour les investisseurs, elle est confrontée à une certaine lourdeur administrative. Enfin, cette nouvelle entité territoriale n'a pas mis fin aux stratégies non coopératives entre les villes périphériques et la ville-centre. Doter le Greater Toronto Area, institution créée en 1988 regroupant Toronto, Halton, Peel, York et Durham, de nouvelles prérogatives pour mieux gérer les problématiques métropolitaines sont une piste à creuser. Néanmoins, les acteurs politiques, ne souhaitant pas « initier un nouveau big bang territorial » 160 ( * ) , ont préféré, dans un premier temps, mettre en place des périmètres d'action différents selon les domaines d'intervention (transports, urbanisme, environnement).

Ce processus se base sur cinq points majeurs :

- la vision issue de l'analyse des potentialités existantes à partir d'entrevues avec des personnalités de la ville dans des domaines tels que les sciences de la vie, les sciences sociales, la planification urbaine, la gestion des entreprises, de manière à ce que puissent être développés de véritables champs d'attractivité ;

- l'identification des activités essentielles capables de mener à terme une telle vision à travers des actions et projets forts ;

- l'identification des compétences essentielles pour accomplir ces actions et ces projets ;

- le choix des indicateurs pour chaque activité et chaque compétence essentielles ;

- l'assignation de ces indicateurs à chacune des grandes catégories intellectuelles ( capital humain, capital des structures, capital marchand, capital de rénovation et de développement et enfin capital de l'ensemble des démarches engagées ).

Les villes du futur vont-elles conduire à l'invention de nouveaux types de gouvernance ? C'est une interrogation majeure. Faut-il dans le cadre de cette gouvernance plus de démocratie ou ne faut-il pas plutôt penser « plus large » ? Ne faut-il pas créer de nouveaux espaces de consultations démocratiques au niveau des agglomérations ?

A l'occasion du lancement de nouvelles opérations d'urbanisme, ne faut-il pas organiser -en particulier grâce à internet- des referendums populaires auxquels seraient invités à participer non seulement les riverains concernés, mais aussi toutes les habitants, ceux qui travaillent dans la ville mais n'y résident pas, les adolescents et les touristes ? Une des idées émises pour améliorer la gouvernance des villes est le vote pluriel (jusqu'à 5 votes dans les différentes communes en fonction des lieux d'habitat, de déplacement, de travail, de loisir...).

La question de la gouvernance s'inscrit dans l'espace entre le mouvement et l'inertie . Elle est en particulier sensible pour les communes périurbaines -par exemple un millier en Ile de France avec une population moyenne de 1 200 habitants par commune. Faut-il aller vers de grandes agglomérations ou plutôt vers des communautés de communes organisées autour de l'agglomération principale ? La très grande agglomération (de plus de 15 millions d'habitants) est-elle inéluctable dans le futur ? La réponse vient de la plus grande attractivité des métapoles et est sans doute positive.

Deux points apparaissent, au total, avec une grande évidence.

En premier lieu, une instance de gouvernance élue démocratiquement au niveau de l'aire urbaine agglomérée apparaît indispensable : elle seule donne pleine légitimité démocratique au conseil et aux élus responsables de l'élaboration et de la mise en oeuvre de projets d'agglomération, dont la nécessité n'est plus remise en cause. Ce qui induit deux considérations :

D'abord la question de la pertinence de mettre en oeuvre une instance de gouvernance plus large dépassant les limites de l'aire urbaine agglomérée pour prendre en compte le « bassin d'emploi » ou « bassin de vie » qui s'organise autour de celle-ci. Celle-ci pourra dans certains cas se substituer à l'instance correspondant à l'aire urbaine agglomérée et dans d'autres cas être distincte. La question de l'articulation entre ces deux instances se posant alors.

Ensuite la question de la nécessaire articulation entre l'instance correspondant à l'aire urbaine agglomérée (et allant éventuellement au-delà) et avec les instances démocratiques plus proches des citoyens au niveau des quartiers, communes, arrondissements, etc. Cette articulation est dans tous les cas un enjeu majeur.

En second lieu, il est clair que dans un nombre croissant de cas, les lieux de l'habitat, du travail, du commerce, de l'activité, de la formation, des loisirs ne se superposent plus. Jacques Viard a souligné le paradoxe d'une démocratie municipale par laquelle « on vote où l'on dort » quand bien même l'essentiel de la vie et de l'activité des votants a lieu dans d'autres villes. On est de plus en plus souvent acteur et usager de villes où l'on n'habite pas. La mise en place d'une gouvernance d'agglomérations, légitimée démocratiquement apporte une réponse partielle à cette question. Mais elle ne la règle pas totalement. La prise en compte des acteurs et usagers de la ville dans l'élaboration des décisions se pose et se posera davantage encore dans le futur.

Le Grand Londres : un système de gouvernance pertinent ?

Le Grand Londres, fort de ses 7,5 millions d'habitants, est un instrument de gouvernance qui mérite d'être étudié par les autres métropoles mondiales. Sorte de région, il regroupe la City of London et 32 communes ou boroughs « dont la taille varie entre 148 000 habitants pour Kingston et 314 000 pour Barnet » 161 ( * ) . Spécifions que contrairement à la quasi-totalité des métropoles occidentales, Londres ne possède pas de ville-centre : la City of London , située au centre du Grand Londres est en effet une collectivité locale  au statut particulier. Ce que nous appelons communément « Londres » correspond à l'addition de ces 33 localités.

D'un point de vue administratif et politique, le Grand Londres est organisé par un système à deux niveaux : les 32 communes et la City of London d'une part et la Greater London Authority (GLA) d'autre part. Concernant les 32 communes, elles sont dirigées selon les cas soit « par une assemblée élue pour 4 ans qui nomme en son sein un maire [...] ou par un maire élu au suffrage universel direct » 162 ( * ) . Quant à la City of London , elle est administrée par « un maire élu pour une année au sein du Conseil des Communs, lui aussi élu pour un an par la population » 163 ( * ) . Ces 33 collectivités ont principalement à leur charge les écoles, l'aide sociale, le logement, la collecte des déchets et l'entretien de la voirie.

La Greater London Authority se compose quant à lui d'un maire et d'une assemblée. Le maire est élu au suffrage universel direct à la proportionnelle pour 4 ans et l'assemblée, élue pour 4 ans également, rassemble 25 représentants : 14 sont élus par circonscription au scrutin majoritaire à un tour et les 11 autres sont élus à la proportionnelle au niveau du Grand Londres. La répartition des rôles entre le maire et l'assemblée est la suivante : le maire incarne le pouvoir exécutif en s'appuyant sur un cabinet qu'il nomme et l'assemblée n'a qu'un rôle de « vérificateur » 164 ( * ) . Toutefois, le maire doit la consulter à propos du budget (que l'assemblée peut refuser par une majorité des deux tiers) et des stratégies qu'il élabore concernant les transports, la planification, l'environnement, le développement économique et la culture.

Si cette nouvelle organisation a permis l'émergence d'un véritable leadership incarné par le maire, la Greater London Authority dispose cependant de peu de pouvoir et de ressources. Aujourd'hui, il semble nécessaire de renforcer les compétences de la GLA notamment dans les domaines du logement, de la planification, de l'emploi et de la formation pour mener des politiques publiques efficaces à plus grande échelle. Et ce malgré la réticence des communes qui souhaitent conserver leurs prérogatives.


* 155 PriceWaterhouseCoopers : Cities of the future, global competition, local leadership 2006

* 156 Amsterdam, Barcelone, Belgrade, Bergen, Berlin, Birmingham, Brisbane, Morón, Buenos Aires, Dar-es-Salaam, Ekurhuleni, Durban, Frankfort, Göteborg, La Haye, Johannesbourg, Jundiai, Cracovie, Liege, Londres, Borough of Newham, London, City of Westminster, Luxembourg, Madrid, Malmö, Melbourne, Montreal, Manguang, Nelson Mandela, Nizhniy Novgorod, Oslo, Perth, Sao Paulo, Stockholm, Sydney, Toronto, Tshwane, Vancouver, Valence, Vienne, Varsovie, Yokohama, Saragosse, Zurich

* 157 André Jean-Marc Loechel, la ville numérique, un territoire de la connaissance, Fondation des Territoires de demain, 1 er janvier 2010

* 158 Voir « Le Grand Toronto : allier l'impératif de démocratie locale et l'attractivité économique, quelle gouvernance pour quels acteurs ? » dans le Tome II

* 159 Ibid.

* 160 Ibid.

* 161 Christian Lefèvre, «  Etude de la gouvernance des métropoles mondiales : Londres, New-York, Tokyo, des références pour la métropole parisienne ? », Etude réalisée pour l'agence de Développement du Val-de-Marne, 2006

* 162 Ibid.

* 163 Ibid.

* 164 Ibid.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page