4. BARCELONE : ville de projet(s) ?

« Mecque des pratiques urbaines 300 ( * ) » ou « ville qui a vendu son âme au privé 301 ( * ) », Barcelone ne laisse pas indifférent et semble constamment flotter entre mythe et réalité. Ville de luttes, de conflits sociaux, de guerres, mais aussi d'industries, de cultures et de brassage multiculturel elle est aujourd'hui un exemple en matière d'innovation urbaine. Dès 1975, à la sortie de la dictature franquiste, la capitale barcelonaise s'est imposée dans le paysage urbain comme l'une des villes les plus dynamiques et les plus attractives d'Espagne. Couronnée de succès dans les années 2000, Barcelone accueille chaque année 7 millions de touristes pour une population de 2,5 millions d'habitants.

Elle s'est développée principalement autour de projets-phares et d'une politique de marketing urbain bien huilée. Portés par des élus bâtisseurs, les grands projets barcelonais sont aujourd'hui le symbole d'une ville dynamique. Pour autant, le modèle de développement choisi par Barcelone est-il un modèle pérenne ? Il s'agit donc ici de s'interroger sur les acteurs qui font la ville de Barcelone et sur leurs « terrains de jeux » à travers les questions d'identités et d'échelles. Barcelone s'intègre-t-elle dans le modèle urbain des villes « en retour » comme certains auteurs l'affirment 302 ( * ) ? Quels sont les outils dont disposent les politiques et les experts pour gouverner cette ville et mener les projets d'aménagement ?

Une politique urbaine entre continuité et opportunité

Barcelone : quand la ville se refait sur elle-même.

La ville de Barcelone qui compte 2.5 millions d'habitants, est largement déterminée par son positionnement à la fois géographique et politique. Coincée entre deux fleuves au débit irrégulier, le Llobregat et le Besòs, ses limites sont aussi la Mer Méditerranée à l'est et une petite chaîne de montagnes, la Serra de Collserola, à l'ouest. Comme le soulignait l'écrivain Manuel Vazquez Montalban, la ville est un « très bel accident géométrique » par l'originalité du Plan Cerdà : l' Eixample 303 ( * ) et par les diagonales qui la traversent de part en part.

Du fait de cet environnement géographique spécifique, la ville a grandi sur elle-même, au sein de ses 99km2 de superficie, développant et redéveloppant ses quartiers. Contrairement à de très nombreuses villes européennes, Barcelone a pris la liberté de casser son tissu urbain pour mieux le reconstruire. Après une période d'incertitudes et de doutes suite à la fin de la dictature franquiste, elle s'est ouverte dans les années 1980 à de vastes opérations architecturales qui lui ont valu le surnom de « Mecque de l'urbanisme ». Faisant figure d'exception en Europe, elle considère depuis, face à l'absence de foncier disponible, qu'elle doit penser la ville sous une approche différente de polynuclérité. Oriol Bohigas, architecte catalan, disait qu'il fallait « renouveler son centre et monumentaliser sa périphérie ».

Barcelone :100 Km2 pour 1,6 millions d'habitants

Agglomération de Barcelone : 500 Km2 pour 3,2 millions d'habitants

Région de Barcelone : 3200 Km2 pour

5 millions d'habitants

À cela s'ajoute un enfermement institutionnel et politique car, depuis la fin de la dictature, Barcelone s'est construite sur une opposition avec la politique intégratrice de Madrid. Elle cultive aujourd'hui sa différence, sa culture et son authenticité. De son côté, la ville de Madrid a le plus souvent cherché à limiter la capacité d'action de la capitale catalane tant dans ses projets politiques que dans sa volonté d'expansion géographique. Depuis, Barcelone oscille entre un modèle de ville définitivement ouverte sur l'extérieur et un idéal politique de préservation et de patrimoine culturel. Dans un registre difficile, Barcelone promeut l'idée d'une identité régénératrice de l'imaginaire catalan et tente d'amener avec elle dans la modernité, son riche passé. D'autre part, la ville est également en conflit politique avec la Generalitat de Catalunya , siège de la Région de Catalogne. Face à ce difficile positionnement institutionnel, la ville s'est tournée d'emblée vers une posture européenne et attend beaucoup de l'arrivée du TGV qui la rendra très accessible depuis les villes françaises du Sud (Toulouse, Montpellier, etc.) 304 ( * ) . Située au nord de l'Espagne, elle jouit d'une position stratégique de carrefour.

Ces différents éléments ont poussé Barcelone à entrer dans une culture d'amélioration de la ville sur elle-même mais jusqu'à présent, la question de la périphérie ne se posait pas. Pourtant, l'augmentation de l'immigration et le flux de touristes qu'elle reçoit chaque année, soulèvent des enjeux de pénuries de logement.

Le plan de 1976 : une vision souple de l'aménagement

Barcelone fonctionne aujourd'hui encore sur le plan d'orientation stratégique global de 1976. Pensé dès l'origine comme un outil flexible et pragmatique, ce plan n'a jamais été modifié. On lui a adjoint, au fil des ans, d'autres plans d'orientation qui entrent en cohérence avec le schéma d'ensemble et qui reposent sur l'évolution des concepts porteurs. Sans cartésianisme, mais avec beaucoup de pragmatisme, il combine acquisitions foncières, plans sectoriels, plans spéciaux de réforme intérieure, études de détail architecturales et projets urbains limités. Son adaptabilité et sa flexibilité en font un outil utile à différentes échelles. Rowe 305 ( * ) le décrit en ces termes : « la méthode n'était pas une progression linéaire au sens d'une progression constante et rectiligne mais séquentielle et flexible, autorisant les allers-retours, les avancées et les reculs, sans jamais perdre la conscience du tout ».

Cependant, si le plan de 1976 a évolué avec le temps, les années 1980 et 1990 se sont caractérisées par la mise en place de plans d'aménagement assez rigides sur un certain nombre de quartiers urbains. Puis, Barcelone a mis en place le Plà estratègic pel desenvolupament de Barcelona en l'horitzó 2000 qui devient en 1994, le Plà estratègic 2 . Le plan est abandonné au profit du projet de ville qui ne découle pas d'une décision descendante mais qui tient compte de l'avis des acteurs locaux consultés (économiques, sociaux, de quartier). Ce projet insiste sur la nécessité de disposer de programmes modulables, adaptables aux nouvelles conditions de production et de consommation. Mais son originalité repose sur la nécessité d'un partenariat public/privé pour conduire les opérations d'urbanisation et d'aménagement.

Un développement urbain pragmatique

Le modèle du palimpseste

Le développement urbain de Barcelone se caractérise par de grandes avancées par bonds successifs. Les années 1960-1975 lui permettent de se développer rapidement mais sans grande recherche urbanistique ou architecturale, la dictature franquiste empêchant les intellectuels et les architectes de manifester leurs talents. Toutefois, de nombreux projets naissent à cette époque qui voient travailler ensemble Manuel de Solà-Morales, Xavier Subias, Francesc Escudero et Antoni Riera. Ainsi, dès 1975, à la mort du Général Franco, lorsque l'opportunité existe enfin, les projets et les idées mûris pendant des années ressortent et font de la décennie des années 80, une époque faste en projets d'envergure. Les institutions n'ayant pas de moyens de financement pour les projets, un partenariat entre le secteur privé et le secteur public se met en place de façon pragmatique. À ce moment là, tant les pouvoirs locaux que les architectes ne possèdent pas de vision globale de la ville. À ce stade, seuls comptent les besoins des habitants, ajournés pendant la période franquiste, qu'il faut satisfaire rapidement. Avec peu de moyens, la municipalité, en collaboration avec les citoyens, prend en charge les investissements urbains, quartier par quartier. Les procédures se dynamisent donnant la priorité à un « « micro-urbanisme » que la décentralisation de l'administration municipale par districts contribue fortement à faciliter » 306 ( * ) . Lluis Domènech développe la théorie du palimpseste 307 ( * ) selon laquelle Barcelone se réécrit sur elle-même avec certes des traces du passé mais aussi avec une volonté d'aller de l'avant.

3 époques de projets urbains

1980-1986 : politique d'aménagement de petits espaces publics disséminés dans toute la ville.

1986-1992 : préparation des Jeux Olympiques, renforcement des nouvelles centralités, reconquête du front de mer, amélioration des infrastructures.

1992-2004 : malgré la récession immobilière qui s'installe jusqu'en 1997, développement de grands projets : le Forum de 2004, le Triangle du Levant (22@, Gare de Sagrera, Place des Glòries), Axe Sud, le port, l'aéroport, la zone franche.

On a très longtemps décrit Barcelone comme une ville fondée sur des myriades de projets sans cohérence les uns avec les autres plutôt que sur de la planification pensée à une échelle plus large. Aujourd'hui, pourtant, les architectes, urbanistes et élus s'en défendent, soulignant la volonté d'inscrire chaque projet dans une perspective plus globale. Depuis 1985, la philosophie autour des projets urbains est qu'ils ne sont efficaces et utiles que s'ils peuvent répondre à au moins trois problèmes à la fois.

La politique de l'événement : catalyseur de la métamorphose urbaine et du développement du marketing urbain

Les Jeux Olympiques de 1992

Le débat qui s'est cristallisé autour des enjeux des Jeux Olympiques dans une ville comme Barcelone au début des années 90 est symptomatique de l'importance accordée au projet. Si la ville a su mobiliser ses forces pour profiter de l'événement en vue de moderniser une ville à bout de souffle du fait de sa sortie de la dictature, Barcelone a surtout réussi le pari de mobiliser sa population éparpillée, autour d'un projet fédérateur et globalisant. Le slogan affiché sur les murs de la ville en 1992 : « Barcelona, posa't guapa » 308 ( * ) souligne tous les enjeux de métamorphose urbaine que sous-tend le projet.

Les années 90 ont été fortement influencées par les Jeux Olympiques qui ont, pour toujours, laissé leur trace dans la ville. Ils ont permis de développer des infrastructures indispensables pour son ambition de ville moderne et internationale. Ainsi, l'aéroport s'est agrandi sur plusieurs centaines d'hectares de terres agricoles, le réseau autoroutier a été modernisé par la construction d'une nouvelle voie et l'agrandissement de l'ancienne ainsi que par la création de boulevards périphériques.

Au-delà de la mise en place de la restauration d'équipements urbains, le programme comportait également l'aménagement de la zone littorale, avec la création d'un village olympique sur l'emplacement du quartier de Poblenou (aujourd'hui reconverti en un emplacement pour logements résidentiels de standing), un système d'épuration des eaux, l'aménagement d'une promenade littorale accompagnée d'activités tertiaires.

Mais paradoxalement, ces infrastructures n'ont pas amené une diminution de l'équilibre de l'agriculture périurbaine. Si effectivement des hectares de champ ont été consacrés à la construction des nouveaux axes de communication, le parc agricole du delta de Llobregat a canalisé l'extension du cadre bâti et a contribué à la création de nouveaux foyers résidentiels ou industriels à l'intérieur des terres.

La Barcelone post-92 a surtout su profiter de l'événement pour transformer son image de ville industrielle en ville propice à l'accueil d'activités tertiaires. Si Barcelone voulait accéder à ses ambitions de ville internationale et moderne, elle devait changer de visage et penser à sa reconversion. Pour cela, l'obtention de fonds publics et privés était obligatoire. Les expositions universelles de 1888 et 1929 étaient déjà un premier gain d'argent public de la part de l'État, qui a permis de construire en peu de temps de grandes infrastructures. Mais le fait d'être le siège des Jeux Olympiques peut être considéré comme une étape de plus dans la volonté d'attirer des fonds publics nationaux 309 ( * ) . C'est la formule d'union capital public / investisseurs privés qui a été utilisée pour ces opérations ; la société d'équipement VOSA (Vila Olímpicas SA) est composée de 40% de capitaux publics (achats des terrains, équipements), 40% de capitaux des promoteurs et 20% issus des banques 310 ( * ) .

Dans le cadre des Jeux Olympiques, Nuria Benach Rovira 311 ( * ) montre que ce projet a permis de contribuer à la revitalisation de l'image de la ville, à sa reconstruction en terme de modernité et enfin à un meilleur plan de cohésion sociale.

« Temps européen et espace méditerranéen », « Le Nord et le Sud », « Sunbelt de l'Europe » ou « Barcelona, més que mai 312 ( * ) » sont autant de marques et de slogans pour désigner une ville qui a parfaitement intégré les mécanismes de marchandisation et de labellisation des villes. La culture est devenue son moteur de redynamisation en s'appuyant à la fois sur des valeurs très localistes et des valeurs universelles. En sachant mêler artistes locaux et artistes internationaux, Barcelone est devenue un endroit incontournable en matière de culture et d'architecture. Ses élites locales s'appuient depuis le XIX ème siècle sur la culture comme une ressource qui permet l'élaboration de projets économiques et politiques. Il en fut ainsi pour Güell, mécène de Gaudí qu'il a soutenu financièrement pendant toute sa vie. Plus que les autres villes, Barcelone a cultivé l'image de la différence véhiculée par l'usage du catalan et de son imaginaire. Au delà du contrôle politique et social que la culture permet de mettre en place par un recours à l'imaginaire collectif et au sens commun d'appartenance, Barcelone a transformé sa culture en image de marque.

À l'heure où l'Union européenne instaure une politique de mise en concurrence des villes, Barcelone a pris le parti de jouer la carte de la différenciation par la culture. Son histoire est intimement liée à la construction identitaire de la région et elle s'est construite sur cette opposition à la fois avec le Royaume d'Espagne et le Royaume de France.

Le Forum des Cultures de 2004

Le Forum des Cultures de 2004 est un autre projet structurant de la ville, qui a mobilisé tous ses acteurs. Pourtant, il ne s'agissait pas là de la réponse à un événement international mais d'une pure création de la ville pour remobiliser ses acteurs et s'appuyer sur l'exemple des Jeux Olympiques pour favoriser la redynamisation de son tissu urbain.

Ce projet a provoqué une forte mobilisation de la part des associations de défense des habitants qui se sont insurgées contre son côté néolibéral et son manque de prise en compte des besoins locaux.

Des partenariats publics/privés forts

Le développement urbain de la ville s'appuie sur un jeu d'acteurs particulièrement pragmatique. Le projet est la clef de voûte de l'aménagement, même s'il s'intègre dans une vision globale. C'est sur lui que viennent se greffer les différents acteurs. Oriol Clos, directeur de l'agence d'urbanisme de Barcelone, a articulé action politique et action technique, associant représentants de la ville et talents extérieurs. Enfin, il a permis une grande perméabilité entre secteur public et secteur privé. La porosité entre les différents statuts professionnels de l'urbanisme (architecte, économiste, géographe et responsables politiques) permet de penser la ville à une échelle d'intervention plus large. Elle ouvre d'autres perspectives notamment la possibilité de construire une culture professionnelle commune. Enfin, les jeux d'acteurs barcelonais se caractérisent par la relation différenciée avec les élus, en fonction de leur lecture des projets urbains de la ville.

Barcelona Regional , structure à 100% publique mais dont la façon de travailler est semblable à celle du privé, se caractérise par un fonctionnement assimilable à celui d'une agence d'urbanisme mâtinée d'une société d'économie mixte d'aménagement. Composée d'une cinquantaine de personnes, elle a été conçue en 1993 comme un think-tank ayant vocation à mener des réflexions stratégiques, conduire des études et assurer des développements. Le personnel de Barcelona Regional peut être détaché et mis à disposition de la ville ou d'un autre outil : BIM/SA (Barcelona Infrastructures Municipales) qui intervient sur tout le territoire soit sous la forme d'interventions directes soit sous la forme d'un holding de sociétés ad hoc.

La politique urbaine, entre oasis et belvédère

Oasis et belvédère : quelle politique urbaine barcelonaise ?

La ville de Barcelone, reposant sur un développement urbain pragmatique au gré des ressources disponibles aussi bien en termes d'argent que de foncier ou d'opportunités politiques, oscille entre un modèle de développement par oasis et par belvédère 313 ( * ) . « C'est le mouvement permanent entre échelles qui est l'un des aspects les plus convaincants de l'expérience barcelonaise ». Son originalité réside en sa faculté à produire une identité collective par la culture architecturale qu'elle décline sur des projets extrêmement localisés : « les oasis ». Dans le même temps, elle se permet de repenser la ville dans son environnement spécifique, à la fois géographique, paysager et politique, « le belvédère ».

Barcelone a donc développé une politique intégratrice qui combine la volonté de penser le projet et de maîtriser concrètement tous les aspects minimes. « Il faut envisager la ville dans les deux sens » 314 ( * ) . Dans ce contexte de diversité, de fragmentation et de conflits entre les différents acteurs sociaux, les responsables politiques et institutionnels se demandent comment « faire système », comment créer du lien, de l'unité et un sens d'appartenance à cette multitude d'intérêts particuliers. Dans l'ensemble des villes européennes, le recours à la culture a été systématique.

2) Travail sur l'espace public

Ce sont plus de cent projets d'espaces publics de diverses natures, tailles, etc. qui ont été réalisés en une décennie, depuis de petites places publiques jusqu'à de grandes opérations de restructuration comme la réhabilitation du front de mer.

Selon Eduard Bru, Barcelone serait passée d'un modèle de l'oasis, « stratégie d'intervention minime conjuguée au renoncement explicite à la grande échelle » à un modèle de métastase bienfaisante , c'est-à-dire à une somme de petits projets qui servent de catalyseurs pour accroître la qualité globale de la ville. Enfin, il insiste sur le fait que Barcelone a intégré le rôle de belvédère qu'elle devait jouer tant son environnement la conditionne. Ainsi, la ville a lancé des grandes opérations de reconquête des bords de mer et de valorisation des espaces naturels autour de la politique du « vert comme du plein ». Le traitement des espaces verts fait partie des chantiers prévus pour les années 2010 et ils sont abordés de la même façon que lors d'un projet de logement, ou d'aménagement du bâti et non comme un outil d'amélioration des projets comme c'est bien souvent le cas.

Selon Ariella Masboungi 315 ( * ) , Barcelone a vécu sa forte contrainte géographique comme « un explosif de l'action, un réservoir d'énergie, de créativité, de possibilités ». Le choix de travailler sur les espaces publics résulte à la fois d'une véritable nécessité financière (investissements localisés avec effets directs) et d'une façon de voir la ville profondément européenne. L'espace public permet de stimuler le renouveau sur la vie d'un quartier et sur les images qu'il véhicule. D'autre part, la régénération d'une place a suscité spontanément une régénération des commerces et du bâti alentour.

Enfin, le travail sur les espaces publics tel qu'il a été déployé à Barcelone a enclenché un mouvement partout en Europe de réflexions autour des axes et des infrastructures comme boulevards urbains : le projet de Moll de la Fusta , promenade semi-enterrée le long du littoral venue remplacer une nationale et la Ronda , projet d'aménagement du périphérique où il n'est plus conçu comme une frontière mais comme un lieu à part entière, comme un paysage en sont deux exemples frappants.

Les espaces publics agissent comme des liants du territoire, comme des déclencheurs d'initiatives privées et publiques, comme des générateurs d'identité et des facilitateurs d'appropriation.

Manifestation contre la réhabilitation du Miniestadi

Le rôle de la concertation publique

Perçue très souvent comme le talon d'Achille des grands projets urbains, la concertation publique joue pourtant un rôle déterminant dans le succès d'un projet. Elle est le facteur qui permet son acceptation sociale. La mobilisation des habitants autour des projets permet d'abord une appropriation des lieux, les faisant vivre, et ensuite une intégration au tissu urbain existant car ce sont les habitants qui les premiers, lient le nouveau projet à leurs anciennes habitudes de quartier. Enfin, ils sont les garants de la « durabilité » de l'aménagement. À Barcelone, les associations d'habitants et de citoyens sont structurées et actives. Sur le net, des blogs sont créés en fonction des nouveaux projets urbains et récoltent de nombreuses contributions.

Dans le cas du projet 22@ qui vise la réhabilitation d'un ancien quartier industriel : Poblenou en zone mixte et consacrée notamment au développement économique, la mobilisation des habitants a été très forte, principalement autour de la question du relogement des populations modestes, du maintien d'activités artisanales, de la réalisation d'équipements sociaux et de la préservation de la mémoire industrielle. En 2002, la ville a signé un pacte avec la principale association d'habitants qui lui a permis d'obtenir un certain nombre de garanties : un plan d'équipement et la construction de logements « protégés » et à loyers modérés. Avec la réhabilitation des vieux quartiers de la ville ( Ciutat vella ), la question de la gentrification de la ville se pose de façon de plus en plus prégnante 316 ( * ) . Ce processus consiste à reléguer les populations les plus pauvres vers d'autres quartiers toujours plus loin du centre, au fur et à mesure que leurs quartiers d'origine voient s'installer de nouveaux habitants avec des revenus plus élevés, faisant ainsi augmenter les prix du foncier.

Le Projet Forum-Besòs à l'est de la ville, a essuyé de nombreuses critiques notamment à cause de son approche néolibérale (hôtels de luxe, opération de standing sur Diagonal Mar ). Accusé d'avoir été vendu au secteur privé et à ses sponsors et de générer des effets ségrégatifs, le projet s'est mis en place de façon tardive, obligeant les équipes municipales à expérimenter de nouvelles méthodes de concertation et de participation. À Barcelone, la concertation fait désormais partie des pratiques inhérentes à chaque projet, tant les habitants ont un fort pouvoir de blocage. La transparence des processus de décision et d'identification apparaît comme essentiel pour qu'un projet puisse être accepté dans le temps par ses habitants.

Les années 2000 se caractérisent par un retour du pouvoir entre les mains des villes en ce qu'elles représentent un nouvel échelon d'action publique. Loin d'un urbanisme méthodique et quasiment scientifique, le projet permet de tabler sur un mode « délibératif » 317 ( * ) , les choix étant faits en fonction de la qualité du processus qui les a précédés. Le but n'est pas d'atteindre une vérité 318 ( * ) mais de faire en sorte que la décision héritée d'un consensus entre les acteurs, permette de construire des intérêts communs. Les élites, les groupes et les acteurs sociaux peuvent d'eux-mêmes désormais, participer au développement local en misant sur des projets, locaux, nationaux ou internationaux. La ville est devenue actrice et productrice de stratégies, de normes, de choix. Autour de deux volets : le premier prospectif et identitaire, et le second plus opérationnel 319 ( * ) , la ville développe un plan stratégique de développement. Les Jeux Olympiques de 1992 et le Forum Universel des Cultures de 2004 incarnent ce changement et cette reprise en main. Le volet identitaire et prospectif permet à la ville de se doter d'un caractère particulier de ville solidaire, innovante, agréable et moderne. Le projet permet aussi de donner la légitimation suffisante aux élites locales pour développer leur politique de transport et d'investissements publics conséquents.

Le défi de la coopération métropolitaine

Quel modèle de coopération territoriale ?

Barcelone n'a pas fini de se recomposer et de se réinventer. Aujourd'hui, elle est face à plusieurs défis : s'instaurer comme une ville-monde, une ville européenne, une ville-capitale, une ville attractive pour les millions de touristes qui la traversent et qui constituent une base importante de son économie, une ville plaisante pour ses habitants. Mais s'il est un défi auquel Barcelone doit s'atteler rapidement, c'est celui de la métropolisation.

Dès la fin de la dictature franquiste, en 1975, la culture citadine s'est renforcée autour des élites bourgeoises de la ville ainsi qu'autour des leaders sociaux. Les associations d'habitants ont fait d'emblée partie du paysage car elles constituaient l'une des bases de l'opposition à Franco. Autour de ce jeu d'acteur à plusieurs têtes, la « Corporation Métropolitaine de Barcelone » s'est mise en place autour de l'idée d'une nécessaire coopération. Mais elle a été dissoute au début des années 90. Aujourd'hui, le gouvernement catalan se demande dans quelle mesure elle pourrait être recréée et surtout quelles seraient ses conséquences.

Les villes aux alentours de Barcelone tout comme la ville-centre font état d'un besoin de coopération ; toutefois, leurs dissensions politiques empêchent une véritable démarche de fusion ou de réflexion d'une gouvernance partagée au sens d'une métropole. Il semblerait plutôt que les acteurs s'achemineraient vers un système de coopération autour des projets reliés par des infrastructures dont tout le monde a besoin. La base de la coopération reposerait sur l'idée pragmatique de la valeur ajoutée pour chacun d'entre eux à profiter des infrastructures mises en place par tous. À partir de là, naîtrait un sentiment d'appartenance, une prise de conscience d'un destin commun.

La métropole barcelonaise prendrait dès lors la forme d'un réseau très maillé autour de centres urbains identifiés et desservant des grosses infrastructures comme l'aéroport, le port, etc. nécessaires pour parvenir au rang de métropole mondiale.

Ainsi, la coopération à l'échelle métropolitaine barcelonaise résulte à la fois d'une prise de conscience de changement d'échelle mais surtout d'un pragmatisme caractéristique. Le maire de Barcelone, Jordi Hereu, invite les communes alentours à la réflexion. « Je ne crains pas la compétition avec les villes voisines, au contraire : leur prospérité est la nôtre ».

L'ANC : politique des « nouvelles centralités »

En 1985, Joan Busquets met sur pied la théorie des nouvelles centralités sur laquelle reposera la Coopération métropolitaine qu'il décrit comme «  un moyen de lutter contre le processus de tertiarisation qui menaçait l'Eixample 320 ( * ) lors du redressement économique des années 80, et de renforcer la nouvelle identité des faubourgs et villages historiques, récemment reconnus par la création des districts. Initialement conçues comme des zones stratégiques, ces nouvelles centralités avaient la vertu de créer des noyaux durs au-delà des quartiers classiques (Ciutat Vella, Eixample, Gràcia, etc.) conférant une nouvelle forme à la ville, loin de la vision historiciste du changement lié à des évènements exogènes (Exposition Universelle, etc.)

La politique des nouvelles centralités relève d'un processus incrémental, par tâtonnements. Elle a renforcé le centre (Eixample-Diagonal, Cituat-Vella), amélioré les zones ferroviaires (Renfe-Meridiana) et industrielle (Diagonal Mar), structuré les pôles intermodaux (Glòries, P. Cerdà) et organisé les secteurs de futures connexions ferroviaires (Tarragona, Sagrera). Aujourd'hui, cette politique est toujours appliquée parce qu'elle correspond à une logique de dynamisation du centre et de revalorisation de la périphérie et parce qu'elle contribue à rééquilibrer la ville vers l'est mais surtout elle est une méthode souple, adaptable et flexible en fonction des effets de contexte, notamment financiers.

Cependant, cette politique soulève une contradiction sous-tendue dans le profil urbain de Barcelone depuis les années 80 : comment articuler morphologie locale et morphologie stratégique globale ?

Le cas de 22@: un modèle de projet innovant ?

La création du projet 22@ est sûrement l'un des projets les plus importants de la ville. Le coeur du projet s'attache à transformer une zone de faible densité caractérisée par une activité industrielle dans le déclin, en une zone compacte avec diverses activités (centres de recherche, de formation, de transfert de technologies, mais aussi de commerces, de logements, de parcs et d'espaces publics).

Il s'inscrit dans la volonté de la Ville de Barcelone de réorienter ses actions de revalorisation urbaine vers l'est, seule partie qui puisse encore accueillir des opérations de logement et de développement de bureaux. Dans les années 1990, les débats se sont cristallisés sur la préservation ou non de sa vocation industrielle. Aujourd'hui, on parle plus aisément d'un passage de la « ville de l'industrie » à la « ville de la connaissance », favorisant ainsi une alternative à la ville touristique.

Ce projet est résolument innovant dans sa manière de s'inscrire dans le territoire et par les outils qu'il a nécessités. Il repose sur une interprétation flexible du Plan Général Métropolitain de 1976 en vigueur. Il permet également un développement progressif adapté à chaque situation 321 ( * ) .

Toutefois, le projet 22@ remet en cause le principe de polycentrisme de l'aire métropolitaine de Barcelone car d'une part, il « tend à favoriser le desserrement des entreprises mais sans accroître significativement l'implantation de nouvelles entreprises » 322 ( * ) ; et d'autre part, il entre en concurrence avec les villes aux alentours de la capitale catalane et participe de la concentration des activités dans la ville de Barcelone.

Vers quels nouveaux modèles ?

Au cours des années 1997-1998, est apparu le projet Barcelona Metàpolis après une dizaine d'années d'expérimentation de la politique de centralités, qui a permis de passer d'un modèle de ville radioconcentrique à une ville composée de polarités plus ou moins subalternes, et plus ou moins imbriquées. Les ramifications et les infrastructures reliant ces différents centres ont elles aussi été repensées pour tirer la ville vers le modèle du réseau. Dans cette perspective, les lieux de centralité sont considérés comme des noeuds entre lesquels s'établissent des connexions : ils sont des attracteurs. La ville est ainsi devenue plus complexe dans une approche multi relationnelle où les efforts doivent être portés sur les « joints », sur les échangeurs urbains.

Le projet Barcelona Metàpolis fait état d'un besoin de métropolisation des enjeux de la capitale catalane. Autour de groupes de recherches et après avoir mené une consultation internationale avec vingt équipes, quatre scenarii sont envisageables :

- amélioration du treillis entre urbanisation et géographie.

- aménagement de poches de développement le long de doigts qui seraient des couloirs écologiques, ou des corridors liés aux rivières ; les grands doigts étant les territoires fertiles et les petits doigts étant les poches de développement.

- modèle des doigts (montagnes) et entre-doigts (plaine). Ce modèle reprend l'idée de bandeaux, le premier étant la Barcelone littorale avec l'aménagement de tout le front de mer, le second, le système de villes intérieures qui concentrent les activités tertiaires, et enfin le troisième au bas des montagnes, correspond à la plaine qui se développerait autour des activités logistiques.

- le développement par sites et projets. Né de la volonté de créer ex nihilo des équipements et/ou infrastructures dans un site stratégique et identifié préalablement au milieu d'un noeud de connexions.

Le Travail mené par Barcelona Metàpolis résulte d'une volonté de lier géographie et modèle urbain. Les quatre scenarii, loin de fonder des paradigmes, permettent de réfléchir à la globalité du projet, à son opportunité stratégique et de générer des énergies créatrices.

Toutefois, il n'aborde pas la question très épineuse et polémique de l'éventuelle gouvernance à mettre en place dans le cas d'une réelle métropolisation des enjeux.

Pour conclure, la ville de Barcelone fait bien figure d'exception tant elle peut faire preuve de dynamisme autour d'acteurs très différents mais tous engagés. A la différence d'autres villes, elle a troqué la muséification contre un modèle toujours lié à une culture de l'architecture partagée.

Pourtant, si ces ré-inventions successives assurent la vitalité du laboratoire urbain de Barcelone, elles poussent à se demander quelle pérennité ce modèle pragmatique atteindra. Alors que la municipalité a placé la culture de la ville et la région au centre de ses valeurs, les quartiers les plus en pointe de la ville comme le Forum et Diagonal-Mar sont des projets semblables à ceux de toutes les autres grandes villes mondiales.

Barcelone, au prix de l'innovation et de l'attractivité, n'est-elle pas en train de perdre une partie de ce qui fait justement son attrait ? D'autre part, la médiatisation exacerbée des pontes de l'architecture venus travailler dans cette ville au mépris d'un traitement sur le long terme du problème capital du logement, pose de vraies questions sur le futur aménagement de la ville. Il ne faudrait pas que le subtil équilibre trouvé entre l'oasis et le belvédère ne disparaisse au profit d'une politique de gestes architecturaux, il ne faudrait pas que la métastase dégénère !

Pauline Malet

Bibliographie

Ouvrages

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- JALABERT, Guy, Portraits de grandes villes : société-pouvoirs-territoires , Toulouse : P.U. du Mirail, 2001.

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- PINSON, Gilles, Gouverner la ville par projet. Urbanisme et gouvernance des villes européennes , Presses de Sciences-Po, Paris, 2009, 223p.

- SASSEN, Saskia, La globalisation, une sociologie , Gallimard, 2009, traduction française de A Sociology of Globalization , W.W. Norton and Company, New York, 2007, p108.

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- TALAU, Jean-Marc, Perspective régionale du droit de l'urbanisme en Espagne : introductionau droit de l'urbanisme en Catalogne ,

Articles

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- NEGRIER, E. et THOMAS M., « Temps, pouvoir, espace : la métropolisation de Barcelone », in Revue française d'administration publique , 2003-3, n°107, p.357-368.

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- Centre de ressources et de réflexion sur Barcelone : www.aulabarcelona.org

- Plan stratégique métropolitain de Barcelone : www.bcn2000.es

- Site internet relatif à l'urbanisme à Barcelone : www.bcn.es/urbanisme/


* 300 David Mangin

* 301 Jordi Borjà, adjoint à l'urbanisme de l'après-dictature.

* 302 Patrick Le Galès, Le retour des villes européennes, sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement et gouvernance , Paris, Presses de Sciences Po, 2003.

* 303 Les critères et les objectifs, explicites ou implicites, de son projet pour Barcelone sont empreints d'humanisme, et l'égalité, la liberté (dans la sphère du privé) et la cohésion sociale sont les fondements essentiels de sa démarche. L'objectif poursuivi est, en synthèse, une ville « égalitaire » (intégralement égalitaire) associant les valeurs urbaines aux avantages de la vie rurale. La trame des rues est organisée en réseau orthogonal et homogène, instrument délibéré d'une ville égalitaire et fonctionnelle.

* 304 FELIU (Jaume), « Vers un nouveau polycentrisme régional en Catalogne ? Les effets de la desserte du TGV sud-ouest européen », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest , n°28, 2009, Presses universitaires du Mirail, p.5-16.

* 305 ROWE (Peter G.), Building Barcelona . A Second Renaixença , Barcelona Regional et Actar, 2006

* 306 Albert Broggi, directeur d' Aula Barcelone, centre de ressources et de réflexion sur Barcelone, http://www.aulabarcelona.org/

* 307 Selon Le Robert , le palimpseste est un parchemin manuscrit dont on a effacé la première écriture pour pouvoir écrire le nouveau texte.

* 308 Barcelone, fais-toi belle ! (Slogan utilisé lors des Jeux Olympiques)

* 309 R. Tello i Robera, « Barcelona post-olímpica : de Ciudad industrial a escenario de consumo », Estudios geogràficos, tome LIV, n°212, Juil.-sept 1993.

* 310 G. Jalabert, Portraits de grandes villes, société, pouvoirs, territoires , Villes et territoires, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 2001.

* 311 Directeur de la Société catalane de géographie.

* 312 Plus que jamais en catalan

* 313 Théorie de Eduard Bru, ancien directeur de l'école d'architecture de Barcelone.

* 314 Manuel de Solà-Morales, Grand Prix de l'urbanisme français en 2000.

* 315 Architecte-urbaniste en chef de l'Etat, chargée de la mission « projets urbains », à la Direction générale de l'Aménagement, du Logement et de la Nature.

* 316 La Ville à trois vitesses , Jacques Donzelot

* 317 Gilles Pinson, Gouverner la ville par projet, Urbanisme et gouvernance des villes européennes , Presses de Sciences Po, Paris, 2009, p. 223.

* 318 J. Elster, « Introduction », dans Deliberative democracy du même auteur, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p.9.

* 319 G. Pinson, Gouverner la ville par projet , op. cit.

* 320 Un des districts de Barcelone

* 321 LE PROJET 22@Barcelone., La transformation urbaine des zones industrielles de Poblenou. Publié par la Municipalité de Barcelone, www.bcn.es

* 322 « Du plan à la ville : réflexions sur la conduite de grands projets en Europe », Paul Lecroart, Cahiers de l'IAURIF n°146 « La réalisation des projets : approches, méthodes et outils », p. 110.

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