CONTRIBUTIONS

1. Contribution de PIERRE CONROUX, Président du conseil de gestion de l'Institut d'Urbanisme de Paris

PREALABLE

Désormais le fait urbain, la ville, occupe toute notre attention. Sa situation dans le contexte international, nous conduit à en démultiplier les échelles : la ville devient métropole, selon que nous l'envisageons dans la continuité des urbanisations ou dans la notion de pôles.

Imaginer, comprendre, anticiper ce que peuvent être les villes du futur, c'est se situer dans des échelles mais aussi dans des durées différentes. Il y a la ville de demain qui sous-entend un futur proche, une extension du présent, et la ville du futur, qui de façon un peu plus abstraite, extrapole la pensée de la ville vers un futur plus lointain, dont la ville actuelle pourrait n'en devenir éventuellement que les traces ou le substrat, à moins d'en être le ferment durable.

Reflet des cultures et des économies, les problématiques urbaines sont multiples et ne peuvent se résoudre en équations. Fruit des sciences humaines et non des sciences exactes, la ville peut s'analyser à l'infini dans la variation des pratiques humaines et des géographies. Il convient par conséquent de parler effectivement des villes du futur et non de la ville du futur.

Il n'en reste pas moins, et nous pouvons en convenir, que les humains ont des besoins et des évolutions communes qui se rejoignent de plus en plus avec les effets de la mondialisation. Le fait urbain a par conséquent des caractères et des organisations comparables qui peuvent dans des considérations morphologiques se mesurer et dans une certaine mesure se modéliser.

Par ailleurs, ce ne sont pas la technologie ou la démographie qui par leur développement définissent la ville. Elles y contribuent fortement mais l'organisation et le paysage des villes d'aujourd'hui et sans doute du futur, dépendent plus en fait des rapports de l'homme à son environnement culturel, économique et social.

Ce n'est donc pas un hasard si l'humanité sur la problématique urbaine met l'accent sur trois axes qui seront sans doute fondamentaux pour construire les villes du futur :

- l'amélioration de l'environnement urbain ;

- les relations mondiales entre mégalopoles ;

- la position centrale de l'homme dans la ville.

Je ne vais faire part ci-après que de réflexions à caractère thématique portant sur le premier point, réflexions qui émanent de 30 années de pratique en tant qu'architecte-urbaniste chargé d'élaborer et de réaliser des projets stratégiques et des projets urbains au sein d'une collectivité locale, et qui, je l'espère, pourront représenter une utile contribution.

Pour être court et exprimer l'essentiel de mes convictions, nous conviendrons que je ne peux et ne vais pas les développer et les argumenter par l'exposé d'analyses approfondies qui en justifieraient mieux le propos ou la force. Je suis bien sûr disposé à le faire, le cas échéant.

Solidarité urbaine

D'une façon générale, je reste attaché à la nécessité d'une ville « sociale », c'est-à-dire qui recherche la solidarité des territoires pour le bien collectif et individuel des populations et pour favoriser ainsi le développement d'une économie solidaire et équitable.

Cela passe par la mise en place de processus stables et durables de solidarité entre différents échelons (national - régional - intercommunal). Par exemple, la politique de la ville en France ne peut être efficace en changeant de processus visant le court terme et en dégageant réellement aussi peu de moyens. En effet, les structures urbaines évoluent lentement, qui plus est de façon coûteuse quand on réinvestit l'existant. Il y a un décalage certain entre cette durée à mieux mesurer et la durée des processus de la politique de la ville, et un décalage évident entre les moyens financiers annoncés et ceux consommés sur ces mêmes durées.

La politique des quartiers devrait dépendre aujourd'hui de celle de territoires significatifs (agglomération, région) avec des priorités inscrites non pas seulement au niveau communal ou intercommunal mais au niveau des enjeux d'un territoire plus vaste, dans une logique globale régionale précisant les territoires et les actions de développement solidaire.

Cet objectif de ville sociale passe aussi par l'exigence de la mixité sociale, soit en France, l'objectif de combattre l'exclusion, la relégation urbaine et le communautarisme. Ce principe est favorable à la mixité non seulement des populations mais également des fonctions et doit être maintenu. Il implique une juste répartition des moyens. Il ne s'agit pas de rechercher une utopique égalité des territoires, mais de favoriser l'équité des politiques urbaines pour « faire société » et pour « faire nation ».

Les conséquences sinon sont connues : la désertification de territoires et le repli sur soi (les gates-communauties).

Il est, sur ce point, dommageable à terme que les services publics, qui sont garants de ces valeurs et de leur représentation, s'affaiblissent. Le service au public ne peut être confondu avec le service public. L'un est une démarche marchande, l'autre est une valeur sociétale.

Gouvernance

Les villes du futur appellent à reposer la question fondamentale de la gestion du développement, donc des compétences et des niveaux de décision. L'organisation urbaine pour être améliorée suggère aujourd'hui que soit réglée la question de la gouvernance.

Pour ce faire, les compétences des différents niveaux institutionnels sont examinées en France, dans l'objectif d'une plus grande cohérence et par voie de conséquence d'une plus grande efficacité.

Je veux souligner qu'il importe de régler dans une approche globale la question de la gouvernance urbaine avant par exemple de décider des nouveaux pouvoirs aux agglomérations. Autrement dit, il faut répondre d'abord à la question des solidarités urbaines plutôt qu'à la question des niveaux de décisions. Du même coup ce serait un moyen puissant de lutter contre l'étalement urbain. Sinon, comment faire accepter par des élus, de ne pas construire dans certains secteurs et de mieux accepter de refaire la ville sur la ville.

Les évolutions envisagées du code de l'urbanisme n'y suffiront pas car ce n'est pas une question de règlements.

Intervention des architectes et des urbanistes

C'est un vrai problème en France. L'intervention des architectes et des urbanistes contrairement à beaucoup de pays européens, n'est pas systématique dans l'acte de construire et dans l'acte d'aménager. Je pense en particulier au secteur des constructions de moins de 170 m² HON qui échappe toujours aux interventions d'un architecte, secteur en particulier de la construction des pavillons qui représente 50% de la construction en France et qui a encore de beaux jours à venir. Je pense également aux travaux d'aménagement décidés au niveau des collectivités locales (70% des commandes en France) où la présence d'urbanistes et d'architectes, tant quantitativement que qualificativement, est indigente.

C'est invraisemblable et nous voyons le résultat au niveau du paysage architectural et urbain français qui est globalement médiocre. Je n'en voudrais pour preuve que les entrées de ville, bien que le problème ne se résume pas à cette seule situation.

Enfin sur le même thème, il faut souligner le fossé encore trop existant entre la formation des architectes et celle des urbanistes. La mise en cohérence des moyens et des savoirs entre les écoles d'architecture et les écoles d'urbanisme, au travers des PRES (Programme de Recherche et d'Enseignement Supérieur) est une démarche notamment à favoriser.

Urbanisme réglementaire

C'est encore une qualité et un mal français. Une qualité en ce sens que nous avons su élaborer des documents d'urbanisme offrant une boîte à outil relativement complète et maitrisant la complexité de l'urbanisme. Un mal en ce sens que le législateur semble dépasser les limites de l'exercice. De complexes, ces outils sont devenus compliqués, l'instabilité juridique et le manque de lisibilité créant d'importantes contraintes. Les villes du futur ne doivent pas être autant « juricidées » pour ne pas dire « juridécidées » en tirant encore plus le néologisme.

Il ne s'agit pas non plus de déréglementer excessivement comme le voudraient certains, mais de revenir à des dispositions fondamentales, tout en renforçant parallèlement l'intervention des architectes et des urbanistes comme indiqué ci-avant, y compris dans le domaine de l'élaboration des documents d'urbanisme.

Pôles d'échanges

En France et à l'étranger se mettent en place des structures d'échanges et de concertation associant différents acteurs impliqués dans les diverses dimensions du fonctionnement et du développement urbain. Cette démarche permet de « faire société », d'aborder et de partager la culture d'un territoire, de développer des partenariats actifs, d'affirmer des objectifs stratégiques, d'aider à leur développement et de donner du sens aux propres engagements de chacun. Cette démarche en réseaux existe par exemple dans le département du Val de Marne au travers du CODEV (Conseil de développement du Val de Marne) qui associe notamment des représentants du monde économique (entreprises) du monde institutionnel (collectivités locales, organismes d'Etat) du monde de la recherche et de la formation (universités, écoles diverses...). Je souligne l'intérêt et l'efficacité d'une telle démarche à laquelle je participe depuis plus de 10 ans.

Quelques évidences

Tous les documents d'urbanisme de planification et d'orientation stratégique, toutes les conventions partenariales de développement urbain, toutes les commandes de travaux, devraient intégrer un chapitre explicite sur les exigences en matière de qualité urbaine, d'écologie et d'architecture qui soient vérifiées en amont au regard de l'impact social, économique, environnemental des territoires concernés.

Pour mieux comprendre les améliorations souhaitables pour l'environnement urbain, il y aurait lieu de réaliser un audit sur les villes actuelles pour mettre en évidence :

- ce qui plaît et ce qui déplaît

- ce qui est une erreur (à ne plus faire) et ce qui va bien,

- les insuffisances dans l'efficacité et dans la maîtrise de la qualité et aussi dans les processus de décision et dans les processus d'exécution,

- ce qui est maîtrisable et ce qui ne l'est pas.

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