2. Une organisation encore étroitement hiérarchisée et réglementée

Au fur et à mesure de ses auditions, de ses déplacements et de l'analyse des systèmes étrangers, la mission a acquis la conviction que le ministère de l'Éducation nationale, par-delà les discours de réforme récurrents d'année en année, souffrait encore d'être une administration construite pour assurer un service uniforme dans le respect d'une réglementation très extensive et détaillée. Le culte de la circulaire y perdure , si l'on en juge par les 66 textes adoptés par le ministère sur la seule année 2010 qui couvrent, au même niveau d'intervention, la préparation de la rentrée, la 22 e journée de la presse et des médias, la mise en place de Ciné-lycée, l'enseignement de la natation dans le premier et le second degré, le programme « Collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite » (CLAIR), l'extension de la « Mallette des parents » ou encore la mise en oeuvre du droit individuel à la formation. 19 ( * ) De même, les programmes restent beaucoup plus détaillés et leur élaboration plus centralisée que dans d'autres pays comme les Pays-Bas.

La gestion des personnels est gouvernée par le même principe, ainsi que le note Mme Josette Théophile, directrice générale des ressources humaines des ministères de l'Éducation nationale et de l'enseignement supérieur : « le recrutement et la gestion des affectations des enseignants dans le système éducatif sont extrêmement standardisés, en cohérence avec le principe de traitement identique de tous les élèves et l'objectif de délivrer les mêmes programmes partout. La centralisation excessive des ressources humaines transparaît d'ailleurs davantage depuis que 100 % d'une classe d'âge est accueilli à l'école. » 20 ( * )

Cette logique de réglementation, répondant à la tradition centralisatrice de notre pays, est peu propice au développement d'une culture de l'initiative au sein des établissements. De plus, elle tend à transformer l'évaluation en contrôle et à privilégier ainsi le respect formel des textes sur une régulation des pratiques en fonction des besoins et des progressions des élèves. Malgré la déconcentration et la naissance d'une nouvelle sensibilité au contexte local et à l'évaluation, que la mission salue, cette culture imprègne encore trop les structures et les habitudes des acteurs du système éducatif.

Les expérimentations pilotées par le ministère se présentent dès lors comme l'envers d'un système pyramidal, très hiérarchisé et sans acteurs véritablement autonomes . Sur la méthode expérimentale, Mme Agnès Van Zanten, sociologue de l'éducation et directrice de recherche au CNRS, remarque qu' « au cours des dernières années, nous avons assisté au développement de cette manière de procéder, qui est a priori assez étrangère au modèle français et qui est incontestablement plus répandue dans d'autres pays. Or, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une configuration de travail optimale, car les expérimentations mises en oeuvre sur le terrain le sont très rarement à l'initiative de la base. Elles résultent en effet davantage d'une impulsion venue d'en haut et se conduisent très rarement en association avec les chercheurs spécialistes. » 21 ( * )

En outre, les expérimentations ne font pas toujours l'objet d'une concertation suffisante, notamment avec les collectivités territoriales comme le relève M. Matthieu Hanotin, au nom de l'Assemblée des départements de France (ADF) : « les expérimentations de l'Éducation nationale sont menées de manière verticale. Ainsi, nous avons appris par la presse que le programme CLAIR serait mis en oeuvre en Seine-Saint-Denis, et, par un discours présidentiel prononcé en préfecture, que seraient créés des Établissements de réinsertion scolaire (ERS). Cette démarche n'est pas la plus judicieuse. » 22 ( * ) Les internats d'excellence, de même, ont été mis en oeuvre dans le cadre du Grand Emprunt, alors même que la compétence des régions est directement concernée.

Sur le plan de la méthode, votre mission s'interroge donc sur la multiplication des expérimentations lancées par le ministère, d'autant plus que leurs objectifs paraissent parfois flous . Elles s'apparentent parfois à une préréforme dont la généralisation est déjà actée quels que soient les résultats, le caractère expérimental servant de justification paradoxale aux choix antérieurs. C'est sans doute le cas de la réforme du lycée professionnel. Dans d'autres cas, comme « Cours le matin - Sport l'après-midi », les expérimentations correspondent à des initiatives très ciblées, coûteuses et dont on sait dès le début qu'elles ne sont pas généralisables. Dans les deux cas, quel que soit l'intérêt intrinsèque et le contenu des dispositifs, l'expérimentation affichée ou réelle pourrait braquer les acteurs de terrain auxquels elle est imposée et les rendre réfractaires à toute évolution.

Galvaudée et dispersée ainsi, l'expérimentation risque de ne plus apparaître comme un mode de transformation souple et fécond, ce qu'elle devait être théoriquement, mais plutôt comme un moyen de perpétuer une certain emprise de l'administration centrale. Plutôt que d'impulser des grands projets ministériels imposés d'en haut et contraires même au discours d'autonomie, il convient plutôt de s'appuyer sur les nombreuses initiatives nées aux échelons locaux, dans les établissements et dans les collectivités, pour les évaluer et en tirer des conséquences utiles pour l'ensemble du système éducatif . Concertation et évaluation sont les deux mamelles qui doivent nourrir toute rénovation cohérente et efficace du système éducatif.


* 19 Annexe : Tableau des circulaires du ministère de l'Éducation nationale publiées en 2010.

* 20 Audition du 18 janvier 2011.

* 21 Audition du 1 er février 2011.

* 22 Table ronde du 5 avril 2011 avec les représentants des élus locaux.

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