Contribution du groupe communiste, républicain, citoyen
et des sénateurs du parti de gauche

Par Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice des Hauts-de-Seine

L'éducation est profondément et avant tout une question politique et l'institution qui l'organise fondatrice du projet de société dans laquelle nous voulons vivre.

Les enseignants, les parents d'élèves, les citoyens dans leur grande majorité s'interrogent aujourd'hui sur les raisons profondes de la course à l'abîme qui semble avoir saisi notre système éducatif, incapable de faire face aux problèmes que pose l'évolution des jeunes et de notre société : difficultés d'appropriation des savoirs scolaires, refus d'apprendre, perte de repères, banalisation des incivilités, actes de violence...

Pourquoi, avec le nombre et la diversité des réformes entreprises, n'arrive-t-on pas à éradiquer l'échec scolaire ? Comment donner du sens à l'apprentissage des savoirs scolaires pour les élèves ?

Le rapport de cette mission commune d'information prend acte de la situation dans laquelle la politique du gouvernement a précipité notre système éducatif. Il souligne des réalités indéniables. La multiplication des réformes tous azimuts et la généralisation d'expérimentations sans aucune concertation ni évaluation, comme par exemple le label CLAIR devenu ECLAIR, ont profondément déstabilisé et fragilisé la communauté éducative.

Si le diagnostic est à maints égards lucide, les remèdes avancés pourraient conduire à une nouvelle dégradation de la situation. En ce sens qu'ils sous-estiment le véritable enjeu : celui de la démocratisation.

Je ne partage pas l'idée avancée dans le rapport selon laquelle « l'Éducation nationale a globalement réussi sa mission de démocratisation ». Non, ce qui s'est opéré, et c'est très bien, c'est la massification, sinon, on ne parlerait pas ici des 160 000 sorties sans qualification et du creusement des inégalités.

Le chercheur Jean-Yves Rochex ne dit pas autre chose lorsqu'il explique qu'il y a bien eu une démocratisation, mais « quantitative », démocratisation qui ne s'est pas accompagnée d'une diminution des inégalités sociales, elles se sont justes décalées dans le temps.

Le défi est donc de relancer la démocratisation de notre système scolaire, pour qu'elle aboutisse.

L'ampleur de la crise, des difficultés sociales, économiques, écologiques qui en découlent, appellent un autre mode de développement humain.

Dans cette perspective, la maîtrise des savoirs et l'émancipation culturelle des individus deviennent des enjeux décisifs pour la démocratie, pour lesquelles l'école et la communauté éducative ont un rôle déterminant à jouer.

Il s'agit, en effet, de refonder les capacités des hommes et des femmes à maîtriser collectivement les évolutions de la société et de leur propre vie. Pour cela, il faut commencer par le commencement : c'est-à-dire par la culture scolaire. Autrement dit, la part de la culture dont la société confie à l'école la responsabilité de sa transmission aux jeunes générations.

Comment penser que les propositions avancées majoritairement par la mission commune 99 ( * ) pourront y répondre quant elles recommandent de poursuivre la fuite en avant dans les restrictions budgétaires et la RGPP et instaurent une organisation nationale de l'école du socle commun quand il faudrait une organisation nationale d'un système éducatif public rénové.

Le concept de socle commun de connaissances et de compétences, issu de la loi Fillon de 2005 sur l'École, est déployé au nom de l'équité. Or, ce concept dont se réclame le rapport a fait peu à peu disparaître celui d'égalité réelle. L'équité avec le socle commun est définie en termes de « minimum » à acquérir, créant de fait deux types d'élèves : ceux pour qui ce socle constituerait un horizon indépassable et ceux qui seraient naturellement destinés à la poursuite d'études au lycée et dans l'enseignement supérieur. Au sein de ce socle, les connaissances et compétences sont évaluées selon un mode binaire, acquis/non acquis, alimentant un livret de compétences, destiné à devenir un fichier informatisé, tout au long de la vie.

S'appuyant sur la réalité des investissements, au motif louable, des collectivités territoriales déjà conséquents et de partenariats locaux existants, le rapport veut présenter l'accroissement de l'autonomie des « établissements » et l'instauration d'une contractualisation, comme une évidence susceptible de réduire l'échec scolaire. Mais reste bien posée la question de l'égalité des droits, partout, dans tous les territoires et tout le temps.

Au menu donc du rapport : casse du recrutement national et instauration d'un recrutement des enseignants sur profil ; création des EPEP et de réseaux d'établissements afin d'inscrire dans le marbre l'autonomie des établissements alors même qu'aucun bilan n'en est tiré, selon le propre constat du rapport ! ; mise en place de contrats de stratégies éducatives régionaux ; nouvelle architecture budgétaire et gestion à l'euro courant destinées à répondre à la seule logique d'économies et de restrictions des moyens ; mutualisation des moyens entre public et privé pour l'offre de formation, au mépris de toutes les missions assurées gratuitement par le seul service public...

De fait, les propositions contenues dans le rapport sont conformes au projet de la majorité présidentielle pour l'École et s'inscrivent dans les préconisations de Lisbonne « d'une économie de la connaissance la plus compétitive ». Il s'agit notamment de tirer un trait sur l'idée d'une seule et même école pour tous et d'avancer vers l'école de l'employabilité.

La mission ne dit-elle pas faire sienne les propos du Recteur d'Amiens : « L'entreprise est l'avenir de l'École, mais l'école est le futur de l'entreprise ». Autrement dit, glisser d'une conception du plus haut niveau de connaissances pour tous à une conception d'employabilité.

Ce n'est pas ma conception de l'école. D'une part, parce que je reconnais à chaque enfant les capacités d'acquérir un haut niveau de qualifications dès lors que la Nation s'en fixe l'ambition et que l'État s'en donne les moyens. Et d'autre part, parce que démocratiser réellement l'école implique de comprendre les ressorts des difficultés scolaires. Il s'agit dès lors de concevoir, de construire un système public d'éducation ancré sur cet objectif de réussite de tous et toutes, quels que soient l'origine et le lieu de résidence.

Le traitement des difficultés et de l'échec scolaires ne peut se faire en dehors de l'école, et encore moins dispensé par des sociétés privées. Les difficultés scolaires ne sont pas prédéterminées. Elles prennent racines dans les inégalités sociales et se construisent aussi tout au long du cursus scolaire. C'est donc un système au service de la réduction des inégalités scolaires et de promotion des potentiels de chacun, dès les premières années, qu'il faut mettre en place, fait de capacités d'écoute et d'adaptation à l'enfant, de passerelles, d'accompagnement et de remédiation.

On voit l'importance des enseignants RASED qu'il faut impérativement maintenir et développer, celle des conseillers d'orientation psychologues et celle non moins déterminante de la formation pédagogique et disciplinaire, initiale et continue des enseignants afin de stimuler un retour réflexif sur leurs pratiques et des temps de réflexion pédagogique inclus dans leur service. Enseigner est un métier qui s'apprend !

Il est à ce titre très regrettable que la question de la formation des enseignants soit évacuée de ce rapport, au motif qu'elle ne fait pas partie du périmètre de la mission, alors qu'elle est pour moi une question centrale et cruciale. Et qu'elle doit demeurer fondée sur des concours et un recrutement nationaux, pour une reprise de sens, pour la place de l'école et des enseignants dans la société.

Tout ceci passe par une amélioration des conditions d'enseignement, tout d'abord en allongeant la scolarité, ouvrant un droit à scolarisation dès 2 ans et obligatoire de 3 à 18 ans, appuyée sur un programme unique jusqu'à la fin du collège, le maintien de filières véritables et ambitieuses comme outil supplémentaire à la démocratisation et non à la sélection des meilleurs, des diplômes nationaux. Alors que notre époque se caractérise par l'ampleur et l'accélération des innovations technologiques, l'essentiel des savoirs techniques, technologiques et professionnels ne font pas partie de la culture scolaire générale. Il reste confiné au cadre quasi exclusif des filières technologiques et professionnelles des lycées.

Une véritable démocratisation scolaire passe impérativement de surcroît par une redéfinition des programmes à partir du référent de l'enfant-élève qui n'a que l'école pour acquérir les savoirs.

De même, outre la nécessité de rétablir une véritable mixité sociale dans les établissements via le retour à la carte scolaire, l'éducation prioritaire ne doit pas devenir une « autre école ». Bien au contraire, il s'agit de mettre les moyens dans ces établissements pour y faire la même école qu'ailleurs.

L'École pour tous, dont celles et ceux qui n'ont que l'école pour apprendre, doit demeurer nationale, publique et laïque. Car à travers elle, c'est aussi l'ambition et la volonté d'une Nation d'éduquer tous les élèves, tous les jeunes, sans distinction d'origine, de lieux de vie, qui s'affirme, et non l'adaptabilité à des réalités territoriales, budgétaires et/ou économico-entrepreneuriales.


* 99 Les représentants du Groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche sont les seuls à s'être prononcés contre ce rapport.

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