ANNEXE I- LISTE DES ENTRETIENS DE LA DÉLÉGATION

Lundi 11 et mardi 12 avril 2011 - Barra da Tijuca

M. Nelson Azevedo Jobim , ministre de la défense.

Entretiens avec les représentants des sociétés françaises présentes au salon LAAD de l'armement, organisés par le Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) et le Groupement des industries françaises aéronautiques et navales (GIFAS).

Inauguration du salon LAAD , visite du pavillon France et des sociétés brésiliennes partenaires.

Mercredi 13 et jeudi 14 avril 2011 - Brasilia

M. José Sarney , président du Sénat.

M. Fernando Collor de Melo , président de la commission des relations extérieures et de la défense du Sénat.

M. Randolfo Rodrigues , sénateur.

M. Roberto Requião , sénateur.

M. Carlos Alberto Leréia , président de la commission des relations extérieures et de la défense du la Chambre des députés.

M. Sebastião Bala Rocha , député fédéral.

M. Carlos Zarattini , député fédéral.

Général José Elito Carvalho Siqueira , ministre, chef du cabinet de sécurité institutionnelle de la Présidence de la République.

M. Guilherme de Aguiar Patriota , conseiller diplomatique adjoint à la Présidence de la République.

M. Afonso Alvaro de Siqueira Carbonar , responsable des questions de défense, Secrétariat général du ministère des relations extérieures.

M. Paulo Jardim , sous-directeur Europe, ministère des relations extérieures.

ANNEXE II - AUDTION DE M. YVES SAINT-GEOURS, AMBASSADEUR DE FRANCE AU BRÉSIL

Réunie le mercredi 15 juin 2011 sous la présidence de M. Josselin de Rohan président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a auditionné M. Yves Saint-Geours, ambassadeur de France au Brésil.

M. Josselin de Rohan, président - Nous accueillons aujourd'hui M. Yves Saint-Geours, ambassadeur de France au Brésil, qui a bien voulu accepter de venir devant notre commission à l'occasion de son passage à Paris.

Une délégation de notre commission, composée de Jean Besson, Bernard Piras, Yves Pozzo di Borgo et moi-même, s'est rendue au Brésil du 11 au 14 avril dernier. Nous vous avons fait, le mois dernier, un compte-rendu de ce déplacement. Grâce au concours très précieux de l'ambassade - permettez-moi de vous en remercier de nouveau très vivement - nous avons pu rencontrer nos homologues brésiliens et de nombreux responsables politiques ou militaires dans les domaines des affaires étrangères et de la défense.

Notre mission intervenait quelques mois après la prise de fonction de Mme Dilma Rousseff, qui a succédé au Président Lula depuis le 1 er janvier.

Nous avons eu le sentiment que la nouvelle présidente avait très rapidement pris la mesure de ses fonctions, avec sans doute une préoccupation plus marquée pour les enjeux économiques, sur la scène intérieure bien sûr, avec des mesures destinées à contenir les tendances inflationnistes, mais aussi au plan international. Nous avons vu que Mme Rousseff donnait une forte priorité aux questions monétaires et commerciales dans ses premiers contacts internationaux, notamment avec les Etats-Unis et lors du sommet des BRICS.

L'idée que le Brésil sera l'une des puissances émergentes du 21 ème siècle est aujourd'hui largement partagée. Elle est fondée sur un certain nombre d'atouts : la démographie, les ressources naturelles, le développement rapide du marché intérieur, l'existence d'une base économique diversifiée.

Peut-être pourrez-vous nous dire, Monsieur l'Ambassadeur, comment vous évaluez cette montée en puissance du Brésil.

L'ambition du Président Lula était aussi de faire jouer à son pays un rôle beaucoup plus actif sur la scène internationale. La France soutient la candidature du Brésil à un siège permanent au Conseil de sécurité, mais nous voyons, sur le dossier de la Syrie, que nos vues respectives ne sont pas toujours identiques. Il faut donc s'intéresser au rôle de ce nouvel acteur et aux grandes priorités qu'il cherchera à poursuivre en matière de politique internationale. C'était l'un des volets de notre déplacement.

Je pense que vous évoquerez aussi le partenariat stratégique mis en place, depuis 2008, entre la France et le Brésil. Nous sommes particulièrement attentifs à la dimension « défense » de ce partenariat. Nous avons assisté au grand salon de l'armement LAAD à Rio, où étaient présents tous nos principaux industriels de défense mais également plusieurs PME, et nous avons constaté que d'importantes réformes avaient été engagées sous la présidence Lula pour doter le Brésil d'une défense plus moderne, tant dans son organisation que dans ses moyens et dans sa base industrielle nationale. Il est clair que la France peut beaucoup apporter au Brésil dans ce domaine. Mais le partenariat stratégique ne se limite pas à la défense, et vous pourrez sans doute évoquer les autres aspects de sa mise en oeuvre.

Avant de passer la parole à M. Saint-Geours, je voudrais vous rappeler que nous consacrerons notre réunion de mercredi prochain 22 juin à un échange de vues avec une délégation de parlementaires brésiliens - sénateurs et députés- à laquelle devrait participer M. Randolfe Rodrigues, sénateur de l'Amapà, Etat frontalier du département de la Guyane. La question des relations transfrontalières figurait d'ailleurs parmi les sujets que nous avons abordés avec nos homologues parlementaires à Brasilia. Il y a tout intérêt à nouer des relations directes entre parlementaires français de Guyane et parlementaires brésiliens de l'Amapà.

Notre audition d'aujourd'hui nous permettra donc de préparer cet échange avec nos collègues brésiliens.

M. Yves Saint-Geours, ambassadeur de France au Brésil - Monsieur le Président, c'est avec un grand plaisir que j'ai accueilli votre délégation au Brésil au mois d'avril dernier. Je vous remercie de m'avoir adressé le rapport que vous avez présenté à votre commission et qui montre que vous avez bien mesuré les enjeux pour ce pays placé dans une situation nouvelle de puissance émergente. Le Brésil a terminé l'année 2010 au 7 ème rang mondial en termes de PIB. C'est aussi le 5 ème pays du monde par sa population, le 5 ème également par sa superficie. Bien qu'émergente, cette puissance est donc réelle, tout en s'accompagnant de certains handicaps. Le Brésil n'est qu'au 75 ème rang mondial pour l'égalité des revenus (indice Gini), au 73 ème rang pour l'indice de développement humain et au 71 ème rang pour le niveau de revenu par tête ; ce n'est donc pas encore un pays prospère.

Chaque président brésilien a coutume d'associer une devise à son mandat. Le Président Lula avait mis l'accent sur l'intégration de tous les Brésiliens, en parlant d'un pays de tous et pour tous. Pour Dilma Rousseff, « un pays riche est un pays sans pauvreté ». Cette préoccupation essentielle montre qu'il reste du chemin à parcourir pour ce grand pays.

Je voudrais maintenant évoquer les trois éléments qui rythment la relation de la France avec le Brésil. L'un est structurel et les deux autres plus circonstanciels.

Le premier élément est bien entendu le partenariat stratégique qui avait été préparé par le Président Chirac en 2006 et concrétisé à la fin de l'année 2008 lors de la visite du Président Sarkozy au Brésil. Le partenariat stratégique n'est pas un accord, ni un traité. C'est une méthode, un dialogue sur tous les sujets et de nombreux projets, en vue de rehausser la relation bilatérale et de travailler ensemble à des propositions communes dans les enceintes multilatérales.

Au partenariat stratégique s'ajoute un premier facteur conjoncturel. Jusqu'à la fin de l'année 2011, le Brésil siège au Conseil de sécurité des Nations unies comme membre non permanent. C'est aussi le cas de l'Inde et de l'Afrique du Sud, si bien que tous les pays du BRICS se trouvent dans une position inédite pour faire avancer leurs idées aux Nations unies. L'Allemagne siégeant également comme membre non permanent, comme l'Inde et le Brésil, le Conseil compte aussi trois des quatre membres du G4, le quatrième membre de ce groupe de candidats à un siège permanent étant le Japon.

Le Brésil exerce donc cette responsabilité internationale, dans une composition bien particulière du Conseil de sécurité, au moment où se produisent des événements internationaux majeurs, comme le printemps arabe. Vous avez fait allusion, Monsieur le Président, à certaines divergences entre les vues françaises et brésiliennes. Il est vrai que le Brésil n'a pas voté la résolution 1973 sur le Libye et se montre très rétif vis-à-vis d'une résolution sur la Syrie. Mais le Brésil a voté la résolution 1975 sur la Côte d'Ivoire. Au Conseil des droits de l'homme, il s'est distingué en se joignant aux préoccupations exprimées à l'encontre de l'Iran ou de la Syrie.

Vous le voyez, le Brésil se trouve dans une situation complexe d'émergence, non seulement au plan économique, mais également en termes de puissance globale. Il y répond à sa façon, en fonction d'une histoire singulière qu'il faut veiller à toujours bien garder à l'esprit. Le Brésil n'a pas tiré un seul coup de fusil contre l'un de ses voisins depuis 150 ans. Le Brésil a toujours privilégié l'arbitrage sur l'emploi de la force. L'un de ses grands hommes d'Etat, Rio Branco, réussit à étendre de plus de un million de kilomètres carrés la superficie du Brésil en négociant les litiges frontaliers avec les Etats voisins, y compris la France.

Le Brésil continue de se considérer comme un pays du tiers-monde, non satisfait de l'ordre international. Il a des velléités de grande puissance mais reste sur son quant à soi lorsque les solutions multilatérales ne lui conviennent pas. Il faudra donc que le Brésil sorte d'un certain nombre d'ambiguïtés, qui sont celles d'un pays très puissant, faisant progressivement partie du premier monde, mais se présentant en avocat des pays pauvres.

Le second élément conjoncturel qui influe sur notre partenariat stratégique est la présidence française du G8 et du G20. Tous les sujets mis à l'ordre du jour par la France intéressent le Brésil : la volatilité du cours des matières premières, le Brésil étant notamment un grand exportateur de produits agricoles ; le socle social, qui est une priorité du Brésil, très engagé au plan national dans la lutte contre la pauvreté ; la réforme du système monétaire international, le real brésilien souffrant d'une surévaluation de 30 à 40 % selon les estimations ; la réforme de la gouvernance mondiale. Sauf mauvaise surprise, nous trouverons dans le Brésil un très bon partenaire, certes exigeant, parfois ombrageux, veillant très naturellement à ses intérêts nationaux, mais ouvert à des propositions de consensus. Ce dialogue sur les enjeux globaux se poursuivra après le G20, avec notamment le sommet « Rio + 20 » qui abordera en 2012 les questions d'environnement, de climat et de biodiversité.

Je le répète, le partenariat bilatéral a vocation à rehausser nos relations bilatérales pour élaborer, ensemble, en multilatéral, des solutions pour la gouvernance mondiale.

Où en est aujourd'hui notre partenariat bilatéral ?

D'abord, le contexte. Les Présidents Lula et Sarkozy avaient de fortes affinités personnelles. Mme Dilma Rousseff est moins portée sur l'international. Jusqu'à présent, elle n'a effectué que deux courtes visites en Argentine et en Uruguay, puis s'est rendue en Chine pour le sommet des BRICS. Sa vision est, semble-t-il, plus technique, mais elle ne se trouve pas dans une situation analogue à celle de Lula.

Certes, les fondamentaux économiques du Brésil demeurent excellents : un rythme de croissance de l'ordre de 5 % par an, un quasi plein emploi, d'immenses ressources naturelles, un système financier solide et une grande continuité dans la conduite de la politique économique. Au niveau micro-économique, la situation est toutefois plus délicate. La monnaie est surévaluée, l'inflation est soutenue, de l'ordre de 6 à 6,5 %, et les taux d'intérêt continuent d'augmenter, à 12,25 % aujourd'hui, participant à l'afflux de capitaux qui entretient la surévaluation du real. Il faut aussi mentionner, dans le « coût Brésil » qui pénalise la compétitivité du pays, les lacunes en matière d'infrastructures et les lourdeurs bureaucratiques.

Tout ceci explique que Mme Dilma Rousseff se concentre sur la solution de ces questions économiques. Elle doit aussi asseoir sa position dans un espace politique brésilien complexe, avec les particularités de son système électoral, de son organisation fédérale et de son régime présidentiel, alors que son parti, le Parti des travailleurs, est loin d'être majoritaire. Disposant d'à peine plus de 15 % des sièges de députés et de sénateurs, il doit nouer des alliances avec quelques uns des 22 partis représentés à la Chambre des députés et des 14 partis représentés au Sénat.

Si la nouvelle présidente paraît moins intéressée que Lula par la politique internationale, les fondamentaux de la politique étrangère brésilienne n'ont pas changé pour autant.

Les relations demeurent compliquées avec les Etats-Unis, qui, même après le voyage d'Obama au Brésil, semblent manquer d'une politique latino-américaine bien définie.

La Chine, membre des BRICS, est un partenaire fondamental que le Brésil regarde néanmoins avec inquiétude. La concurrence chinoise a évincé les produits brésiliens de leurs marchés traditionnels, en Afrique et même en Amérique latine. La Chine souhaite acquérir des terres et des mines. Le groupe des BRICS possède donc une certaine réalité qui s'efface toutefois lorsque les intérêts fondamentaux de ses différents membres sont en jeu.

L'intégration latino-américaine reste une priorité majeure du Brésil. Elle participe de la sécurité collective, car si l'Amérique latine n'est pas un continent sans violence, c'est un continent sans guerre. L'intégration régionale, à travers ses différentes structures, organise donc la coexistence pacifique des pays latino-américains, mais elle n'a pas de réel impact sur la vie du continent, et en particulier sur celle du Brésil qui représente 40 % de son territoire et 45 % de son produit. L'intégration régionale est donc surtout pour le Brésil un élément de rayonnement et de sécurité dans son environnement.

Les bases du partenariat stratégique entre la France et le Brésil n'ont pas changé.

Ensuite, les réalités. Nos échanges économiques sont extrêmement actifs. En 2010, ils ont augmenté de plus d'un tiers, nos exportations ayant augmenté de plus de 40 %. Notre stock d'investissements directs s'élevait à 27 milliards de dollars début 2011, ce qui fait de la France le 4 ème investisseur au Brésil. Le volume des investissements français au Brésil est deux fois plus élevé que celui des investissements français en Chine, trois fois plus élevé que celui des investissements français en Russie et sept fois plus élevé que celui des investissements français en Inde.

Notre relation est également très forte aux plans universitaire et scientifique. La France est la deuxième destination pour les étudiants brésiliens à l'étranger, et la première pour les étudiants boursiers. Les coopérations scientifiques couvrent un champ de disciplines extrêmement large, le Brésil étant le seul pays au monde dans cette situation. C'est une relation très ancienne, mais également très moderne, financée à 90 % par le Brésil, qui prend notamment en charge les bourses de 850 étudiants. L'enjeu est très important au moment où le Brésil accentue son investissement en recherche-développement, qui est passé en quelques années de 0,6 % à 1,2 % du PIB.

Le partenariat franco-brésilien progresse aussi très vite au niveau des sociétés civiles. Je pense en particulier à la coopération décentralisée, avec les relations nouées par exemple entre la région Rhône-Alpes et l'Etat du Parana, entre le Pas-de-Calais et le Minas Gerais ou entre la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et São Paulo.

Autre illustration, le nombre d'apprenants du français est en forte augmentation, comme celui des entrées de cinéma pour des films en français.

Nous sommes donc dans une dynamique qui reste forte.

Le volet militaire du partenariat stratégique est évidemment structurant. Nous touchons là à un aspect véritablement systémique pour le Brésil, avec des éléments politiques et industriels, en lien avec la recherche et la technologie.

Le Brésil s'est doté, il y a trois ans à peine, d'une « stratégie nationale de défense ». Cette stratégie est fondée sur une volonté de souveraineté et d'autonomie de décision, elle-même adossée à une industrie de défense indépendante, élément moteur pour la croissance économique nationale.

Le Brésil possède des champions industriels, comme Petrobras dans l'énergie ou Vale dans les activités minières et la sidérurgie, mais aussi Embraer, troisième avionneur mondial. C'est à travers ces champions industriels et cette stratégie nationale de défense qu'il faut lire notre relation partenariale. Si le Brésil a choisi la France, c'est que la France avait cette même autonomie de décision, cette même volonté de souveraineté, et une capacité à transférer des technologies pour aider à construire au Brésil une industrie de défense.

Notre relation s'est matérialisée par un très important contrat de réalisation de quatre sous-marins Scorpène et d'un sous-marin à propulsion nucléaire, le Brésil gardant la responsabilité de la mise au point de la chaudière nucléaire. Eurocopter a également conclu un contrat pour la vente de 50 hélicoptères dont la plupart seront réalisés au Brésil, dans une usine ayant vocation à fournir ensuite le marché sud-américain. La proposition du Rafale pour le marché des avions de combat se situe dans la même logique, le Brésil souhaitant acquérir une technologie et consolider son champion industriel Embraer.

Comme vous l'aviez souligné dans votre rapport, Monsieur le Président, nous nous trouvons à un moment crucial. Nous devons aujourd'hui mettre en oeuvre les transferts de technologies auxquels nous nous sommes engagés, dans le cadre de l'exécution du contrat des sous-marins. Ce sera la « preuve par neuf » de notre capacité à opérer ces transferts et de la solidité de notre partenariat.

Au cours de ces derniers mois, les visites bilatérales - parlementaires, ministres, autorités militaires - ont été particulièrement nombreuses, témoignant de la densité de la relation bilatérale. Le Brésil a conclu des partenariats stratégiques avec près d'une dizaine de pays différents, mais aucun d'entre eux ne parait aussi structuré que le partenariat franco-brésilien. Il faut veiller à ne pas banaliser ce partenariat stratégique.

Telles sont les principales remarques dont je souhaitais vous faire part sur ce pays très spécifique qu'est le Brésil.

M. Josselin de Rohan, président - Votre exposé est tout aussi riche, clair et intéressant qu'il est empreint de la pédagogie du professeur agrégé que vous êtes.

M. Yves Pozzo di Borgo - Lors de notre mission au Brésil, nous avions retiré de nos entretiens avec les responsables en charge du dossier Rafale le sentiment que la décision n'était pas prise et que la France n'était en rien exclue du jeu. La Présidente Rousseff se trouvait alors en Chine, au sommet des BRICS, et lors d'un déplacement la semaine suivante à Moscou, j'ai eu des échos de l'accueil très favorable qu'elle aurait réservé au Sukhoï 35, celui-ci pouvant être réintégré dans l'appel d'offres. Qu'en est-il ?

Nous avons pu constater avec satisfaction que les entreprises et les PME françaises étaient très actives au Brésil. Nos interlocuteurs brésiliens avaient évoqué les conditions de réalisation du contrat des sous-marins. A-t-il été possible de répondre aux demandes brésiliennes ? Nous avions, en effet, clairement eu le sentiment que la qualité des transferts de technologie réalisés en la matière était très importante pour la relation bilatérale.

M. Robert del Picchia - Vous dressez un tableau très positif du Brésil et vous indiquez qu'aucun coup de fusil n'a été tiré depuis 150 ans. Mais la violence existe ! Vous n'avez pas évoqué les relations du Brésil avec ses voisins et, en particulier, l'Argentine, ancien concurrent, désormais surclassée sur le plan économique.

M. Jean-Pierre Chevènement - Quel est exactement le contenu de la stratégie nationale de défense du Brésil ? Comment expliquer son effort d'équipement actuel ? Pourquoi vouloir se doter d'avions de combat, de sous-marins, lorsque l'on vit en paix depuis 150 ans ? Enfin, avec quels autres pays le Brésil a-t-il noué des partenariats stratégiques ?

M. Jacques Berthou - Dans ce pays qui n'a pas connu la guerre depuis 150 ans, qui n'est pas menacé à ses frontières, mais qui s'équipe en armement, alors qu'il exporte des matières premières, on peut discerner une stratégie d'industrialisation par transfert de technologies dans le domaine de la défense. La logique me semble plutôt économique et la notion de sécurité n'est pas forcément centrale. La technologie n'est-elle pas un critère déterminant pour le choix du futur avion de combat ?

M. Jean Besson - Les achats chinois au Brésil ont suscité une certaine méfiance, compte tenu des agissements chinois récents en Afrique. Pouvez-vous nous en dire plus sur le montant et la nature des investissements chinois au Brésil ? S'agit-il de terres agricoles ? Qu'en est-il du partenariat avec Petrobras portant sur les réserves importantes découvertes à l'Est de Rio ? La coopération décentralisée avec le Brésil est en pleine expansion, comme le montrent par exemple les liens tissés entre Belo Horizonte et Lyon ou encore entre la Région Rhône-Alpes et le Parana, Etat industriel et riche. D'autres coopérations décentralisées répondent, au contraire, à une logique d'aide au développement, concernant par exemple des régions proches de la Guyane.

M. Daniel Reiner - Vous avez fait allusion au fait que les relations entre les Etats-Unis et le Brésil étaient compliquées. Les milieux militaires brésiliens ont pourtant des relations privilégiées avec les militaires américains et il nous revient qu'ils seraient parfois en désaccord avec la classe politique sur les stratégies d'équipement. Qu'en est-il ?

Mme Monique Cerisier-ben Guiga - Vous avez parlé de votre programmation culturelle. Quel jugement portez-vous sur les instruments de notre diplomatie culturelle : Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), Instituts français, Direction générale de la mondialisation (DGM) et Audiovisuel extérieur ?

M. Joseph Kergueris - Le Brésil est le cinquième territoire mondial, à l'échelle d'un continent. Quelles relations peut-on établir entre ce caractère continental, sa vision stratégique et ses programmes d'équipement ?

Mme Catherine Morin-Desailly - Je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir invité les membres du groupe d'amitié France-Brésil. Sur le plan culturel, quelles ont été les retombées des années croisées France-Brésil ? Une multitude d'événements a été organisée, peut-on en chiffrer les conséquences en termes scientifiques ou de coopération ? Où en est la préparation des Jeux olympiques de Rio ? Enfin, quel bilan tirez-vous de la mise en place de l'audiovisuel public brésilien TV Brésil, sur le modèle de France Télévisions ?

M. Yves Saint-Geours - En matière de stratégie nationale de défense, je rappelle que le ministère de la défense a été créé il y a dix ans, en remplacement de trois ministères dirigés par les chefs d'état-major. L'armée brésilienne était essentiellement une armée de démonstration, voire, hélas, de maintien de l'ordre dans les années de la dictature militaire, jusqu'en 1985. Avec le retour du régime civil, les militaires ont, logiquement, été considérés négativement. L'effort militaire a chuté et l'industrie de défense a souffert d'un manque d'investissements, notamment dans le domaine terrestre. La création du ministère de la défense témoignait d'une prise de conscience nouvelle sur la nécessité de prendre en compte les enjeux de défense. L'élaboration de la stratégie nationale de défense, en 2008, concomitamment avec la conclusion du partenariat stratégique avec la France, en a été un premier aboutissement. Le ministre Jobim a d'ailleurs lu le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale français.

La stratégie nationale de défense brésilienne appréhende le fait que le Brésil a quasiment fini de conquérir son espace et doit désormais se protéger des menaces et conserver ses ressources naturelles : gisements pétroliers, terres rares... L'ensemble de la stratégie nationale de défense n'est pas destiné à lutter contre une hypothétique invasion, mais bien plutôt à disposer des instruments les plus modernes de cyber-guerre, de contrôle satellitaire et de contrôle technologique, y compris le nucléaire civil -le Brésil étant signataire du traité de Tlatelolco de dénucléarisation militaire de l'Amérique latine au sud du Rio Grande. Il s'agit de dominer son territoire et de protéger ses ressources naturelles, tout en constituant une industrie nationale de défense, qui soit à la fois garante de la souveraineté et de la sécurité, mais aussi un élément de croissance économique global. Le projet « Amazonie verte », avec le contrôle des frontières, répond à la menace des trafics, notamment de drogue ; le projet « Amazonie bleue » tend à la protection de la zone économique exclusive brésilienne.

Je confirme l'importance des préoccupations industrielles et des transferts de technologies. En ce qui concerne l'avion de combat, le Rafale est toujours dans la course, mais ce dossier n'étant pas au rang des premières priorités de la présidente, il n'a pas été rouvert et ne devrait pas l'être avant plusieurs mois. Il n'y a donc aucun élément nouveau et l'avion russe ne peut pas avoir été réintroduit dans la compétition puisque le dossier n'est pas rouvert. La France souhaite naturellement que la décision, attendue probablement d'ici un an à un an et demi, se prenne sur la base de l'instruction réalisée par le ministère de la défense.

La partie brésilienne a obtenu les réponses qu'elle attendait sur les transferts de technologie. Mais au fur et à mesure que les discussions avancent, de nouvelles questions se posent, car il s'agit d'un processus itératif, avec des allers-retours permanents. Le partenariat permet ce dialogue constant et son rôle est de limiter les malentendus.

Le Brésil a signé des partenariats stratégiques avec l'Italie, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Inde, la Chine, l'Afrique du Sud et d'autres émergents comme la Malaisie.

La violence est certes présente dans la société brésilienne. Il y a un taux d'homicide 25 fois supérieur à celui de la France : dans la seule ville de Brasilia, de 3 millions d'habitants, il y a autant de meurtres que dans la France entière ! La violence est endémique.

Les relations avec les voisins du Brésil sont excellentes. Il est vrai que, dominante au début du XX e siècle, l'économie argentine a, depuis, été distancée par l'essor d'un Brésil autrefois quelque peu méprisé. Aujourd'hui, le Brésil essaie de ménager son voisin argentin, notamment au sein du Mercosul, mais il faut souligner que cet accord n'a pas beaucoup de contenu. Les doubles impositions y sont encore en vigueur, et, entre autres, l'usage des compensations est un frein au libre-échange. La relation politique est toutefois apaisée et les relations de voisinage sont excellentes, mises à part quelques fièvres ponctuelles pour lesquelles le Brésil est susceptible d'intervenir, avec au demeurant un bonheur inégal.

S'agissant de la relation avec les Etats-Unis, la plupart des militaires brésiliens ont en effet une certaine proximité avec leurs homologues américains, ne serait-ce qu'en raison de l'héritage de la guerre froide. Il ne faut toutefois pas en exagérer l'importance car la structuration de la relation bilatérale avec la France s'avère payante : 171 officiers brésiliens sont aujourd'hui en France, notamment dans le cadre du contrat sur les sous-marins.

La Chine a acheté quelques mines, notamment de fer, au Brésil et elle est, en flux, le premier investisseur étranger depuis l'année dernière. Toutefois, le Brésil est très attentif à ce que ces investissements ne soient pas une simple captation de matières premières mais qu'ils impliquent bien des emplois et de l'industrie brésiliens. La prudence est de mise sur cette question sensible.

Sur le plan culturel, l'année de la France au Brésil a ouvert la voie à des relations entre les musées, par exemple Beaubourg et Orsay avec la Pinacothèque de São Paulo ou encore l'IRCAM avec le musée de la lumière et du son de São Paulo. Le musée du Nouveau Monde de La Rochelle a lui aussi construit un nouveau partenariat et le flux des expositions et des spectacles s'est accru.

TVBrésil n'a pas eu le démarrage escompté et se heurte à de réelles difficultés d'éclosion, même si certains programmes sont de bonne qualité et remplissent des missions de service public. Je ne peux dresser de bilan du fonctionnement de tous les outils de notre diplomatie culturelle, dans la mesure où le Brésil ne dispose pas d'Institut français, non plus que de la diffusion de France24. La programmation de TV5 peut paraître insatisfaisante - peu de sport, films un peu anciens, documentaires - mais il faut être indulgent, compte tenu de ses moyens limités. Quant à l'AEFE, elle fonctionne de façon satisfaisante, le réseau des trois lycées français étant toutefois sous-dimensionné au Brésil, puisqu'il n'accueille même pas 2 500 élèves. Un projet de nouveau lycée à São Paulo est en cours, qui pourrait accueillir 700 à 800 élèves de plus. Nous nous heurtons toutefois à la difficulté du coût de la vie au Brésil.

La Direction générale de la mondialisation traite bien les sujets globaux qui sont les siens : climat, biodiversité, financements innovants...

Les Brésiliens sont en retard pour la construction d'infrastructures, à la fois pour la Coupe du monde de football de 2014 et pour les Jeux olympiques de 2016. Ils ont, par le passé, su faire preuve de leur capacité de s'organiser au dernier moment, mais le défi est de taille et risque d'engendrer des surcoûts importants.

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