M. Daniel Canepa,
préfet de paris, préfet de la région Île-de-France,
président de l'association du corps préfectoral
et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur,
de l'outre-mer, des collectivités territoriales
et de l'immigration

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M. François Patriat , président . - Monsieur Canepa, en tant que préfet de région et président de l'association du corps préfectoral, pouvez-vous faire le point sur la première phase de la RGPP ? A-t-elle été menée en concertation avec les collectivités ? Ce n'est pas le sentiment du président de l'association des maires de France que nous venons d'auditionner... Les objectifs, notamment financiers, ont-ils été remplis ? Comment envisager la deuxième phase de cette réforme ?

M. Daniel Canepa, préfet de Paris, préfet de la région Ile-de-France, président de l'association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration . - Je remercie le Sénat d'avoir invité le président de l'Association du corps préfectoral. Sa liberté de ton sera plus grande que celle du préfet de région...

Contrairement à une idée reçue, la réforme de l'administration territoriale de l'État, engagée depuis 2007, ne constitue pas une rupture. Les expérimentations menées depuis 2004 poursuivaient des buts proches, sinon identiques. Premier objectif de cette réforme, améliorer la lisibilité de l'administration territoriale de l'État et, donc, la cohérence de son action. La multiplication des services avait des effets pervers ; sur un même dossier, chacun y allait de sa vision, ce qui jetait le trouble... Dès 2004, on a expérimenté la fusion des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) et directions régionales de l'environnement (DIREN), des directions départementales de l'équipement (DDE) et des directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) et, enfin, le rapprochement des services de l'emploi et des trésoriers-payeurs généraux, notamment, à Lille. Cette dernière expérience n'a pas abouti ; toutefois, peut-être a-t-elle eu le mérite d'inspirer le rapprochement des finances et de l'emploi dans le Gouvernement de 2007... Les résultats sont-ils au rendez-vous ? Sans aucun doute, puisque six directions seulement, en sus des rectorats et des agences régionales de santé, siègent désormais à la table du « conseil d'administration » de l'État.

Deuxième objectif, le renforcement de l'échelon régional dans la continuité des efforts régulièrement poursuivis depuis les années 1970. Il s'est traduit par le décret de 2004, qui a accru le rôle du préfet de région dans la conduite des politiques publiques, et le décret de 2010 qui a fixé l'organisation territoriale de l'État et les relations entre préfets de région et de département. L'administration territoriale fonctionne, maintenant, selon deux logiques : au niveau régional, la déclinaison des politiques nationales par les services des différents ministères ; au niveau départemental, une démarche intégrée et interministérielle. En 2008 et 2009, les préfets de département ont craint un court-circuitage du niveau départemental par les élus. Une circulaire de 2010, qui a limité le droit d'évocation du préfet de région aux questions générales et de principe, a apaisé ces craintes.

Troisième objectif, l'adaptation de l'organisation de l'administration territoriale de l'État aux besoins des territoires et aux demandes des populations. Cette recherche, intéressante, constitue une rupture avec notre droit administratif : assurer une égalité d'objectifs, et non plus une égalité de moyens. Ces efforts restent modestes, en raison de la volonté de certaines administrations centrales de maintenir une organisation identique en tout point et en tout lieu. Pour autant, l'organisation territoriale tient désormais compte de certains critères : l'importance démographique du département détermine le nombre de ses directions interministérielles -deux pour les moins peuplés, trois pour les autres- ; les facteurs géographiques, avec la création d'une direction départementale des territoires et de la mer pour les départements littoraux ; des difficultés spécifiques à certains territoires, avec la mise en place d'une direction régionale de l'hébergement et du logement en Île-de-France. L'Association du corps préfectoral souhaite avancer sur ce chemin. Dans l'ensemble, la réforme de l'administration territoriale de l'État est plutôt un succès : une meilleure coordination, une meilleure lisibilité, bien que les sigles restent incompréhensibles -un travers bien français !-, une meilleure adaptation de l'organisation aux territoires.

Au-delà de la réorganisation des services de l'État, l'essentiel est, pour moi, de passer d'une administration de guichet et d'exécution à une administration de conseil, d'orientation et de matière grise en nous appuyant sur les nouvelles ressources technologiques comme l'ont fait les réseaux bancaires il y a vingt ans... Ne faut-il pas en faire un des objectifs de la deuxième étape de la réforme ? Prenons deux exemples de nature différente : la modernisation de la fabrication des passeports et des cartes nationales d'identité de même que la possibilité ouverte à des tiers, qui agissent comme collaborateurs du service public, de faire établir les cartes grises, ont permis de rapprocher le service du consommateur tout en réalisant des économies aussitôt réinvesties ; la création d'une plate-forme pour le contrôle de légalité afin de répondre à la difficulté grandissante des questions posées. Si l'on veut réussir dans cette voie, il faut investir dans la formation des personnels B et C pour leur confier d'autres tâches et leur faire gravir des échelons. C'est la seule manière d'avoir suffisamment de matière grise pour répondre aux demandes des administrés.

M. François Patriat , président . - Passer d'une administration de guichet à une administration de matière grise ; voilà une bonne formule ! En attendant, lorsque j'appelle la préfecture en fin d'après-midi ou en soirée, j'entends : « tapez 1, puis 2, puis étoile... ». Il me faut au moins cinq minutes pour arriver à parler à quelqu'un... Autre exemple, ma petite commune a notifié sa décision de réviser le PLU début janvier. Hier matin, j'ai contacté ma préfète pour me renseigner sur l'avancement de ce dossier : la secrétaire générale m'a répondu que l'instruction débutera en avril, faute de moyens... Les administrés devront attendre !

M. Daniel Canepa . - Lorsque les organisations syndicales s'inquiètent de la diminution des effectifs et des moyens, je leur réponds qu'elle n'est pas liée à la réforme ; de toute façon, les effectifs auraient été réduits. Certes, il eût été plus facile de mener la réforme à moyens constants, de ne pas manger son blé en herbe en évitant d'utiliser les économies avant même de les avoir réalisées... La réduction des effectifs est-elle trop rapide ? Je serais tenté de répondre oui. En tant que président de l'Association du corps préfectoral, je note que l'administration territoriale de l'État, au sein du ministère de l'intérieur, subit une très forte diminution d'effectifs, compte tenu du faible nombre de ses agents : 30 000 agents contre, par exemple, 200 000 policiers. Et, à cause des contraintes budgétaires de plus en plus fortes, nous ne sommes pas en mesure de faire appel à des compétences extérieures ou de recruter pour mener à bien des actions rapides et immédiates. En bref, dans les préfectures et les sous-préfectures, il n'y a plus de « gras » ; le muscle est déjà atteint.

M. François Patriat , président . - Si ce n'est l'os !

M. Daniel Canepa . - La survie passe par la mutualisation. Pour exemple, les départements ont mutualisé le standard avant qu'il ne soit automatisé -ce qui a permis de réaliser des gains considérables sur les soirées et les nuits. Enfin, l'absence de révision des missions. Celles-ci progressent, les moyens diminuent. De quoi donner le grand frisson aux élus, mais surtout au corps préfectoral dont on connaît le sens du service public ! De nouvelles réductions d'effectifs dans les préfectures et sous-préfectures signifieraient que l'os est atteint. Je le dis clairement, avec l'Association, il faudra se poser la question de la carte préfectorale. Elle n'a pas évolué depuis 1926...

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Réforme et réduction des effectifs ne sont pas liées, avez-vous dit. Pourtant, les ministres, lorsque nous les avons auditionnés, ont cité parmi les objectifs de la RGPP un service public de meilleure qualité et une productivité renforcée avec le non remplacement d'un départ sur deux à la retraite. Pourriez-vous nous apporter des éclaircissements supplémentaires ? La RGPP, qui renforce l'échelon régional, est inspirée du rapport Balladur. Or la réforme des collectivités territoriales n'a pas suivi cette voie, elle a plutôt réaffirmé l'importance des départements. Cela ne constitue-t-il pas une difficulté ? La mission des préfets de coordonner les services départementaux dans une logique horizontale ne se heurte-t-elle pas au maintien d'une organisation verticale ? De fait, les agents continuent de dépendre des ministères... La simplification du contrôle de légalité se traduit, nous a dit le président de l'association des maires de France, par des contrôles aléatoires et tatillons. Quid de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage ? Le sujet préoccupe les maires... Enfin, pouvez-nous dire quelques mots de la RGPP en Île-de-France ?

M. Daniel Canepa . - La RGPP, facteur de productivité ? Oui, si l'on parle de la réforme de l'organisation territoriale. Rechercher davantage de productivité en améliorant la qualité du service rendu est une équation délicate à résoudre, mais un équilibre peut être trouvé. Les économies doivent être la conséquence d'une meilleure organisation -les mutualisations et les suppressions de services redondants-, et non le postulat.

Le non remplacement d'un départ sur deux à la retraite ? Les 30 000 agents de l'administration territoriale pèsent peu de poids par rapport aux autres bataillons de la fonction publique. Combien faudrait-il supprimer de postes ailleurs pour atteindre cet objectif ?

J'ai eu la chance et l'honneur de participer aux travaux du comité Balladur. Certes, il existe un décalage. Mais les communes ont la liberté de fixer leur organisation interne ; pourquoi n'en serait-il pas de même pour l'État ? Le maintien d'une organisation verticale pose effectivement difficulté aux préfets de région. Les administrations centrales, si elles vivent mal la perte de tout ou partie de leurs compétences, doivent réaliser des économies sur les territoires pour atteindre leurs objectifs. Le système sophistiqué des budgets opérationnels de programme, introduit par la LOLF, permet une discussion entre préfet de région et administrations centrales. Il m'est arrivé d'émettre un avis négatif ; on en a tenu compte.

Sur la question des effectifs, je vous fournirai un argument supplémentaire : au sein des administrations, la répartition des effectifs entre le niveau territorial et central est-elle satisfaisante ? Pour des questions de lisibilité, on crée parfois des agences et des établissements publics. Leur applique-t-on l'objectif d'un départ en retraite sur deux non remplacé ? Non !

Quant au contrôle de légalité, il est ciblé, en fonction d'une stratégie définie en début d'année -par exemple, les marchés compris entre telle et telle somme, une catégorie de collectivités, un type de délégation de service public. Tatillon ? Sans doute, j'ai tendance à le penser aussi lorsque je suis contrôlé par la Cour des comptes ! Ensuite, l'administration est composée d'hommes et de femmes qui ont, chacun, leur particularité ; c'est sa richesse, mais aussi sa faiblesse...

J'en viens à l'assistance aux communes. La réduction du nombre de postes décourage les ingénieurs des ponts et chaussées, avions-nous indiqué, M. Folz et moi-même dans notre rapport, lesquels travaillent de plus en plus pour les collectivités. Un jour, ce seront peut-être les communes qui porteront assistance à l'État !

Sur la RGPP en Île-de-France, permettez-moi une confidence : je n'étais pas un fanatique des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement, les DREAL. Je préconisais plutôt une fusion de la direction de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) et de la DIREN et un maintien de la direction régionale de l'équipement. Le champ des DREAL me semble un peu excessif. Étant têtu, j'ai obtenu gain de cause en Île-de-France. Il y existe donc une direction régionale de l'équipement et de l'aménagement, qui intègre la direction des routes ; une direction régionale de l'hébergement et du logement et la réconciliation de l'environnement et de l'énergie au sein d'une même direction régionale. Autre spécificité, l'Île-de-France est une zone extrêmement urbanisée partageant des problèmes communs ; d'où des directions régionales interdépartementales, notamment pour les trois départements de la petite couronne. Enfin, dernière originalité : la préfecture de Paris intègre, en son sein et dans le même lieu physique depuis un mois, les unités territoriales de l'aménagement et de l'équipement et la direction de la cohésion sociale sous l'autorité du préfet sur le modèle de l'expérimentation conduite dans le Lot, soit l'intégration au sein d'un service unique comme dans les conseils généraux.

M. Charles Revet . - J'aurais aimé en savoir plus sur les agences, dont le nombre a cru et embelli ces dernières années. Depuis que l'État s'est recentré sur sa mission régalienne de contrôle, c'en est fini de la période faste où les services de l'État accompagnaient les communes dans la maîtrise d'ouvrage. Pour autant, contrôle et conseil sont-ils incompatibles ? N'est-ce pas dans l'intérêt de tous de diminuer les risques d'erreur ?

M. Jean-Luc Fichet . - En Bretagne, la situation est inquiétante. Quel est le devenir des sous-préfectures ?

M. Éric Doligé . - Le renforcement des pouvoirs des collectivités territoriales ne pose-t-il pas un problème psychologique aux agents des préfectures et sous-préfectures ?

Mme Valérie Létard . - L'objectif de la réforme de l'administration est de changer de culture, de passer d'une logique de guichet à une logique de conseil. L'assistance à la maîtrise d'ouvrage est donc au coeur du sujet. Les intercommunalités peuvent certes mutualiser les moyens, mais ce n'est pas toujours suffisant, vu la complexité des exigences auxquelles il faut nous conformer pour respecter la législation. L'État ne gagnerait-il pas à adopter une approche de coproduction et de conseil, plutôt que de se limiter à l'instruction et à la censure ? Une intervention de l'État en amont éviterait de perdre du temps, des financements, et limiterait les difficultés en aval !

M. Raymond Couderc . - Attention aux effets pervers. Si les sous-préfets sont toujours prêts à nous accompagner, les directions spécialisées, en revanche, s'empressent de juger impossibles tous nos projets... Ces fonctionnaires compenseraient-ils une perte de pouvoir par un contrôle excessivement strict ?

M. Daniel Canepa . - S'agissant de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage, complexité signifie rareté des hommes, et donc nécessité de regrouper. Or les élus ont besoin de proximité ; c'est possible, avec un sous-préfet comme pilote et un droit de tirage sur la capacité en matière grise, regroupée au niveau régional.

Le sous-préfet doit être maître Jacques : il n'a pas tous les moyens à disposition, mais doit pouvoir les mobiliser ; les directions régionales doivent se plier à ses orientations.

Je pense avec vous que l'État doit jouer un rôle de coproduction et de conseil auprès des collectivités, et non seulement de censeur. Je m'efforce qu'il en soit ainsi. Il sera toutefois amené à rendre des décisions ou des avis emportant un jugement. Au préfet de piloter les directions régionales et interministérielles dans ce sens. Seule limite, les moyens...

L'Association du corps préfectoral estime qu'il faut ouvrir le dossier de la réorganisation des sous-préfectures. Sur ce point, nous sommes en décalage avec le ministère de l'Intérieur... Il faut dire que les villes vivent la perte de leur sous-préfecture comme une atteinte intolérable à leur standing ; lorsque j'avais suggéré que Boulogne et Montreuil-sur-mer se partagent un sous-préfet, les élus avaient demandé ma tête !

Je ne pense pas qu'il y ait des services en souffrance, mais il peut y avoir des agents en souffrance. Le rôle du management est aussi de redonner confiance et d'accompagner le changement. Celui-ci peut être douloureux, mais il n'y a pas de raison de laisser un agent continuer à faire ce qu'il fait depuis vingt ans si cela ne sert plus à rien !

M. François Patriat , président . - Merci de vos réponses.

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