Mercredi 6 avril 2011

M. Emmanuel Berthier,
délégué interministériel
à la Délégation à l'aménagement du territoire
et à l'attractivité régionale (DATAR)

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M. François Patriat , président . - Après deux mois d'auditions, nous sommes d'accord pour dire que l'État a besoin de se transformer, de s'alléger, que des économies sont nécessaires, que la décentralisation a entraîné une nouvelle répartition des tâches. Suit-il pour autant la bonne méthode ? Les principaux objectifs de la révision générale des politiques publiques sont-ils atteints ? Nous avons entendu le gouvernement, les représentants des collectivités territoriales, des syndicats de la fonction publique : le ressenti n'est pas le même. Les chiffres du gouvernement ne concordent pas avec ceux de la Cour des comptes. La réforme de l'État aurait-elle pu être conduite autrement ?

M. Emmanuel Berthier, délégué interministériel à la délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR). - J'ai été nommé délégué interministériel le 3 janvier 2011, après avoir exercé les fonctions de préfet de département dans les Hautes-Pyrénées, en Guadeloupe et dans la Sarthe. J'ai vécu sur le terrain l'application de la RGPP.

La Datar n'est pas membre du conseil de modernisation de l'État, qui pilote la RGPP. Les audits et les analyses d'impact relèvent des ministères concernés. Elle a toutefois deux compétences d'attribution : la réorganisation des armées d'une part, et le suivi interministériel des conséquences territoriales des réorganisations en cours d'autre part.

La réforme de la carte militaire a d'importantes répercussions sur l'aménagement du territoire : 82 fermetures d'établissements, 47 transferts d'ici 2015, 54 000 emplois supprimés. C'est pourquoi le Premier Ministre a voulu faire de la Datar le pilote interministériel de la réforme, en lien avec le ministère de la défense. L'objectif est de compenser la perte d'emplois militaires, via les contrats de redynamisation des sites de défense (CRSD) ou les plans locaux de redynamisation (PLR), pour les sites perdant moins de cinquante emplois. Le financement s'élève à 320 millions d'euros sur la période 2009-2014, un tiers provenant du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) et les deux tiers du ministère de la défense, via le Fonds pour les restructurations de la défense (FRED). On part d'un diagnostic territorial pour élaborer des programmes d'actions, avec les collectivités territoriales.

La loi permet de céder, pour un euro symbolique, les emprises militaires aux collectivités concernées par un CRDS. Autres mesures : l'extension du zonage AFR (Aides à finalité régionale) ; la mise en place de zones de restructuration de défense (ZRD) dans douze zones d'emploi, avec exonérations sociales et fiscales pour les entreprises en création ou en expansion ; la création d'un fonds de soutien de 25 millions pour aider les communes les plus touchées par les pertes de population ; la relocalisation d'administrations parisiennes, notamment à Metz.

Au 31 mars 2011, dix CRDS et six PLR ont été signés, et près de 100 millions engagés sur les 320 millions. Le dispositif monte en puissance : 28 emprises militaires ont été cédées pour un euro symbolique aux collectivités, et nous avons négocié avec la Commission européenne l'extension des AFR à 110 communes. Le fonds d'aides aux collectivités territoriales du ministère de l'intérieur a été engagé à hauteur de 4,4 millions, pour Sourdun, Briançon, Thierville-sur-Meuse et Barcelonnette.

Par ailleurs, le conseil des ministres du 5 janvier 2011 a chargé la Datar d'assurer le suivi interministériel des conséquences territoriales des restructurations en cours. Nous sommes en train d'obtenir des ministères les données sur la traduction territoriale de la RGPP. Nous créerons une base géo-référencée pour faire apparaître les communes cumulant les restructurations et identifier les territoires les plus vulnérables. Les études seront lancées avant l'été, et un premier bilan sera tiré fin 2011. Nous sera notamment communiquée la géographie des agents de l'État au 31 décembre 2006, ainsi que des données au 31 décembre 2009.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Certains territoires cumulent les restructurations, de l'armée mais aussi des hôpitaux, de la justice... Quelle est votre vision des conséquences au-delà de la seule restructuration militaire ? Sur les 320 millions d'euros annoncés, 100 millions ont été engagés à ce jour. Que recouvrent concrètement ces dépenses ? Les moyens dégagés par l'État ont-ils pour ambition de compenser les 54 000 emplois supprimés ? S'agit-il de susciter des créations d'emploi ? Quels sont les résultats, et les perspectives pour 2011 ?

M. Emmanuel Berthier. - La révision de la carte judiciaire, conduite sur proposition des procureurs généraux et des premiers présidents, a entraîné le déplacement de 1 800 agents du ministère de la justice, qui a mis en place un plan d'accompagnement social, avec une aide à la réinstallation des avocats.

Quant à la réforme de l'offre de soins menée par le ministère de la santé sur la période 2007-2010, elle a concerné 42 établissements ; il s'agit essentiellement de la fermeture de plateaux chirurgicaux qui effectuaient moins de deux cents actes par an, reconvertis en soins de suite ou en structures de prise en charge des personnes âgées. Il n'y pas d'impact net sur le nombre d'emplois. Le ministre de la santé a annoncé en janvier qu'il allait réactiver l'Observatoire des recompositions hospitalières.

L'objectif est bien de compenser les 54 000 emplois militaires supprimés en recréant 54 000 emplois, à travers les CRDS et les PLR. Exemples d'actions concrètes : la création d'une zone d'activité sur une base qui ferme, avec la mise en place de dispositifs d'accompagnement pour attirer les entreprises.

L'évaluation de cette action va commencer maintenant. Le plan court jusqu'en 2015 ; un tiers des sommes a déjà été engagé.

M. François Patriat , président . - En tant que président de la région Bourgogne, j'ai signé un CRDS avec le préfet. Le maire de Joigny - qui voit son unité de géographie militaire partir à Haguenau - a toutefois souligné une grande disparité des crédits accordés aux territoires. La commune hérite de douze hectares, avec des bâtiments difficilement transformables, pour un euro symbolique - mais elle s'est vu demander 400 000 euros de frais de mutation ! La situation est la même à Château-Chinon.

On dit vouloir créer des emplois, mais il n'y a pas de capillarité avec les services de l'État. J'avais proposé Joigny et ses 70 logements neufs pour accueillir un internat d'excellence ; il ira finalement à Montceau-les-Mines, où il y a tout à construire, pour un coût de 5 millions d'euros ! Je n'ai pas pu convaincre le ministre de l'Éducation nationale et les services de l'État qu'il était plus judicieux d'utiliser des locaux existants. On pourrait être bien plus efficaces en termes d'impact territorial !

M. Emmanuel Berthier. - Je vous rejoins. La signature à Joigny est récente ; cette commune fera l'objet d'une analyse particulière. Je ne peux vous répondre sur l'internat d'excellence, mais la question s'est posée ailleurs ; nous allons, je l'espère, en installer un dans une emprise militaire à Metz.

Il faut une articulation entre le préfet de département, qui conclut les CRDS, et le préfet de région, qui traite des restructurations d'une plus grande ampleur. Nous devons avoir une approche coordonnée, territoire par territoire.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Avez-vous estimé les conséquences de la suppression des 54 000 emplois militaires et du départ des familles sur les emplois « civils », sur l'épicier ou le teinturier, sur la vie scolaire ou culturelle des territoires impactés ?

M. Emmanuel Berthier. - Le diagnostic analyse la perte des emplois directs et induits, et estime l'impact sur le tissu économique, avec la volonté de recréer une activité équivalente.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Pouvez-vous faire une estimation ?

M. Emmanuel Berthier. - Elle varie selon les secteurs. Je vous transmettrai des chiffres.

M. François Patriat , président . - Difficile d'expliquer à l'épicière de Joigny que son chiffre d'affaires chute de 20 %, mais qu'elle participe à l'effort de restructuration militaire de la France !

Mme Christiane Demontès - Y a-t-il d'autres restructurations à venir ?

M. Emmanuel Berthier. - La liste a été arrêtée et annoncée en juillet 2008 ; la restructuration va être mise en oeuvre d'ici fin 2015.

M. François Patriat , président . - Chez nous, elle l'a été dès 2009 !

On annonce que Pôle emploi doit recevoir dans les trois mois 1,5 million de chômeurs de longue durée pour leur proposer un emploi ou une formation. Comment faire, alors que Pôle emploi va perdre 800 emplois et fermer un tiers de ses sites ?

M. Emmanuel Berthier. - Je ne peux vous répondre sur ce point.

Plus largement, le problème est celui de l'accessibilité des services. La Datar réfléchit à l'accès physique aux services ainsi qu'à l'accès à distance. La référence à un temps de trajet maximal figure de plus en plus souvent dans les conventions d'objectifs entre l'État et ses opérateurs. Dans le cas de Pôle emploi, la convention tripartite d'avril 2009 prévoit que 80 % des demandeurs d'emploi doivent être à moins de 30 minutes d'une unité polyvalente. À Pôle emploi de s'organiser pour répondre à cet objectif. La Datar vérifie si l'accessibilité est bien conforme à l'objectif fixé. Même chose pour la Poste.

M. François Patriat , président . - Dans les territoires ruraux et interstitiels, nombre de demandeurs d'emploi sont à plus de 30 minutes d'une structure de Pôle emploi. Quant à l'accès à Internet, n'en parlons pas, c'est la croix et la bannière !

M. Emmanuel Berthier. - Pôle emploi fait partie des opérateurs avec lesquels nous travaillons dans le cadre de l'expérimentation « Plus de services au public ». Cette conception extensive du service public englobe les services offerts par les collectivités territoriales, les prestataires sociaux, Pôle emploi, la SNCF, ERDF, la Poste, etc. D'où la mise en place des Maisons de services publics, et la réflexion voulue par le gouvernement, à la suite du Ciadt du 11 mai 2010, pour mailler le territoire en développant des formules intégrées d'offres de services. Dans 23 départements, nous finalisons des contrats avec les préfets pour ajouter des points-contact et mutualiser les services. Pôle emploi participe à cette démarche, avec des dispositifs informatiques intégrés, servis par des agents pluridisciplinaires.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Pouvez-vous nous dire un mot de la polyvalence, idée lancée par le Président de la République ?

On cherche à développer les formes modernes de communication, mais dans ma commune d'Ille-et-Vilaine, l'accès à la téléphonie mobile et à Internet n'est effectif qu'en centre-bourg - et encore, si l'on grimpe au clocher ! Beaucoup de personnes n'ont pas accès à ces technologies. Faut-il attendre que ces survivants s'éteignent, ou que les opérateurs acceptent de desservir des secteurs moins rentables ?

M. Emmanuel Berthier. - Votre département a bénéficié d'un pôle d'excellence rurale, qui a permis de mettre en place des polyvalences. Les opérateurs n'étaient pas acquis à l'idée de l'agent polyvalent : après une formation adaptée, un agent de la SNCF, par exemple, aiderait le demandeur d'emploi à remplir son formulaire sur des machines polyvalentes, utilisées par des agents disponibles plus longtemps... Nous tenons au moins une réunion par semaine avec les opérateurs, dans l'espoir de démontrer, avant la fin 2011, qu'il s'agit d'une perspective intéressante.

Sur le numérique, je vous rejoins. Malgré les investissements publics significatifs consentis depuis 2003, une cinquantaine de communes ne sont toujours pas couvertes en 2G. Nous espérons intégrer dans l'appel à projet pour la 4G une disposition sur le renforcement de la couverture 2G, comme le prévoit la loi sur la fracture numérique.

M. François Patriat , président . - Y a-t-il eu concertation avec les collectivités territoriales dans le suivi des restructurations militaires ? Comment évaluez-vous la qualité des services publics locaux en mode RGPP ?

M. Emmanuel Berthier. - Dès la décision prise sur la carte militaire, nous avons immédiatement travaillé avec les collectivités, pour établir le diagnostic et signer les CRDS. Nous participons chaque semaine à des comités de pilotage.

L'État se réorganise en appliquant les objectifs de la RGPP, les collectivités territoriales aussi. Il y a une modification de l'équilibre, selon que les restructurations touchent des secteurs plus ou moins fragiles. Les zones rurale sont diverses, le tissu des villes moyennes aussi. Il faut identifier les zones particulièrement fragiles. Je ne peux donc vous répondre, sinon pour dire que les choses ont bougé.

M. Raymond Couderc . - Vieil élu de terrain, cela fait des décennies que j'observe une volonté technocratique de regrouper les centres de décisions et les services dans les chefs-lieux de département, et surtout de région, au prétexte d'économies. Après avoir échoué dans les années 1990, cette tendance aboutit aujourd'hui - alors que les nouvelles technologies permettraient d'envisager un tout autre aménagement du territoire ! Faisons preuve d'un peu plus d'imagination : la Datar ne pourrait-elle donner l'impulsion pour faire pièce à cette technocratie triomphante ?

M. Emmanuel Berthier. - Vous fixez un objectif bien ambitieux pour un organisme de 150 personnes ! Pour les services de l'État, la RGPP se traduit par la concentration d'effectifs dans les chefs-lieux de région. Nous veillons toutefois au maintien sur le territoire des départements des unités d'oeuvre de toute catégorie nécessaires pour appliquer la politique du gouvernement. À l'échelon régional la conception et le contrôle, à l'échelon départemental la mise en oeuvre. Par rapport à la première mouture, le point d'équilibre est revenu vers le département.

Sur les nouvelles technologies, je vous rejoins. La Caisse d'allocations familiales (CAF) de Paris fait traiter, avec succès, certains de ses appels par la CAF de la Creuse, qui a recruté plus de dix personnes. C'est une piste à étudier.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - C'est une expérience intéressante, mais qui illustre bien les limites de la polyvalence : la CAF fait appel à des agents de la CAF !

M. Emmanuel Berthier. - La CAF de la Sarthe délègue l'accueil du public à d'autres opérateurs... Certaines fonctions peuvent être mutualisées, et portées par des territoires non métropolitains.

M. Gérard Bailly . - Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) sont les administrations qui ont le plus à faire de terrain. Ne faudrait-il pas là aussi revenir au niveau du département ?

M. Emmanuel Berthier. - Dans les Pays de la Loire, la Dreal a accepté le maintien de plus de postes de catégorie A que prévu. Pour mettre en oeuvre une politique, il faut des fonctionnaires de l'État sur le terrain.

M. Gérard Bailly . - On ne peut demander aux usagers de faire deux heures de route pour se rendre dans une administration : c'est trop !

M. Emmanuel Berthier. - Je rejoins votre diagnostic.

M. François Patriat , président . - Merci. Nous attendons une contribution écrite de votre part sur les points précis que nous avons abordés.

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