Mercredi 4 mai 2011

M. Jean-François Verdier,
directeur général de l'administration
et de la fonction publique (DGAFP),
ministère du budget, des comptes publics,
de la fonction publique et de la réforme de l'état

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M. François Patriat , président . - Monsieur Verdier, en tant que directeur général de l'administration et de la fonction publique, la RGPP est votre coeur de métier. Cette politique, nous le savons, ne se limite pas au non remplacement d'un départ à la retraite sur deux -le un sur deux. Elle consiste en une réforme de l'État, de l'éducation à la santé en passant par la défense et l'équipement, qui provoque des dégâts collatéraux dans les collectivités, des régions aux communes.

M. Jean-François Verdier, directeur général de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) . - La direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) a l'honneur, et parfois le désagrément, de former, avec la direction générale de la modernisation de l'État (DGME) et la direction général du budget (DGB), la troïka de mise en oeuvre de la RGPP. La DGME gère le grand Meccano de l'organisation des ministères de leur mode de fonctionnement, notamment l'amélioration des process ; la DGB a l'oeil rivé sur l'évolution des effectifs ; quant à ma direction, elle a la responsabilité du volet des ressources humaines et une compétence parfois étendue à la fonction territoriale et à la fonction hospitalière, concernant l'édiction des normes juridiques et les négociations salariales. En bref, mon travail consiste à faire en sorte que tout baigne dans l'huile -si je puis m'exprimer ainsi- pour les agents. Pour compléter ce tour d'horizon administratif, mentionnons l'adjoint au Secrétaire général du Gouvernement, poste créé depuis trois ans si ma mémoire est bonne. Celui-ci a la charge de la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATe) et constitue le patron des directions départementales interministérielles.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - La semaine dernière, la Cour des comptes a nuancé le panorama des économies attendues de la RGPP, entre autres, parce que les retours aux agents semblent supérieurs aux prévisions. Comment expliquer cette hausse ? Est-elle durable ? Ensuite, comment sont décidées et réparties les suppressions de postes entre le niveau central et les échelons territoriaux au sein des ministères ?

M. Jean-François Verdier . - Le principe du « un sur deux » est un moyen, non un objectif. Dès 2007, le Président de la République avait pris l'engagement que 50 % des économies réalisées grâce à la RGPP bénéficieraient aux agents. Ces retours ont atteint 400 millions en 2008, 640 millions en 2010. Ils devraient s'élever à 605 millions cette année et se situer entre 500 et 600 millions les deux années suivantes. Le taux de retour est aujourd'hui d'environ 53 %. Et ce, pour une raison simple : la mécanique du « un sur deux » n'est pas enfermée dans une logique strictement comptable, certains ministères ont voulu faire davantage, tel Bercy qui a appliqué une règle de deux sur trois la première année. Les retours sont fonction de la proportion des efforts réalisés. Chaque ministère est libre de l'utilisation de ces retours. Pour exemple, au ministère de l'intérieur, elles ont davantage profité au secteur de la police qu'au réseau des préfectures. Si ces retours sont essentiellement catégoriels, d'autres ministères en ont profité pour revoir les grilles ou les durées de carrières, mesures de plus long terme.

S'agissant de la répartition des effectifs, le ministre du budget arrête la trajectoire des finances publiques après discussion avec les ministères. Ensuite, les ministères reçoivent au début de l'été une lettre fixant le plafond d'emploi à ne pas dépasser, chacun étant libre de concentrer l'effort sur tel ou tel échelon. Certains, dont les services sont peu déconcentrés, ont réalisé des économies sur l'échelon central, d'autres sur les échelons régionaux ou départementaux. On a souvent entendu dire que l'on dépouillait l'échelon départemental au bénéfice du niveau régional. Les mois passant, les choses s'équilibrent, nous disent les préfets. De fait, si l'État veut continuer à assumer ses missions régaliennes, on ne peut pas aller plus loin. D'où les trois missions en cours sur la redéfinition des missions de l'État. Aucun arbitrage n'a encore été rendu. Quoi qu'il en soit, le processus de décision est assez directif : il y a peu d'échanges entre le niveau central et les échelons locaux.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Le préfet de région assure les arbitrages au niveau régional afin de garantir la présence de l'État. Or il semblerait que la mobilité des agents entre les différents ministères soit délicate, ce qui complique son travail d'adaptation des moyens aux besoins. Comment faciliter sa tâche ? Certes, la finalité première de la RGPP n'est pas le « un sur deux ». Pour autant, l'État, devant la diminution de ses effectifs, devra inévitablement affirmer ses priorités et peut-être abandonner certaines de ses missions, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Quelles sont vos observations à ce sujet ?

M. Jean-François Verdier . - La difficulté des préfets de région à réallouer les moyens humains au niveau local tient, non à des difficultés administratives et juridiques puisque la loi d'août 2009 a levé tous les obstacles, mais à des considérations budgétaires. La situation est la suivante : dans le cadre de la restructuration d'un service déconcentré de l'État, un agent ne souhaite pas revenir à Paris et trouve un emploi dans une sous-préfecture ; son ministère refuse l'affectation au motif que son plafond d'emploi ne l'autorise pas à accueillir un fonctionnaire supplémentaire en détachement.

Pour remédier à cette difficulté réelle mais limitée à un petit nombre de cas, nous avons créé un dispositif dérogatoire à la LOLF, avec l'aval de la DGB, qui consiste en une chambre de compensation, que nous appelons également le « un sur un ». Nous avons récemment étendu ce mécanisme, initialement limité au ministère de l'agriculture et au ministère de l'écologie et du développement durable, aux cinq ministères concernés par les fusions au niveau local. Cette chambre de compensation, qui a son siège auprès du Secrétaire général du Gouvernement, associe la DGAFP, la DGB et les secrétaires généraux des ministères concernés. Mais nul ne sait ce que va en penser la Cour des Comptes...

Nous avons désormais peu de marge de manoeuvre sur le « un sur deux » ; dans de nombreux services, nous sommes à l'os, a souligné mon secrétaire d'État. D'autant que le nombre de départs à la retraite diminuera rapidement dans les années à venir pour passer de 70 000 départs à 35 000 dans 4 à 5 ans, chiffre qui correspond aux recrutements actuels. Difficile de conserver ce rythme de suppression de postes, sauf à renoncer à certaines missions de l'État et à rationaliser encore ; il suffit de voir la longueur des files d'attente devant les préfectures. La discussion sera difficile car chaque ministère veut garder sa politique, ses dépenses d'intervention et ses fonctionnaires.

Au reste, la diminution des effectifs de la fonction publique d'État ne signifie pas forcément une réduction de l'emploi public ; les quinze dernières années l'ont prouvé. Pour la première fois, l'an dernier, nous avons constaté une stabilisation du nombre des agents des trois fonctions publiques.

M. François Patriat , président . - D'après M. Georges Tron, économiser des postes dans la fonction publique d'État n'est plus possible. Il faut donc s'attaquer à Météo France, le CNRS ou encore Pôle emploi. Or les responsables de ces opérateurs, avec lesquels j'entretiens des contacts réguliers en région, me confient qu'ils ne pourront plus assumer leurs tâches de plus en plus lourdes et complexes -je pense surtout à Pôle Emploi- si on leur supprime des emplois. L'objectif de 100 000 postes supprimées entre 2011 et 2013 vous semble-t-il réalisable ? Et comment ?

M. Jean-François Verdier . - D'après les prévisions, l'objectif est réalisable, y compris au sein de la fonction publique de l'État. La réforme des retraites, décidées fin 2009, n'aura pas d'impact arithmétique. En revanche, elle a conduit de nombreux agents à différer leur départ en retraite. Nous n'avons pas prise sur ces facteurs psychologiques. Le nombre des départs a été inférieur de 20 % à celui prévu.

M. Baroin, après M. Woerth, veut appliquer aux opérateurs publics les exigences que s'impose l'État. Ceux-ci n'ont pas suivi la cure d'austérité qu'a connue la fonction publique d'État en termes d'effectifs et d'immobilier -en ce domaine, les marges d'économie ne sont pas négligeables. Certes, les responsables d'opérateurs adressent des messages ; il y a trois ans, les secrétaires généraux des ministères tenaient le même discours...

J'ai bon espoir que l'objectif des 100 000 postes supprimés sera tenu, bien que le déclin du nombre de départs en retraite nous complique la tâche. Pour les opérateurs publics, le respect des prévisions dépend des inflexions politiques. Si l'on confie à Pôle emploi d'autres missions -ils ont reçu récemment de nouvelles instructions afin d'augmenter le nombre de personnes reçues-, il leur sera difficile de tenir le cap. Enfin, entre 2011 et 2013 subsiste une inconnue : les élections de 2012.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Le « un sur deux » ne se traduit pas forcément par une réduction de l'emploi public, avez-vous dit. Autrement dit, il y a transfert de charges... La chambre de compensation rend-elle possible le passage entre fonction publique de l'État et fonction publique territoriale ? Prenons l'exemple de l'ingénierie publique : d'après les syndicats d'ingénieurs, ceux de l'État ont une charge d'État moindre tandis que ceux des collectivités sont davantage sollicités. Comment faciliter les passerelles ?

M. Jean-François Verdier . - La chambre de compensation, qui a vocation à régler environ 1 500 cas, tient du cautère sur une jambe de bois. La seule solution pour faire vivre la réforme de l'État serait de confier au préfet de région les enveloppes salariales et les ETPT des agents publics de l'État et d'obliger les ministères à pourvoir les emplois vacants au niveau local par des agents sur place plutôt que d'alimenter la province par les Parisiens méritants. Nous sommes les seuls, avec le ministère de l'intérieur, à militer pour cette formule. La décision revient au Premier ministre.

J'en viens maintenant aux passerelles ; elles existent depuis la loi d'août 2009 avec des mécanismes de compensation. Les blocages sont davantage culturels que budgétaires : les provinciaux craignent de travailler à Paris, les Parisiens craignent d'être soumis à des pressions politiques directes dans la fonction publique territoriale. Nous incitons les agents à diversifier leurs parcours, à travailler dans les secteurs territorial et privé ; nous avons également ouvert de nombreux corps de l'État aux fonctionnaires territoriaux.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Si l'on confie aux préfets de région les enveloppes salariales et les ETPT des agents publics de l'État, ne faut-il pas placer ces préfets sous l'autorité du Premier ministre ?

M. Jean-François Verdier . - Ce projet est de l'ordre du possible, puisqu'il existe un précédent : les préfets de région ont déjà la maîtrise des crédits de fonctionnement des services de l'État dans leur ressort géographique. Nous proposons de renforcer ce mouvement, en conservant peut-être au niveau central les crédits immobiliers. Quant à l'autorité hiérarchique des préfets, le corps préfectoral est divisé en deux sur cette question qui fait figure de serpent de mer. Pour l'heure, on continue de dire que certaines autorités ne sont pas rattachées au Premier ministre malgré leur caractère interministériel, telles la DGB et la DGFAP. A titre personnel, cette évolution me semble d'actualité, surtout depuis la RGPP et la RéATe.

M. François Patriat , président . - Le but de la RGPP est de clarifier, de simplifier et d'optimiser. Est-il atteint ? Qu'ils aillent à la DREAL plutôt qu'à la DRIRE ne change rien pour les petits maires ruraux. Ceux-ci ne savent pas à qui s'adresser. Enfin, à la suite des réorganisations, certains fonctionnaires ne sont-ils pas surchargés ? Un fonctionnaire de la DRAAF me demandait récemment ce qu'il devait faire pour être engagé à la région Bourgogne, considérant qu'il n'en pouvait plus d'être sur les routes du matin au soir.

M. Jean-François Verdier . - Ce sujet me passionne. Avec la DGME, nous avons entrepris un tour de France des régions afin de prendre la mesure des transformations induites par la RGPP sur le terrain. Concernant l'objectif de simplification, je sais, pour être un ancien sous-préfet, que la situation aujourd'hui est plus complexe qu'autrefois. Néanmoins, ces réformes sont récentes ; songez au nombre d'années qu'il a fallu pour que l'on arrête de parler des anciens francs. Plus inquiétant, lors de la première phase de la réforme, les agents ne savaient plus eux-mêmes dans quelle direction ils travaillaient. On a créé des directions regroupées avant de définir les modes de fonctionnement et de gestion des personnels de ces directions, un peu comme si l'on avait construit un immeuble de cinq étages sans poser les fondations. Cela a suscité beaucoup de troubles chez les agents : l'an dernier, dans l'Est, j'ai vu un directeur adjoint pleurer. De fait, les missions n'ont pas diminué, contrairement aux effectifs, et les personnels, provenant de différents ministères, sont plus difficiles à gérer. Nous avons pris ce chantier à bras-le-corps ; nous sommes presque au bout du chemin de l'harmonisation des régimes d'action sociale et de temps de travail -il y en aura trois contre 10. Tout cela sera résolu avant l'été 2011. En revanche, l'harmonisation des régimes indemnitaires, dont le Président de la République a souhaité qu'elle se fasse par le haut, sera progressive, compte tenu de l'état des finances publiques. J'ai plaidé pour qu'on ne la repousse pas plus loin que le 31 décembre 2013. Dans les semaines suivantes, le Premier annoncera le calendrier de cette réforme. Optimiser le fonctionnement de l'administration est impossible sans les agents.

M. François Patriat , président . - Y aura-t-il des conséquences sur les collectivités territoriales ?

M. Jean-François Verdier . - Sans doute, si l'on veut garder le même niveau de services...

M. François Patriat , président . - ...et instaurer la polyvalence demain...

M. Jean-François Verdier . - ...ce qui suppose des actions de formation. La DGME travaille à la conservation d'un même niveau de service avec des effectifs moindres via les chartes Marianne, qui ne sont pas un simple gadget. Autre conséquence, la redéfinition des missions de l'État sur laquelle travaillent actuellement trois missions.

Mme Michèle André . - Poser les fondations après avoir construit un immeuble de cinq étages ? Cette image, pour appartenir à une famille auvergnate du bâtiment, me choque. Rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », je sais que les services de délivrance des papiers d'identité et des cartes grises doivent recourir à des vacataires pour informer les usagers. Même constat concernant le contrôle de légalité : il se concentre sur certains points et certains espaces. N'a-t-on pas fragilisé à l'extrême l'édifice de l'État ?

M. Jean-François Verdier . - J'aime employer cette image parce qu'elle est parlante. Pour autant, elle est peut-être caricaturale car une partie des fondations est là : il n'y a pas eu de rupture du service public. Directeur des ressources humaines à Bercy, j'ai combattu les mesures absurdes préconisées par des auditeurs de 25 ans, qui n'avaient jamais travaillé de leur vie. Les mesures décidées pour les directions départementales interministérielles sont différentes, mais procèdent de la même logique volontariste. Au reste, la plupart des agents s'accordent sur l'objectif -la nécessaire réforme de l'État-, mais non sur les moyens, qu'ils critiquent, y compris aux plus hauts échelons -c'est une nouveauté de cette réforme. Le ministère de l'intérieur a été le seul à recourir à l'intérim, autorisé depuis 2009 ; les autres s'en sont tenus aux contractuels. Dans deux ans, on se félicitera d'avoir construit les fondations en un temps record. Regardez la rapidité de la fusion entre les Impôts et le Trésor public : elle concernait pas moins de 140 000 agents.

M. Gérard Bailly . - Deux tiers des bénéfices dégagés grâce à la RGPP reviendraient aux agents. Pouvez-vous confirmer ce chiffre ?

M. Jean-François Verdier . - Les retours catégoriels sont plutôt de 53 %, d'après la Cour des comptes. Je ne conteste pas le chiffre, mais son interprétation. Les ministères décident de l'utilisation de ces retours en toute liberté : certains revalorisent la rémunération des agents, d'autres prévoient des mesures incitatives à la mobilité pour que les agents quittent le Sud, où ils sont en surnombre, pour le Nord qui est chroniquement déficitaire. Bref, il s'agit surtout de fluidifier la réforme.

M. François Patriat , président . - Merci pour votre franchise ; nous avons apprécié que nous ne maniiez pas la langue de bois.

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