M. Claude Guéant,
ministre de l'intérieur, de l'outre-mer,
des collectivités territoriales et de l'immigration

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M. François Patriat , président . - Nous vous remercions, monsieur le ministre, d'avoir dégagé un peu de votre temps précieux pour être auditionné par notre mission. Bien entendu, à chaque audition, nous renouvelons le constat que la réorganisation de l'État et l'optimisation de ses services étaient nécessaires. Notre objectif est d'en évaluer les conséquences sur les collectivités territoriales. Le constat que celles-ci en retirent varie selon leur taille. Les plus grandes, disposant de compétences et de moyens de gestion importants, sont moins affectées que les petites villes et, a fortiori, que les communes rurales. Ces petites collectivités ont besoin de l'État et elles éprouvent un sentiment d'abandon : 84 % des 180 maires interrogés par l'Association des petites villes de France pensent que l'État ne joue plus son rôle. Il faut reconnaître que l'accumulation des cartes à établir -sanitaire, judiciaire, scolaire etc.- gênent sérieusement certaines villes.

M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration - Je vous remercie de ces mots de bienvenue et je salue le travail de votre mission.

La RGPP était nécessaire pour dynamiser les services publics. En même temps elle est tout à fait compatible avec la recherche d'un meilleur service rendu au public. Elle est née d'une préoccupation majeure, celle de maîtriser la dépense publique en un moment où notre dette atteint 1 600 milliards d'euros et où son service coûte annuellement 45 milliards, soit deux fois le budget de l'Intérieur. Elle repose aussi sur la détermination des agents de la fonction publique auquel je rends hommage pour leur investissement dans cette réforme. Elle a eu pour résultat financier de diminuer de 7 milliards les dépenses de 2011 par rapport à celles de 2009. Mais cette recherche d'économies a toujours été précédée et accompagnée d'une analyse en profondeur du fonctionnement de l'administration. Et cette analyse préalable a permis que l'évolution de l'administration et la diminution de ses effectifs n'affectent pas la qualité des services publics.

Le ministère de l'intérieur a mis en oeuvre 67 réformes : 10 sont déjà appliquées, 44 le sont progressivement, 4 nécessitent encore des ajustements et 3 seulement sont retardées. Entre 2009 et 2011 nous avons gagné plus de 9 000 emplois équivalents temps plein. Nous avons renforcé la présence sur le terrain des forces de sécurité en les recentrant sur leur coeur de métier. Avec le ministère de la justice, nous avons, depuis 2009, développé la visioconférence, ce qui diminue le nombre de transports de détenus, transports gros consommateurs de personnel. Nous avons aussi réduit les forces de sécurité chargées des audiences ou de la surveillance au dépôt, la Justice faisant davantage appel à des réservistes de nos deux ministères ou à des sociétés privées. Nous avons transféré la gestion des centres de rétention administrative de la gendarmerie mobile à la police des frontières. Il faut savoir que, pour une fonction déterminée, il faut un fonctionnaire statique et 1,7 fonctionnaire mobile ou de gendarmerie mobile.

Il est vrai que, souvent, cette réorganisation des services publics peut gêner les élus. Mais, elle est la condition de la pérennité ou de l'amélioration de ces services. En matière sanitaire par exemple, la qualité des soins sur l'ensemble du territoire dépend de leur réorganisation, ce qui passe, souvent, par des restructurations. De même La Poste, une fois transformée, peut apporter des services supplémentaires, bancaires par exemple, y compris au profit de populations auparavant privées d'accès au réseau bancaire.

L'autre objectif de la RGPP, c'est l'amélioration des services rendus. La délivrance des titres est désormais plus sûre et plus commode. Déjà 5 millions de passeports biométriques ont été délivrés, plus de 2 000 communes sont équipées et le délai de délivrance est de 7 jours. Le nouveau Système d'immatriculation des véhicules, après des débuts difficiles a permis d'immatriculer environ 20 millions de véhicules et plus de la moitié des cartes grises ont été délivrées sous trois jours et sans déplacement à la préfecture. Cette délivrance rapprochée a été possible grâce au concours des maires, et les titres délivrés sont plus sûrs. Dans les préfectures le courrier se dématérialise et, à la fin de 2010, 15 % des actes étaient télétransmis et 19 % des collectivités locales étaient raccordées. D'où économies, rapidité et sûreté de la réponse.

Dans un but de rationalisation, la gendarmerie a été rattachée à l'Intérieur en 2009 et il été décidé en 2007 que DST et RG fusionneraient au sein de la DCRI. Avec les RG nous avons supprimé le dernier vestige de police politique qui subsistait en France. Nous avons adapté les zones de compétences des deux corps dont la complémentarité opérationnelle est désormais évidente, comme j'ai pu le vérifier lors de ma visite en Eure-et-Loir, département qui subit des raids de cambrioleurs venus de Paris. Il ya également complémentarité entre les deux corps en matière de ressources humaines, d'immobilier, de commandement ou d'utilisation des hélicoptères. Certains services quotidiens -par exemple les trafics urbains difficiles- sont maintenant exécutés par les deux forces.

Deux autres réformes sont maintenant en préparation. La Direction de la sécurité civile et celle de la prospective et de la planification de la sécurité nationale vont fusionner en une Direction générale de la sécurité civile et des crises, d'ici l'automne. Nous rapprocherons également en un collège les différentes Inspections générales du ministère.

Les collectivités territoriales participent à ces réformes. Le groupe de travail du sénateur Lambert, en 2007, plaidait en faveur d'une clarification des compétences des diverses collectivités, ce que permet la récente réforme territoriale. Nous avons déjà allégé les contraintes normatives pesant sur elles, par le biais de plusieurs lois de simplification du droit. Leurs relations financières avec l'État ont évolué et nous avons fait un effort de péréquation en faveur des communes rurales et de celles qui bénéficient de la DSU. Il y aussi eu une réorganisation entre les différents services régionaux et départementaux.

L'État dispose donc désormais d'une nouvelle administration qui se rénove en permanence. Reste à compléter, à imaginer. Pour les sous-préfectures par exemple dont beaucoup d'anciennes fonctions ont migré vers les préfectures. Très prisées par les élus, elles doivent réinventer leurs fonctions.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Les collectivités territoriales, notamment les petites communes, ont le sentiment d'un certain désengagement de l'État et craignent que la diminution de ses effectifs n'aboutisse à un moindre service de celui-ci auprès de ces communes. A un moindre service par exemple en matière d'ingénierie et d'assistance à la maîtrise d'ouvrages. Au sein de notre mission les avis divergent : les uns dénoncent ce désengagement tandis que les autres y voient la conséquence logique des transferts de compétences. Mais si l'État fixe à la RGPP l'objectif de diminuer ses dépenses, on peut craindre que les missions qu'il exerçait autrefois, soient désormais remplies par les collectivités territoriales et, cela, sans que les moyens correspondants aient été transférés.

La RGPP renforce l'échelon régional, via les nouvelles compétences des préfets -conformément au rapport Balladur qui voyait dans la région l'échelon pertinent. Mais la réforme territoriale privilégie l'échelon départemental. N'est-ce pas contradictoire ? Le préfet de région a une mission de coordination de l'ensemble des politiques publiques. A-t-il les moyens de cette coordination alors que les moyens humains et matériels sont très centralisés, ministère par ministère ?

Et si le préfet de région doit coordonner les politiques publiques dans une logique interministérielle, pourquoi ne pas le placer sous l'autorité du Premier ministre et non plus sous celle du ministre de l'intérieur ?

M. Claude Guéant. - La réforme de l'État tire enfin les conséquences de la décentralisation et de la répartition des compétences. Car malgré le vote des grands textes de décentralisation, tout le monde, y compris l'État, continuait à faire un peu tout. Moi-même, lorsque j'étais préfet de Bretagne, je m'occupais parfois de domaines qui relevaient d'autres collectivités.

L'assistance technique aux petites communes continuera. Le problème est de fixer le seuil à partir duquel on a affaire à une « petite » commune. Autre question : est-il bien opportun, ne serait-ce que du point de vue de la réglementation européenne, que ce soit l'État qui leur fournisse leurs moyens d'ingénierie ? Là aussi, mon expérience passée m'a appris que la fourniture de cette prestation par l'État aux collectivités était parfois un frein à la présence sur place de services d'ingénierie, y compris privés, qui auraient pu concourir au développement économique local.

Nous souhaitons conserver le maillage des sous-préfectures. Si l'on excepte le cas bien connu de Boulogne-Billancourt, leur réseau demeurera, même s'il faut, pour cela, renouveler leurs fonctions.

Le choix a été fait de privilégier le niveau régional comme élément de cohérence des politiques de l'État. C'est le préfet de région qui dispose donc des moyens nécessaires. Cette cohérence était indispensable parce qu'une même politique peut être traduite différemment selon les départements. Je me souviens de nos combats en Bretagne pour la qualité de l'eau : les arrêtés de la police de l'eau différaient selon les départements.

Il y a encore des progrès à faire : les ministères ont toujours tendance à gérer de façon verticale les personnels et les politiques. Mais pour les fonctions les plus interministérielles, l'implication du Secrétaire général du gouvernement est forte et cet engagement se traduira sans doute par une organisation de droit commun qui passera au ministère de l'intérieur. Il vaut mieux que les hauts cadres de l'État soient gérés de façon personnalisée, par un ministre, plutôt que, de façon anonyme, par une administration.

M. Didier Guillaume . - Les élus, toutes tendances confondues, sont troublés par cette réorganisation. Par celle de La Poste par exemple ou par la mise en place des Maisons de santé. Le problème n'est pas le même pour des services moins quotidiens. Je n'ai jamais vu de manifestations de citoyens réclamant le maintien de leur perception. Reste que la fermeture d'une perception rurale, la disparition de ses deux ou trois agents et de leurs enfants, peut concourir à faire fermer des classes, puis l'école.

Pourquoi ne pas délocaliser le travail plutôt que les agents ? En région urbaine les comptables - de services hospitaliers, d'organismes HLM etc. - sont surchargés. L'informatisation permettrait de délocaliser leur travail.

J'accorde que l'aspect régional est essentiel et que le préfet a un rôle de coordination. Mais prenons garde à ce qu'il ne devienne pas un sous-préfet de région. Le rôle d'ingénierie du sous-préfet est indispensable en zone rurale ou par exemple dans mon département qui compte 100 communes de moins de 50 habitants.

Ne peut-on envisager une gestion différenciée entre les zones urbaines et rurales ? Notre République « une et indivisible » est aussi « diverse ».

Envisagez-vous d'aller plus loin dans la clarification des compétences ? A-t-on encore besoin, maintenant que les ARS sont en place, que les ex-DASS restent dans les départements ?

Le gel des dotations et l'augmentation des dépenses sociales départementales laissent peu de marge de manoeuvre pour assurer le travail d'ingénierie. Le gouvernement envisage-t-il de nouvelles avancées -en matière de compétences et de ressources- pour assurer une meilleure cohésion sociale ?

M. Raymond Couderc . - A en juger par les dernières perspectives en matière de croissance et de taux de chômage, il semble que cette politique de maîtrise des dépenses publiques est opportune. Et il était nécessaire de clarifier les différents échelons de compétences. Mais l'État n'aurait-il pas dû, au lieu de préparer sa réforme tout seul, le faire en concertation avec les collectivités territoriales, puisque cette RGPP a de notables conséquences sur celles-ci ?

Mme Michèle André . - Les sous-préfets nous disent qu'ils ont du mal à continuer à faire du conseil, qu'ils ne font quasiment plus de contrôle de légalité et qu'ils s'interrogent, lorsqu'ils ne disposent plus que d'un fonctionnaire de catégorie A, sur la possibilité de remplir leur mission de conseil. Certains vont aussi, chaque matin, travailler en préfecture... Quelle est votre doctrine à ce sujet ?

Sur le contrôle de légalité : un personnel moins nombreux ne peut que contrôler moins d'actes, ce qui pose des problèmes aux élus.

Sur les titres : les photographes attendent un décret qui mette fin à la prise de photographies en mairie. Quand sortira ce décret et quand sera mise en place la carte nationale d'identité biométrique et électronique ? Actuellement 2 000 communes assurent la prise des empreintes et la démarche du CERFA mais ce ne sont pas les communes de naissance. Faudra-t-il modifier le réseau ? Certaines communes pourraient délivrer ces cartes d'identité avec le même matériel mais cela risque d'être plus compliqué dans les grandes.

Mme Catherine Deroche . - Le rapprochement entre police et gendarmerie a tout d'abord suscité des inquiétudes mais j'ai récemment entendu le responsable de la gendarmerie du Maine-et-Loire le qualifier de très positif. Ce rapprochement connaîtra-t-il d'autres évolutions ? On entend la gendarmerie et la police se plaindre d'avoir à gérer les procurations électorales. Quelle autre solution peut-on envisager ? On demande le maintien des sous-préfectures en zone rurale mais il faudrait définir précisément leurs nouvelles fonctions.

M. Adrien Gouteyron - Où en sont les schémas régionaux pour l'immobilier de l'État ? Tout le territoire est-il couvert ?

Question du maire d'une petite commune : l'organisation de la gendarmerie en comités de brigades peut varier. Dans mon département, on peut les redéfinir. Comment y associer les élus ? Autre problème : le maire n'a d'autre moyen, pour exercer ses pouvoirs de police, que de faire appel aux gendarmes. Or, ceux-ci sont de moins en moins disponibles...

M. Claude Guéant. - Je dis clairement que les sous-préfectures doivent être maintenues, sauf exception en cas de consensus local. Cela pose évidemment la question de leurs missions. Elles sont un représentant de l'État, proche des maires, des citoyens, des associations. La difficulté vient de ce qu'elles avaient auparavant deux missions : le conseil juridique ou contrôle de légalité et la délivrance des titres. Le transfert du contrôle de légalité à la préfecture permet un contrôle plus pointu. Auparavant ce contrôle de légalité était souvent fait par deux agents non spécialisés, perdus dans le dédale des différentes règlementations. Des agents plus compétents sont garants d'une meilleure sécurité juridique. A l'avenir les sous-préfectures pourraient être les relais des politiques prioritaires de l'État ; la transition ne serait pas facile car les agents des sous-préfectures étaient des agents d'exécution et, lorsqu'on a fait toute sa vie des cartes grises, on ne s'improvise pas conseiller en matière d'emploi.

Monsieur Guillaume, l'informatisation, la télétransmission et le télétravail permettront en effet de délocaliser le travail. J'ai vu une sous-préfecture faire la sous-traitance d'une préfecture. Dans la sous-préfecture de Châteaubriant, trois agents travaillent sur la délivrance de titres, comme s'ils étaient à la préfecture, ce qui a évité leur déménagement.

Mais les services de l'État n'ont pas tous vocation à réaliser l'aménagement du territoire : la carte militaire, par exemple, n'est pas faite pour ça. Et la réforme de la DGFIP, avec la disparition de certaines trésoreries démontre que, lorsque plusieurs services sont rassemblés en un même lieu, le service public est amélioré. Faut-il aller plus loin, par exemple dans le secteur de la santé ? Les anciennes DASS ne représentent que peu d'agents. La question est posée mais l'État doit disposer d'un minimum de masse critique pour pouvoir réagir lors de circonstances exceptionnelles.

Monsieur Couderc, vous demandez si la concertation avec les collectivités a été suffisante. Si vous posez la question, c'est qu'elle n'a pas été suffisante. On aurait dû faire davantage, y compris avec les agents de l'État qui peuvent être fiers des réformes accomplies.

Monsieur Gouteyron, il peut y avoir des variations dans l'organisation des comités de brigade. Il faut que cela se fasse en lien étroit avec les élus. J'ai demandé aux commandants de brigades de gendarmerie d'informer davantage les élus de l'activité de leur brigade et de l'actualité de la sécurité telle qu'ils la ressentent.

Madame André, la carte nationale d'identité électronique sera l'occasion d'implanter 300 stations supplémentaires. Le décret sur les photographies est au Conseil d'État, il sera publié avant l'été et le 31 décembre 2011 sera le dernier jour des photos en mairie. La proposition de loi Lecerf sur la protection de l'identité passera le 31 mai devant le Sénat. C'est un texte important.

Madame Deroche, je vous confirme que les rapports entre police et gendarmerie sont excellents et que c'est un plaisir de constater leur esprit de collaboration.

J'ai cité un exemple tout à l'heure, mais il y en a bien d'autres.

Les gendarmes sont extrêmement attachés à leur statut militaire. Le gouvernement aussi. Bien sûr, la distribution des rôles doit être équitable. Je m'y attache.

M. François Patriat , président . - Conjuguer la RGPP, la réforme de la taxe professionnelle et la réforme des collectivités territoriales : telle est source des difficultés. On peut donc s'interroger légitimement sur l'opportunité d'une pause.

D'autre part, nous ne connaissons pas la répartition par départements des suppressions de postes opérées dans les ministères.

M. Claude Guéant . - Je vous les communiquerai.

Comme vous le savez, 15 escadrons de gendarmerie mobile ont été dissous ou doivent l'être. Pour l'essentiel, les postes seront affectés à la gendarmerie départementale, la pacification des rapports sociaux permettant de privilégier la sécurité au quotidien.

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