Mercredi 15 juin 2011

M. Jean-Louis Daumas,
directeur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ),
ministère de la justice et des libertés

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M. François Patriat, président . - Je vous remercie de répondre aux questions qui vous ont été adressées.

M. Jean-Louis Daumas, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) . - D'un point de vue territorial, la RGPP a d'abord été un exercice de formatage des territoires par la réduction du nombre de circonscriptions régionales de 15 à 9.

Les structures des services des 100 départements ont été réduites en 53 directions territoriales (DT) contrastées. Un exemple : la DT de Seine-Saint-Denis est compétente pour le seul département de Seine-Saint-Denis, comme la DT du Nord (le plus gros département en termes de prise en charge). En revanche, une seule DT est compétente pour les Vosges, le Jura, le territoire de Belfort et la Haute-Saône. Les administrations ont été rationalisées en conséquence.

Cette décrue a permis de récupérer un nombre important de personnels techniques et administratifs dédiés à des fonctions support et reversés sur les fonctions « coeur de métier » (l'éducatif).

L'encadrement a subi la même évolution, une réforme lourde : jusqu'en 2010, les directeurs -de catégorie A-, recrutés à Bac + 3 étaient en charge d'un établissement de placement éducatif (EPM) qui regroupe environ 15 fonctionnaires ; aujourd'hui, le directeur de service a compétence pour deux unités éducatives (il a sous ses ordres deux responsables d'établissement, de catégorie A).

En ce qui concerne la mission de l'enfance en danger, la loi de 1986 et deux lois de 2007 ont transformé radicalement les relations entre l'Etat et les départements.

Pour la PJJ, le département est devenu la structure de proximité qui prend en charge la personne humaine depuis le petit âge jusqu'à la fin de vie.

L'Etat régalien s'est recentré sur les adolescents les plus difficiles, pris en charge au pénal et à titre subsidiaire quand l'intervention administrative des départements n'a pas produit de résultats (avec l'intervention de l'autorité judiciaire).

La PJJ a donc concentré tous ses moyens sur ces adolescents mais ne s'est pas pour autant désengagée du reste. Le décret de 2008 a d'ailleurs positionné le DPJJ comme étant en charge de toute la protection de l'enfance.

Je regrette qu'aujourd'hui certains acteurs publics opposent les missions les unes aux autres. Protéger les mineurs délinquants, c'est protéger l'enfance en évitant la réitération.

Les départements ont été associés à la réforme. Mon prédécesseur a rencontré le président de l'Assemblée des départements de France (ADF). Il est vrai que les divergences sur les politiques gouvernementales ont pesé sur la discussion.

Mais la collaboration est fructueuse avec les départements en termes d'audit sur la politique éducative des établissements. Un corps de 170 auditeurs a été créé à la PJJ, proposé aux départements pour conduire des audits conjoints de certains établissements de protection de l'enfance. Cela a abouti à la signature de 41 conventions signées avec des départements de toutes les familles politiques.

Jusqu'en 2005, les services de la PJJ développaient l'aide aux jeunes majeurs de 18 à 21 ans  qui représentaient 40 % des crédits de fonctionnement (par le coût du prix de journée de la prise en charge de ces jeunes majeurs). Après 2007, la PJJ s'est recentrée sur les mineurs délinquants et ces 40 % leur ont été réaffectés. C'est une question de choix éminemment sensible, politique. On constatait la demande de jeunes adultes qui sollicitaient dès leurs 18 ans révolus la protection de la PJJ car ils étaient en situation de grande précarité. Question : cela relève-t-il des missions du ministère de la justice ?

Dès lors que le législateur a demandé un recentrage des missions de la PJJ, celle-ci a fait porter ses efforts sur la prise en charge des mineurs délinquants. Les effectifs concernés -16 % des 8 000 ETP PJJ- ont été récupérés au profit de cette mission. Cela a pu conduire à un « défaussement » sur les départements.

Un rapport de la Cour des comptes a émis en 2003 un jugement extrêmement sévère sur le fonctionnement de la PJJ. Mais dans son rapport de suite, la Cour a acté que, par la réforme managériale des fonctions support, le tir avait été favorablement corrigé en 2006.

La réforme structurelle prend en compte les bassins de vie, les bassins socio-démographiques plutôt que les limites administratives des territoires. Indéniablement, donc, aujourd'hui, la réunion de plusieurs départements permet de mieux appréhender le territoire au-delà des limites administratives.

Deux réformes importantes ont eu une incidence sur les services de la PJJ :

- la réforme de la carte judiciaire a impacté celle de la PJJ ;

- depuis la loi de programmation de la justice de 2002, la PJJ est intervenue de nouveau dans les lieux de détention de mineurs.

Actuellement, on entend les propos de certains leaders d'opinion sur l'échec des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), à la suite de la prise en otage d'une éducatrice à Meyzieu. Ma carrière m'a conduit à connaître les deux mondes -PJJ et administration pénitentiaire (AP)- : à partir de 1978 comme éducateur de l'éducation surveillée puis à l'AP en dirigeant quatre prisons pendant 18 ans. Aujourd'hui, je suis retourné à la PJJ. Les frontières entre les deux secteurs n'ont pas de sens.

Pendant 20 ans, on a retiré les éducateurs de l'AP : c'était une mauvaise chose. En 2002, les éducateurs de la PJJ sont retournés dans les prisons et c'est très bien. En 2002, 900 mineurs étaient détenus dans les prisons ; ils sont aujourd'hui 780. C'est une décrue lente mais continue.

10 % de la PJJ (des éducateurs) ont été versés dans les prisons. Cela coûte très cher mais il faut savoir ce qu'on veut. Tant qu'on voudra des prisons spécialisées pour les mineurs, il faudra y affecter des éducateurs.

Pour les fonctions de soutien, l'application de la règle de la suppression d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, s'est traduite à la PJJ par le non-remplacement de deux postes sur trois sur les trois dernières années : une diminution de trois fois 140 postes.

M. François Patriat, président . - Comment assumez-vous alors vos fonctions ?

M. Jean-Louis Daumas . - Grâce à la réorganisation des fonctions support. Une direction territoriale regroupe 12 à 15 personnes.

On a sanctuarisé les ETP éducateurs. Mais il est clair que si le mouvement se poursuivait dans la loi de finances pour 2012, on attaquerait « l'os » ; nous serions obligés de réduire les missions car les fonctions support ne présentent plus d'emplois à supprimer.

M. Didier Guillaume . - Je suis très impressionné par la qualité de l'exposé.

Quelques remarques :

- sur les mauvaises relations entre l'ADF et la PJJ ; votre vision n'est pas bonne. Les divergences politiques avec le Gouvernement n'expliquent pas les mauvaises relations. Le président de l'ADF représente l'ensemble des présidents de conseil général. Les départements sont confrontés à de vraies difficultés. Ils accueillent toujours plus de monde sur décision de justice. Ils arrivent à saturation. Ils ne peuvent plus, le samedi à 23 heures 30, aller chercher un enfant à 250 km. C'est difficile pour nous comme pour vous. Les départements, à un moment, expriment leur ras-le-bol.

C'est vrai que le département accompagne l'humain de la naissance à la mort. Mais certains d'entre eux connaissent d'énormes difficultés à gérer.

Sur la rationalisation des fonctions support, on constate les difficultés de la PJJ à effectuer des missions sur le terrain et cela a un impact sur les départements.

Les conseils généraux gèrent à l'intérieur des limites administratives et constatent que la réorganisation n'est pas un signe de plus grande qualité, en dépit de la compétence des collaborateurs de la PJJ. Mais On est déjà « à l'os ». Le travail ne se fait pas faute de moyens.

Il y a trois ans, la situation des mineurs délinquants n'était pas la même qu'aujourd'hui. Les jeunes majeurs posent un vrai problème aux départements.

La PJJ a besoin de plus communiquer sur le terrain (quand des difficultés surgissent, on recherche toujours un bouc émissaire...).

M. Jean-Louis Daumas . - Oui, sur les relations avec l'ADF, j'ai été rapide ; les crispations des relations entre l'Etat et les collectivités peuvent aussi être liées au dialogue républicain.

M. Didier Guillaume . - C'est au coeur de la réflexion sur le dialogue républicain. Les élus sont engagés politiquement, notamment les parlementaires, mais les élus font la différence entre les représentants du pouvoir politique et ceux qui travaillent sur le terrain.

M. François Patriat, président . - On sent la passion de l'acteur engagé sur le terrain quotidiennement.

Mme Michèle André . - Sur la réorganisation des fonctions-support : on a vu ce que cela donnait dans les préfectures.

Aujourd'hui, il faut regrouper les forces restantes pour travailler efficacement.

La question est : où est la place de la PJJ ? Et à côté, le rôle des associations ? Ce débat est toujours là !

A Mayotte, où je me suis rendue en mission, quelles sont les forces de la PJJ ? Ne doit-on pas là-bas utiliser des moyens forts pour une jeunesse en grande difficulté ?

M. Jean-Louis Daumas . - Sur la rationalisation des fonctions support, il était utile, hors RGPP, de réfléchir à la réorganisation de cette direction (alors, 8.000 agents et un maillage de 15 directions régionales et de 100 directions départementales), avec les gains en technologie et en bureautique.

Le reformatage à la baisse est inéluctable. Mais cet exercice a ses limites.

A Mayotte, les difficultés concernent la présence de mineurs étrangers isolés qu'il faut protéger. Cette question a été très bien analysée dans un rapport de la sénatrice Isabelle Debré en 2010. Il y a là un vrai problème.

M. Jean-Luc Fichet . - Il est vrai que la RGPP, à un moment, permet de revisiter les fonctions support et ce n'est pas une mauvaise chose en soi.

Mais aujourd'hui, la RGPP a une incidence sur le recrutement de personnels et sur leurs missions. Quelle est la formation de ces personnels et se soucie-t-on toujours de la qualité de la formation ?

M. Jean-Louis Daumas . - Le choix stratégique a été fait de maintenir le cursus à deux années pleines de formation pour les éducateurs de la PJJ car les publics en charge sont les plus pauvres et démunis de la République et on doit leur attribuer des agents bien formés.

J'ai dirigé l'école de la PJJ qui appartient au réseau des écoles du service public. L'école historique de Vaucresson a été délocalisée, il y a deux ans, à Roubaix, de forte culture ouvrière, de fort sentiment identitaire. Un effort a été fait sur les bâtiments avec des salles, un amphithéâtre, une résidence hôtelière et un restaurant.

M. François Patriat, président . - Je vous remercie, Monsieur le directeur.

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