C. DES RISQUES QUI S'ACCROISSENT

Si les chiffres de mortalité liés à l'usage de drogues illicites peuvent accréditer l'idée que les risques encourus ne sont « pas si graves » au regard des drogues illicites - quelques centaines d'overdoses fatales par an pour les premières, contre 30 000 décès dus à l'alcool et 60 000 au tabac -, une analyse plus pointue montre très vite que les dommages liés aux toxicomanies sont excessivement élevés, pour les usagers eux-mêmes comme pour leur entourage proche et pour la société dans son ensemble.

1. De graves risques pour la santé

Les risques que fait peser la consommation de drogues concernent aussi bien les usagers pris individuellement - ils sont alors aussi bien d'ordre physique que psychique - que dans les relations qu'ils entretiennent entre eux.

a) Des risques individuels : les effets des drogues sur l'organisme

Toute drogue présente, à des degrés divers, un potentiel intoxicant somatique, c'est-à-dire capable de léser physiquement certains organes, et un potentiel intoxicant psychique.

S'agissant tout d'abord du potentiel intoxicant somatique , la conséquence sanitaire la plus brutale - et fort heureusement la plus rare - liée à l'usage de drogues est bien sûr le décès par overdose. Et en la matière, ainsi que l'a fait observer M. Jean-Michel Costes, directeur de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), « le risque majeur - cela ne fait pas débat dans la littérature scientifique - est l'utilisation de la voie intraveineuse ». C'est pourquoi, ainsi que le rapport mondial sur les drogues de 1996, rapportant des études réalisées en Angleterre dans les années 60, l'accréditait, les héroïnomanes ont un taux de mortalité très supérieur à la moyenne.

Selon les dernières données de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) en la matière, le nombre de décès par overdose s'élève actuellement à environ 300 par an. M. Jean-Michel Costes, directeur de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), a toutefois tenu à apporter un correctif à cet indicateur : « on sait en effet, pour avoir mené d'autres études, que l'on sous-estime de 25 % à 30 % le nombre des décès. Il est même probable que les décès liés à l'usage problématique de drogues soient plus proches du millier que de 300. Cela reste à relativiser par rapport à la position de la France, dont le taux de mortalité est inférieur à la moyenne européenne » (60 ( * )) .

Même nuance de la part de M. François Thierry, (OCRTIS), selon lequel « on sait qu'il existe un chiffre noir des décès par overdose de cocaïne et que certaines personnes développent des troubles mentaux sévères mais aussi bien d'autres pathologies. Nous sommes persuadés qu'un certain nombre d'infarctus, de ruptures d'anévrisme, etc., sont dus à la consommation de ce produit sans que ce soit détecté. Il reste donc de gros progrès à faire dans ce domaine » (61 ( * )) .

Les facteurs augmentant les risques d'overdose sont relativement variés. Cela peut tenir à la qualité des produits, et notamment à l'augmentation significative (62 ( * )) de la teneur en composants actifs, qui favorise les surdoses, comme à la quantité utilisée. Cela provient également des modes de consommation : comme l'a fait remarquer M. Jean-Michel Costes, « les overdoses se produisent essentiellement à la suite d'une rechute ou à la fin d'une incarcération, l'usager de drogues ayant oublié que la méthodologie a changé ».

En dehors des cas de mort directement liés à leur consommation, les drogues ont des effets néfastes avérés sur la physiologie des utilisateurs :

- l' héroïne a des conséquences sur le système nerveux, entraînant une rigidité musculaire, des vomissements et des problèmes respiratoires ; sur le système cardiovasculaire, engendrant une modification de la fréquence cardiaque ; sur le système gastro-intestinal, notamment sur la vésicule biliaire ; et enfin sur la peau et la dentition. Une consommation prolongée peut même entraîner une baisse du désir sexuel jusqu'à l'impuissance chez l'homme, une perturbation du cycle menstruel chez la femme, ainsi que léthargie et anorexie ;

- la cocaïne et le crack , favorisant la coagulation du sang, peuvent entraîner des oedèmes cérébraux, des atrophies cérébrales, des infarctus du myocarde et des crises d'épilepsie ;

- le cannabis provoque des effets quasi immédiats (pupilles dilatées avec une irritation des conjonctives, hypotension, sensation de soif, hypoglycémie, parfois nausées et vomissements), temporaires, réversibles et d'intensité en règle générale modérée. Ils peuvent parfois être à l'origine de malaises, d'une chute de la tension artérielle et de tachycardie favorisant les thromboses et les embolies. En cas de prise répétée et massive, les effets sont de même nature que ceux observés chez les grands fumeurs (troubles du sommeil, amaigrissement, constipation et des problèmes dentaires, laryngites et bronchites, problèmes cardiovasculaires et troubles asthmatiques, probabilité accrue de complications foetales et néonatales, voire cancers) ;

- les drogues de synthèse engendrent, elles aussi, des effets à court terme (tension musculaire, nausée, vision brouillée, faiblesse générale, frissons ou transpiration) qui peuvent être suivis d'effets brutaux (coagulation intravasculaire, insuffisance rénale aiguë, anémie aplasique, endommagement de certains organes comme le foie, le cerveau et le coeur, dégénérescence des cellules nerveuses, accident vasculaire cérébral).

Les effets néfastes des drogues sur l'organisme sont d'autant plus importants que la première expérimentation se fait jeune et qu'elle laisse place à une consommation régulière et soutenue. Tel est le constat dressé par le professeur Michel Reynaud à propos du cannabis, pour qui « le danger réside dans sa consommation massive par des jeunes qui présentent une vulnérabilité cérébrale à ce produit. Plus on commence tôt, plus on a de chances de devenir dépendant et plus on altère ses circuits cérébraux » (63 ( * )) . Le professeur a donc logiquement préconisé, comme « premier moyen de réduire les dommages », le fait d'éviter, « dans toute la mesure du possible, toute consommation de la part des moins de dix-huit ou vingt ans », tout en reconnaissant que ce sont « précisément ceux qui cherchent à consommer ». Le professeur Jean Costentin a pareillement fait observer que « la rencontre avec le cannabis a lieu à l'adolescence, période de grande vulnérabilité où le système nerveux central n'est pas encore fini. En interférant dans les processus de «prolifération» et d'«élagage» en cours, le cannabis perturbe gravement son achèvement » (64 ( * )) .

Outre les effets physiologiques à proprement parler, les effets sur le psychisme des consommateurs de stupéfiants peuvent être considérables : modification de l'humeur, anxiété, dépression, crise d'angoisse et de panique, perte de contrôle de soi, trouble du comportement, délire, épisode psychotique, trouble de la personnalité, paranoïa... S'ils sont répétés, ces troubles deviennent durables et peuvent conduire à des affections psychiatriques graves : dépression, psychose, paranoïa ou schizophrénie chroniques.

À cet égard, des interactions entre usage de cannabis et schizophrénie semblent aujourd'hui bien établies. « C'est un fait que 95 % des schizophrènes ont fumé du cannabis », a ainsi souligné M. Jean Canneva, président de l'Union nationale des amis et familles de malades psychiques (1) . Si le sens de la relation de causalité entre les deux est encore incertain, « on ne peut pas soutenir qu'il n'existe pas de lien entre les deux » a-t-il fait valoir, rapportant que des jeunes dépourvus de problèmes psychiques « disjonctaient » brutalement après avoir fumé du cannabis. « Cette consommation n'est peut-être pas la seule cause de leur problème comportemental mais pour des personnalités fragiles, elle est sans doute un facteur déclenchant », a estimé M. Jean Canneva.

Même constat de la part du professeur Jean Costentin, pour qui « plus personne ne nie sérieusement la relation entre cannabis et schizophrénie ; plus le cannabis est consommé tôt et à des doses élevées, plus les conséquences sur le développement psychique, la mémoire, les processus éducatifs, l'anxiété et la dépression sont graves. Le discours sur le cannabis ne peut plus être celui qui nous était servi il y a trente ans » (1) . Pour le docteur Henri Joyeux également, la drogue « abîme le cerveau et de multiples études montrent chez les jeunes une augmentation de la schizophrénie liée à l'utilisation de la drogue » (65 ( * )) .

L'ensemble de ces effets psychiatriques est susceptible de déboucher sur les conséquences les plus graves, et notamment l'automutilation ou la mort par suicide . Les interactions entre consommation de drogue et suicide ont été démontrées dans la littérature scientifique (66 ( * )) : on a en effet constaté une nette augmentation des comportements suicidaires chez les adolescents qui consomment des drogues. Ainsi, le troisième facteur de risque des comportements suicidaires, selon le degré d'importance, est la consommation de drogue, les deux premiers étant les tentatives précédentes et la dépression. « À l'adolescence », constate ainsi le professeur Philippe Jeammet, « nous voyons s'installer sous nos yeux des conduites destructrices qui ne sont pas choisies, mais qui donnent le sentiment d'exister. Ces conduites peuvent aller jusqu'au suicide : je n'ai pas choisi de naître, mais je peux choisir de mourir - ce qui me permet aussi d'envoyer ce geste à la face des autres » (67 ( * )) .

Outre l'incitation au suicide qu'engendrent les effets psycho-sociaux des drogues, leurs effets neuronaux immédiats peuvent également entraîner des comportements suicidaires involontaires , en altérant l'état de conscience des usagers. À cet égard, le cannabis très fortement titré, comme il s'en vend de plus en plus, est naturellement beaucoup plus dangereux que le cannabis de base. Le rapport de la mission sénatoriale sur les drogues illicites de 2003 a ainsi évoqué le cas, fort médiatisé, d'un jeune homme s'étant défenestré après avoir fumé un « joint » préparé avec du cannabis provenant de Hollande et titré à 14,4 %.


* (60) Audition du 12 janvier 2011.

* (61) Audition du 26 janvier 2011.

* (62) Voir supra .

* (63) Audition du 11 mai 2011.

* (64) Audition du 2 février 2011.

* (65) Audition du 9 février 2011.

* (66) Forman, Susan G. et Kalafat, John, Substance abuse and suicide: promoting resilience against self-destructive behavior in youth , School psychology review, vol. 27, n°.3, pp. 398-406, 1998.

* (67) Audition du 11 mai 2011.

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