b) L'ambiguïté du message délivré

Toutes les personnes entendues par vos rapporteurs ont, sans exception, jugé nécessaire de prévenir les toxicomanies. Vos rapporteurs se félicitent de cette intention unanime, mais constatent qu'elle recouvre des approches, en pratique, fort diverses, selon qu'on parle de prévention primaire, secondaire ou même tertiaire. Ils sont pour leur part persuadés qu'une politique de prévention du passage à l'acte suppose un message clair et univoque : consommer de la drogue constitue un danger que l'on fait courir à soi-même et un risque pour la société dans son ensemble.

La création de centres d'injection supervisés constituerait, de ce point de vue, une incohérence qu'il serait difficile de justifier. Comment, en effet, alerter les jeunes sur les dangers de la drogue et présenter sa consommation comme un risque inacceptable pour leur santé, leur insertion sociale et leur entourage qui justifie qu'elle soit pénalement réprimée et, dans le même temps, créer des zones de non-droit où l'usage de substances illicites et nocives serait toléré ? M. Patrick Romestaing, président de la section Santé publique du Conseil national de l'ordre des médecins, a parfaitement cerné le problème : « sur le fond, nous en sommes d'accord, il faut tout faire pour assurer une prise en charge correcte des toxicomanes. Mais prévenir les toxicomanies, c'est aussi ne pas exposer, aux yeux des jeunes en particulier, des lieux de consommation légale » (272 ( * )) .

La confusion du message de santé publique qui résulterait de la création de centres d'injection supervisés a également été soulignée par l'Académie nationale de médecine, qui a jugé, dans son communiqué du 11 janvier 2011, que « la mise à disposition de [...] salles d'injection aurait pour effet de sortir, de facto, les drogues les plus détériorantes du statut illicite où elles sont actuellement et de remettre ainsi en question l'image répulsive qu'il convient de leur conserver pour éviter toute confusion dans la population dans son ensemble et, en particulier, chez les jeunes ».

Il est en effet déjà suffisamment difficile de batailler contre la banalisation de la consommation de produits psychoactifs parmi les jeunes. Vos rapporteurs ne pensent pas opportun de compliquer cette tâche en donnant l'impression que l'usage de drogues pourrait être admissible et que dans certaines situations particulières, la puissance publique pourrait accompagner les toxicomanes dans leur addiction.

Comme l'ont souligné de multiples personnes auditionnées par la mission d'information, tel M. Serge Lebigot, président de l'association Parents contre la drogue (273 ( * )) , les familles seraient particulièrement démunies pour alerter leurs enfants contre les dangers de la drogue si, parallèlement, se mettait en place une « politique de la capitulation ». L'accompagnement des personnes dépendantes doit certes être organisé, par une offre de soins et d'insertion adéquate. Il ne peut prendre la forme d'une supervision bienveillante qui laisserait penser, à tort, que la pratique de la consommation de drogues serait dépourvue de risques ou, dans certains cas bien contrôlés, acceptable.

Vos rapporteurs jugent en outre que le message de santé publique serait brouillé non seulement à l'égard des non-consommateurs mais aussi en direction de toutes les personnes dépendantes qui envisagent de rompre avec leur addiction, et sont en recherche d'un centre de traitement ou sur liste d'attente pour accéder à une structure d'hébergement thérapeutique. Comment justifier à leur égard que des moyens financiers publics soient dégagés pour superviser des pratiques dont ils essaient, parfois désespérément, de sortir mais sans y parvenir faute d'une offre de soins suffisante ? Vos rapporteurs en sont convaincus : si l'on souhaite une politique de prévention efficace et des entrées de personnes dépendantes en traitement, le discours sur les drogues doit être clair. Toute ambiguïté ne pourrait qu'en amoindrir l'efficacité.


* (272) Audition du 9 mars 2011.

* (273) Audition du 23 mars 2011.

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