Audition M. Per Holmström, ministre plénipotentiaire à l'ambassade de Suède en France

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - L'audition à laquelle nous allons procéder maintenant va nous permettre d'établir une comparaison entre la politique française en matière de toxicomanie et celle d'un autre pays européen doté d'une politique très spécifique, la Suède.

Sans dévoiler ni détailler le contenu de cette politique, ce que fera dans un instant M. Holmström, je crois que l'on peut qualifier celle-ci de globalement très restrictive à l'égard des drogues et de la toxicomanie -et ce depuis une quarantaine d'années. Il nous a semblé intéressant de tirer les fruits de l'expérience suédoise et de réfléchir à ce qui pourrait être transposé dans notre pays.

Vous avez la parole...

M. Per Holmström . - Je ne suis pas expert en matière de politique suédoise de toxicomanie. Etant donné les circonstances et les événements internationaux récents au Sud de la Méditerranée, je n'ai malheureusement ni eu le temps suffisant pour me préparer de la façon que j'aurais souhaité, ni reçu le soutien que j'aurais espéré de mon ministère des affaires sociales et de la santé.

Je vous propose donc de répondre dans la mesure du possible à vos questions et, pour celles qui dépassent ma compétence, de le faire plus tard, soit par oral, soit par écrit.

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Fort bien ! Pouvez-nous présenter la politique suédoise de lutte contre les drogues illicites ? Quels en sont les grands axes ?

M. Per Holmström . - Il est vrai que la politique suédoise en la matière est répressive et concerne non seulement les drogues mais également, l'alcool, le tabagisme, le dopage et les jeux.

L'accès à l'alcool est assez restrictif et la consommation d'alcool par tête d'habitant est de ce fait inférieure à la moyenne européenne. Il existe en Suède un monopole de la distribution et la vente d'alcool aux moins de 20 ans.

En ce qui concerne la législation sur les drogues illicites, la France et la Suède ont depuis longtemps des politiques assez fermes au sein de l'Union européenne. Depuis 1988, avoir de la drogue sur soi, en transporter ou aider quelqu'un à en vendre constitue une infraction pénale ; les pouvoirs publics affichent une tolérance zéro en la matière. C'est un point essentiel à retenir.

En 2009, d'après les dernières statistiques basées sur des sondages anonymes auprès de jeunes et d'adultes, environ 26.000 personnes sur une population de 9,5 millions d'habitants ont été considérées comme dépendantes. Les questionnaires qui sont établis en troisième auprès des jeunes de 15 ans révèlent que 9 % des garçons et 7 % des filles avouent avoir essayé, une fois dans leur vie, des drogues -cannabis ou autres.

Il s'agit d'une légère augmentation par rapport à 2008 ; toutefois, dans les années 2000, les statistiques étaient un peu plus élevées.

Lorsqu'on demande aux jeunes s'ils ont utilisé du cannabis dans les 30 jours écoulés, on se situe entre 2 et 3 % pour les garçons contre 1 % pour les filles. Pour ce qui est des adultes, environ 15 à 16 % des hommes et 7 à 8 % des femmes ont essayé des drogues au moins une fois dans leur vie. L'utilisation durant les douze derniers mois est à peu près égale chez les hommes et chez les femmes et tourne autour de 1 à 2 %.

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Quels sont les types de drogues consommées ?

M. Per Holmström . - Je vous ferai parvenir le dernier rapport national soumis à l'Union européenne contenant des statistiques sur l'utilisation des différentes substances. Il s'agit en grande partie de cannabis, de cocaïne et d'héroïne.

M. Jacky Le Menn, sénateur . - Cette tolérance zéro a-t-elle toujours existé ? Les législations antérieures n'étaient-elles pas plus permissives ?

M. Per Holmström . - Comme partout en Europe, durant les années 1970, la consommation et la possession pour usage personnel de drogues légères ont peut-être donné lieu à un certain laxisme mais sur le fond, nous avons toujours adopté une position assez restrictive sur les drogues. A la fin des années 1980, le resserrement a été encore plus fort.

Mme Catherine Lemorton, députée . - Vu de France, votre pays a la réputation de mener de grands plans de prévention. En milieu scolaire, quels moyens mettez-vous en oeuvre pour lutter contre les addictions de tous ordres ? De quels personnels disposez-vous -infirmières, médecins ? La sensibilisation au cannabis dans les écoles est-elle réalisée par les forces de l'ordre ?

M. Per Holmström . - En Suède, les ministères sont de petites entités. Le ministère des affaires sociales et de la santé ne compte pas plus de 300 personnes. Les ministères envoient des impulsions politiques aux administrations centrales et locales indépendantes, qui agissent sur la base de ces orientations.

Le ministre de la santé a créé il y a quelques années un secrétariat de coordination relatif aux questions d'addiction chargé de veiller à la cohérence de tous les acteurs de la société, soit dans le domaine de la prévention, soit dans celui de la répression ou la réhabilitation.

En Suède, les communes -qui ne sont pas aussi nombreuses qu'en France- ont une plus large autonomie, un plus grand pouvoir de taxation et des responsabilités plus grandes qu'en France. Les écoles relèvent par exemple de la responsabilité des communes. Les communes ont vivement encouragé la création de postes spécifiques autour de la toxicomanie et des dépendances. Les trois-quarts des communes ont mis en place des personnels qui supervisent la cohérence des structures sociales et communales en la matière.

Beaucoup de moyens sont mis en place dans les écoles en matière d'information. Ce n'est pas la police qui en est chargée mais des civils -professeurs, habitants de la commune...

Il existe également un certain nombre d'interventions sur les sujets qui tournent autour de la drogue ; certaines actions touchent à la fois aux mobiles et aux risques auxquels peuvent être confrontés des adolescents.

Des moyens financiers viennent également soutenir nombre d'organisations et d'associations. Je vous invite à vous rendre sur le site en langue anglaise « Drugsmart.com », qui est uniquement tourné vers les jeunes, avec des chats, des informations sur les drogues formulées de telle façon que les adolescents les comprennent, des jeux, des concours. Il est également possible d'obtenir des bourses en faveur d'activités que l'on veut encourager.

M. Jacky Le Menn, sénateur . - Pouvez-vous nous apporter davantage d'informations sur la partie curative concernant les personnes alcooliques ou se trouvant dans un processus de décompensation liée à la prise régulière de certaines drogues ?

M. Per Holmström . - Je ne suis malheureusement pas en mesure de répondre aujourd'hui. Je reviendrai vers vous...

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Vous avez la possibilité de nous apporter un certain nombre d'informations ou de compléments par écrit -certes dans des délais quelque peu contraints, notre mission achevant ses auditions dans deux mois.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Je souhaiterais revenir sur la prévention et la prise en charge par les communes. N'existe-t-il pas de programme national ?

J'ai par ailleurs cru comprendre que la prévention intervenait très tôt, dès le CM 2, non seulement en matière de toxicomanies mais également de pédophilie, de tabac ou d'alcool. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Enfin, le testing s'applique-t-il uniquement dans les collèges ou est-il généralisé ?

M. Per Holmström . - Il existe des programmes nationaux mis en oeuvre par les préfectures mais aussi par les communes. Les actions concernent tous les domaines : ce n'est donc pas réservé aux communes même si les grands axes sont définis nationalement.

S'agissant de l'information délivrée aux enfants, elle commence avant le collège mais l'essentiel se fait au collège.

Quant au testing, je ne puis vous dire si cela se fait dès le collège ; je devrai donc revenir vers vous pour cela.

M. Daniel Vaillant, député . - Existe-t-il en Suède un service civique ou militaire, au moment de l'adolescence et du passage à l'acte ?

Comment appréhendez-vous la question du risque sanitaire et de la transmission de maladies comme le VIH -même si vous y êtes moins confrontés que la France, du fait de son mélange de populations ?

Enfin, quelle réponse apportez-vous aux trafics ? Cela peut sembler marginal en Suède mais il doit bien exister des trafics ! Réglez-vous cette question par la prison ? Comment faire en sorte que les gens s'amendent avant qu'ils n'en sortent -s'ils y vont ?

M. Per Holmström . - Il n'existe pas de service civique pour les adolescents. Le service militaire est devenu aujourd'hui quasiment volontaire en Suède. Personnellement, je trouve cela dommage mais c'est un débat assez similaire à celui que vous connaissez en France et qui n'est pas tranché.

Le débat à propos de la question sanitaire est également assez vif en Suède. Pour l'instant, l'échange de seringues, malgré le fait que cela peut réduire les risques de transmission de certaines maladies comme le VIH, n'est pas considéré comme une réponse au problème. C'est une question d'idéologie et il n'est pas question de l'aborder pour l'instant. Cela n'empêche toutefois pas le débat. La Suède a étudié ce qui se passait en Suisse et le Gouvernement en a tiré ses conclusions.

Le trafic est bien sûr une question essentielle de la stratégie globale qui consiste à travailler au mieux sur l'offre. Des moyens sont mis à disposition des douanes. J'imagine qu'elles travaillent à peu près comme en France. Les flux, en Suède, sont importants et le trafic est sévèrement réprimé ; il peut facilement donner lieu à dix ans de prison.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - L'échange de seringues paraît encore faire polémique chez vous. Qu'en est-il de la contamination par le VIH ? Connaissez-vous une épidémie importante de Sida ? La prévention que vous pratiquez limite-t-elle le nombre de personnes contaminées ?

M. Per Holmström . - C'est une question difficile ; les réponses figurent dans les statistiques sur le VIH.

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Nous les retrouverons dans le document...

Nous vous remercions pour toutes ces informations.

M. Per Holmström . - Puis-je vous poser une question : sur quoi la réflexion doit-elle aboutir ?

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Nous sommes une mission d'information ; elle peut aboutir à des propositions mais peut également donner lieu à des initiatives du Gouvernement ou d'un parti.

Notre objectif est d'apporter à l'ensemble de nos collègues de l'Assemblée Nationale et du Sénat le maximum d'information sur ce sujet.

M. Daniel Vaillant, député - Nous pouvons peut-être dire qu'un débat est né en France autour des salles de consommation à moindres risques. La ministre de la santé avait considéré que ce débat pouvait être intéressant. Le Premier ministre ne l'avait pas suivi. Quelques élus sont allés à l'étranger visiter ces types de structures et le Sénat et l'Assemblée nationale ont voulu en savoir plus.

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Il est exact que cette mission n'est pas arrivée là par hasard. Elle intervient à un moment particulier d'un débat public.

M. Per Holmström . - La mission répond-elle aussi au sentiment que le problème de la toxicomanie s'aggrave en France ?

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat - Il y a des problèmes et nous nous posons des questions...

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - La mission a sans doute été provoquée par le débat de l'été dernier sur les salles d'injection mais notre débat se veut beaucoup plus large : il est également destiné à évaluer notre politique en direction de la prise en charge des toxicomanes.

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Sans vouloir absolument avoir le sens du consensus, je puis dire que tout le monde a raison au terme des réponses qui vous ont été données !

Merci.

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