MERCREDI 30 MARS 2011

Présidence de M. Serge Blisko, député, coprésident et de
M. François Pillet, sénateur, coprésident

M. Jérôme Fournel, directeur général, et M. Gérard Schoen, sous-directeur des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et des luttes contre la fraude à la direction générale des douanes et des droits indirects

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . -Messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Notre mission a pour but de dresser un état des lieux des conduites toxicomaniaques, essentiellement sous l'angle de la santé publique, mais il nous a paru important d'entendre les responsables des douanes ainsi que des services de police et de gendarmerie. Vous pourrez en particulier nous dire comment la politique de lutte contre les trafiquants de stupéfiants se mène, à nos frontières mais aussi dans le cadre européen. En tant qu'observateurs privilégiés, quels sont les produits que vous voyez arriver dans notre pays ? Confirmez-vous l'apparition préoccupante d'un commerce de produits non plus naturels ou transformés mais entièrement synthétiques, avec un recours de plus en plus fréquent à un trafic sur internet, plus difficile à juguler que par les véhicules habituels ? Pourriez-vous aussi nous donner votre point de vue sur les récentes évolutions de la législation relative à la saisie des avoirs criminels ?

M. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects . - La douane est l'administration chargée de la régulation des échanges de marchandises, ce qui veut dire à la fois faciliter l'accès d'un certain nombre d'entre elles, contrôler les échanges et réprimer ceux qui sont illégaux. Nous sommes donc bien placés pour apprécier la criminalité liée à des marchandises totalement prohibées, comme les stupéfiants, mais aussi à d'autres qui ne le sont pas, comme le tabac. Il n'est pas inintéressant de voir les choses sous cet angle, en particulier pour répondre aux questions relatives aux nouveaux produits synthétiques dérivés de molécules existant à d'autres fins.

La douane se préoccupe depuis longtemps de ces questions. On trouve ainsi dans nos archives des photographies de douaniers dans des champs de pavot en Indochine, au temps où la régie de l'opium était chargée du contrôle de son acheminement et de sa taxation.

Aujourd'hui, la douane saisit en moyenne entre 50 % et 70 % des quantités de stupéfiants saisies par les forces répressives dans notre pays. L'an dernier, cela a représenté 36 tonnes, soit 310 millions d'euros de contre-valeur sur le marché de gros. Les types de stupéfiants sont extrêmement divers. Alors que le trafic était auparavant essentiellement orienté vers le cannabis - nous en avons saisi 27 tonnes l'an dernier et nous sommes parfois allés jusqu'à 50 tonnes par le passé -, nous avons vu augmenter significativement les quantités de cocaïne - plus de 5 tonnes l'an dernier -, d'héroïne, avec des saisies de 400 à 700 kilogrammes ces trois dernières années, ainsi que de produits jusqu'ici peu développés comme le qat et - c'est un phénomène marquant en 2009 et 2010 - de drogues de synthèse : ecstasy et LSD (acide lysergique diéthylamide), mais aussi nouvelles molécules récemment interdites comme la méphédrone, les méthamphétamines, etc.

Nous observons également une diversification des modes d'acheminement. Alors que nos opérations de contrôle portaient traditionnellement sur les poids lourds, les vecteurs sont aujourd'hui bien plus variés : conteneurs - début 2011, près de 800 kilogrammes de cocaïne ont été découverts dans un conteneur arrivant par voie maritime -, véhicules légers, fret express, fret postal, etc.

Les formes de cache et d'organisation sont sophistiquées et mobiles. Outre les convois et les « go-fast », je suis frappé par l'utilisation de plus en plus fréquente de produits industriels, comme des pièces pour les piles de pont, qui sont montées en usine avec de la drogue à l'intérieur, ce qui requiert de grandes capacités d'anticipation et d'investissement. On peut bien sûr voir dans cette inventivité des trafiquants une forme de reconnaissance de l'efficacité de nos services, mais il ne faut pas sous-estimer la dangerosité de ces modes d'acheminement. La semaine dernière encore, un douanier a été tué lors de la poursuite d'un convoi : ces gens ne reculent devant rien !

Face à cela, nous ne disposons plus d'observatoires aux frontières depuis que la Commission européenne nous a demandé de démanteler tous les points de contrôle, ce qui entraîne de facto la création de zones de non-droit lorsque le premier péage se trouve à quelques dizaines de kilomètres. Ces difficultés sont encore aggravées par les possibilités de franchissement automatique des barrières de péage. Tout ceci nous oblige à repenser les modalités du contrôle douanier.

Nous devons dialoguer avec les sociétés d'autoroute et avec un certain nombre d'interlocuteurs pour développer des solutions techniques permettant d'acquérir l'information le plus en amont possible et de modéliser le fonctionnement des trafiquants. Les opérations consistant à monter des « nasses » en bouclant tout un secteur sont fort lourdes. Nous fournissons aussi un important effort pour acquérir en amont, y compris dans les pays étrangers, les renseignements permettant, par exemple, de surveiller les livraisons pour mieux comprendre les circuits.

En intervenant sur des trafics et non auprès des consommateurs, la douane agit au milieu de la chaîne logistique des trafiquants, ce qui permet de saisir des quantités non négligeables et de « taper les trafiquants au portefeuille », mais aussi de remonter les filières.

On avance souvent, en faveur de la dépénalisation, l'idée que l'on supprimerait de la sorte une bonne partie de l'économie souterraine. Mais on voit bien qu'il n'en est rien pour un produit pourtant légal comme le tabac. Les caches, la structure, la complexité et l'organisation des filières de la contrebande de tabac ne sont pas très différentes de ce qui se fait en matière de stupéfiants. L'an dernier, les saisies ont représenté pas moins 350 tonnes, soit une centaine de millions d'euros. Nos modalités d'intervention - baliseurs, interceptions téléphoniques de sécurité, partenariats internationaux pour le suivi des livraisons - sont, elles aussi, similaires. On constate, là encore, qu'internet et le fret express et postal deviennent des modes de commande et d'acheminement extrêmement fréquents. La différence tient bien sûr à la valeur et aux marges : sur le marché illicite, un gramme de tabac coûte environ 0,15 euro contre 2 euros le gramme de cannabis et 70 euros le gramme de cocaïne.

La polyvalence des organisations criminelles est en outre très forte : les réseaux criminels n'hésitent pas à acheter de la cocaïne à un endroit et à vendre du cannabis à un autre, en fonction des demandes des différents marchés. On n'a pas encore observé une telle porosité entre les stupéfiants et le tabac, mais on sait que les organisations mafieuses comme la Camorra font le trafic de cigarettes, y compris pour se procurer des ressources qu'elles investissent sur le marché des stupéfiants.

Il apparaît par ailleurs extrêmement difficile d'établir une frontière entre les échanges autorisés et non autorisés, ce que confirment d'ailleurs nos collègues de pays où certains stupéfiants sont dépénalisés : il est par exemple fréquent qu'autour d'un « coffee shop » aux Pays-Bas, se nouent des trafics de produits interdits, voire que le « coffee shop » devienne lui-même une plate-forme. De récents jugements aux Pays-Bas considèrent qu'au-delà d'un certain volume, c'est non plus de l'accompagnement de personnes qui ont besoin d'une prise en charge mais bien de trafic qu'il s'agit.

Il n'est pas inintéressant, par ailleurs, de constater que le coût respectif pour la douane de la lutte contre les stupéfiants et de l'accompagnement de l'ensemble de la filière du tabac est assez similaire, de l'ordre de 300 millions d'euros.

Pour améliorer le renseignement, surveiller les livraisons et démanteler les filières, nous avons aujourd'hui un grand besoin de cohérence, tant en interne qu'avec nos partenaires étrangers. L'une de nos grandes difficultés tient à la trop faible harmonisation des règles européennes, en particulier dans la définition des molécules considérées comme produits stupéfiants. Or, les organisations criminelles, dont j'ai souligné la sophistication, sont promptes à s'engouffrer dans de telles brèches.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Pouvez-vous, à partir des saisies que vous réalisez, nous donner une idée du trafic total pour chacun des produits ?

M. Jérôme Fournel . - Il est très difficile de mesurer quelle part du trafic total nous saisissons et de savoir, à partir de ces saisies, en fonction des enquêtes de prévalence dans la population, quelle part de la consommation globale elles représentent. Nous estimons qu'elle est de 15 % à 20 %, selon les produits, mais cela est plus difficile à mesurer lorsqu'une partie de la production vient de notre pays même. Qui plus est, nous avons toujours un temps de retard pour apprécier la diffusion de molécules synthétiques nouvelles et nous procédons souvent par comparaison avec d'autres pays. C'est ce qui s'est produit avec la méphédrone, lorsqu'elle a été interdite l'été dernier : tant que nous n'avons pas d'information sur la consommation d'un produit, il est bien difficile d'analyser sa diffusion dans la population et de savoir quelle part du total représentent les saisies.

Sur toutes ces questions, nous aimerions évidemment pouvoir être plus précis, ne serait-ce que pour connaître l'efficacité de notre action.

Nous nous intéressons aussi à l'évolution des prix : si l'on saisit davantage de produits mais que les prix baissent, c'est sans doute que les quantités acheminées augmentent.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Vous avez dit que vous interveniez « au milieu de la chaîne ». Quelles sont vos possibilités de la remonter et jusqu'à quel échelon ? Parvenez-vous par exemple, pour le cannabis, à remonter jusqu'au Maroc ?

M. Jérôme Fournel . - J'ai voulu dire qu'il est plus facile de remonter toute la chaîne à partir d'un maillon intermédiaire que depuis le consommateur.

On peut parfois remonter jusqu'au Maroc, mais on s'arrête le plus souvent dans des lieux d'entreposage en Espagne : nous obtenons des informations sur le lieu d'où la cargaison est partie, éventuellement sur l'organisation, et nous travaillons avec les autorités espagnoles pour démanteler la partie locale du réseau.

En fait, tout dépend de la façon dont on a intercepté la marchandise. Si cela fait suite à une enquête et à des interceptions de sécurité, nous disposons d'informations sérieuses et nous pouvons prétendre à un démantèlement qui aille assez loin. En revanche, dans le cas d'une saisie sur contrôle douanier, comme la semaine dernière, tout dépend si l'on attrape uniquement le transporteur - ce qui nous donne fort peu d'informations -, ou aussi l'éclaireur, qui est un des organisateurs de la chaîne de fraude. Une organisation criminelle de stupéfiants n'a rien à envier à la logistique du commerce légal et les chaînons sont nombreux : « ouvreur », qui vérifie les conditions de passage d'un pays à l'autre, logisticien, « banquier » en charge du rapatriement des fonds, etc.

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Comment lutter contre la vente de produits, en particulier de nouvelles molécules, lorsque le trafic se fait uniquement par internet ?

M. Jérôme Fournel . - Nous avons beaucoup investi ces deux dernières années en faveur de la surveillance du commerce électronique : nous avons créé une division spécialisée, Cyberdouane, qui assure en permanence, à partir de moteurs de recherche, la veille sur ce qui se passer sur internet, pour les stupéfiants mais aussi pour les tabacs et les contrefaçons. Nous travaillons ensuite par rapprochements à partir des mots utilisés pour dissimuler ce qui est effectivement vendu : nous nous intéressons ainsi beaucoup aux nombreux vendeurs d'« engrais »...

Nous sommes aussi de plus en plus présents dans les centres de tri du fret postal et du fret express, où il est assez facile de poser une « nasse ». Ainsi, l'an dernier, 2 tonnes de stupéfiants et 30 tonnes de tabac y ont été saisies par la douane. Nous travaillons en étroite coopération avec La Poste comme avec les transporteurs express pour recueillir l'information et cibler de la sorte ceux des millions d'envois quotidiens qui présentent un risque : même si les trafiquants se montrent de plus en plus subtils dans les acheminements, nous savons que les molécules de synthèse proviennent souvent d'Asie ou du Moyen-Orient.

Dans le cadre de la veille, nous cherchons avec les autres services européens à identifier le plus tôt possible les molécules appelées à être diffusées, ce qui est facilité par le fait que le fait que leur diffusion en France a souvent un temps de retard sur les autres pays.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . Tous les pays ne disposent pas de la même législation, mais tous luttent-ils avec la même vigueur contre les trafics ? Certains se montrent-ils plus laxistes ? Comment coopérez-vous avec vos homologues étrangers, par exemple avec le Maroc, grand pourvoyeur de produits en tous genres ?

M. Jérôme Fournel . - La coopération avec nos partenaires européens est de qualité, y compris en ce qui concerne les nouvelles drogues et la vente des stupéfiants sur internet. Nous avons fait ensemble, l'automne dernier, un important travail pour renforcer la lutte contre la cybercriminalité, y compris la vente de médicaments contrefaits.

Mais les capacités à agir des différents États ne sont pas identiques. Ainsi, la France, les Pays-Bas et l'Allemagne sont les seuls à disposer d'une cellule du type de notre Cyberdouane. Or, si l'on veut gagner en efficacité, il faudrait qu'il en existe dans tous les pays et qu'elles fonctionnent en réseau, comme c'est le cas, en France, avec l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication.

Au sein de l'Union européenne, nous développons des cellules communes d'enquête et des surveillances de livraisons. Pour inciter à travailler en commun, nous avons même veillé à ce que les indicateurs français de performance quant aux volumes saisis ne jouent pas au détriment des objectifs européens globaux de lutte contre le trafic de stupéfiants.

Au-delà de l'Union européenne, la situation est un peu différente. Avec le Maroc, si les relations douanières sont bonnes en ce qui concerne l'échange de marchandises, les relations dans la lutte contre la fraude sont insuffisantes. Un attaché douanier vient d'être implanté dans ce pays pour faciliter les relations avec les autorités locales et faire ainsi remonter davantage d'informations. Les Marocains n'y sont pas opposés et les choses avancent. Nous menons en outre un important travail d'assistance technique, notamment par des actions de formation, afin que cette coopération progresse.

Elle est également insuffisante avec un certain nombre d'autres pays, en particulier asiatiques. Elle a en revanche beaucoup progressé avec les pays d'Amérique latine : nous avons des attachés douaniers au Venezuela et en Colombie, où la volonté des autorités de renforcer les liens avec nos services est réelle.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . -Pratiquez-vous la saisie des avoirs criminels ? Si tel est le cas, quels sont les volumes financiers concernés ?

M. Gérard Schoen, sous-directeur des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et des luttes contre la fraude à la direction générale des douanes et des droits indirects . - Nous saisissons des avoirs criminels en tant que tels, lors de leur passage à la frontière, à l'entrée comme à la sortie du territoire. Je rappelle que toute personne transportant un montant supérieur à 10 000 euros en argent liquide qui n'en a pas fait la déclaration est en infraction au regard du code monétaire et financier, mais également du code des douanes s'il y a un lien avec une infraction. Ces saisies représentent plus de 180 millions d'euros par an, ce qui est loin d'être négligeable, d'autant qu'il n'est pas facile d'identifier ceux qui franchissent les frontières en étant porteurs de fortes sommes d'argent en liquide : il s'agit parfois de familles ou de personnes assez âgées, difficiles à soupçonner. Qui plus est, cet argent est dissimulé avec un luxe de précautions similaire à celui qui entoure le transport de stupéfiants : on en trouve dans des airbags et dans diverses parties des véhicules, parfois aménagées à cet effet.

Ces saisies nous permettent d'obtenir des renseignements sur les flux financiers, mais aussi sur l'organisation des trafics, car on trouve beaucoup plus d'indices dans les véhicules qui transportent des fonds que dans ceux qui transportent les stupéfiants : bien souvent, on ne prend pas les mêmes précautions pour détruire les factures de carburant et pour neutraliser le GPS et les téléphones portables. Grâce à ces éléments, le service national de douane judiciaire mène les enquêtes et met de plus en plus fréquemment en lumière des liens avec les trafics de stupéfiants, en particulier lorsque le passage à l'Ionscan révèle une concentration de particules de produits stupéfiants sur les billets de banque.

Par ailleurs, les enquêtes judiciaires qui sont conduites après la saisie douanière, afin de démanteler la chaîne en amont comme en aval, conduisent également à la confiscation d'avoirs. M. Jérôme Fournel vous a parlé des véhicules « éclaireurs », mais il y a aussi des véhicules « leurres » qui ne contiennent qu'une petite quantité de stupéfiants et qui sont utilisés pour détourner l'attention des douaniers. Les indices que l'on y trouve sont importants pour reconstituer les trajets, pour nourrir l'enquête judiciaire, pour remonter jusqu'aux flux financiers et pour procéder à des saisies non seulement d'argent mais aussi de biens immobiliers : le code des douanes est extrêmement sévère sur le plan patrimonial puisque l'amende peut atteindre jusqu'à cinq fois la valeur de la marchandise.

M. Jérôme Fournel . - Pour de petits trafics, les parquets encouragent la pratique de la transaction, qui permet d'accélérer la procédure judiciaire, donc de garantir l'effectivité de la sanction en frappant très vite les trafiquants « au portefeuille ». Cette pratique est notamment utilisée dans le cadre des groupes d'intervention régionaux, au sein desquels la douane est systématiquement représentée.

Mme Catherine Lemorton, députée . - Vous avez évoqué les « go-fast », qui sont finalement assez faciles à repérer, mais on trouve aussi des « go-slow », en particulier sur les petites routes de montagne à la frontière espagnole. Avez-vous une idée de la part du trafic qu'ils représentent ?

Dans ce cas, l'interception semble plutôt liée au hasard, mais arrive-t-il que l'on arrête des personnes innocentes, par exemple des conducteurs ignorant totalement qu'il y a des produits illicites dans leur cargaison ? Si tel était le cas, cela montrerait qu'une certaine part du trafic échappera toujours à votre vigilance.

M. Gérard Schoen . - Il est difficile de dire quelle part du trafic représentent respectivement les « go-fast » et les « go-slow ».

J'insiste sur le fait que la saisie n'intervient jamais « par hasard ». Le contrôle fait toujours suite à une analyse et à un ciblage préalables : si un véhicule lent est contrôlé à un endroit donné, c'est pour un motif bien précis.

L'analyse de nos saisies, y compris de leurs suites judiciaires, montre qu'il est extrêmement rare que les personnes soient de bonne foi. S'agissant de votre région, il est exceptionnel que les cours d'appel relaxent les chauffeurs au motif de leur bonne foi : lorsqu'un chauffeur déclare qu'il avait pour instruction de ne pas être présent au moment du chargement, les juridictions considèrent que sa responsabilité est engagée en raison d'un défaut de surveillance, y compris lorsqu'il produit un document de son employeur en appui de ses dires.

M. Philippe Goujon, député . - Connaissez-vous les proportions respectives des prises aléatoires et de celles qui résultent d'enquêtes ?

M. Jérôme Fournel . - Il y a toujours une part d'aléas, y compris quant à la capacité, à la suite d'une enquête, à appréhender un véhicule lors de son passage. Mais il ne faut pas s'imaginer qu'il nous arrive de réaliser des saisies en nous installant au bord d'une route et en contrôlant les véhicules au hasard. Le positionnement des unités et le moment de l'intervention sont systématiquement liés à l'analyse préalable des parcours et des critères recherchés sur les véhicules. Il peut par exemple advenir que la connaissance du type de marchandises transportées dans un sens donné et à une période donnée de l'année conduise un douanier à mener une investigation plus poussée.

Ces dernières années, on considère que plus du tiers - et même près de la moitié l'année dernière - des interventions fait suite à l'action de services spécialisés - aviseurs, interceptions de sécurité, etc. - dans le cadre d'enquêtes parfois fort longues, tout simplement parce que l'organisation d'un réseau de trafic efficace prend également du temps. Un autre tiers des interventions est lié à un ciblage au moment du dédouanement, notamment sur les grosses plates-formes de l'aéroport Charles-de-Gaulle et du port du Havre. Le dernier tiers est le fait des brigades disséminées. Mais, de plus en plus, la sophistication des réseaux nous pousse à travailler en amont.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - L'arsenal juridique qui est à votre disposition vous paraît-il suffisant pour intervenir en restant dans la légalité, ou attendez-vous quelque chose du législateur ?

M. Jérôme Fournel . - Nous restons bien évidemment toujours dans la légalité !

Le législateur a fait beaucoup ces derniers temps en notre faveur, notamment en nous autorisant à procéder à des « coups d'achat », ce qui nous est précieux, en particulier pour nouer des liens sur internet, de même d'ailleurs que la possibilité qui nous a été donnée de rendre anonyme notre présence sur le réseau.

Nous apprécions aussi beaucoup de pouvoir agir vis-à-vis des sites internet qui vantent des produits dont les effets peuvent être assimilés à ceux des stupéfiants, sans avoir besoin de prouver que la substance incriminée a été déterminée comme stupéfiant.

Même si cela excède les capacités du législateur national, il nous semblerait fort utile, pour lutter contre le développement des drogues de synthèse, d'harmoniser les règles communautaires et d'accélérer le classement des nouvelles substances comme stupéfiants.

Il conviendrait également de renforcer notre capacité à analyser les mouvements de véhicules. L'ouverture qui a été faite dans le cadre de la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, avec la possibilité d'exploiter les données collectées par les lecteurs automatisés de plaques d'immatriculation, me semble insuffisante au regard des besoins d'identification des parcours. Si un véhicule entre en France par la frontière du Perthus, circule dans notre pays, franchit la frontière avec le Luxembourg ou avec la Belgique, revient en France et ressort par la frontière du Biriatou, un tel trajet paraît suspect. Avec la disparition des autres possibilités de contrôle comme les barrières de péage et des postes frontières, identifier des anomalies implique de plus en plus de disposer de la capacité de recueillir assez largement des données et de les traiter avec des systèmes d'analyse. Or, de telles possibilités de traitement sont pour l'heure limitées à une semaine, ce qui paraît trop bref.

M. Daniel Vaillant, député . - L'amélioration de la coopération entre police, gendarmerie et douane s'est-elle poursuivie ? Pensez-vous par ailleurs que l'instauration d'une véritable police européenne aux frontières - physiques ou aéroportuaires - permettrait de juguler l'entrée des stupéfiants sur le territoire européen ? Enfin, constatez-vous un trafic autour de cette drogue licite qu'est l'alcool ?

M. Jérôme Fournel . - Il y a bien une contrebande d'alcool, car dès lors qu'un produit est fortement fiscalisé, il y a un intérêt à frauder, mais les volumes et les montants sont inférieurs aux trafics de tabac et de stupéfiants, en particulier parce que la production et le transport d'alcool sont plus compliqués. Nous sommes toutefois régulièrement informés de trafics et nous procédons à des saisies.

La coopération entre la police, la gendarmerie et la douane est bonne, même si elle me semble un peu sous-estimée par les pouvoirs publics. De nombreux organismes comme les groupements d'intervention régionaux et les centres de coopération policière et douanière mettent en oeuvre cette coopération de façon institutionnelle à travers des échanges d'informations et des opérations répressives ciblées. Il est également fréquent que nous menions en commun, avec succès, des opérations lourdes pour créer des « nasses » aptes à stopper des « go-fast » et des « go-slow ». C'est ce que nous faisons actuellement dans la région de Perpignan afin de boucler totalement une zone. Nous échangeons aussi des informations avec l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, qui est notre partenaire régulier, aux Antilles comme en métropole.

En matière de stupéfiants, nous réalisons chaque année entre 13 000 et 15 000 constatations, soit 10 % à 15 % du total, et les deux tiers des saisies. À la suite de la majeure partie de ces constatations, une enquête judiciaire débute. La coopération est donc en quelque sorte mécanique. Le service national de douane judiciaire a compétence sur le blanchiment, les fraudes douanières et le trafic de contrefaçons mais le législateur n'a pas voulu qu'il ait également compétence dans le champ des stupéfiants, qui relève de l'office central. Il peut arriver que le service national de douane judiciaire soit cosaisi, pour la partie qui le concerne, mais cela se fait en parfaite complémentarité.

Depuis fort longtemps, le territoire douanier est celui de l'Union européenne et aller vers une douane européenne aurait donc pour moi un véritable sens. Ces dernières années, les systèmes d'information des douanes nationales ont été croisés et connectés : un exportateur d'alcool à partir de la France reçoit un certificat électronique qui accompagne le produit jusqu'à sa sortie du territoire communautaire, même s'il est passé par plusieurs autres pays de l'Union européenne. Pour les marchandises qui entrent dans l'Union, nous avons également créé au niveau communautaire un système de contrôle de sûreté reposant sur des critères communs de ciblage.

J'observe toutefois que ces coopérations portent exclusivement sur les marchandises et qu'il en existe d'autres, comme Frontex, pour tout ce qui a trait à l'immigration. Il conviendrait donc de bien préciser les objectifs de la création d'une douane européenne.

M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Merci beaucoup d'avoir participé à cet échange.

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