Audition de M. Guy BONNEAU,
vice-président du conseil général de l'Essonne, en charge
des politiques d'insertion, représentant de
l'Assemblée des départements de France (ADF)
(mardi 21 juin 2011)

M. Claude Jeannerot , président . - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Guy Bonneau, vice-président du conseil général de l'Essonne, qui intervient au titre de l'Assemblée des départements de France (ADF). Lorsque nous avons organisé la table ronde avec les associations d'élus, l'ADF n'avait pu être représentée. Compte tenu de l'importance pour les départements, mais aussi pour Pôle emploi, de la question du revenu de solidarité active (RSA), nous tenions néanmoins à auditionner un représentant de l'ADF. Il nous semble, d'après nos observations sur le terrain, nos rencontres avec les personnels de Pôle emploi et nos contacts avec les présidents de conseils généraux que le RSA n'est pas traité à sa juste mesure par Pôle emploi. D'ailleurs, le directeur général de Pôle emploi que nous venons d'auditionner reconnaissait lui-même que la convention conclue avec l'ADF au sujet du RSA était en retrait par rapport à la convention qui portait sur le revenu minimum d'insertion (RMI). La question des moyens est également posée : beaucoup de départements ont décidé que le suivi des titulaires du RSA relèverait de l'offre de services de droit commun de Pôle emploi. Nous souhaitons être force de propositions à l'égard de Pôle emploi pour que le retour vers l'emploi des bénéficiaires du RSA soit mieux pris en charge, dans un souci d'efficacité.

M. Guy Bonneau, vice-président du conseil général de l'Essonne, représentant de l'Assemblée des départements de France (ADF) . - Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie d'entendre l'ADF sur ce sujet. Je voudrais d'abord rappeler quelques éléments de contexte : le RSA a été créé il y a deux ans seulement et ce délai est un peu court pour réaliser une évaluation. Le RSA a mis la question du retour à l'emploi de ses bénéficiaires au premier plan, en faisant en sorte qu'il soit plus intéressant pour eux de reprendre un travail plutôt que de rester inactifs. L'objectif était aussi de ne pas stigmatiser les publics, en affirmant que tous les bénéficiaires étaient appelés à retrouver un emploi.

Trois partenaires principaux ont dû gérer la mise en place du RSA. Les caisses d'allocations familiales (Caf) ont dû faire face à un afflux important de demandes et Pôle emploi a dû assumer de nouvelles responsabilités, parallèlement à sa gestion de la fusion entre l'ANPE et les Assedic qui a compliqué la situation. Les conseils généraux étaient prêts à assumer leur responsabilité de chef de file, malgré un contexte budgétaire difficile. Dans un contexte de crise économique, le chômage a explosé et les publics concernés ont été plus nombreux que prévu. Le projet du RSA était donc intéressant théoriquement, mais il est arrivé à un moment compliqué. Malgré tout, six mois après le vote de la loi, tous les départements avaient réussi à mettre en place cette nouvelle prestation.

Le RSA pose également la question des partenariats. En effet, la loi a redéfini le rôle de chaque partenaire : le département, responsable de la prestation, doit intégrer des compétences d'insertion et d'emploi. Les Caf ont également reçu une responsabilité forte pour le versement des prestations et pour l'accompagnement des publics. En Essonne, nous avons signé une convention avec la Caf, pour définir les modalités d'accompagnement des bénéficiaires de l'allocation de parent isolé (API), remplacée par le RSA. Pôle emploi, les autres partenaires infra-départementaux, notamment les centres communaux d'action sociale (CCAS), le tissu associatif, les plans locaux pour l'insertion et l'emploi (Plie) et les acteurs de l'insertion sont aussi amenés à jouer un rôle important dans la mise en oeuvre du dispositif. N'oublions pas les régions et l'Etat, dont les prérogatives en matière d'emploi restent essentielles.

Deux ans après la création du RSA, nous sommes encore au milieu du gué et nous devons envisager les améliorations à apporter. La fusion de l'ANPE et des Assedic a été peu préparée, s'est déroulée de façon rapide et reste inachevée. Je pense que ce constat est général. Nous ne pouvons pas gérer les politiques d'insertion à une trop grande échelle. Or on parle maintenant d'agences régionales de Pôle emploi ce qui nous inquiète en raison de l'éloignement du terrain qui pourrait en résulter.

Pôle emploi a bien sûr des objectifs nationaux et des comptes à rendre, mais il devrait adapter son action au contexte économique de chaque territoire. Les conseils généraux ont un peu perdu la maîtrise de la définition des grandes orientations, ce qui a rendu leur approche locale plus difficile. En 2007, à l'époque du RMI, les trois quarts des départements avaient contractualisé avec l'ANPE ; ce travail a été partiellement déstabilisé avec l'arrivée du RSA. Les difficultés liées à la création de Pôle emploi ont desserré les liens que les conseils généraux avaient noués avec les directions départementales de l'ANPE. Nous évoluons toujours dans un contexte marqué par la faiblesse des moyens et par des ambigüités quant au rôle des différents partenaires.

Le département, comme chef de file, est logiquement demandeur de partenariat avec Pôle emploi, mais ce dernier préfère suivre sa logique, ne cherchant pas forcément à s'associer aux départements. Cela se voit sur la définition de l'offre d'insertion, par exemple : les offres de Pôle emploi et des départements ne sont pas bien articulées. Ce travail de partenariat est nécessaire, mais a peut-être été freiné en raison de la crise, qui a installé un clivage entre les publics employables et ceux qui le sont moins et qui doivent bénéficier d'un travail d'insertion sociale. Alors que l'un des objectifs du RSA était de ne pas stigmatiser certains publics, le clivage entre les personnes employables et les autres me semble trop marqué. Si certains conseils généraux ont arrêté de financer des postes à Pôle emploi, c'est parce qu'ils souhaitaient un retour d'information, qui justifierait cet accord dans une logique de donnant-donnant. Pôle emploi ne peut pas se contenter de proposer des prestations en demandant au département de les payer. Je rappelle aussi le poids des contraintes budgétaires des départements.

Les résultats de Pôle emploi en matière de retour à l'emploi des titulaires du RSA dépendent des territoires. Dans les départements où la crise économique a été très forte et s'est traduite par une perte d'activité et des fermetures d'entreprises, la situation est beaucoup plus difficile. Ceci étant, Pôle emploi est mieux armé pour les publics les plus proches de l'emploi que pour les bénéficiaires du RSA. Par ailleurs, les conseils généraux ne savent pas ce que deviennent les bénéficiaires du RSA qui sont suivis par Pôle emploi. Ces personnes sont traitées par Pôle emploi comme le public de droit commun. Elles ne sont pas identifiées dans le système d'information de Pôle emploi, qui ne sait pas évaluer les résultats de son action les concernant. Cependant, nous travaillons, en Essonne, avec Pôle emploi pour trouver des solutions à ce problème. Les départements ressentent mal les critiques sur leur travail d'insertion, puisqu'un tiers de leur public leur échappe entièrement. En Essonne, 6 000 allocataires sont suivis par Pôle emploi et nous n'avons aucune information à leur sujet. Même si la loi ne l'indique pas spécifiquement, Pôle emploi devrait avoir une politique spécifique pour les bénéficiaires du RSA, qui constituent un public prioritaire. Les conseils généraux ne veulent pas payer pour compenser, car la loi ne le prévoit pas.

Pour aider au retour à l'emploi, les emplois aidés peuvent être utiles. Toutefois, la politique concernant ces emplois aidés est trop erratique : les départements sont d'accord pour en prescrire mais ils constatent parfois, en cours d'année, qu'il n'est plus possible d'en signer. Il faut au contraire de la continuité dans la politique d'insertion. En ce qui concerne l'aide personnalisée de retour à l'emploi (Apre), la situation n'est pas non plus optimale car la politique menée a varié dans le temps, voire d'un département à l'autre.

Quelles améliorations seraient envisageables pour offrir un accompagnement global aux personnes les plus éloignées de l'emploi ? La question de la territorialisation est importante. L'idée qui a été avancée de création d'agences régionales pour l'emploi ne nous paraît pas très opérationnelle, car une approche plus locale serait mieux en phase avec les besoins des publics en difficulté. Des dispositifs locaux comme les Plie ont montré leur utilité. Les systèmes informatiques des Caf et de Pôle emploi, qui doivent être améliorés, ne nous permettent pas d'exploiter les données relatives aux titulaires du RSA. Je regrette également qu'un seul représentant des collectivités territoriales siège au conseil d'administration de Pôle emploi. Quant au parcours d'accompagnement, il faut qu'il soit construit conjointement par le département et Pôle emploi. Dans notre département, nous allons expérimenter une plateforme commune d'orientation avec Pôle emploi.

En ce qui concerne le fonctionnement du service public de l'emploi au niveau local et la place des conseils généraux, nous sommes souvent dans des situations de concurrence : par exemple, les crédits du fonds social européen (FSE) peuvent être utilisés par les départements ou les Plie. Les départements devraient avoir les moyens d'assumer leur rôle de chef de file sur la question du RSA, dans le cadre contractuel défini par le programme départemental d'insertion (PDI).

Pour conclure, l'ADF avait proposé, au moment de la réforme territoriale, qu'il y ait, au niveau des départements, des commissions de coordination locale, avec tous les acteurs concernés, pour mettre en oeuvre les projets communs décidés dans le cadre de la conférence des exécutifs régionaux, qui a un rôle d'impulsion en matière économique. Aujourd'hui, nous sommes tous inquiets au sujet des moyens financiers qui nous sont alloués suite à la décentralisation. Cette situation explique pourquoi nous ne souhaitons pas nous engager dans des politiques de l'emploi que nous ne pourrions pas assumer financièrement. Les départements ont-ils un rôle à jouer dans les politiques de l'emploi ? Il faudrait certainement clarifier les compétences dans ce domaine.

M. Claude Jeannerot , président . - Merci, Monsieur le vice-président, pour ces réponses. Il me semble que le fait de distinguer les bénéficiaires du RSA qui relèvent d'un traitement social, d'une part, et ceux qui peuvent être placés directement dans l'emploi, d'autre part, est porteur de beaucoup d'inconvénients, notamment par un effet de cloisonnement qui rend les catégories en difficulté difficilement employables. Je pense qu'une approche globale, prenant en compte l'emploi et le social, serait plus efficace.

M. Jean-Paul Alduy , rapporteur . - Malgré le contexte difficile lié à la crise, je ne comprends pas pourquoi les départements ne mettent pas en place des politiques d'emploi plus actives. Les départements bénéficieraient financièrement d'une baisse du nombre de titulaires du RSA. Les départements et Pôle emploi devraient discuter, s'associer autour d'un cahier des charges et fixer des objectifs mais, apparemment, le dialogue ne fonctionne pas. Certes, des expériences intéressantes sont parfois menées, mais je ne comprends pas pourquoi ce dialogue ne parvient pas à être noué partout. Par ailleurs, on ne peut se satisfaire que les publics en difficulté disparaissent définitivement de votre contrôle dès que leurs dossiers sont transférés à Pôle emploi. Ces publics sont ceux qui ont le plus besoin d'être aidés, dans une approche globale, incluant emploi, santé et logement. Les budgets sociaux représentent des sommes considérables pour les départements, qui auraient donc intérêt à traiter le problème pour faire des économies. Certains départements ne disposent même pas d'un Plie, alors qu'il s'agit d'un outil efficace pour mener une politique d'insertion par l'économique. Je déplore que ce soient les publics les plus en difficulté qui soient pénalisés par ces dysfonctionnements.

Mme Annie David . - Dans une agence Pôle emploi d'un quartier de Grenoble, des conseillers m'ont fait part de leurs difficultés à appréhender l'ensemble des procédures pour la mise en oeuvre des partenariats. Ils sont en effet en charge de la politique d'insertion par l'économie, de la politique de la ville et des relations avec le département. Cette complexité des dispositifs est difficile à gérer, sans compter le manque de moyens. Ne pourrait-on pas clarifier ou simplifier ces procédures, afin de simplifier le travail des agents ? Enfin, je partage avec vous l'idée que la séparation entre les deux catégories d'allocataires du RSA n'est pas pertinente.

M. Guy Bonneau . - Le fait de différencier les publics n'est pas forcément une mauvaise politique mais nous ne savons pas ce qu'il advient des titulaires du RSA suivis par Pôle emploi. Certaines personnes retrouvent du travail, mais peuvent retomber au chômage un peu plus tard. Cependant, il faut reconnaître qu'il existe des catégories différentes : les travailleurs pauvres, par exemple, n'ont pas besoin d'un accompagnement global. L'accompagnement global était l'un des enjeux de la création du RSA et avait pour objectif de différencier le suivi selon la nature des difficultés des personnes. Les choses ne peuvent pas se mettre en place seulement avec la bonne volonté des différents partenaires. Je pense que le Gouvernement doit donner des orientations à Pôle emploi. M. Jean-Paul Alduy n'a pas tort lorsqu'il dit que l'intérêt des départements réside dans le retour à l'emploi. Toutefois, il faudrait que le département ait plus de maîtrise sur la politique de l'emploi, qui est pilotée essentiellement au niveau national, ce qui renvoie à la question de la décentralisation. L'ADF préconise une clarification à ce sujet. Si un dispositif est reconnu comme efficace, comme les contrats aidés, alors il faut que les départements s'y impliquent et que l'Etat assure la continuité du dispositif. Les départements ne sont pas frileux, mais ils se méfient, car ils craignent de s'engager dans une politique qu'ils n'auront pas les moyens financiers d'assumer. Si les conseils généraux se comportaient comme des donneurs d'ordres avec Pôle emploi, alors il faudrait que les départements aient un représentant dans le conseil d'administration de Pôle emploi. Je pense donc qu'il faut creuser ces pistes d'amélioration, en gardant à l'esprit cette notion de donnant-donnant.

M. Claude Jeannerot , président . - Merci Monsieur le vice-président, de vous être rendu disponible. Nous tirerons parti de votre audition dans notre rapport.

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