B. UNE RÉPONSE POLITIQUE AUX PEURS DES OPINIONS PUBLIQUES

1. La politique de défense américaine : une nation en quête d'invulnérabilité

Aux Etats-Unis le concept de bouclier spatial semble répondre avant tout à des considérations de politique intérieure. Il apaise des peurs collectives qui s'ancrent sur des fondamentaux historiques de la nation américaine. Parmi ces fondamentaux figurent la quête de l'invulnérabilité et l'isolationnisme. Ce n'est pas un hasard si l'un des principaux systèmes d'armes de la DAMB porte le nom d' Aegis , en référence au bouclier mythique apportant l'invulnérabilité des dieux. Dans l'anglais courant le mot Aegis est synonyme de « protection » et son occurrence est bien plus fréquente que celle de son homologue français : égide.

Trois rapports parlementaires français ont établi au tournant de la dernière décennie ce lien entre la DAMB et la politique intérieure américaine.

En juin 2000 , le Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, M. Xavier de Villepin , considéra ainsi que la DAMB répondait à des tendances de fond d'ordre politiques et psychologiques : la quête d'invulnérabilité et d'insularité. Il rapporta que 13 ( * ) : « Si le sentiment de vulnérabilité face à une agression balistique ne semble pas répandu dans la population américaine, l'ensemble des parlementaires rencontrés par votre rapporteur ont insisté sur le fait qu'ils ne pouvaient justifier devant les citoyens des Etats-Unis que, disposant d'un éventuel moyen de protéger le territoire national d'une telle attaque, le pouvoir politique renonce à le développer et à le mettre en oeuvre ». Le président de Villepin considérait en outre que l'unilatéralisme américain contribuait à la mise en oeuvre de ce programme : « Cette tentation se manifeste dans bien des domaines, et en particulier dans l'attitude face aux organisations internationales ou aux traités et engagements multilatéraux. Elle repose, en matière de défense, sur l'idée que les Etats-Unis ne doivent compter que sur eux-mêmes pour garantir leurs intérêts de sécurité, qui ne sauraient dépendre de la plus ou moins bonne volonté des autres pays à adhérer à des instruments internationaux ou à les respecter . »

Dans un rapport d'information du 28 mars 2001 14 ( * ) , le député Paul Quilés s'est penché, lui aussi sur les projets américains de défense anti-missile. Le document interprétait ces projets comme reposant moins sur une analyse stratégique, que sur une « théologie politique » ordonnée autour d'une trinité identifiable : le « fantasme de sécurité absolue des Etats-Unis » ; le « mythe de la frontière » (technologique) ; la « dichotomie bons-méchants ». « L'empire du mal, dénonçait alors ce rapport, n'est plus un Etat désigné, l'Union soviétique, mais une catégorie d'Etats relativement fluctuante, aujourd'hui la Corée du Nord, l'Irak ou l'Iran et, demain, peut-être d'autres. »

En mai 2002 , une mission d'information sénatoriale émanant de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées 15 ( * ) indiquait : « Comme il y a deux ans, plusieurs responsables politiques ont rappelé qu'il était du devoir du président et du gouvernement de tout mettre en oeuvre pour protéger le peuple américain. Quel citoyen américain pourrait admettre que les autorités de son pays l'abandonnent sous la menace de missiles emportant des armes de destruction massive, alors qu'il existe une possibilité, à l'aide des technologies les plus modernes, d'édifier un rempart contre un tel danger ? Du reste, certains commentateurs signalent que, selon des sondages, une majorité d'Américains se croient dès maintenant protégés par un tel système et que beaucoup entre eux s'étonneraient s'ils apprenaient qu'il n'en est rien et que l'on débat encore de l'opportunité de sa mise au point. »


* 13 Rapport d'information n° 417 Sénat « les enjeux de la défense nationale antimissiles aux Etats-Unis ; Xavier de Villepin, 1999-2000 - p. 57

* 14 Rapport d'information n° 2961 Assemblée nationale par la commission de la défense nationale et des forces armées sur les projets américains de défense antimissile, présenté par M. Paul Quilès, 28 mars 2001

* 15 Rapport de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat n° 313 2001-2002 - Xavier de Villepin, Didier Boulaud, Michel Caldaguès, Jean Puech - « la politique de défense des Etats-Unis : une nation en quête de vulnérabilité »

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