2. La crainte d'une dérive des coûts dans un contexte de pénurie budgétaire

Vu de la plupart des pays européens, investir dans la défense antimissile balistique paraît tenir d'une équation impossible à résoudre. Il s'agirait de lancer de nouveaux programmes venant s'ajouter à une liste déjà longue de besoins à satisfaire, alors que les budgets sont en baisse.

Les lacunes capacitaires européennes sont identifiées de longue date : transport stratégique, aéromobilité, capacités de frappe de précision longue distance, moyens de renseignement et de surveillance, aptitude à s'intégrer dans le combat en réseau. Apparues au grand jour lors de la guerre du Kosovo, il y a douze ans, on les mesure aujourd'hui en Afghanistan et désormais en Libye. Que ce soit dans le cadre de l'OTAN 35 ( * ) ou de l'Union européenne 36 ( * ) , la mise en place d'objectifs volontaristes n'a pas été suivie de résultats probants.

Au cours de ces derniers mois, pratiquement tous les pays européens ont annoncé des coupes dans leurs budgets de défense pour redresser leurs finances publiques : diminution de 8 % sur quatre ans au Royaume-Uni ; abattement de 3,6 milliards d'euros de 2011 à 2013 par rapport à la loi de programmation militaire pour la France ; réduction de 8,3 milliards d'euros sur quatre ans pour l'Allemagne ; diminution de 10 % à compter de 2011 pour l'Italie ; réduction de 1 milliard d'euros d'ici 2014 pour les Pays-Bas ; diminution de 3,5 % en Espagne, etc ...

Dans ces conditions, il devient de plus en plus difficile de combler les lacunes et, a fortiori , de satisfaire de nouveaux besoins.

La priorité à accorder à la défense antimissile balistique laisse de ce point de vue nombre d'Etats européens sceptiques, d'autant que l'acquisition et plus encore la réalisation de systèmes opérationnels représente des coûts non négligeables .

A titre d'exemples, selon des sources ouvertes, le coût d'un missile SM-3 destiné à un bâtiment de type Aegis serait de l'ordre de 10 millions de dollars pièce, et pour acquérir deux batteries THAAD supplémentaires (soit 6 lanceurs et 48 missiles), le Département américain de la défense a dû engager environ 700 millions de dollars.

Les programmes de défense antimissiles supposent des développements technologiques dont les risques ne sont pas toujours bien maîtrisés. Beaucoup d'entre eux ont subi des dérives sur les délais et sur les coûts , faute d'atteindre les performances attendues.

L'organisme de contrôle budgétaire américain, le General Accounting Office (GAO) souligne depuis plusieurs années les surcoûts et le manque de prévisibilité budgétaire des programmes de la Missile Defense Agency . Dans son rapport de mars 2009, il prévoyait, pour l'ensemble des programmes gérés par la MDA, un surcoût à terminaison compris entre 2 et 3 milliards de dollars.

L'histoire de la défense anti-missile comporte un nombre important d'impasses technologiques . Le KEI ( Kinetic Energy Interceptor ), qui intercepter les missiles balistiques dans leur phase propulsée et qui a été lancé dans les années 1980 a finalement été abandonné en 2009, après une dépense de l'ordre de 4,5 milliards de dollars sur les seules cinq dernières années. Le projet de laser aéroporté ( Airborne Laser Program) - laser chimique à oxygène et à iode installé à bord d'un Boeing 747 - a été également abandonné après avoir coûté 5,2 milliards de dollars au contribuable américain 37 ( * ) .

Les glissements de calendriers et les surcoûts ont joué dans la décision des Etats-Unis de ne pas poursuivre au-delà de la phase de développement le programme MEADS , dans lequel l'Allemagne et l'Italie s'étaient engagées au-delà de 40 % sur un coût total estimé à au moins 4 milliards de dollars. Sans doute ces deux pays ne voudront-ils pas renoncer à l'acquisition de capacités opérationnelles, pour ne pas perdre le bénéfice des montants investis. Mais cette expérience n'est certainement pas encourageante pour les pays européens.

De fait, aucune estimation de coût réaliste ne peut être effectuée sur la totalité de ce que les nations européennes devraient réaliser pour sécuriser une défense antimissile balistique du territoire européen, au-delà de ce qu'apportent les Etats-Unis. L'étude commandée par l'OTAN chiffrait en 2006 à 27 milliards d'euros la couverture complète du territoire européen, hors satellites d'alerte. On ignore aujourd'hui ce que pourrait représenter l'apport américain à l'issue du déploiement de l'EPAA. Il est donc difficile d'évaluer, par simple soustraction, le coût d'une éventuelle contribution européenne complémentaire.

Les interrogations sur le rapport besoin/coût/efficacité des systèmes de défense antimissile et l' accentuation de la pression sur les budgets de défense se conjuguent pour dissuader la plupart des pays européens d'investir dans des programmes, d'autant que la protection du territoire européen semble pour l'essentiel pouvoir être obtenue par le déploiement « gratuit » de capacités américaines.


* 35 Initiative sur les capacités de défense lancée en 1999, Engagement capacitaire de Prague en 2002

* 36 Plan d'action européen sur les capacités en 2001, puis Plan de développement des capacités de l'Agence européenne de défense en 2008

* 37 Lt-General Robert G. Gard, président du Center for Arms Control and Non-Proliferation - http://armscontrolcenter.org/policy/missiledefense/articles/missile_defense_update_2011_questions_remain/

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