PRÉSERVATION ET VALORISATION PEUVENT-ELLES SE CONJUGUER ?

Claude BIRRAUX

L'histoire des îles subantarctiques françaises nous frappe car toutes les tentatives de valorisation et d'exploitation de ces territoires se sont successivement soldées par des échecs, que ce soit la conserverie de langoustes à Saint-Paul, l'introduction des bovins à Amsterdam ou la pisciculture d'Armor au début des années 90. Ces échecs soulèvent la question suivante : les îles françaises ne sont-elles pas rétives à toute valorisation économique ?

A cet égard, la question se pose sans doute différemment aujourd'hui. La décision de classer en réserve naturelle l'essentiel du territoire des TAAF fonde une nouvelle dynamique. Sans doute devrions-nous aller plus loin du point de vue maritime, en développant les aires marines protégées près des côtes et en mer sur les hauts fonds. Ce classement signifie-t-il que la valorisation de ces territoires coïncide avec leur préservation ? D'une certaine façon, la valorisation de ces systèmes environnementaux et des services qu'ils rendent n'est-elle pas supérieure à toute autre valorisation économique ?

Je voudrais concrètement mieux définir la stratégie de la réserve sur deux aspects principaux.

Je m'interroge sur l'alternative entre la conservation et la restitution, qui est à l'oeuvre dans le cadre du classement des monuments historiques. Sommes-nous engagés à restituer l'état de ces territoires avant leur investissement par l'homme ? Ce type de restauration porte-t-il sens dans un milieu naturel dynamique ? Quelles sont les conditions de la pertinence d'une telle démarche ? Ne constitue-t-elle pas une logique de reconstruction davantage que de restauration et de préservation ? Est-ce pertinent de préserver l'état connu du territoire, qui résulte de l'action humaine depuis la découverte des îles ? Sur quels critères une opération d'éradication d'espèces « invasives » est-elle aujourd'hui déclenchée ? Résulte-t-elle d'une analyse éco-systémique plus large ? Quelle stratégie permettrait d'assurer la préservation maximale de ces îles contre « l'invasion » de nouvelles espèces vivantes ? A ce titre, la réserve naturelle et la recherche peuvent-elles être partenaires ? Comment cette relation s'organiserait-elle ? Serait-elle régie par la complémentarité ou par la dépendance d'un système à l'autre ?

Comment les ressources halieutiques, seules exploitées dans les TAAF, sont-elles gérées ? Cette exploitation est- elle durable ? Qu'en est-il de la recherche sur la protection des oiseaux ? Pouvons-nous élargir la notion de quotas à d'autres espèces ? Sous quelles conditions ? Est-il nécessaire de nous doter de nouvelles structures juridiques comme les aires marines protégées ?

Le tourisme est aujourd'hui anecdotique, même s'il pèse dans la logistique, à travers les rotations du Marion Dufresne. Cependant, il s'accroît dans la péninsule antarctique et les territoires britanniques. Quelle est la réflexion des TAAF en la matière ? Les flux sont-ils destinés à perdurer, à augmenter ou à diminuer ? Quels sont les enjeux écologiques et économiques du tourisme pour les TAAF ?

José RUIZ, Sous-directeur des espaces naturels, Ministère de l'Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement (MEDDTL)

La biodiversité représente un enjeu important pour notre direction, compte tenu de l'importance des territoires ultramarins à cet égard. Selon nous, d'autres enjeux sont à l'oeuvre, parmi lesquels la préservation d'un certain nombre d'espèces endémiques ;

la gestion des espèces exogènes, qui tendent à coloniser ces îles ;

la connaissance de la biodiversité, notamment en milieu marin, en lien avec la gestion de l'impact de la pêche sur la biodiversité :

la gestion de la fréquentation humaine sur ces îles et de leur impact en matière de déchets et d'assainissement ;

le changement climatique.

La réserve naturelle des TAAF, créée en octobre 2006, implique un travail important, en lien avec les différents comités impliqués, dont le Comité de l'Environnement Polaire (CEP). Celui-ci a rédigé un plan de gestion, qui a été récemment validé par le Comité national de la Protection de la Nature. Ainsi, ce document répertorie tous les enjeux précédemment cités. Par ailleurs, un plan d'action biodiversité, dont l'impact géographique est plus significatif, a été mis en place. Enfin, un plan national d'action spécifique sur l'albatros d'Amsterdam a été élaboré. Ces outils ont été établis en lien avec l'administration des TAAF, opératrice sur le terrain. Je la remercie d'avoir renforcé son équipe spécialisée sur la partie environnementale.

Ce plan de gestion de la réserve est mis en oeuvre. La question de l'extension de l'aire marine se pose. En effet, elle permettrait d'élargir les opérations de renforcement de la connaissance sur le suivi des mammifères et des oiseaux marins. Un programme d'éco-régionalisation, conduit en partenariat par l'Agence des Aires Marines Protégées et l'administration des TAAF, vise à déterminer les zones à enjeux marins sur le terrain.

La réserve naturelle, créée en 2006, est exceptionnelle par sa superficie. Elle couvre à elle seule 80 % de l'aire des 160 réserves naturelles françaises. Sa biodiversité est remarquable. Elle accorde une place importante à la recherche. Enfin, le plan de gestion suscite des enjeux de taille en termes d'arrêt de la dégradation de l'environnement, afin de favoriser le développement d'un certain nombre d'espèces et d'enjeux épistémologiques. La réserve, loin d'enfermer sous cloche un territoire, évolue avec les activités présentes sur place, que ce soit la science, la pêche ou le tourisme, qui est encore résiduel. Par ailleurs la réserve entretient un lien synergique avec la recherche. Ainsi, la réserve utilise la connaissance apportée par la recherche pour mettre en oeuvre plus efficacement le plan de gestion.

Le plan d'action comporte une question de biosécurité, pour éviter la prolifération d'espèces invasives, qui nuiraient au territoire, une question d'aménagement et de déplacement. Il vise également à augmenter la connaissance sur la biodiversité.

La réussite de ce plan de gestion implique de le mettre en oeuvre rapidement. A ce titre, je remercie l'administration des TAAF de sa réactivité sur le terrain.

En revanche, nous disposons de moins de moyens d'intervention sur le terrain pour résoudre la question du changement climatique.

En 2011, 925 000 euros sont attribués à notre direction afin de gérer la réserve naturelle et le plan national d'action sur l'albatros d'Amsterdam. 510 000 euros sont consacrés à la réserve naturelle. Cet effort, qui peut sembler insuffisant, est important compte tenu des restrictions budgétaires actuelles. Nous sommes ouverts à d'éventuelles demandes en cours de gestion, si d'autres moyens pouvaient être dégagés.

Vous avez évoqué l'ensemble des moyens. Le Ministère de l'Ecologie n'est pas le seul intervenant sur le terrain. En effet, le Ministère de la Recherche intervient également. Cependant, le Ministère de l'Ecologie ne peut gérer seul les besoins en termes de déchets et d'assainissement. La mise en place d'un plan de gestion durable de ces territoires, qui permettrait de mieux les préserver, serait nécessaire.

Je réitère mes remerciements à l'administration des TAAF et au Comité d'Environnement Polaire. Ils ont participé activement à la rédaction du plan de gestion de la réserve. Le débat ne fait que commencer.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page