2. Les freins à l'innovation dans le domaine des économies d'énergie

Si tout le monde s'accorde pour dire que la priorité réside dans les économies d'énergies, certains organismes publics semblent très peu enclins à voir se développer dans notre pays des innovations pourtant absolument nécessaires pour une performance réelle.

Nous reprenons ici certains éléments du rapport sur l'avenir de la filière nucléaire, qui évoque ces questions :

« L'impression qui ressort des auditions conduites à l'occasion de l'élaboration du rapport de décembre 2009, puis des débats autour des dispositions concernant le bâtiment dans la loi « Grenelle 2 » au printemps 2010, mais aussi des échanges informels du président Claude Birraux avec des professionnels du bâtiment dans le cadre du suivi de l'étude, laisse planer un doute sur la bonne volonté de l'appareil administratif en charge du secteur (DHUP, CSTB, Ademe) à basculer dans une logique de mesure de performance a posteriori, qui va de pair avec une ouverture aux évolutions technologiques, en laissant aux professionnels du secteur, sous leur pleine responsabilité, assortie au besoin de sanctions comme cela a été évoqué lors de la discussion du « Grenelle 2 », le choix des combinaisons techniques les plus adaptées aux situations considérées.

Un dispositif organisé autour d'obligations de moyens présente pourtant l'inconvénient évident de déresponsabiliser à la fois les prescripteurs réglementaires et les maîtres d'oeuvre, qui peuvent ainsi se « renvoyer la balle » au-dessus du client final, qui n'aura plus qu'à constater que son logement n'a rien à voir avec les annonces répétées, de colloque en colloque, sur les grandes avancées de la Réglementation thématique (RT) 2012.

La Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) a encore manifesté son mauvais gré lors de l'audition du 3 novembre 2011 en ne traitant pas directement le sujet sur laquelle elle avait été pourtant très directement sollicitée par courrier du Président de l'OPECST à Madame la ministre de l'écologie : il a fallu en passer par un long préalable de cadrage sur la RT 2012 avant d'en arriver succinctement, faute de temps, à la présentation demandée des deux dispositifs clefs dans l'intégration des nouvelles technologies du bâtiment : d'une part, leur prise en compte au niveau du moteur de calcul réglementaire, au terme de la procédure dite du « Titre V » ; d'autre part, la formulation des « avis techniques ».

Au passage, la consultation de « groupes d'experts » a été soulignée, implicitement présentée comme un gage de transparence dans l'élaboration des dispositifs mis en place.

Trois prescriptions relatives respectivement au besoin bioclimatique (Bbio), qui rend compte de la performance énergétique intrinsèque du bâti, puis à l'exigence de consommation maximale d'énergie primaire par mètre carré et par an (Cep), enfin à l'exigence de confort d'été (Tic, température atteinte au cours d'une séquence de cinq jours chauds) ont été présentées comme des exigences de résultat alors que ces trois grandeurs seront calculées à partir du fameux « moteur réglementaire », sans qu'aucune obligation de mesure ne soit prévue à la livraison du bâtiment.

Il convient de noter un commentaire contradictoire expliquant d'un côté que la réglementation thermique 2012 implique en pratique une limitation à 15 kWh par mètre carré et par an pour le chauffage dans les maisons individuelles, ce qui est une contrainte équivalente à celle imposée aux maisons passives, et de l'autre, qu'une ventilation « simple flux » Hydro B sera bien suffisante dans les nouvelles constructions. Or, une ventilation « simple flux » suppose l'existence d'une aération naturelle pour la sortie de l'air, c'est à dire en pratique des trous d'étanchéité, ce qui laisse subsister un doute sur la similitude avec une maison passive, dont l'étanchéité poussée impose le recours à une ventilation « double flux ».

On retrouve le schéma d'une image prometteuse qui risque de ne pas tenir à l'expérience. Les interventions suivantes et les discussions ont permis d'évoquer les différentes barrières mises à l'intégration des technologies par le dispositif en place : les biais de performance dans la prise en compte par le moteur de calcul réglementaire ; les différentiels de vitesse d'obtention des « avis techniques » (qui doivent du reste être réitérés une fois la RT 2012 en vigueur) ; l'obstacle automatique à la délivrance d'assurance en l'absence d'avis technique; la formulation en critères trop spécifiques de la performance requise pour le déclenchement des aides fiscales.

Les jours qui ont suivi l'audition publique ont montré un autre mécanisme d'entrave possible : la publication d'un numéro des « Avis de l'Ademe » sur un produit dont le directeur technique de BM Trada, autorité de certification britannique reconnue au niveau européen, avait confirmé en réunion le niveau de performance équivalent à un produit de référence, sur la base de mesures in situ, alors que cette équivalence lui avait été refusée jusque là en France sur la base de mesures sur banc.

Comme l'a précisé Mme Brigitte Vu, Ingénieur en efficacité énergétique des bâtiments, au cours de l'audition, le seul objectif de résultat assorti d'une mesure obligatoire prévu par la RT 2012 concerne l'étanchéité à l'air du bâti, point certes crucial, mais sans que des tests soient imposés en cours de chantier. Comme l'étude de l'Office sur la performance énergétique dans le bâtiment de décembre 2009 l'avait évoqué, cela induit le risque d'une stratégie du « fait accompli » de la part du maître d'oeuvre au moment de la livraison, au détriment de la performance réelle du bâtiment.

La prise en compte de la performance en termes d'émissions de CO2, telle qu'elle a été préconisée par cette même étude, dans le but d'équilibrer les contraintes énergétiques et climatiques, et ainsi d'inciter au développement des technologies, se limitera à l'affichage d'une estimation, au motif d'une absence de consensus scientifique sur la possibilité d'une mesure, dont on sait qu'elle renvoie au faux débat sur les émissions « marginales », déjà évoquées18.

Toutes ces observations alimentent le pessimisme de vos rapporteurs quant à la volonté de l'administration compétente (DHUP, CSTB, Ademe) d'orienter l'effort de performance énergétique vers l'obtention de résultats mesurés.

Vos rapporteurs pensent que la rénovation énergétique des bâtiments est un axe majeur des économies d'énergie possible d'ici 2050 ; mais ils s'inquiètent des conditions de la mise en oeuvre des mesures prises en ce sens.

L'attitude de fermeture de l'appareil administratif concerné est peut-être liée à une insuffisance de ressources face à un nombre de tâches qui s'est accru. Mais cette attitude accrédite l'impression d'une protection jalouse d'un monopole, appelant à des réformes de structure.

La dimension stratégique de l'effort à conduire sur l'efficacité énergétique des bâtiments, qui met en jeu 43 % de la consommation d'énergie primaire de notre pays, justifie qu'il soit piloté par une institution bénéficiant d'un statut lui assurant une compétence et une transparence incontestables.

En l'occurrence, la révolution numérique dans les télécommunications a donné l'exemple historique d'une adaptation nationale réussie grâce à une évolution pertinente de la structure de régulation : la création de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) en 1996, devenue Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) en 2005, a contribué à faire de la France, en quelques années, un des pays du monde disposant de la meilleure offre en services numériques, du point de vue de la couverture, de la qualité, du prix. L'ART, puis l'ARCEP, ont su canaliser, en utilisant leur pouvoir de régulation dans des conditions de parfaite transparence, les initiatives des acteurs des communications électroniques de manière à laisser s'épanouir à plein les potentialités technologiques du secteur. Les procédures imposent notamment à cette autorité une consultation publique préalable avant toute décision ; chacune de ses décisions doit être systématiquement justifiée.

Il s'agirait aujourd'hui de transposer ce modèle pour réussir la révolution de la performance énergétique dans les bâtiments, en fusionnant, au cours de la prochaine législature, à budget constant, les structures en charge des missions de régulation du secteur du bâtiment au sein de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et de la construction, du Centre scientifique et technique du bâtiment, et de l'Agence de la maîtrise de l'énergie, en une autorité administrative indépendante, dirigée par un collège d'au moins cinq membres nommés par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat, pour un mandat non renouvelable de six années, sur le modèle de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).

Cette autorité, « l'Agence de régulation de la construction et de la rénovation des bâtiments », serait soumise à un cadre de procédures garantissant la pleine transparence de son action de régulation ; elle devrait présenter chaque année son rapport d'activité devant l'OPECST. »

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