N° 334

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 février 2012

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la proposition de loi relative à l' égalité salariale entre les hommes et les femmes , présentée par Mmes Claire-Lise CAMPION, Michèle ANDRÉ, Catherine GÉNISSON, M. François REBSAMEN et les membres du groupe socialiste et apparentés (n° 230, 2011-2012),

Par Mme Michelle MEUNIER,

Sénatrice.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente , M. Roland Courteau, Mmes Christiane Demontès, Joëlle Garriaud-Maylam, M. Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Chantal Jouanno, Françoise Laborde, Gisèle Printz, vice-présidents ; Mmes Caroline Cayeux, Danielle Michel, secrétaires ; Mmes Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, M. Christian Bourquin, Mmes Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, Laurence Cohen, Hélène Conway Mouret, MM. Gérard Cornu, Daniel Dubois, Mmes Marie-Annick Duchêne Jacqueline Farreyrol, M. Alain Fouché, Mmes Catherine Genisson, Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean-François Husson, Mmes Christiane Kammermann, Claudine Lepage, Valérie Létard, Michelle Meunier, Renée Nicoux, M. Jean-Vincent Placé, Mmes Sophie Primas, Esther Sittler et Catherine Troendle.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La délégation aux droits des femmes a été saisie le 19 janvier 2012 par la commission des affaires sociales sur la proposition de loi relative à l'égalité salariale, cosignée par Mmes Claire-Lise Campion, Michèle André, Catherine Génisson, M. François Rebsamen et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Dans un délai très court - moins de deux semaines - la rapporteure et les membres de la délégation ont entendu les principaux responsables de la négociation relative aux conditions de l'égalité salariale et, plus largement, professionnelle, dans l'entreprise : le directeur général du travail, d'une part, et les représentants des principales organisations syndicales, d'autre part.

La rapporteure a également sollicité l'éclairage du Service aux droits des femmes et de Mme Françoise Milewski, chercheure à l'Observatoire français des conjonctures économiques - Centre de recherche en économie de Sciences Po qui consacre l'essentiel de ses travaux à l'égalité professionnelle.

Le bilan qui est ressorti de ces auditions est assez alarmant :

les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes ont cessé de se résorber depuis la fin des années 1990, pour se stabiliser aujourd'hui aux alentours de 25 à 27 % ;

les partenaires sociaux se sont très partiellement saisis des dispositifs légaux mis à leur disposition, puisqu'on évalue à moins de la moitié encore aujourd'hui les grandes entreprises qui ont réalisé un diagnostic des inégalités professionnelles, préalable à la discussion sociale sur ce sujet ;

enfin, tout se passe comme si les pouvoirs publics prenaient acte de cette situation : le décret d'application n° 2011-822 du 7 juillet 2011 et la circulaire du 28 octobre 2011 qui ont précisé les modalités d'application du dispositif de l'article 99 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites ont largement atténué le dispositif de sanction qui devait inciter les entreprises à engager une négociation sur les conditions de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.

Dans ce contexte, l'inscription de la proposition de loi relative à l'égalité salariale à l'ordre du jour du Sénat constitue un signal fort puisque, prévoyant des sanctions lourdes applicables dans un délai strict, elle signifie tant aux partenaires sociaux qu'aux administrations concernées que l'égalité salariale, tout comme l'égalité professionnelle, reste un objectif que la loi peut - et doit - leur donner les moyens d'atteindre.

I. LES INÉGALITÉS SALARIALES ET PROFESSIONNELLES PERSISTANTES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES NE SONT PAS UN SUJET PRIORITAIRE POUR LES ENTREPRISES

En matière d'égalité salariale et professionnelle, la question n'est plus de produire de nouvelles lois, mais de trouver les moyens de les appliquer.

Près de 40 ans après l'entrée en vigueur de la première grande loi sur l'égalité professionnelle 1 ( * ) , alors que cinq lois majeures ont renforcé puis précisé le dispositif légal visant à supprimer les écarts de salaires entre les femmes et les hommes, comment expliquer la persistance des écarts salariaux ?

En 2010, les femmes gagnent en effet toujours en moyenne de 25 à 27 % de moins que les hommes 2 ( * ) .

Pour le directeur général du travail, le manque d'outils, de formation et d'intérêt des partenaires sociaux pour la question de l'égalité professionnelle et salariale explique en grande partie la faiblesse des avancées, alors que les principaux représentants des organisations syndicales pointent du doigt les réticences fortes des chefs d'entreprises et le peu d'empressement de l'administration du travail à faire appliquer la loi.

Tous s'accordent, néanmoins, pour reconnaître que la question de l'égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes ne fait pas, à l'heure actuelle, partie des sujets prioritaires des entreprises , comme le prouve le faible nombre des accords de branche et d'entreprise qui traitent spécifiquement du sujet.

A. LES ÉCARTS DE SALAIRES PERSISTANTS ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES NE SERONT PAS RÉSORBÉS SANS ACTION VOLONTARISTE

La résorption des écarts de salaires entre les femmes et les hommes stagne depuis le milieu des années 1990, pour les salariés à plein temps dans le secteur privé et semi-public, comme le montre l'ensemble des études récentes réalisées sur le sujet.

Dans son rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes 3 ( * ) , publié en juillet 2009, Mme Brigitte Grésy soulignait que si l'écart entre les salaires des hommes et des femmes s'était réduit depuis les années 1980, il a cessé de diminuer depuis le milieu des années 1990 alors même que le niveau moyen d'éducation des femmes - facteur important de l'explication des inégalités de salaires dans la théorie du capital humain - a dépassé celui des hommes et continue de progresser.

Et cette interruption est observée dans la plupart des pays européens.

Depuis le milieu des années 1990, l'écart entre les salaires mensuels moyens des femmes et des hommes stagne aux alentours de 25 %. Ce chiffre, fourni par Brigitte Grésy dans son rapport de 2009 est corroboré par ceux de l'enquête ESOPE menée en 2010 par la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Il ressort de cette enquête qu'en 2010, le salaire mensuel brut moyen est de 4 306 € pour un homme (+ 4,1 % / 2009) et de 3 417 € pour une femme (+ 3,6 % / 2009) pour un poste en équivalent temps plein.

L' écart salarial entre hommes et femmes reste très élevé : une salariée gagne 20,6 % de moins que son homologue masculin et cet écart se creuse légèrement par rapport à 2009 où il était de 20,2 %. Autrement dit, un homme touche, en moyenne, un salaire brut supérieur de 26 % à son homologue féminin en 2010 (contre 25,3 % en 2009).

Les chiffres de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) montrent une aggravation du phénomène pour la classe d'âge 25-55 ans, pour laquelle l'écart de revenu salarial entre femmes et hommes était de 21,2 % en 2007.

Dans cette tranche d'âge, comme le souligne Mme Françoise Milewski 4 ( * ) , le « soupçon » qui pèse sur les femmes d'être avant tout des mères, ou de futures mères, ce qui est susceptible, aux yeux de l'employeur, de diminuer leur motivation professionnelle ou de les voir interrompre temporairement ou définitivement leur emploi.

Pour Mme Milewski, ce traitement différencié dans cette tranche d'âge, relève particulièrement de pratiques discriminatoires, ce que corrobore une étude récente de la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) qui montre que les femmes qui ne se sont jamais arrêtées de travailler ont un salaire horaire brut inférieur de 17 % à celui des hommes présentant également un parcours continu, en dépit du fait qu'elles sont en moyenne un peu plus diplômées que les hommes. L'essentiel de cet écart n'est donc pas explicable par des différences de caractéristiques effectives.

Dans son rapport précité de 2009, Mme Brigitte Grésy publiait un tableau montrant les écarts de salaire horaire entre les femmes et les hommes en 2006, selon les caractéristiques des postes, qu'il nous semble utile de reproduire ici.

Il ressort de ce tableau que l'écart salarial est plus élevé parmi les plus diplômés et parmi les salariés les plus âgés, et qu'il augmente avec la taille de l'entreprise. A titre d'exemple, en 2006, 12,2 % des hommes et 8,7 % des femmes de l'échantillon sont cadres. Mais le salaire horaire des femmes cadres est inférieur de 19,4 % à celui des hommes qui s'élève à 31,9 euros.

Nombreux sont les chercheur(e)s qui ont cherché à expliquer ces différences salariales persistantes, que l'augmentation du taux d'activité et du niveau de qualification des femmes sur le marché du travail aurait dû estomper.

Les travaux de Dominique Meurs et Sophie Ponthieux 5 ( * ) ont mis en lumière une classification de facteurs :

- le temps de travail est déterminant : il explique un écart de salaire de 12 % ;

- la structure des emplois explique 8 % de l'écart ;

- enfin 7 % de l'écart serait dû à des différences de productivité.

Par conséquent, les 6 % restants « inexpliqués » représenteraient l'effet de la discrimination.

Ces facteurs sont représentés dans le graphique 6 ( * ) reproduit ci-dessous (issu du rapport précité de Brigitte Grésy) :

Ces facteurs traduisent des caractéristiques bien connues de l'emploi des femmes :

les femmes sont surreprésentées parmi les emplois non qualifiés (60 %) et 30 % des femmes qui travaillent ont un emploi sans qualification reconnue ;

75 % des salariés à temps partiel sont des femmes 7 ( * ) ;

plus on s'élève dans la pyramide organisationnelle, moins les femmes sont nombreuses. Selon une enquête de l'INSEE, en 2002, on comptait seulement 31,4 % de femmes parmi les cadres d'état major et cadres de gestion courante des grandes entreprises.

Ce bref état des lieux des inégalités salariales montre qu'on ne peut examiner la question sous le seul angle de la politique salariale de l'entreprise mais qu'elle ne peut être abordée que dans le cadre d'une réflexion globale sur la répartition des femmes et des hommes sur le marché de l'emploi : par emploi, compétences et offre de formation.

C'est dans cet esprit que le législateur est intervenu, en faisant de la négociation collective et de la production d'un rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes (Loi Roudy de 1983) l'outil privilégié pour traiter la question de l'égalité professionnelle en général et, en particulier, la question des inégalités de rémunération entre les femmes et les hommes dans la branche et dans l'entreprise.


* 1 Loi n° 72-1143 du 22 décembre 1972 relative à l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes.

* 2 Rapport de Mme Brigitte Grésy précité.

* 3 Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, établi par Mme Brigitte Grésy, membre de l'Inspection générale des affaires sociales, remis le 7 juillet 2009 à M. le Ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.

* 4 Mme Françoise Milewski est économiste, chercheur à Observatoire français des conjonctures économiques - Centre de recherche en économie de Sciences Po, membre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

* 5 Dominique Meurs et Sophie Ponthieux, Quand la variable femme ne sera plus explicative dans les équations de gains. Travail, genre et sociétés , 2006/1, n° 15, p.51-67.

* 6 Dominique Meurs et Sophie Ponthieux, 2006, même article, p.65.

* 7 Selon l'Observatoire des inégalités.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page