3.- LES PROPOSITIONS REJETÉES

a) L'instauration d'un moratoire

Le 16 décembre 2010, un groupe de 58 ONG de 22 pays, dont ETC, a adressé une lettre ouverte aux Secrétaires des départements concernés de l'Administration fédérale des États-Unis, pour déplorer l'inadéquation de la réponse apportée par la Commission présidentielle américaine de bioéthique aux risques potentiels de la BS.

Dans cette lettre, il est reproché à la Commission d'avoir ignoré le principe de précaution. D'après les signataires de cet appel, seul le principe de précaution offre le cadre juridique pour préconiser un moratoire sur la dissémination et l'usage commercial des organismes synthétiques, jusqu'à ce que soit entreprise une étude approfondie sur tous les impacts environnementaux et socio-économiques de cette technologie émergente. Ils proposent de maintenir le moratoire en l'attente d'une large expression publique, via une délibération démocratique la plus large possible, sur l'usage et le contrôle de la BS. Ils précisent que ce processus délibératif doit associer activement d'autres pays - en particulier ceux du Sud - puisque la BS aura des impacts globaux, notamment sur l'environnement de ces pays (biocarburants).

La Commission a eu tort, selon les ONG, de privilégier le principe de vigilance prudente, un concept législatif nouveau et sans précédent, au principe de précaution, reconnu par de nombreuses législations dans le monde.

Les ONG affirment qu'il ne faut pas voir dans le principe de précaution une marque d'hostilité à la science, à la technologie et au progrès. Elles précisent qu'il s'agit, avec la mise en place d'un moratoire, de prendre le temps nécessaire pour s'assurer de la validité des choix scientifiques et technologiques, dans un domaine aussi complexe et nouveau que la BS sur les plans social, économique et environnemental. On peut remarquer qu'elles interprètent le principe de précaution non pas comme un principe d'action, tel qu'il est défini dans la Constitution française (l'action consistant à engager des recherches complémentaires et contradictoires sur les risques potentiels pour les infirmer ou les confirmer) mais comme un principe de moratoire. C'est donc une conception extensive du principe de précaution qui est affirmée par ces ONG, d'où l'hostilité en retour de la majorité des chercheurs et scientifiques qui y voient un frein au développement de leurs travaux.

Enfin, les ONG s'appuient sur la décision de la Conférence de Nagoya sur la biodiversité 159 ( * ) d'octobre 2010 d'appliquer le principe de précaution à l'introduction et à l'utilisation d'organismes synthétiques.

De fait, la Conférence de Nagoya a demandé que les États appliquent le principe de précaution à l'introduction d'organismes synthétiques seulement s'ils sont nouveaux. Elle a aussi demandé au secrétariat de la Convention sur la biodiversité d'approcher les Etats pour dresser un état des lieux de la technologie et de ses applications potentielles, et de faire une synthèse des informations disponibles, afin que son conseil scientifique puisse étudier la question d'ici le début de 2012.

Même si certains scientifiques américains ont également demandé l'application du principe de précaution à la BS, ils ont finalement constaté l'impossibilité d'instaurer un moratoire. Ainsi, Jonathan Tucker et Raymond Zilinskas, après avoir identifié dans l'étude précitée 160 ( * ) les diverses incertitudes auxquelles chercheurs et autorités de régulation sont confrontés, estiment qu'« il serait prudent d'adopter le "principe de précaution" et de considérer les micro-organismes comme des agents dangereux jusqu'à ce qu'il soit prouvé qu'ils ne provoquent pas de dommage. En application de cette approche, les organismes contenant des assemblages de bio-briques devront être étudiés dans un site de confinement de niveau élevé (niveau 3 ou même 4) jusqu'à ce qu'il soit définitivement montré qu'ils sont sûrs . » Mais ils ajoutent en conclusion de leur article qu'« étant donné la vitesse à laquelle progresse la BS et son caractère international, il est déjà trop tard pour imposer un moratoire, à supposer que quelqu'un l'ait jamais réellement envisagé ».

Ces remarques sont en phase avec la décision de rejet du moratoire prises par la Commission présidentielle américaine de bioéthique et, de façon plus implicite, par le Groupe européen d'éthique.

Pat Roy Mooney, directeur des programmes d'ETC, a lui aussi indiqué, lors de notre rencontre, qu'ETC ne souhaitait pas imposer de moratoire sur les recherches en BS, notamment en ce qui concerne la santé, mais a confirmé ses inquiétudes concernant l'impact des biocarburants sur les cultures.

Ce point de vue marque une évolution par rapport aux déclarations antérieures faites par ETC et un certain nombre d'ONG.


* 159 La Convention internationale sur la diversité biologique, adoptée en 1992, a été ratifiée par 193 Etats - dont la France - à l'exception notable des États-Unis. Elle contient dans son préambule la première formulation internationale du « principe de précaution » par lequel en cas de menace sur la biodiversité « les parties contractantes [notent] que lorsqu'il existe une menace de réduction sensible ou de perte de la diversité biologique, l'absence de certitudes scientifiques totales ne doit pas être invoquée comme raison pour différer les mesures qui permettraient d'en prévenir le danger ou d'en atténuer les effets ».

* 160 Jonathan Tucker et Raymond Zilinskas, «The Promise and Perils of Synthetic Biology», The New Atlantis, 2006.

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