2.- LES DÉRIVES POSSIBLES LIÉES À L'APPLICATION DU DROIT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE À LA BIOLOGIE DE SYNTHÈSE

a) L'élargissement des critères de brevetabilité
1° Des critères flous

Le caractère flou de la notion d'invention prévue par les ADPIC (Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) a sûrement contribué aux divergences d'approche entre les États-Unis et l'Europe sur la question de la brevetabilité des programmes d'ordinateurs et des méthodes dans le domaine des activités économiques. Les Européens s'y sont, en effet, opposés parce que l'expression « dans tous les domaines technologiques » visée à l'article 27, paragraphe premier des ADPIC, implique que l'invention ait un caractère technique, ce qui est une condition implicite dans la législation européenne 172 ( * ) , mais pas aux États-Unis.

Au-delà de ces conflits d'interprétation, on peut, comme Michel Vivant, s'interroger sur l'adéquation de la notion d'invention. Il fait observer que les notions américaine d'utilité et européenne de technique, sur lesquelles se fonde la notion d'invention, sont vagues, puisque tout brevet est utile. Quant à la notion de technique, Michel Vivant la juge des plus floues. Ainsi pourrait-on, selon lui, parler aussi bien de technique de la danse.

S'agissant de la notion européenne de technique - solution technique apportée à un problème technique - elle a été inspirée, selon Michel Vivant, par la doctrine allemande, qui voyait dans l'invention la mise en oeuvre des lois de la nature. Or, si cette définition était claire dans les années 60, antérieurement au développement de l'informatique et des biotechnologies, il semble qu'elle ne le soit plus aujourd'hui pour appréhender la notion d'information, qui est au coeur de ces nouvelles technologies. Ceci est évident pour l'informatique, le logiciel étant de l'ordre de l'abstrait. Quant aux biotechnologies, si la création de toutes pièces d'un code génétique peut se rapprocher de celle d'un code informatique, il reste bien entendu que nulle « création » d'un organisme vivant et viable ne pourra se faire sans obéir forcément aux lois de la nature.

2° L'extension de ces critères

Deux dispositions de la directive 98/44 du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques sont particulièrement critiquées par une partie des juristes.

La première concerne l'article 3, deuxième alinéa, aux termes duquel « une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l'aide d'un procédé technique peut être l'objet d'une invention, même lorsqu'elle préexistait à l'état naturel ». En érigeant ainsi l'importance de l'activité humaine en critère décisif de la brevetabilité, la directive s'inscrit dans une évolution - d'ailleurs initiée par l'Office européen des brevets - qui tend à faire disparaître la distinction entre découverte et invention. Certes, il est délicat d'opposer invention et découverte, la première découlant de la seconde. Mais, comme le rappelle l'article 52, alinéa 2 a) de la Convention sur le brevet européen, les découvertes ne sont pas brevetables.

La deuxième disposition contestée est celle de l'article 4, paragraphe 2, de la directive qui prévoit que les inventions portant sur les végétaux et des animaux sont brevetables, si la faisabilité technique de l'invention n'est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale déterminée.

Le biologiste Axel Kahn, membre du conseil scientifique de l'OPECST, a appelé l'attention sur les abus auxquels cette disposition peut conduire. Il a considéré qu'un transgène introduit dans une plante était un moyen de s'assurer des droits sur toutes les qualités génétiques de la variété, dès lors que cette variété transgénique acquiert une position dominante, ce qui, à ses yeux, n'est pas légitime. En effet, une entreprise qui a construit un transgène conférant des propriétés intéressantes - par exemple, une résistance à des insectes ou à des herbicides - peut se prévaloir d'une activité inventive. En revanche, lorsqu'un transgène est ajouté aux quelque 80 000 gènes d'une variété de maïs, Axel Kahn doute, à juste titre, de la légitimité de l'entreprise à bénéficier de droits qui excéderaient ceux relevant du transgène lui-même, c'est-à-dire de la résistance conférée. Car les autres gènes de la plante sont naturels, tandis que leur échantillonnage particulier, sur lequel repose la valeur de la variété, n'a pas été sélectionné par cette entreprise 173 ( * ) .


* 172 L'article 54, alinéa premier, de la Convention sur le brevet européen dispose qu'une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique.

* 173 Propos rapportés par Bernard Remiche, «Révolution technologique, mondialisation et droit des brevets», Revue internationale de droit économique, 2002, T. XVI.

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