B- DES TENTATIVES POUR RELEVER LE DÉFI EN ALLEMAGNE ET AU JAPON

Conscients que le vieillissement de leur population entraînant une prévalence accrue de maladies neurodégéneratives et de handicap liés à l'âge, ces deux pays développent des politiques de compensation du handicap très actives, visant à conférer le plus d'autonomie possible aux personnes atteintes.

En Allemagne, outre les équipements visant à intégrer les handicapés dans la ville (trottoirs, équipements des lieux publics), des recherches sont menées pour équiper les véhicules de capteurs permettant d'accroître la vigilance des conducteurs.

Au Japon, quelque 28 millions de personnes ont plus de 65 ans, dont 13 millions plus de 75 ans, sur une population totale de quelque 127 millions d'habitants. La part des plus de 65 ans pourrait grimper à 45% d'ici 2060 au rythme actuel. Les Japonais anticipent ce phénomène à défaut de parvenir à enrayer la baisse de la natalité. Ils continuent à développer des systèmes de robots sophistiqués et d'exosquelettes qui viennent aux secours des personnes âgées dans la vie quotidienne et les soins. Des transports sont organisés à leur intention afin qu'elles puissent bénéficier de soins appropriés tout en continuant à vivre à leur domicile. Les constats effectués par l'OPECST en 2008 28 ( * ) sont toujours d'actualité s'agissant de l'usage de la robotique dans la compensation du handicap au Japon.

Outre les recherches que ce pays développe en neurosciences et neuroimagerie, des systèmes spécifiques d'aides aux soins, tels des exosquelettes de rééducation fonctionnelle s'adressant aux personnes atteintes de séquelles de maladies neurodégénératives, sont mis au point et seraient déjà utilisés dans les hôpitaux.

Ces démarches qui participent d'une volonté collective d'insertion des patients souffrant de pathologies neurodégéneratives doivent servir d'exemple; il ne s'agit pas à proprement parler de traitements innovants offrant une guérison inespérée, mais de systèmes de soins et de prises en charge visant à redonner une vie sociale et à permettre une intégration que vos rapporteurs soutiennent, car le bénéfice social pour les patients et les aidants est immédiat.

Tous les pays étant touchés par les maladies neuropsychiatriques de manière diverse, chacun s'efforce d'y remédier selon sa culture et son degré d'acceptation des maladies du cerveau. La France tente d'y faire face avec des tentatives louables, mais avec des résultats insuffisants notamment dans la prise en charge des troubles du comportement 29 ( * ) , quelle qu'en soit l'origine.

1- L'effort de l'Allemagne en neuroimagerie

Avec près d'un million de personnes atteintes de démence (un chiffre qui pourrait doubler d'ici à 2050) et près de 200 000 nouveaux cas recensés chaque année, l'Allemagne a fait de l'imagerie médicale un axe fort du diagnostic in vivo pour les maladies neurodégénératives. Par ailleurs, constatant que l'incidence des cancers du cerveau reste stable mais que le taux de survie demeure toujours aussi faible, les chirurgiens considèrent l'imagerie pré-chirurgicale comme un outil fondamental pour traiter ces cancers.

a- Une recherche centrée sur l'amélioration des techniques d'imagerie

L'Allemagne conduit plusieurs programmes de recherche pour décoder le cerveau humain qui passent par l'imagerie pour visualiser de manière précise les tissus cérébraux, leurs métabolismes et les mécanismes de certaines pathologies comme la maladie d'Alzheimer. De façon générale, les scientifiques allemands cherchent à améliorer la résolution, la sensibilité et la spécificité des images en augmentant la puissance des champs magnétiques. Les chercheurs rencontrés par la Mission 30 ( * ) ont présenté l'imagerie comme un outil fondamental pour la chirurgie ; le degré de résolution des images permet selon eux, d'améliorer la précision et l'exactitude des gestes pour guider les biopsies. Ils y voient aussi un potentiel important dans la détection précoce de tumeurs, l'évolution de leur croissance et leur degré de réponse à un traitement, ce qui ouvre la voie à un pan entier de la médecine personnalisée. L'augmentation du degré de résolution pourrait à terme permettre de définir des profils pour les différentes formes de démences et, parallèlement, d'affiner le diagnostic des différents stades de la maladie d'Alzheimer, sur lesquels des recherches sont menées par un suivi de grandes cohortes.

En outre, les signatures moléculaires pour la détection précoce de la maladie d'Alzheimer sont à l'étude. La recherche pharmacologique par l'analyse de l'efficacité de nouveaux traitements, utilise la puissance de résolution de l'imagerie au niveau moléculaire (modulation des neurotransmetteurs et récepteurs par des médicaments) pour quantifier le degré de succès des traitements. Le développement de marqueurs spécifiques de ces pathologies constitue l'un des enjeux de la R&D en Allemagne, pour faciliter la reconnaissance des tumeurs et déterminer le stade métabolique dans lequel se trouvent les cellules tumorales. Les recherches concernent particulièrement les maladies de dégénérescence du système nerveux central pour lesquelles un diagnostic basé sur l'utilisation d'images précises des premiers signes permettrait d'envisager des stratégies thérapeutiques précoces, et de ralentir la progression de la maladie.

L'imagerie constitue donc l'un des points clef du diagnostic in vivo. La palette des machines développées couvre pour l'imagerie par résonance magnétique (IRM), 80 % de machines à 1,5T, quelques-unes à 3T et une ou deux à 7T, spécifiquement dédiées aux activités de R&D. Siemens est aussi impliqué dans la construction de l'IRM de 9,4T à Jülich, en partenariat avec un fabricant d'aimant du Royaume-Uni.

Partie fondamentale du « cluster Medical Valley », Siemens Healthcare souhaite couvrir l'ensemble du marché de la santé. Ouvert en 2005, l' Imaging Science Institute de l'Université d'Erlangen est l'un des centres de recherche appliquée créé en partenariat avec Siemens pour analyser et optimiser sur les patients les dernières innovations en imagerie ainsi, que pour former les employés et clients de Siemens à l'utilisation d'appareils d'imagerie en conditions réelles.

La diminution des doses appliquées aux patients est un des enjeux actuels de Siemens, qui s'est notamment traduit par le développement du scanner à double source permettant de réduire le temps d'exposition. Tout comme la France, l'Allemagne a choisi de développer la voie de l'imagerie par résonance magnétique en champ intense (7Teslas, 9,4T et, pour la France, 11,7T) dans le but d'explorer le cerveau du pré clinique au clinique. Parallèlement, les Allemands, en partenariat avec leur industrie, ont décidé de développer un outil directement applicable à la clinique couplant l'imagerie par résonance magnétique et la tomographie à émission de positrons (IRM-TEP) ou PET, selon l'acronyme anglais, sur un seul et même appareil. Ils ont ainsi combiné les avantages des deux approches, c'est-à-dire la résolution anatomique, temporelle et spatiale de l'IRM avec la sensibilité et la spécificité de l'imagerie moléculaire du TEP. L'objectif est de permettre à la fois la localisation et l'analyse de mécanismes neuronaux complexes (IRM) et l'analyse au niveau moléculaire du fonctionnement du cerveau (TEP). L'appareil permet aussi de réduire le temps d'observation et d'exposition. Ainsi pour la recherche, le centre de recherche de Jülich a développé, en partenariat avec Siemens, un TEP-IRM à 9,4T qui constitue un appareil d'imagerie unique au monde pouvant combiner la visualisation du métabolisme des cellules nerveuses (TEP) au sein de structures tissulaires précises visualisées par le procédé IRM. Toutefois l'interprétation des données ainsi recueillies exige des compétences particulières et une formation idoine.

Avec les avancées technologiques récentes permettant une image plus précise du cerveau, de son métabolisme et de ses pathologies, l'industrie de l'imagerie considère que le secteur est un marché à fort potentiel. Les experts rencontrés par la mission n'ont cependant pas confirmé que ces nouveaux appareils d'imagerie cérébrale pourraient être utilisés en procédures routinières et que cette technologie serait efficace sur la base d'un rapport coût/bénéfice pour la santé ; cela demandera une analyse complexe nécessitant du temps. Ces nouveaux outils exigeront un personnel formé à l'interprétation des données qu'ils génèrent.

b- Le soutien du gouvernement fédéral et des Länders

Le ministère de la recherche et de l'enseignement (BMBF) est très impliqué dans le soutien au développement des technologies d'imagerie médicale. Il a permis l'installation d'un IRM-TEP de 9,4T à Jülich pour un montant de 20 millions d'euros en partenariat avec Siemens Healthcare et a installé trois IRM-TEP de 3T dans les cliniques universitaires de Munich, Essen et Leipzig pour un montant de 11 millions d'euros. Le ministère avait aussi investi 4 millions d'euros en 2008 pour l'achat d'un appareil IRM à très haut champ magnétique (7T) au centre de recherche sur le cancer de Heidelberg.

La formation en imagerie, et de façon plus générale en neurosciences, nous a été présentée dans le cadre du Centre de neurosciences de Munich « Cerveau et esprit » (MCN), centre pluridisciplinaire localisé dans la métropole bavaroise, qui comprend les départements de chimie, de neurosciences et de philosophie des deux universités d'excellence, l'université Ludwig Maximilian et l'université technique de Munich, les instituts du Max Planck (psychiatrie, neurobiologie), les instituts de la Helmholtz (cellules souches, génétique du développement...), les hôpitaux universitaires de la région... Le MCN a notamment mis en place un centre compétent en éthique impliqué dans l'évaluation des conséquences des technologies de neurosciences. Par ailleurs, les facultés de philosophie des deux universités munichoises forment et accompagnent les chercheurs en neurosciences dans leur réflexion éthique.

Le centre de neurosciences de Munich a développé un cursus intégré qui inclut les étudiants dès le niveau licence/maîtrise jusqu'au niveau post-doctoral. Ce montage se fait en partenariat avec des industriels (Amgen, Roche), l'État de Bavière, des universités étrangères (université de Harvard, Queensland Brain Institute ) et les écoles doctorales internationales du Max Planck. Le centre bénéficie de l'ensemble des initiatives conduites par le gouvernement fédéral : centres nationaux de recherche sur la santé, centres hospitalo-universitaires labellisés au niveau mondial, et appels d'offre de l'Initiative d'Excellence.

c- Les partenariats public/privé

Reconnaissant l'importance des technologies médicales, le ministère de la recherche et de l'enseignement a sélectionné en 2008 Medical Valley comme cluster de pointe (partenariat technologique public/privé) basé sur l'excellence de la recherche universitaire, 40 hôpitaux... Le financement global pour les 5 prochaines années s'élève à 81 millions d'euros. L'objectif est de développer une palette de technologies médicales (diagnostic, imagerie, ophtalmologie, senseurs intelligents) pour créer le premier pôle européen en ce qui concerne la qualité et l'efficacité du secteur de santé. Le cluster entend aussi aider au développement de nouvelles start-ups dans le domaine de la technologie médicale (dont l'imagerie) et de la pharmacie avec son incubateur d'entreprise, proposant à cette fin de nombreux services : support au dépôt de brevets, à la recherche de fonds, à la gestion d'entreprise, à la commercialisation...

L'Allemagne, sur la base de la cohorte nationale allemande de 200 000 sujets (2011-2012), entend constituer une population de 40 000 sujets pour lesquels des scans de tout le corps seront effectués. On sait statistiquement que 1 % des sujets développeront la maladie d'Alzheimer, et il sera alors possible de retracer les principales étapes de la maladie sur la série d'images et de découvrir des biomarqueurs spécifiques des différents stades de la maladie.


* 28 Rapport de l'OPECST n°1010 AN sur les apports de la science et de la technologie à la compensation du handicap de Berengère Poletti, députée .

* 29 Audition des Rapporteurs de Marion Leboyer, PUPH, psychiatre, directrice de Fondamental, le 17 janvier 2012, de Pierre-Henri Castel, psychanalyste, directeur de recherche au CNRS, et d'Alain Ehrenberg, sociologue, directeur de recherche, le 24 janvier 2012.

* 30 Mission des Rapporteurs en Allemagne du 12 au 14 septembre 2011 .

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