CHAPITRE II :
LES PROGRÈS DE LA NEUROIMAGERIE ET LE DÉVELOPPEMENT DES NEUROSCIENCES

Il ne se passe pas une semaine sans une information plus ou moins bien étayée ou relayée sur telle ou telle nouvelle possibilité, découverte, voire thérapie concernant le cerveau et la neuroimagerie. Un public fasciné en est avide, pour autant les chercheurs demeurent réservés quant aux applications et se gardent de pronostics à court terme sur le traitement des maladies neuropsychiatriques, même s'ils admettent des progrès sensibles dans la connaissance des mécanismes et des causes de certaines d'entre elles.

Pendant longtemps, les seules méthodes d'exploration du cerveau «vivant» étaient basées sur l'électroencéphalographie (EEG), les rayons X et les premiers scanners. Le premier bouleversement, est la découverte du scanner dans les années soixante-dix par Sir Godfrey Hounsfield, prix Nobel 1979. Didier Dormont 48 ( * ) rappelle que « les premiers appareils mettaient plusieurs minutes pour faire une coupe et ne permettaient d'explorer que le cerveau. Aujourd'hui, les scanners de dernière génération permettent d'explorer le corps entier, depuis l'extrémité des orteils jusqu'à la partie supérieure du crâne en quelques secondes » . À la fin des années soixante-dix, la neuropsychiatrie tentait d'établir des corrélations entre les symptômes observés chez des patients atteints de maladie mentale sévère et la dissection post-mortem de leur cerveau. Ce n'est qu'au début des années quatre-vingts, qu'un certain nombre de centres de recherche ont commencé à utiliser la tomographie par émission de positrons (TEP ou PET en anglais) afin de mesurer l'activité du cerveau grâce à des traceurs radioactifs de plus en plus spécifiques.

À la fin des années quatre-vingts, le développement d'outils informatiques et mathématiques sophistiqués a permis la reconstruction d'images à partir de l'enregistrement des signaux électriques, magnétiques ou radioactifs détectés par les équipements. Le début des années quatre-vingt dix a ainsi vu le développement de la cartographie cérébrale utilisant l'imagerie par résonance magnétique (IRM) suivie de l'IRM fonctionnelle (IRMf) qui permet d'étudier une activité dans sa durée réelle. « Il faut se souvenir que pour obtenir une image, cela prenait trente minutes » ajoute Didier Dormont.

Ainsi en moins d'une quarantaine d'années, des avancées extraordinaires réalisées grâce au développement des techniques d'imagerie cérébrale couplées à la psychologie cognitive et expérimentale, et aux neurosciences, permettent d'observer la structure et l'activité du cerveau « vivant », et ainsi de visualiser les zones cérébrales sollicitées par différents processus cognitifs, décisionnels ou pathologiques.

Les progrès technologiques les plus récents consistent dans la mise au point de techniques permettant d'augmenter la résolution, d'améliorer la fiabilité de l'analyse des données et les conditions de leur stockage. On assiste actuellement à une transition de l'imagerie de la structure vers l'imagerie moléculaire du cerveau qui permet, lorsque les mécanismes moléculaires à l'origine d'une maladie sont identifiés, un diagnostic plus précoce.

Toutefois selon Hervé Chneiweis 49 ( * ) « il n'y a pas une seule méthode à utiliser, mais une combinatoire de différentes méthodes d'exploration du fonctionnement cérébral.» . Différentes approches et diverses technologies sont utilisées, elles sont complémentaires et souvent associées. Certaines ne sont pas récentes mais sont utilisées différemment ou ont été grandement améliorées, d'autres sont très récentes et encore au stade de l'expérimentation.

Les scientifiques disposent ainsi d'une palette d'outils et de techniques sophistiqués pour étudier le système nerveux. Certaines techniques, non invasives et non interventionnelles, permettent d'étudier le cerveau d'un point de vue anatomique et fonctionnel, dans sa globalité, d'autres à visée thérapeutique nécessitent d'intervenir de manière invasive sur le tissu nerveux lui-même.

I- L'UTILISATION NOVATRICE DES TECHNIQUES NON INTERVENTIONNELLES

Les données issues de l'analyse de l'activité cérébrale sont précieuses dans l'étude et le diagnostic de diverses pathologies. Une technologie toujours plus efficace permet la numérisation des signaux EEG, mais aussi leur couplage à des enregistrements vidéo, et accroît la finesse des analyses.

A- L'ANALYSE DE L'ACTIVITÉ CÉRÉBRALE

Analyser l'activité cérébrale, c'est pouvoir suivre le comportement du cerveau au cours du temps, avec une grande précision temporelle, et donc être capable de surveiller l'activité neuronale à l'échelle de la milliseconde, voire même à une durée moindre.

1- L'électroencéphalographie (EEG)

L'invention de l'électroencéphalographie est généralement attribuée au physiologiste allemand Hans Berger, qui enregistra le premier signal d'activité cérébrale en 1929. Ses travaux furent repris et complétés par le britannique Edgar Douglas Adrian, qui obtint en 1932 le Prix Nobel de physiologie. C'est une méthode d'exploration qui mesure l'activité électrique du cerveau par des capteurs placés sur le cuir chevelu. Comparable à l'électrocardiogramme qui permet d'étudier le fonctionnement du coeur, l'EEG est un examen indolore et non-invasif qui renseigne sur l'activité neurophysiologique du cerveau et en particulier du cortex cérébral au cours du temps, soit dans un but diagnostique en neurologie, soit dans un but de recherche en neurosciences cognitives.

Le signal électrique à la base de l'EEG est la résultante de la somme des potentiels d'action post-synaptiques synchrones issus d'un grand nombre de neurones. Cette technique offre une excellente résolution temporelle. Le cerveau n'étant jamais inactif, la technique consiste à répéter une même stimulation un grand nombre de fois ; puis à extraire la séquence des évènements électriques entraînés par cette stimulation, c'est ce qu'on appelle le potentiel évoqué.

Un tracé d'encéphalogramme

L'EEG étudie à quel moment et sur quel capteur les évènements électriques se produisent. L'analyse mathématique du signal permet d'en reconstruire les sources et ainsi de visualiser les régions d'où sont émis les potentiels évoqués. La résolution temporelle de l'EEG est de l'ordre de la milliseconde; c'est une technique non invasive ne nécessitant pas la coopération du sujet, mais sa résolution spatiale est limitée.

En neurologie, la principale application de l'EEG est l'épilepsie, mais elle est aussi utilisée pour étudier de nombreuses autres pathologies telles que les troubles du sommeil, les déficits sensoriels... Comme l'a montré Vincent Navarro 50 ( * ) , l'intérêt de l'électrophysiologie par rapport à l'imagerie, réside dans la possibilité de suivre le comportement du cerveau au cours du temps, avec une grande précision temporelle, et donc d'être capable de suivre l'activité des neurones à une échelle de la milliseconde, voire inférieure à cette durée. « Aujourd'hui l'électroencéphalogramme (EEG) de scalp a bien évolué, grâce non seulement à la technologie, la numérisation des signaux EEG, mais aussi au couplage de ces signaux à des enregistrements vidéo, ce qui permet des analyses beaucoup plus fines » .

La technique de l'EEG est très présente dans les interfaces homme/ machine, et dans les pratiques invasives d'approches intracérébrales, pour le traitement de patients épileptiques qui ne peuvent pas être traités par des médicaments. Il existe près de 500 000 patients en France, dont 30% résistent au traitement. Il est donc nécessaire de disposer de stratégies thérapeutiques différentes, et donc d'aller chercher les zones du cerveau qui sont responsables des crises, et d'essayer d'opérer de manière très ciblée chez ces patients quand tous les traitements échouent. On a donc besoin, pour y arriver, de disposer de tout un panel de technologies nouvelles, qui permettent de définir quelle est la zone à opérer.

L'EEG est également utilisée en neurosciences cognitives pour étudier les corrélations neuronales de l'activité mentale, depuis les processus moteurs jusqu'aux processus complexes de la cognition (attention, mémoire, lecture). Le centre de recherche en neuroscience de Lyon 51 ( * ) a développé ces dernières années une technique basée sur les variations d'énergie spectrale de l'EEG induites par des processus cognitifs simples, comme la perception visuelle, l'oculomotricité, l'attention visuelle spatiale, la lecture, la mémoire verbale de travail et la mémoire sémantique. Vos rapporteurs ont assisté à une expérience de lecture, fort intéressante, utilisant en partie cette technique sans système invasif. Il s'agissait de transcrire un mot par le mouvement des yeux sur des lettres.


* 48 Professeur des universités, praticien hospitalier, spécialiste en neuroimagerie, chercheur au centre de recherche de l'ICM (Audition publique du 29 juin 2011).

* 49 Directeur de recherche, groupe « Plasticité gliale et tumeurs cérébrales », Centre de psychiatrie et neurosciences de la faculté de médecine Paris-Descartes, membre du Conseil scientifique de l'OPECST (Audition publique du 29 juin 2011).

* 50 Praticien hospitalier, neurologue, chercheur au centre de recherche de l'ICM. (Audition publique du 29 juin 2011).

* 51 Mission des Rapporteurs au centre de neurosciences de Lyon, le 14 février 2012.

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