II- LES DÉBATS SUR L'INNOCUITÉ DES TECHNIQUES

Ces débats portent sur l'impact des rayonnements ionisants sur la santé et sur celui des champs magnétiques. Ils se doublent en France d'une difficulté d'accès aux IRM qui sont en nombre insuffisants par rapport aux besoins. Vos rapporteurs ont constaté que l'on utilise le scanner au lieu de l'IRM pour nombre d'explorations du cerveau, faute d'IRM.

A- LES RÉSERVES DE L'AUTORITÉ DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE (ASN)

L'autorité de sûreté nucléaire (ASN) assure depuis 2007 le contrôle des applications médicales des rayonnements ionisants : sûreté des appareillages, protection des patients et des travailleurs. Elle constate que le risque des rayonnements ionisants prend une place particulière du fait de la répétition des examens, et d'un phénomène émergeant de radiosensibilité individuelle.

L'augmentation des doses en imagerie médicale, plus particulièrement du fait du scanner, constitue un souci majeur pour l'ASN. Michel Bourguignon, 88 ( * ) a exposé les préoccupations de l'ASN. « En France, on utilise le scanner au lieu de l'IRM pour nombre d'explorations du cerveau, faute d'IRM à notre disposition. C'est un problème propre à la France, qui dispose de 8 appareils par million d'habitants, contre 35 aux États-Unis et 40 au Japon. Une étude publiée en 2010 par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l'Institut national de veille sanitaire (InVS) a mis en évidence une augmentation de 47 % en cinq ans des doses médicales.

On ne dispose pas de beaucoup de statistiques françaises, mais des statistiques mondiales établissent que, entre 1993 et 2008, le nombre d'examens de radiodiagnostic et de médecine nucléaire a été multiplié par 2,5 et 2 respectivement, et que la fréquence des examens augmente rapidement, passant de 0,8 par patient et par an à 1,3. Cette tendance à l'augmentation des doses s'explique par le développement des dispositifs les plus performants, qui sont les plus irradiants. Les actes les plus utiles dans tous les domaines (scanner du corps entier, coloscopie virtuelle, coroscanner, radiologie interventionnelle...) sont aussi les plus dosants.

La radiosensibilité est plus grande pour l'embryon et l'enfant, mais aussi pour la femme. La sensibilité du cerveau aux rayonnements ionisants est assez faible comparée à celles d'autres organes. Encore n'y a-t-il pas que le cerveau dans le champ d'investigation lorsqu'on explore la tête, mais aussi le cristallin de l'oeil, qui est sensible. Les cataractes détectées de plus en plus précocement sont-elles liées aux rayonnements ?

La radiosensibilité individuelle est un phénomène nouveau, qui commence à être largement exploré et qui est bien connu en radiothérapie pour les fortes doses. La radiosensibilité individuelle entraîne des défauts de signalisation cellulaire et de réparation des lésions de l'ADN, en particulier dans un contexte où le cycle cellulaire n'est pas bien contrôlé. On vient de démontrer récemment qu'elle peut exister à faibles doses. C'est une préoccupation majeure, qui concerne entre 5 et 10 % de la population, l'intensité de l'effet pouvant aller de 1 à 10.

Il apparaît donc que les risques sont liés à la progression des doses dans les expositions médicales et à la répétition des examens chez un même patient. La radiosensibilité plus grande de certains patients fait que le risque peut-être en ce cas plus élevé, mais on ne sait l'évaluer ni individuellement, ni collectivement. Or, si l'on ne réagit pas, d'ici 15 à 20 ans, l'épidémiologie montrera sûrement des effets qui ne sont pas souhaitables.

L'imagerie médicale a une place centrale et indiscutable pour l'exploration du cerveau en neurologie et en psychiatrie. Elle fournit un diagnostic préalable aux soins ou à des fins de de recherche. Le scanner permet une exploration rapide en urgence, raison pour laquelle on l'utilise beaucoup, notamment si on ne dispose pas d'IRM. L'IRM a une place particulière, vitale et décisive, pour différencier le ramollissement de l'hémorragie cérébrale.

La tomographie par émissions de positons (TEP) s'est répandue très fortement en France, et son utilisation est de plus en plus fréquente pour l'exploration biochimique du cerveau. Sans doute est-elle plus utile pour la recherche que pour l'application de routine. Mais le scanner et la TEP sont des technologies irradiantes. La justification médicale de l'examen est donc centrale. Avec ces outils, il ne faudrait réaliser que des examens utiles, des examens dont le résultat positif ou négatif modifie la prise en charge, ou conforte le diagnostic du clinicien.

On devrait donc toujours se poser des questions avant de réaliser un examen d'imagerie médicale irradiant. L'examen a-t-il déjà été effectué ? En a-t-on besoin ? En a-t-on besoin maintenant ? Est-ce bien l'examen indiqué ? Est-ce que l'on peut en faire un autre, non irradiant, comme une IRM ? A-t-on bien posé le problème ? Il faut prêter une attention particulière aux patients les plus radiosensibles, comme les enfants et les femmes, les personnes ayant une hyper-radiosensibilité individuelle ou une susceptibilité particulière au cancer.

Dans son communiqué de presse du 6 juillet 2011, l'ASN 89 ( * ) considère que l'augmentation des doses de rayonnements ionisants délivrées par l'imagerie médicale (principalement en scanographie et en radiologie interventionnelle) devient préoccupante et doit être maîtrisée. Elle appelle les acteurs de la santé à se mobiliser pour :

- le développement des techniques alternatives, au premier rang desquelles l'IRM ;

- la mise en oeuvre plus rigoureuse des principes de la radioprotection ;

- le renforcement de la formation à la radioprotection ;

- l'implication plus forte dans le champ de l'imagerie médicale des radiophysiciens ;

- l'augmentation de la disponibilité des personnes compétentes et des moyens qui leur sont alloués.

Lors d'un séminaire organisé en septembre 2010 avec les professionnels du secteur, l'ASN a émis douze recommandations, parmi lesquelles :

• favoriser l'intervention du radiophysicien dans l'optimisation des procédures, le suivi et l'évaluation de la dose délivrée et la qualité de l'image ;

• développer, ou mieux encadrer, la formation des utilisateurs et notamment des manipulateurs en électroradiologie lors de la réception de nouveaux équipements ou de nouvelles versions de logiciels ;

• mettre en place, au moins au niveau national, une démarche d'évaluation des technologies d'imagerie innovantes, sur la base du retour d'expérience des utilisateurs ;

• informer et impliquer les patients sur les bénéfices de l'imagerie médicale, et sur les doses associées ;

• améliorer la précision du dispositif d'évaluation, au niveau national, des doses délivrées aux patients (dose moyenne par acte, dose à l'organe, ...).

Vos rapporteurs ont eu l'occasion d'auditionner Jean-Luc Godet, 90 ( * ) qui a souligné l'utilité pour le patient de pouvoir connaître la dose annuelle de radiations à laquelle il a déjà été soumis, ce qui n'est guère aujourd'hui possible, car les comptes rendus d'examens ne font pas toujours apparaître le dosage subi. Il a également insisté sur l'insuffisante formation des manipulateurs de nouvelles machines qui permettent de diminuer les dosages.

Recommandations :

- Accroître le nombre de radio-physiciens et améliorer leur formation ;

- Informer les patients du dosage annuel de radiations et de rayonnements subis et établir en conséquence des règles d'optimisation des procédures de suivi, d'évaluation et de publication des doses délivrées ;

- Augmenter substantiellement le parc français d'IRM, afin de limiter le recours substitutif excessif à la technique irradiante du scanner et assurer un égal accès de tous aux techniques les mieux adaptées.


* 88 Professeur de biophysique à l'Université de Paris Île-de-France Ouest, commissaire de l'ASN (Audition publique du 30 novembre 2011).

* 89 http://www.asn.fr/index.php/S-informer/Actualites/2011/Doses-de-rayonnements-ionisants-delivrees-par-l-imagerie-medicale

* 90 Directeur des rayonnements ionisants et de la santé à l'ASN (Audition des Rapporteurs du 17octobre 2011).

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