2- La prise en charge coûteuse et insuffisante des maladies mentales

Pour Marie-Odile Krebs 118 ( * ) et Marion Leboyer 119 ( * ) , comme pour la plupart des scientifiques, la psychiatrie est un enjeu majeur de santé publique en France, mais les financements qui lui sont dédiés sont dérisoires. Aussi les recherches en psychiatrie sont-elles peu financées par les organismes publics ou par la générosité du privé. L'absence d'institut français de recherche en psychiatrie à la différence du Maudlsey à Londres, du Karolinska en Suède, démontre que cette recherche est méconnue et oubliée du milieu hospitalo-universitaire, de celui de la communication et de l'information, et du monde politique.

Marion Leboyer a dressé un tableau contrasté et sans concession de la psychiatrie en France. Elle a rappelé que mal connues des Français, ces maladies engendrent peur, rejet et stigmatisation. Elles sont associées à la folie et à la violence : 74 % des Français considèrent qu'un schizophrène est dangereux alors que seulement 0,2% des schizophrènes peuvent l'être pour les autres. Leur représentation est fausse car 70 % des Français pensent que ces pathologies ne sont pas des maladies comme les autres. Cependant leurs attentes sont fortes, en termes de dépistage et diagnostic plus précoces, 70 % des Français trouvent que les diagnostics sont portés trop tardivement. Aussi, la recherche, la communication et l'information dans ce domaine sont-elles une priorité de santé publique d'autant que la prise en charge des patients en ville est tardive et insuffisante, induisant des ruptures de traitements nocives.

Ainsi, on ne dispose en France, ni d'épidémiologie psychiatrique, ni de données médico économiques ou de santé publique. De ce fait, on ne bénéficie d'évaluation précise ni sur l'organisation des soins, ni sur leur coût, ni sur les modifications à réaliser. L'absence d'évaluation au niveau sociétal des pratiques a été déplorée par Alain Ehrenberg 120 ( * ) et Pierre-Henri Castel 121 ( * ) . Cette carence n'est pas sans incidence sur les violents débats qui agitent actuellement la psychiatrie sur l'autisme. En outre, comme l'a souligné Philippe Vernier 122 ( * ) la dichotomie entre la psychiatrie d'un côté et la neurologie de l'autre, en France ou dans d'autres pays du monde, a fait du tort à ces disciplines, en introduisant une frontière artificielle entre les approches des pathologies cérébrales.

Selon Marie-Odile Krebs, « la diversité des tableaux cliniques et les frontières nosographiques encore incertaines rendent nécessaire, plus que dans tout autre domaine médical, de s'orienter vers une médecine individualisée, tant pour l'estimation des risques évolutifs et que pour la définition des schémas thérapeutiques. C'est l'une des attentes de l'adaptation des nouvelles technologies au champ psychiatrique. »

Elle constate pourtant que des programmes de prévention de la psychose fleurissent dans différents pays, en Europe, en Amérique du Nord et en Australie, et vos rapporteurs l'ont constaté aussi au Japon. La France accuse selon elle dix à vingt ans de retard. Elle suggère de promouvoir ce champ crucial tant sur le plan clinique et de santé publique, qu'en termes de recherche et augmentation des connaissances sur le fonctionnement cérébral et l'amélioration des soins. Cependant elle souligne la difficulté de disposer de critères objectifs pour définir les pathologies pour la psychiatrie. Les travaux de génétique en psychiatrie sont complexes, car rarement répliqués, leur valeur prédictive est faible, certaines anomalies génétiques sont associées à 30 % de troubles psychotiques, mais elles ne permettent pas des programmes de soins, de prévention de santé publique, sans compter que la valeur diagnostique est sujette à caution.

Pour Marion Leboyer, relayée par d'autres experts, on communique mal sur les facteurs de risques quand ils sont connus. La prévention des troubles psychiatriques est donc inexistante. En témoigne l'absence d'action de prévention ciblée sur l'impact de l'usage du cannabis dans la survenue de délires schizophréniques. Or les recherches montrent qu'une prise en charge précoce évite l'aggravation du trouble et sa chronicité, d'autant que des sujets jeunes qui en souffrent, faute d'une prise en charge précoce, voient leur avenir compromis par une maladie chronique, invalidante, et stigmatisante.

Selon Marion Leboyer et Bernard Bioulac 123 ( * ) , la France dispose d'atouts avec la création du réseau national thématique de recherche et de soin de santé mentale (FondaMental) en 2007. C'est une fondation de coopération scientifique, qui fédère, sur l'ensemble du territoire, plus de 60 services hospitaliers et laboratoires de recherche avec des centres experts FondaMental. Ses missions portent sur l'amélioration des soins, le développement de la recherche en psychiatrie, la création de formations innovantes pour amplifier le transfert des connaissances et des compétences entre la recherche et le soin, ainsi que sur l'information du grand public et des décideurs pour déstigmatiser les maladies mentales et aider à leur prise en compte à la mesure de l'enjeu de santé publique qu'elles représentent.

La Fondation FondaMental propose un nouveau regard sur les maladies mentales. Elle vise à améliorer la compréhension, le soin et la prévention des maladies. Ses travaux portent prioritairement sur les maladies psychiatriques parmi les plus invalidantes : les troubles bipolaires, la schizophrénie, l'autisme de haut niveau (ou syndrome d'Asperger), les dépressions résistantes, les conduites suicidaires et les psychotraumas. Malgré ces difficultés, des résultats encourageants ont été obtenus en psychiatrie génétique et neuroimagerie avec l'utilisation de nouveaux biomarqueurs.

Age d'apparition des troubles psychiatriques

Le réseau FondaMental, réseau national de chercheurs et cliniciens soutenu par le Ministère de la recherche dans le cadre des Réseaux thématiques de recherche et de soins (RTRS)

Les rapporteurs considèrent qu'il faut renforcer à tous les niveaux la prise en charge des patients atteints de maladies mentales et neurodégénératives en France en premier lieu en luttant contre la stigmatisation dont ils font l'objet par des actions d'information et de prévention ciblées. Cela implique que les associations de patients, centrées sur une pathologie spécifique, unissent leurs efforts, même si les problématiques de chaque pathologie sont différentes.

Recommandations :

- Mener des études statistiques systématiques sur les pathologies concernées et procéder à une large diffusion de ces données ;

- Développer de nouvelles modalités de prise en charge non stigmatisantes, en particulier par la promotion de centres de référence ;

- Favoriser l'interdisciplinarité dans l'approche de ces pathologies complexes afin d'assurer une meilleure coordination entre la recherche et la clinique ;

- Accroître l'organisation institutionnelle des interactions de la communauté des chercheurs avec celle du monde associatif, représentant les patients et leurs familles ;

- Créer un Institut multidisciplinaire dédié à la recherche sur les maladies mentales pour favoriser la recherche en psychiatrie.


* 118 PUPH, co-directrice adjointe du Centre de psychiatrie et neurosciences de l'hôpital Sainte-Anne, (Audition publique du 30 novembre 2011).

* 119 PUPH, directrice du réseau FondaMental (Audition des Rapporteurs du 17 janvier 2012).

* 120 Sociologue, directeur de recherche - (Audition des Rapporteurs du 24 janvier 2012).

* 121 Psychanalyste, directeur de recherche au CNRS - (Audition des Rapporteurs du 24 janvier 2012).

* 122 Professeur de neurologie, directeur de recherche, président de la Société française de Neurosciences -(Audition publique du 29 juin 2011).

* 123 Co-directeur de l'ITMO neurosciences, sciences cognitives, neurologie, psychiatrie (AVIESAN) - (Audition publique du 29 juin 2011).

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