D- LES INTERROGATIONS INDUITES PAR CERTAINS TRAITEMENTS

Le chercheur raisonne d'abord en micro-éthique, au cas par cas, et le juriste doit raisonner sur un système de valeurs, un encadrement, qui doit respecter l'égalité d'accès aux nouvelles technologies. Jean-Didier Vincent 131 ( * ) , a rappelé les problèmes posés par le traitement par électrochocs : « En mai 1968 on condamnait violemment les psychiatres qui le pratiquaient alors que c'est la seule façon de calmer les souffrances immenses de certains patients déprimés et suicidaires. A l'époque, on ignorait la façon dont cela agissait, quelques hypothèses étaient avancées. Aujourd'hui, on commence à savoir à quel niveau de transduction, quels enzymes et quels gènes sont sollicités. La neurogénèse du cerveau offre aussi une explication... Ces lacunes dans la connaissance ont de bons côtés : tant qu'on ne trouve pas grand-chose, on ne risque rien, hormis quelques dérives momentanées. Mais il est probable que la science arrivera à un stade que nous ne pouvons pas concevoir actuellement et où l'on disposera de moyens d'intervention sur le cerveau dont nous ne pouvons avoir idée. C'est alors qu'il faudra faire très attention . »

C'est là encore reposer la question de la frontière entre actions de rétablissement et améliorations des fonctions. C'est aussi poser la question de la modification des comportements. C'est également s'interroger sur la valeur du consentement éclairé dans des cas limites. Didier Sicard 132 ( * ) a évoqué le consentement éclairé en psychiatrie : « Il est le concept le plus difficile qui soit... La guérison d'un symptôme par une neurostimulation est source d'un bénéfice considérable pour un grand nombre de personnes mais peut créer des états dépressifs chez d'autres... Il faut se méfier d'une sorte de réparation générale de tous les symptômes qui seraient toujours suivis d'un réel soulagement. Si, pour les troubles moteurs, on peut imaginer qu'on est dans la bienfaisance, quand on approche de la psychiatrie, cela s'avère plus compliqué. »

Dans le domaine de la stimulation cérébrale profonde qui a permis des progrès considérables dans le traitement de certaines pathologies, au premier rang desquelles la maladie de Parkinson, Bernard Bioulac 133 ( * ) , reconnaît que des questions éthiques essentielles méritent d'être posées : « Par la stimulation, nous savons que nous interagissons sur la dynamique du réseau, mais nous ignorons ce qui se passe exactement. Il faut approfondir les connaissances par la recherche fondamentale avec des modèles et des préparations simplifiées pour arriver à une meilleure compréhension de l'écoulement du courant électrique dans les réseaux du système nerveux. Le courant est vraisemblablement distribué parallèlement dans l'ensemble du système nerveux, agissant de façon prévalente sur un réseau particulier mais également ailleurs. Cette question me préoccupe beaucoup, car elle a obligatoirement des interférences éthiques et bioéthiques. Il est important de comprendre ce que l'on fait lorsque l'on accomplit des progrès dans le traitement de l'humain. Comment ces éléments expliquent-ils les progrès ? »

1- L'avis du Groupe européen d'éthique

Dans son avis n° 20 portant sur les implants et tout particulièrement les neuroprothèses, le Groupe européen d'éthique (GEE) soulignait également des risques d'atteinte à la dignité humaine, évidents pour des dispositifs implantés à but professionnel ou d'amélioration de la performance (militaires par exemple), mais également pour les dispositifs à buts médicaux (implants cochléaires chez les enfants sourds).

Le GEE propose d'interdire les implants cérébraux qui pourraient être utilisés « comme fondement d'un cyber-racisme » ; pour modifier l'identité, la mémoire, la perception de soi et la perception d'autrui, pour améliorer la capacité fonctionnelle à des fins de domination et pour exercer une coercition sur les personnes qui n'en sont pas dotées.


* 131 Professeur à l'Université Paris-sud Orsay, directeur de l'Institut Alfred Fessard, membre de l'Académie des Sciences et de l'Académie nationale de Médecine (Audition publique du 26 mars 2008) .

* 132 Professeur de médecine, président honoraire du CCNE (Audition publique du 26 mars 2008).

* 133 Co-directeur de l'Institut thématique multi-organismes (neurosciences, sciences cognitives, neurologie et psychiatrie) de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN) - (audition publique du 29 juin 2011).

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