IV- LA MOBILISATION DE LA RECHERCHE

Face aux défis lancés par les maladies neuropsychiatriques, on assiste à l'échelon mondial à une internationalisation des grands programmes de recherches auxquels les équipes françaises participent, ce que l'on ne peut qu'encourager, même si cela conduit aux financements de projets très ambitieux et coûteux. La coopération internationale entre les équipes et les échanges entre elles sont constants, comme vos rapporteurs ont pu le constater lors de leurs déplacements en France et à l'étranger. Les recherches concernent l'amélioration des outils et des connaissances, et procèdent d'initiatives et de financements internationaux.

A- LES GRANDS PROJETS INTERNATIONAUX

Parmi les projets internationaux de grande ampleur, le projet Blue Brain semble le plus ambitieux par son but, la création d'un cerveau artificiel, par le degré de mobilisation internationale qu'il entraîne, par l'accumulation des données qu'il exige et par son coût.

1- Le projet Blue Brain ou Human Brain Simulation Project (HBSP)

Le Human Brain Simulation Project a été initié en 2007 par Henri Markram, fondateur du Brain and Mind Institute dans le cadre d'une collaboration entre l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et la firme IBM. Cet institut a pour but de mieux comprendre les fonctions du cerveau sain ou malade en associant différentes méthodes d'analyse du comportement des neurones, y compris la simulation sur ordinateur.

Le projet vise à créer un cerveau artificiel à partir de données en provenance du monde entier et ainsi, à parvenir pièce par pièce, à modéliser l'ensemble du cerveau d'un rat. C'est une approche microscopique pour reconstruire le cerveau de façon verticale, en partant des molécules et des synapses vers la géométrie des cellules. Le Blue Brain Project a déjà simulé le fonctionnement d'une fraction de cerveau de rat, reconstitué neurone par neurone.

Les équipes comptent développer de nouvelles techniques d'analyse in vivo, et une automatisation plus rapide résultant de l'augmentation de la puissance de l'ordinateur avec de nouveaux algorithmes travaillant en simultanéité. Une fois obtenu un cerveau global, il serait, selon Henry Markram 21 ( * ) , relativement aisé d'étudier son fonctionnement à une échelle elle-même globale, en le soumettant à des entrées/sorties analogues à celles que le corps vivant impose au cerveau vivant.

Lors de son entretien avec la mission, Henry Markram a longuement insisté sur le caractère inédit de la méthode qui sera appliquée à la modélisation d'une mini-colonne du cortex humain, puis, pourquoi pas, vers 2030, à celle du cerveau entier. Selon lui, cette approche épistémologique originale nécessite la mise en réseau de nombreuses bases de données et implique des développements informatiques majeurs. Le cerveau humain pourrait être comparé à un ordinateur immensément puissant, autodidacte, capable de se reconfigurer en permanence au gré des expériences vécues, d'utiliser efficacement l'énergie dont il dispose, de s'auto-régénérer.

Comprendre le fonctionnement cérébral, être capable de le mimer, permettrait donc, selon lui, une avancée déterminante tant dans le domaine de la santé que dans celui du traitement de l'information. Ce projet, qui vise à simuler dans le détail les processus mis en oeuvre par le cerveau pour traiter l'information, apprendre, ressentir, réparer les dommages cellulaires etc..., pourrait avoir des retombées décisives en médecine. Les promoteurs du projet espèrent qu'en modélisant le fonctionnement du cerveau, on arrivera à développer de nouveaux outils diagnostiques, de nouveaux traitements pharmacologiques pour certaines maladies neurologiques ou psychiatriques, et un nouveau type de prothèse pour faciliter le quotidien des handicapés. Une meilleure connaissance des modes opératoires utilisés par le cerveau pourrait inspirer la conception de futurs ordinateurs ou robots plus performants et mieux adaptés.

L'ampleur et le degré de complexité des modélisations en jeu suppose de créer les logiciels informatiques ad hoc , de développer des modèles et des technologies de type « supercalculateurs ». Les applications potentielles de ce projet sont de deux ordres, d'une part une meilleure classification des connaissances des maladies du cerveau, facilitant la mise en place de thérapies, et d'autre part le développement de nouveaux ordinateurs performants basés sur des aspects fonctionnels du cerveau, avec une basse consommation énergétique.

Grâce à une collaboration internationale impliquant spécialistes des neurosciences, médecins, physiciens, mathématiciens, informaticiens et éthiciens, ce projet constituerait une étape décisive dans la compréhension du cerveau humain. Son caractère transdisciplinaire est un atout.

La méthodologie de ce projet a fait l'objet d'un débat lors de l'audition publique du 30 novembre 2011. Pour Yehezkel Ben-Ari 22 ( * ) , ce n'est pas un modèle : « De quoi s'agit-il ? D'un neurone du cortex, déconnecté de son milieu naturel, mis dans une tranche, où l'on identifiera tous ses courants. Ce n'est pas un modèle, or en réalité, il existe des centaines de neurones différents, dans un cerveau adulte normal, ou dans un cerveau immature ». Il ajoute : « Le projet Blue Brain, est un projet d'un milliard pour construire un cerveau à partir de neurones de cortex de souris dont les courants sont totalement identifiés. C'est pour le moins aberrant. »

Pour Yves Agid 23 ( * ) et Grégoire Malandain 24 ( * ) , le projet Blue Brain témoigne d'une approche originale, mais il ne prend pas assez en compte la plasticité cérébrale. Cependant il a l'avantage de permettre une convergence des financements. Selon Jean-Claude Ameisen 25 ( * ) , « on fait la même confusion entre développement d'outils technologiques et véritable avancée des connaissances... Les grandes entreprises technologiques, si elles peuvent être utiles, ne conduisent jamais, ou presque jamais, en elles-mêmes, à des révolutions scientifiques. »


* 21 Directeur et coordonnateur du projet (Mission des Rapporteurs à l'École Polytechnique fédérale de Lausanne le 21 septembre 2011).

* 22 Fondateur et directeur honoraire de l'Institut de neurobiologie de la Méditerranée (IMED) , (Audition publique du 30 novembre 2011).

* 23 Membre fondateur de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM). Professeur de neurologie, membre de l'Académie des sciences, membre du membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) - (Audition publique du 30 novembre 2011) .

* 24 Directeur scientifique adjoint à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA). (Audition publique du 30 novembre 2011) .

* 25 Professeur de médecine, président du Comité d'éthique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), membre du CCNE (Audition publique du 30 novembre 2011) .

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