N° 4484 N° 490

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ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE DE 2011 - 2012

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Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale Enregistré à la présidence du Sénat

le 28 mars 2012 le 28 mars 2012

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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

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RAPPORT

sur

LES MALADIES MONOGÉNIQUES : ÉTAT DES LIEUX

Compte rendu de l'audition publique du 7 juin 2011

et de la présentation des conclusions, le 25 janvier 2012

Par MM. Claude Birraux et Jean-Louis Touraine, Députés.

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Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Claude BIRRAUX, par M. Bruno SIDO,

Premier Vice-Président de l'Office Président de l'Office

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INTRODUCTION

M. le président Claude Birraux. Mon collègue Jean-Louis Touraine et moi-même sommes heureux de vous accueillir, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, pour évoquer les enjeux des maladies monogéniques.

L'OPECST, créé en 1983 et seul organe commun à l'Assemblée nationale et au Sénat, a pour mission de permettre au Parlement d'évaluer, en toute indépendance, les enjeux stratégiques et sociaux des avancées scientifiques et technologiques. Il réunit dix-huit députés et dix-huit sénateurs, désignés à la proportionnelle par les groupes politiques des deux assemblées. Ces trente-six parlementaires, aidés par un conseil scientifique, s'appuient sur une méthode rigoureuse qui garantit la qualité de leurs travaux. Pour réaliser une étude, l'Office doit être saisi par un organe interne au Parlement : commission permanente, groupe politique ou Bureau de l'une des deux assemblées.

S'il est un domaine où les progrès permis par la science sont assez évidents, c'est bien celui de la santé. Néanmoins des événements tragiques et inacceptables, comme l'affaire du Mediator, nous rappellent qu'un dialogue permanent entre science et société est indispensable. L'Office y participe. Ce dialogue a d'abord lieu à travers son conseil scientifique, lequel réunit vingt-quatre scientifiques reconnus dans leurs disciplines respectives. Par ailleurs, les membres de l'Office vont régulièrement à la rencontre des chercheurs dans les laboratoires et instituts de recherche. Ainsi, depuis plusieurs années, un partenariat avec l'Académie des sciences permet, en associant jeunes chercheurs et parlementaires, d'améliorer la compréhension entre scientifiques et politiques, et de mieux prendre en compte les préoccupations des uns et des autres. Enfin, chacun des travaux de l'Office est l'occasion d'échanges, à travers notamment les auditions et les visites organisées par les rapporteurs. Avant l'été, vont ainsi se conclure des travaux sur la coopération scientifique dans les terres australes ou bien encore la biodiversité en Méditerranée. Sont par ailleurs en cours des travaux sur la biologie de synthèse, les neurosciences, l'innovation à l'épreuve des peurs et des risques, la sûreté nucléaire et l'avenir de la filière nucléaire.

J'en viens au thème de l'audition d'aujourd'hui. La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, par l'intermédiaire de son président Pierre Méhaignerie, nous a chargés en octobre 2010 d'une étude sur la drépanocytose, saisine que l'Office a élargie à l'ensemble des maladies monogéniques.

Ce faisant, l'Office prolonge les débats qu'il a lancés depuis longtemps sur les sciences du vivant et la bioéthique. Depuis les premières lois de bioéthique, il est chargé d'en réaliser l'évaluation et de formuler des recommandations. L'audition d'aujourd'hui prend place dans le cycle de nos travaux sur les biotechnologies et la bioéthique.

Contrairement à la plupart des maladies monogéniques, la drépanocytose n'est pas une maladie rare puisque l'on estime à plusieurs dizaines de millions le nombre de malades de par le monde, et qu'on dénombre cinq cents nouveaux cas par an en France, ce qui en fait dans notre pays la première maladie monogénique par le nombre de malades atteints. Cette forte prévalence s'explique par le fait que le gène muté responsable de la maladie protège des formes sévères de malaria, notamment de ses atteintes neurologiques.

Les maladies monogéniques représentent un enjeu important pour nos sociétés. Elles sont très invalidantes, parfois mortelles. Elles touchent tous les champs de la vie des malades et altèrent souvent profondément leur qualité de vie. Leur prise en charge est difficile, vu que leur incidence est au final faible par rapport à d'autres maladies. Nous avons souhaité dans cette audition publique en aborder tous les aspects : aussi avons-nous invité des spécialistes de domaines très divers.

Nous traiterons d'abord de la recherche et de la prise en charge des patients, puis de la place des associations de malades et du financement de la recherche, avant d'évoquer des questions juridiques, notamment celle de la protection et de l'utilisation des données de santé.

Accessible sur le portail Internet de l'Office, où pourra dès ce soir être consultée sa vidéo et où sera disponible dans quelque temps son compte rendu, cette audition doit éclairer le Parlement. Elle donnera lieu à la publication d'un rapport qui reprendra intégralement le contenu de nos débats, et sera complété des conclusions que Jean Louis Touraine et moi-même présenterons devant nos collègues de l'OPECST, pour fixer les grandes lignes d'analyse et ouvrir des perspectives sur les leçons à tirer et les mesures à prendre.

M. Jean-Louis Touraine. Notre réunion d'aujourd'hui a ceci d'original qu'elle donne l'occasion à des spécialistes de domaines très divers de se rencontrer, d'échanger et de confronter leur expérience et leurs compétences dans le domaine des maladies monogéniques. Une telle rencontre n'est pas si fréquente car les aspects scientifiques et médicaux sont souvent traités indépendamment des aspects sociétaux ou juridiques. Une approche pluridisciplinaire présente pourtant un intérêt tout particulier pour la prise en charge globale des malades.

Cette audition publique arrive à point nommé, alors que le projet de loi relatif à la bioéthique vient tout juste d'être examiné en deuxième lecture par l'Assemblée nationale. Je me félicite que ce texte permette une meilleure prise en compte de toutes les dimensions de la génétique, garantisse une meilleure protection dans l'examen des caractéristiques génétiques de la personne, qui sera désormais plus strictement encadré. La définition du consentement des personnes a été précisée, de même que les conditions de l'information de la parentèle en cas de découverte d'une anomalie génétique grave. Je regrette en revanche la méfiance infondée qui a prévalu, conduisant l'Assemblée nationale à refuser, pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires, le régime d'autorisation encadrée en faveur duquel s'étaient pourtant prononcés le Conseil d'État et le Comité consultatif national d'éthique, et qu'avait voté le Sénat. Restera donc en vigueur le régime actuel d'interdiction, assorti de dérogations pour les projets ayant reçu l'aval de l'Agence de la biomédecine.

Sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui, nous pouvons être relativement optimistes. Le séquençage génétique à haut débit est très prometteur et conduira tout naturellement à l'identification de nouveaux gènes responsables de maladies encore mal connues. Nos connaissances théoriques progresseront et de nouvelles thérapeutiques, reposant sur une médecine personnalisée, pourront voir le jour. La prise en charge des patients pourra être adaptée en fonction de leur « carte génétique ». Celle-ci permettra par exemple de savoir si tel traitement a ou non une chance d'être efficace, d'en prévoir les éventuels effets secondaires, et donc de mieux les anticiper. Aura alors vécu l'approche empirique où ce n'était qu'essai thérapeutique après essai thérapeutique que pouvait être mis au point un traitement adapté à chaque malade. L'utilisation, certes courante depuis déjà un certain temps, des puces à ADN permet d'explorer les différents gènes et d'identifier leur responsabilité dans telle ou telle maladie. Demain, une chirurgie du gène permettra d'envisager une véritable médecine « à la carte ».

Plus il devient facile de séquencer le génome complet d'une personne et moins cela coûte cher, plus il importe de protéger ces données. Une connaissance plus fine des prédispositions génétiques a nécessairement des conséquences éthiques, juridiques et sociétales, dont il importe de prendre la mesure. Nous avons le devoir d'éviter que de telles données soient utilisées à des fins autres que médicales et scientifiques. Cela est d'autant plus délicat que la mondialisation de la biologie rend quasiment impossible de s'assurer que ce qui est strictement réglementé, voire interdit, dans notre pays, ne sera pas pratiqué sous l'empire d'une réglementation beaucoup plus lâche, voire autorisé sans restrictions, dans d'autres pays - pour un coût souvent modique. Que faire avec les pays qui autorisent plus librement que nous l'accès aux données génétiques ?

Les progrès médicaux ont permis à des personnes porteuses de certains gènes qui les auraient auparavant condamnées dès l'enfance, de vivre plus longtemps, et donc d'avoir des enfants, ce qui avait fait dire à Sir Peter Medawar, futur prix Nobel de médecine, que l'efficacité à laquelle était parvenue la médecine dans la seconde moitié du 20 ème siècle aboutirait mécaniquement à augmenter la fréquence des gènes responsables de certaines maladies. Loin d'être pessimiste, dès les années soixante, il soulignait que ce même progrès permettrait un jour de les corriger. Nous y sommes. Les espoirs sont grands. Des craintes aussi se font jour. Il nous appartient de rassurer nos concitoyens en encadrant les pratiques médicales et de recherche.

Dans le cas des maladies monogéniques, la seule approche médico-scientifique ne suffit pas. En effet, celles-ci ne concernent pas seulement la personne qu'elles affectent. Elles ont des conséquences pour tout l'entourage, en particulier la famille avec de multiples implications en matière de conseil génétique mais aussi de prise en charge et d'accompagnement, beaucoup d'entre elles se développant dès l'enfance. Notre société doit aider à cette prise en charge. Les associations de malades ont là tout leur rôle à jouer.

Si chacune de ces maladies est par elle-même rare, leur très grand nombre fait qu'au total, leur occurrence est importante : les maladies rares, toutes formes comprises, sont aussi fréquentes que le cancer. Une réflexion pluridisciplinaire n'en est que plus indispensable, de sorte que ces maladies monogéniques, d'une extrême diversité, ne soient pas chacune l'affaire d'un seul spécialiste mais que toutes les compétences puissent s'additionner afin de faire progresser la science, en encadrer les avancées, et surtout apporter une dimension humaine à la prise en charge des malades.

Je souhaite enfin m'élever en faux contre certains propos que je qualifierais d'obscurantistes. Sans nul doute par ignorance, certains considèrent comme de l'eugénisme le diagnostic pré-implantatoire (DPI) et le diagnostic prénatal (DPN) qui peuvent être pratiqués dans le cas de maladies génétiques d'une extrême gravité, la découverte de la présence du gène défectueux autorisant une interruption médicale de grossesse. Si la recherche de tels gènes devait être tenue pour de l'eugénisme, il devrait logiquement en être de même de la règle qui veut qu'on dissuade les mariages consanguins, qui n'a elle aussi d'autre finalité que d'éviter l'apparition de maladies ! S'opposer au DPN, c'est aussi oublier qu'il peut déboucher sur des traitements in utero . Dès 1988, nous procédions aux premières greffes de cellules souches sur des foetus atteints de déficit immunitaire, et l'année suivante sur des malades atteints de bêta-thalassémie. D'autres thérapies existent également qui peuvent être utilisées chez le foetus dès les tout premiers stades de son développement si le diagnostic a été assez précoce. La recherche des gènes causes de maladies graves n'a aucune visée eugéniste.

En dépit des bénéfices incontestables qu'apportent tous ces progrès, on se méfie encore trop souvent de la recherche. Il nous faut à la fois prévoir un encadrement propre à rassurer nos concitoyens et faire oeuvre de pédagogie pour que l'ensemble de la société française retrouve confiance en le progrès.

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