2. Des tensions plus aiguës avec la hiérarchie et les parents d'élèves
a) L'inflation des conflits avec la hiérarchie

Les travaux de la mission ont révélé une rupture de confiance globale entre les enseignants et leur hiérarchie, malgré des relations interpersonnelles qui demeurent correctes quand elles sont de proximité. Toute évolution du régime d'évaluation des enseignants qui ne veillerait pas à lever les craintes d'abus de pouvoir et à séparer la mission d'évaluation et l'autorité hiérarchique ne pourrait qu'aggraver la situation. Les enseignants auraient alors le sentiment d'être mis sous contrôle et en concurrence, ce qui nuirait à la coopération, ne rendrait pas le travail plus efficace, mais renforcerait les soupçons de connivence.

Dans son rapport annuel pour 2010, Monique Sassier 16 ( * ) , médiatrice de l'éducation nationale, a indiqué que 12 % des réclamations étaient directement liées à l'organisation du travail et aux relations professionnelles avec la hiérarchie et les collègues. Cette catégorie de réclamation émanant des personnels de l'éducation nationale est la seule à avoir connu une augmentation très significative depuis que le médiateur est entré en action : elle a crû de 15 % depuis 2000 alors que les réclamations sur le recrutement et le déroulement de carrière ont chuté de moitié sur la même période. 17 ( * )

La fédération des autonomes de solidarité laïque (FAS) a constaté également un accroissement sensible des conflits hiérarchiques, notamment dans le 2 nd degré. Son président Roger Crucq 18 ( * ) a estimé que cette tendance résulte de la conjonction d'un affaiblissement de l'esprit de corps parmi les enseignants et d'un durcissement du management des chefs d'établissement. Les conflits dans les collèges et les lycées se rapprochent de plus en plus de ceux que l'ont peut observer dans les entreprises.

D'après l'analyse des réclamations reçues par la médiatrice, dans le 1 er degré, les réclamations traduisent des conflits entre les professeurs et le directeur d'école dont l'autorité n'est pas acceptée sans que l'IEN parvienne à régler les différents. Dans le 2 nd degré, c'est la répartition de services qui posent problème. Des mésententes entre collègues et avec les chefs d'établissement se traduisent de plus en plus par une demande d'intervention du médiateur. L'absence de remplacement apparaît comme une source d'angoisse partagée par les parents et les enseignants. Ces derniers s'inquiètent du surcroît de travail qui leur est imposé lorsque leurs collègues ne sont pas remplacés. Quand ils sont eux-mêmes malades, sans pouvoir être remplacés, il n'est pas rare de les entendre se plaindre d'être culpabilisés et soumis à une pression psychologique douloureuse.

Monique Sassier a relevé que dans de nombreuses requêtes revenaient les mêmes formules de la part d'enseignants très divers : « on nous prend pour des numéros », « on ne nous consulte pas », « on ne nous soutient pas ». Toute l'ambiguïté et la complexité des relations avec les chefs d'établissement ressortent : d'un côté, les enseignants requièrent du chef d'établissement la reconnaissance de leur investissement et un soutien plein et entier, notamment dans tous les conflits avec les parents d'élèves ; de l'autre, ils sont réticents, voire méfiants devant l'extension de l'autorité du chef d'établissement.

Les opérations de mutation constituent également des occasions de conflit avec les autorités académiques. Pour les demandes de mutations interacadémiques persistent notamment des cas où l'enseignant obtient l' exeat mais pas l' ineat et réciproquement. Quand sur plusieurs années les démarches n'aboutissent pas, les refus sont vécus sur le mode de l'injustice, certains parlant même d' « atteinte à leur dignité ».

Plus inquiétante paraît être la hausse sensible, relevée par la FAS, des signalements de harcèlements. De 210 signalements sur l'année 2008-2009, on est passé à 286 en 2009-2010 et 335 en 2010-2011. Même s'il ne s'agit pas à proprement parler de caractérisations judiciaires des faits mais de signalement par les adhérents, cette évolution est un signe inquiétant de la dégradation continue des relations de travail au sein des établissements scolaires.

Parallèlement, les personnels ont des difficultés à identifier au sein de l'institution, les outils et les personnes qui peuvent les aider à faire face aux situations difficiles qu'ils vivent. Même les cellules d'écoute mises en place ne sont pas pleinement utilisées comme si les personnels s'inquiétaient de leur neutralité ou des incidences sur leur carrière de leur démarche.

Si la prévention des conflits ne progresse pas grâce à une réflexion sur l'organisation du travail dans les établissements, si la carence de la médecine du travail persiste et si la souffrance portée par les enseignants n'est pas entendue, ce sont les classes et les élèves qui pâtiront directement de la dégradation du climat social dans l'éducation nationale. C'est pourquoi votre rapporteure appuie la démarche de la médiatrice de l'éducation nationale qui souhaite encourager le développement d'une culture nouvelle des rapports humains au sein du monde de l'éducation . Il est temps qu'au niveau des rectorats, dont les responsabilités n'ont cessé de s'accroître, soit mise en place une politique de gestion des ressources humaines moderne et humaine, au-delà de la simple gestion administrative des postes et des emplois du temps.

b) Les incompréhensions mutuelles entre les enseignants et les parents d'élèves

Parmi les réclamations reçues par la médiatrice de l'éducation nationale, 31 % émanent des personnels, dont 67 % par les enseignants des 1 er et 2 nd degrés. Mais 69 % d'entre elles proviennent des usagers du service public d'éducation, 50 % sont déposées par des élèves ou des parents et concernent au moins en partie des enseignants. Il est indéniable que la place des parents à l'école est encore mal définie et que l'incompréhension persiste avec l'institution scolaire qui s'est historiquement construite en s'isolant de l'extérieur. Si les tensions sont fortes entre enseignants et parents, c'est aussi parce que les premières relations entre eux sont trop souvent nouées à l'occasion d'un problème et sont dès lors conditionnées et parasitées par ce problème originel. C'est avant tout conflit, dès la rentrée, qu'une relation saine sans passif doit être construite.

Les parents comme les enseignants souffrent conjointement de la pression évaluative croissante à laquelle est soumise l'éducation. Mais les rapports restent encore trop souvent faits d'inquiétude et de méfiance réciproque plutôt que de coopération et de confiance au service d'objectifs communs. Les enseignants ont le sentiment d'être injustement contestés par les parents dans leur capacité et leur compétence personnelle dès qu'une difficulté survient avec un élève. Face à une société de plus en plus critique et informée des carences du système éducatif par la presse, les enseignants sont mis sur la défensive, comme s'ils devaient à tout moment se justifier de leur action et de ses conséquences sur la réussite et le bien-être de chacun de leurs élèves.

Tout droit nouveau pour les parents risque d'être vécu à tort comme une fragilisation du métier d'enseignant. Il est pourtant impératif de retisser des liens de confiance entre l'école et les familles, si l'on veut que l'éducation nationale retrouve sa mission émancipatrice fondamentale et ne se limite pas à de simples prestations de services. Votre rapporteure souscrit aux propos de Fabrice Partula, secrétaire général de la FCPE, lors de l'audition commune des fédérations de parents d'élèves : « parents et enseignants se comprennent souvent mal. Il faut dédramatiser les rapports afin que chacun ne se sente pas agressé par l'autre et qu'on aille vers la co-éducation. » 19 ( * )

STATUT ET ACTIVITÉ DU MÉDIATEUR DE L'ÉDUCATION NATIONALE

Le médiateur de l'éducation nationale existe depuis 1999. Son statut est régi par l'article 40 de la loi sur les libertés et les responsabilités des universités du 10 août 2007.

Il est nommé pour un mandat de trois ans, renouvelable une fois, conjointement par le ministre de l'éducation nationale et le ministre de l'enseignement supérieur (art. D. 222-40 du code de l'éducation).

Il peut être saisi par les usagers et les personnels mais n'est pas compétent en matière d'administration de la recherche.

Il emploie 7 personnes à Paris, ainsi que 50 médiateurs académiques, tous retraités de l'éduction nationale.

Les réclamations doivent avoir été précédées d'un recours gracieux auprès de l'institution. 90 % des affaires sont traitées par les médiateurs académiques et 10 % par le service national.

Le médiateur agit en lien avec le Défenseur des droits qui lui rétrocèdent les enquêtes portant sur l'éducation nationale et l'enseignement supérieur.

En 2011, 9 240 réclamations ont été enregistrées, soit une hausse de 18 % en un an, ce qui ne traduit pas nécessairement plus de conflictualité mais peut-être simplement une meilleure notoriété du médiateur. Dans 40 % des cas, le médiateur se retourne vers l'administration en raison soit d'une erreur de droit, soit d'une interprétation excessivement restrictive des textes.

Source : Médiateur de l'éducation nationale
articles L. 23-10-1 et D. 222-40 à 42 du code de l'éducation


* 16 Audition du 14 février 2012 (M. Sassier).

* 17 Médiateur de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, L'incontournable dimension humaine, Rapport annuel 2010, pp. 148-149.

* 18 Audition du 13 mars 2012 (R. Crucq).

* 19 Audition du 14 mars 2012 (associations de parents d'élèves).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page