2. Un accompagnement insuffisant des enseignants-stagiaires
a) Une professionnalisation mise à mal

Les inspections générales demandaient en avril 2011 à l'ensemble des parties prenantes de « passer de la gestion de l'urgence à l'exigence de la qualité » 36 ( * ) , ce qui résumait bien l'impréparation de la réforme de la mastérisation. Pour autant, rien n'a dévié de la ligne initiale et la désarticulation de la formation initiale des enseignants perdure. Persistent notamment l'aggravation des problèmes de remplacement, la désorganisation de l'entrée en fonction et la fragilisation de la professionnalisation des futurs enseignants qu'elle a provoquées.

La suppression de l'année de préparation au profit d'une entrée directe dans le métier est particulièrement dommageable parce qu'elle empêche de compenser et de rattraper les déficiences des cursus universitaires de masters d'enseignement. L'insuffisance de la professionnalisation à l'université est patente et les enseignants-stagiaires qui ont réussi le concours ne possèdent pas en réalité de base pédagogique et didactique suffisamment solide pour exercer leur métier dans de bonnes conditions.

En maternelle, très spécifiquement, les étudiants qui sortent de l'université ne savent pas comment observer leurs élèves, donner des consignes, ils n'ont pas les repères minimaux pour enseigner le langage à des élèves non parleurs. Parce qu'elle est très éloignée de l'université, l'école maternelle ne peut qu'être le maillon du système éducatif qui souffre le plus de la mastérisation. C'est d'autant plus dommageable qu'un large consensus émerge pour en faire une étape clef de l'épanouissement de l'enfant et de la lutte contre l'échec scolaire.

Par ailleurs, la Cour des comptes a relevé dans son dernier rapport public annuel que la proportion d'enseignants-stagiaires affectés en éducation prioritaire était dans le 1 er degré plus élevée que celle des titulaires dans huit académies (Aix-Marseille, Amiens, Besançon, Caen, Guyane, Martinique et Montpellier). En outre, les multiaffectations sur plusieurs établissements n'ont pas épargné les enseignants-stagiaires. Dans le 2 nd degré, 22,3 % des stagiaires de l'académie de Paris ont été concernés en 2011, de même que 18,9 % de ceux de l'académie de Grenoble et 16,5 % à Lyon. Un quart des enseignants-stagiaires en physique-chimie et en histoire sont concernés dans certaines académies. L'affectation sur trois niveaux d'enseignement ou plus a également fréquemment cristallisé les difficultés d'entrée en fonctions de nombreux stagiaires. 37 ( * ) Les instructions ministérielles sont restées à tous ces égards lettre morte.

Dans le 2 nd degré, la situation physique et psychologique des stagiaires, qui doivent perpétuellement faire face à des urgences et à des difficultés que l'on ne leur a pas donné les moyens d'anticiper et régler convenablement, est très préoccupante. Dans les académies de Poitiers et de Paris, en particulier, respectivement 11,5 % et 18,5 %, de cas lourds de stagiaires en très grande difficulté étaient signalés en 2011, après une première année de mise en place de la réforme. 38 ( * )

Mis directement en responsabilité devant les classes, les enseignants-stagiaires et les néotitulaires ne bénéficient d'aucun lieu pour se retrouver et échanger. Aucun esprit de promotion ne peut se constituer, aucun réseau de partage d'expérience et de soutien ne se développe. Le défaut de processus d'acculturation au métier empêche la constitution d'une culture partagée. On favorise ainsi l'émiettement du milieu enseignant et on freine l'émergence de collectifs, au moment même où paradoxalement les discours publics les valorisent.

b) Un exemple de terrain : l'accueil des stagiaires du 1er degré dans le Val-d'Oise
(1) Les modalités d'accueil des stagiaires retenues par l'inspection académique

Votre rapporteure a pu apprécier la grande capacité d'adaptation et d'innovation déployée dans l'éducation nationale au plus près du terrain pour contrebalancer les effets néfastes de la mastérisation et pour préparer tant bien que mal l'entrée dans le métier des stagiaires, compromise par la réforme. Alors que le ministère demande des professeurs des écoles la maîtrise de procédures didactiques très sophistiquées, ne serait-ce que pour mettre en oeuvre les évaluations ou pour apprendre la lecture selon des protocoles rigoureux, on continue à vivre sur l'idée fausse mais répandue que la pédagogie vient avec le temps, naturellement, en se confrontant avec la classe.

En réalité, l'intervention des maîtres formateurs et des conseillers pédagogiques, experts en didactique, est d'autant plus essentielle que les modules de préprofessionnalisation dans les cursus universitaires restent très en-deçà de ce qui serait nécessaire. Il convient de saluer l'action de ces professionnels, qui se préoccupent toujours de préserver les jeunes enseignants et leurs élèves, alors même qu'ils peuvent légitimement contester le bien-fondé des injonctions ministérielles et qu'ils subissent de plein fouet les coupes budgétaires.

Le Val-d'Oise accueille chaque année entre 220 et 240 professeurs des écoles stagiaires pour une population globale d'environ 11 000 enseignants dans le 1 er degré. Tous les quatre ans, environ 10 % des professeurs des écoles du département sont renouvelés. Les dégâts occasionnés par une formation déficiente et par un accompagnement bricolé tant bien que mal peuvent, à ce rythme, très rapidement affecter la qualité générale de l'enseignement dispensé dans les écoles. C'est pourquoi votre rapporteure est convaincue que le chantier de la refondation de la formation et du recrutement des enseignants doit être ouvert en priorité .

L'inspection académique du Val-d'Oise a testé deux modèles d'affectation depuis la mise en place de la mastérisation du recrutement. En 2010-2011, les stagiaires ont été nommés sur des postes de remplaçants parallèlement au suivi de stages de formation. Ce modèle n'a pas apporté satisfaction dans la mesure où les stagiaires ont enchaîné toute l'année les remplacements sans jamais assurer plus que des fragments de séquences pédagogiques. Ils n'ont jamais pu suivre la construction progressive des apprentissages de leurs élèves, ni établir de relations avec les parents d'élèves ; ils n'ont pas eu le temps de s'inscrire véritablement dans la continuité de la vie de la classe.

C'est pourquoi le modèle a évolué en 2011-2012. Les stagiaires ont été affectés sur un poste pour toute la durée de l'année scolaire. Ils n'ont pas tous été nommés dans des établissements difficiles car l'inspection a pu reprendre certains postes restés vacants après le mouvement, plus faciles pour des débutants. Après une première semaine d'exercice, ils ont été envoyés en observation dans des classes de maîtres chevronnés pour six semaines au total et ont bénéficié de l'accompagnement de formateurs.

Le bilan de cette organisation paraissant nettement plus positif à l'inspection académique du Val-d'Oise que l'année précédente, elle a été validée pour les années à venir. Il est toutefois prévu une accentuation de la prise en charge et de la formation des stagiaires. Après une semaine dans leur classe, ces derniers connaîtraient une alternance entre des séquences de formation hors de leur classe et des séquences dans leur classe, sous la supervision de formateurs-évaluateurs.

(2) Les difficultés rencontrées par les enseignants-stagiaires

Pour assurer le tiers-temps de formation continuée prévu par les textes réglementaires, les moyens en remplacement dont dispose le Val-d'Oise sont insuffisants. Seules six semaines au lieu de douze semaines pourront être offertes aux stagiaires, ce qui n'est à l'évidence pas suffisant et ne peut que rendre plus délicate leur prise de fonctions en responsabilité de classes.

Votre rapporteure y voit une illustration supplémentaire des effets néfastes du tarissement des brigades de remplacement pour satisfaire les objectifs de suppression de postes imposés aux académies. En outre, la publication de circulaires ministérielles inapplicables ne peut être tolérée car elle place les personnels devant des dilemmes insolubles en leur abandonnant la mise en oeuvre de prescriptions irréalisables. Elle ouvre également la porte à tous les aménagements imaginables en fonction des contraintes et des habitudes locales alors même que les disparités territoriales sont déjà criantes et mettent à mal le principe fondamental de l'égalité de traitement sur tout le territoire national. Une fois les priorités ministérielles clairement fixées, il est du devoir de la direction générale des ressources humaines et de la direction des affaires humaines de procéder à une distribution adéquate des moyens aux académies.

Il convient de bien mesurer la difficulté de la tâche demandée aux professeurs des écoles stagiaires qui doivent fréquemment faire face à des doubles niveaux de classe. Un des stagiaires rencontrés par la mission avait même la responsabilité sur deux mi-temps de deux doubles niveaux CE1/CE2 et CM1/CM2. Il paraît évidemment difficile de construire un cours et une progression pédagogique dans de telles conditions. Le travail peut encore être rendu plus complexe, si l'on considère par exemple la possibilité d'avoir des enfants non-lecteurs en double niveau. Les retours sur leurs pratiques et l'accompagnement n'en deviennent que plus cruciaux. Votre rapporteure a ressenti chez les professeurs des écoles stagiaires une grande attente de conseils et d'aide à la préparation de cours au plus près de la vie de la classe, que les visites de maîtres formateurs ne suffisent pas assurer actuellement en continu.

Les stagiaires ont principalement regretté le manque de préprofessionnalisation en amont. En particulier, ils n'ont pas pu être suffisamment confrontés dans la durée au cours de leurs masters avec l'ensemble des cycles de la maternelle au CM2. Encore faut-il considérer que tous les enseignants-stagiaires n'ont pas le même parcours universitaire, tous n'ont pas fait de master enseignement avant de réussir le concours. Certains n'ont même pas eu l'occasion d'acquérir des bases de didactique qui doivent alors leur être transmises pendant les moments de formation échelonnés pendant l'année de stage. D'autres au contraire peuvent avoir l'impression d'une redondance inutile entre certaines séquences de l'année de stage et le cursus de master.

(3) Le rôle central des maîtres formateurs et des conseillers pédagogiques

Les conseillers pédagogiques et maîtres formateurs que la mission a pu rencontrer dans le Val-d'Oise ont souligné les responsabilités très lourdes qui incombaient aux enseignants-stagiaires. Accaparés par la gestion de l'urgence, les professeurs des écoles stagiaires n'ont pas le temps de prendre du recul par rapport à leur exercice du métier. Ils manquent de moments disponibles pour l'analyse et pour la réflexion si bien qu'ils ne peuvent vraiment s'approprier tout ce qui leur est apporté par les formateurs, ni l'expérimenter dans leur classe.

Le double-rôle des formateurs, qui doivent à la fois assurer l'accompagnement des stagiaires et les évaluer en vue de leur titularisation, les place dans une situation inconfortable et parasite leurs relations avec les stagiaires. Votre rapporteure estime nécessaire de séparer les missions d'accompagnement, que doivent assumer maîtres formateurs et conseillers pédagogiques, et les missions d'évaluation qui incombent davantage aux inspecteurs.

En outre, la reconversion des maîtres formateurs des IUFM vers l'accompagnement, dont les conseillers pédagogiques ont en revanche l'habitude, n'a pas été suffisamment préparée. Il n'existe pas de véritable supervision des maîtres formateurs eux-mêmes, en-dehors de demi journées de rencontre à l'inspection. En particulier, même si les maîtres formateurs sont spécialisés sur un cycle, ils doivent intervenir sur tous les cycles, ce qui nécessiterait un suivi et une formation des formateurs eux-mêmes nettement plus développés.

Les inégalités de traitement entre professeurs des écoles stagiaires sont renforcées par les variations des modes d'accompagnement et d'évaluation employés par les différents maîtres formateurs en-dehors d'un cadre réglementaire et de protocoles suffisamment précis. Les initiatives et les réponses restent uniquement départementales au mieux, sans réelle diffusion au sein de l'académie. Les conseillers pédagogique ont formé des groupes de travail départementaux (mathématiques, travail de la langue, maternelle, etc.). Leurs compétences sont ainsi mutualisées afin d'analyser réflexivement leurs propres pratiques et d'échanger collectivement sur les meilleures méthodes pour construire l'efficacité pédagogique des jeunes enseignants.

(4) L'accompagnement des jeunes enseignants après leur titularisation

Votre rapporteure s'est également inquiétée de ce qui advenait des enseignants-stagiaires titularisés. Les moyens humains étant contraints, il est en effet prévisible que l'accompagnement lors de la deuxième année d'exercice soit moins fort que pendant l'année de stage. En outre, même s'ils ont pu être préservés en tant que stagiaire par une affectation dans un poste plus facile, les contraintes du mouvement rendent inévitables leur affectation, à partir de la deuxième année, là où les besoins sont les plus pressants et dans des postes plus difficiles, en éducation prioritaire notamment. La même séquence peut d'ailleurs se reproduire pendant plusieurs années avant leur stabilisation dans un établissement où ils pourront dans la durée s'installer dans un collectif pédagogique. Tout est donc à reconstruire plus ou moins chaque année, ce qui risque d'engendrer malaise et souffrance tant chez les jeunes titulaires que dans leurs classes. Votre rapporteure souhaite que dans chaque académie, il soit veillé à rallonger les durées d'affectation dans les premiers postes pour éviter les rotations perpétuelles de jeunes enseignants qui déstabilisent les établissements et perturbent l'entrée dans le métier.

Pour pallier les difficultés rencontrées par les néotitulaires, lors de leurs premières années d'exercice, l'inspection académique a entrepris de désigner des conseillers pédagogiques référents, qui rencontrent les jeunes enseignants aussi souvent que nécessaire. Le travail postérieur à la titularisation est facilité par la clarification du rôle de l'accompagnateur, qui n'a plus à porter de jugement lourd de conséquences mais peut se concentrer uniquement sur le soutien et le conseil didactique.

Votre rapporteure appuie cette démarche tout en regrettant que les coupes budgétaires conduisent à des suppressions de postes de conseillers pédagogiques, malgré leur rôle essentiel dans la formation continue. Les moyens humains actuels n'autorisent guère qu'un accompagnement prolongé pendant une année après la titularisation. Il serait nécessaire de calibrer les postes de conseillers pédagogiques afin de permettre un accompagnement de tous les jeunes titulaires pendant au moins deux ans, et de caler au mieux la prise de fonction et l'acquisition des gestes professionnels.


* 36 IGEN-IGAENR, Mise en oeuvre de la réforme de la formation des enseignants , Rapport n° 2011-045, avril 2011, p. 31.

* 37 Cour de Comptes, Rapport public annuel 2012, pp. 773-774.

* 38 IGEN-IGAENR, Mise en oeuvre de la réforme de la formation des enseignants , Rapport n° 2011-045, avril 2011, p. 23.

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