2. Une réforme progressivement mise en oeuvre

Mettre en place, pour la prise en charge des accidents du travail et maladies professionnelles, un tel système d'assurance obligatoire avec modulation des cotisations en fonction des risques est le choix qu'ont fait la majorité des Etats européens 12 ( * ) .

La complexité croissante du système français de tarification a néanmoins fait l'objet de critiques sévères et a été à l'origine d'une réforme du système en 2009. Celle-ci a été adoptée à l'unanimité par la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles. Elle a fait l'objet en 2010 d'un décret d'application 13 ( * ) fixant les règles de tarification des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

a) La situation avant la mise en oeuvre de la réforme

Plusieurs rapports d'expertise ont en effet remis en cause l'évolution du système de tarification des AT-MP et sa complexité croissante au point de nuire à son efficacité.

Le rapport public de la Cour des comptes pour 2002 s'interrogeait ainsi sur la fiabilité du système de classification des établissements qui sert de base à la tarification. L'article 54 de la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie 14 ( * ) invitait donc les partenaires sociaux de la branche à présenter au Gouvernement et au Parlement des propositions d'évolution de la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le rapport 15 ( * ) du groupe d'appui aux partenaires sociaux présidé par Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, remis en septembre 2007, dressait le constat d'une tarification peu vigoureuse, peu individualisée, peu réactive et peu lisible et condamnait « un système incohérent » avant de formuler des propositions de réforme.

En dernier lieu, le rapport présenté en juillet 2008 par Olivier Fouquet, président de section au Conseil d'Etat, au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique 16 ( * ) proposait de simplifier les règles du contentieux relatif aux cotisations d'accidents du travail et de maladies professionnelles et de réformer la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles en renforçant le recours à la tarification au niveau de l'entreprise fondée sur un barème forfaitaire.

D'un point de vue économique, l'analyse rétrospective, menée par François Lé et Frédéric Tallet 17 ( * ) , de la tarification des accidents du travail avant la réforme de 2009 a pour sa part mis au jour la caractéristique principale du système français de tarification, qui est la forte mutualisation du risque entre entreprises. Celle-ci s'effectue au travers de la répartition des coûts globaux de la branche entre les entreprises. En effet, les entreprises qui ont la plus forte sinistralité supportent une part inférieure des dépenses non imputables. Celles-ci sont donc à titre principal supportées par les entreprises dont la sinistralité est faible. Ainsi, seule une minorité d'entreprises supporte un coût de cotisation élevé, conformément à la logique assurantielle du régime ; les entreprises concernées par les forts taux de cotisation évoluent fortement d'une année à l'autre car les accidents se reproduisent heureusement peu au sein des mêmes établissements.

Ainsi, la mutualisation du risque fonctionnait bien dans le système antérieur à la réforme, mais au détriment de l'aspect incitatif de la modulation des cotisations. Le sous-titre même de l'étude publiée par la Drees est significatif : « un dispositif qui était en 2009 plus redistributif qu'incitatif » . Les auteurs soulignent toutefois le risque de sous-estimation que comporte leur évaluation étant donné la complexité des déterminants du comportement des entreprises.


Différents taux applicables aux entreprises après la réforme de la tarification

Pour les besoins de la tarification sont distingués les entreprises, les établissements et les sections d'établissement.

Une entreprise peut regrouper plusieurs établissements, au sein desquels peuvent être distinguées plusieurs sections d'établissement.

Constitue un établissement « tout atelier, usine ou chantier présentant un caractère topographique distinct et une activité propre, bien qu'il se rattache pour son administration à une entreprise englobant d'autres activités ». Plusieurs sections peuvent en outre être distinguées au sein d'un même établissement, notamment celles relatives à certaines activités (les sièges sociaux et les bureaux sous certaines conditions, ou encore les chantiers ou ateliers relevant du comité national des industries du bâtiment et des travaux publics) ou celles relatives à une catégorie particulière de salariés (les apprentis, les travailleurs à domicile, les dockers maritimes intermittents ou occasionnels soumis au régime de la vignette).

Le mode de tarification dépend de la taille de l'entreprise et de son secteur d'activité ; celui-ci est apprécié par section d'établissement :

les entreprises de dix-neuf salariés ou moins sont soumises au mode de tarification collectif : le taux de cotisation est identique pour toutes les sections ayant le me^me code-risque, indeìpendamment de leur sinistraliteì passeìe.

Il faut noter que certains secteurs d'activités pour lesquels les AT sont rares (banques, assurances notamment) sont soumis d'office au taux collectif, quelle que soit leur taille ; sont aussi soumis au taux collectif les établissements nouvellement créés durant l'année de leur création et les deux années civiles suivantes, quel que soit leur effectif ou celui de l'entreprise dont ils relèvent (article D. 242-6-13).

les sections appartenant à des entreprises de plus de 150 salariés sont soumises à un mode de tarification individuel. Le taux appliqué est fonction de la sinistralité passée de la section ;

les sections appartenant à des entreprises entre 20 et 149 salariés sont soumises à un mode de tarification mixte. Le taux retenu pour la section est une moyenne pondérée de son taux individuel et du taux collectif. L'individualisation du taux croît avec la taille de l'entreprise.

Les taux collectifs s'appliquent au total à 70 % des salariés.

Source : Drees, Etudes et recherches « Cotisations et prestations d'accidents du travail : un dispositif qui eìtait en 2009 plus redistributif qu'incitatif », Francois Leì, Freìdeìric Tallet, n° 115, mars 2012

b) Objectifs, calendrier et suivi de la réforme

Ainsi que le soulignent François Lé et Frédéric Tallet 18 ( * ) à partir de leur étude de la littérature internationale sur le sujet : « tout mécanisme visant aÌ responsabiliser les entreprises en faisant dépendre les cotisations AT-MP de la sinistralité passée n'est efficace que si trois conditions sont réunies. Premièrement, le coût de l'assurance AT-MP doit être suffisamment élevé, deuxièmement, les variations des taux de cotisation en fonction de la sinistralité observée doivent être importantes, troisièmement, le délai de prise en compte de cette sinistralité ne doit pas être trop long ». Ces trois conditions sont celles que la nouvelle tarification entend mettre en place tout en garantissant son objectif premier, le financement de la branche.

Les principales évolutions concernent :

- les nouveaux seuils d'effectifs, qui permettent d'impliquer davantage d'entreprises dans la tarification individuelle et donc dans la prévention des risques, sans faire supporter aux plus petites entreprises une charge insupportable :

- le nouveau mode d'imputation au coût moyen, qui permet de réduire les délais entre le sinistre et sa prise en compte dans le calcul du taux de cotisation. Ainsi, la nouvelle tarification tient plus rapidement compte des efforts de prévention fournis par les employeurs et les effets d'un sinistre sur les cotisations s'éteindront au bout de trois ans, ce qui facilitera la transmission des entreprises ;

- le choix du taux unique pour les entreprises en multi-établissements, qui leur permet d'opter, si elles le souhaitent, pour un calcul du taux de cotisation à partir de la sinistralité de tous leurs établissements ayant la même activité. Les efforts de prévention de l'entreprise sont ainsi appelés à se généraliser dans l'ensemble de ses établissements.

La réforme s'appliquera progressivement à compter des taux notifiés en 2012.


Calendrier de la mise en oeuvre de la réforme de la tarification

2010 : prise en compte des sinistres déclarés selon cette nouvelle tarification

2011 : mise en place d'un nouveau compte employeur

2012 : prise en compte du nouveau mode d'imputation dans le calcul des taux de cotisation pour les sinistres déclarés depuis 2010, et les rentes notifiées cette même année en cas de séquelles

2012 et 2013 : calcul de la cotisation toujours selon les deux systèmes

2014 : nouvelle tarification unique

La CAT-MP est étroitement associée à la mise en oeuvre de la réforme et se réunit sous forme de comité de suivi. Lors de sa réunion du 31 mai 2012, un premier bilan des effets de la réforme sur le montant des cotisations a pu être dressé. Il apparaît que, toutes entreprises confondues, la variation entre les taux notifiés en 2012 et les taux qui auraient été établis hors réforme est de l'ordre de - 0,01 %. Cette variation est très faible et elle s'effectue plutôt au bénéfice des entreprises dans leur ensemble. De plus, seuls 5 % des entreprises connaîtront une variation de leur taux de cotisation de plus ou moins 0,5 point. Il n'y a donc pas de choc lié au passage à la nouvelle tarification et la réforme peut donc être considérée comme globalement neutre financièrement à court terme, ce qui est une condition de son succès.

c) La question du recouvrement et du contrôle interne

Le recouvrement des cotisations AT-MP est effectué par les Urssaf au même titre que l'ensemble des cotisations sociales. Les cotisations prélevées sont affectées aux deux fonds administrés par la branche et gérés par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) : le fonds national des accidents du travail et le fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.

L'efficacité du recouvrement a été critiquée par la Cour des comptes qui a refusé de certifier les deux derniers exercices de la branche. En effet, les bases dont dispose la caisse pour établir les cotisations qui lui sont dues montrent de nombreux écarts avec celles de l'Urssaf. Tant l'existence des entreprises dans la base que leurs effectifs réels peuvent donc paraître incertains. Cette incertitude est accrue par le fait que les organismes chargés du recouvrement des cotisations ne signalent pas les erreurs constatées dans la base AT-MP, qui ne peuvent alors être corrigées immédiatement.

Même si elle n'a pas été en mesure d'évaluer l'ampleur nationale du phénomène, la Cour a relevé que « des entreprises ne sont pas assujetties à cotisation et des dysfonctionnements importants apparaissent sur le taux de la cotisation : par exemple, en cas de création d'entreprise, un taux provisoire est défini au démarrage mais il n'est pas revu comme cela est prévu au regard du niveau des accidents du travail constatés en son sein » .

Ces défauts techniques sont de nature à fragiliser les ressources de la branche. Ils ne doivent pas néanmoins être surestimés. Les rapprochements conduits en avril 2011 par l'Acoss entre les bases de l'Urssaf et celles de la branche ont fait apparaître un écart de moins de 1 % s'agissant des cotisations dues au titre de l'année 2010. D'après l'Acoss : « dans 84,1 % des entreprises, les cotisations AT coïncident à +/- 1 % près et dans 89,6 % des cas l'écart est inférieur à 5 %. Ces écarts sont liés à des délais de communication de nouveaux taux AT, et/ou des erreurs dans l'assiette [...] qui sert de base de calcul dans le fichier de la [Cnam AT-MP]. Pour les très petits cotisants, des écarts en pour cent traduisent parfois des différences d'à peine une dizaine d'euros sur un an. »

Dans son rapport de juin 2012 sur la certification des comptes de l'exercice 2011, la Cour des comptes note une « atténuation des constats relatifs au manque d'interaction des processus respectifs de la branche AT-MP et de l'activité de recouvrement » mais elle constate que les divergences entre les bases ont encore un effet sur les cotisations sociales afférentes à l'exercice de 2011.

L'approfondissement des travaux de la Cour en 2011 a également conduit à une remise en cause sévère du contrôle interne exercé par la branche qui fonde trois des cinq motifs de non-certification . Des défaillances sont constatées sur le contrôle exercé sur la détermination des risques et sur les erreurs concernant les prestations tant en espèces qu'en nature.


* 12 François Lé, Frédéric Tallet, « Cotisations et prestations d'accidents du travail : un dispositif qui était en 2009 plus redistributif qu'incitatif », Etudes et Recherches n° 115, mars 2012.

* 13 Décret n° 2010-753 du 5 Juillet 2010.

* 14 Loi n° 2004-810.

* 15 « Réformer la tarification pour inciter à la prévention », Igas, 2007.

* 16 « Cotisations sociales : stabiliser la norme, sécuriser les relations avec les Urssaf et prévenir les abus ».

* 17 Drees, op. cit.

* 18 op. cit.

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