B. LES LOIS CARDINALES : UNE CERTAINE VISION DES DROITS DE L'HOMME ET DES VALEURS FONDAMENTALES

Comme l'a indiqué la Commission de Venise dans son Avis sur la Nouvelle constitution hongroise , l'analyse de la Loi fondamentale hongroise est rendue délicate par le fait que le texte renvoie fréquemment à des lois organiques (ou lois cardinales) le soin de définir précisément les règles applicables dans plusieurs domaines.

Ce recours aux lois organiques est jugé à la fois excessif et problématique par la Commission de Venise . Elle estime, en effet, que la Constitution aurait pu être plus détaillée sur certains points à l'image du fonctionnement du pouvoir judiciaire. Elle regrette, par ailleurs, avec raison qu'un certain nombre de questions fiscales ou sociales ne relèvent pas de la loi ordinaire. Un Parlement doit en effet posséder une certaine marge de manoeuvre en vue d'accompagner l'évolution d'une société. Or, toute révision des lois organiques suppose une majorité des deux tiers. Le législateur pourrait se trouver, à l'avenir, dans l'impossibilité de réformer telle ou telle disposition faute d'accord dépassant la majorité simple. Il convient même de s'interroger sur la signification des futures élections dès lors qu'une majorité des deux tiers ne serait pas atteinte par la coalition ou la formation politique arrivée en tête. L'article 3 du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'Homme, signé et ratifié par la Hongrie, stipule pourtant que les élections doivent être organisées « dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ». La multiplication des lois organiques tend à rendre inopérante cette disposition.

Par delà ces considérations générales, il convient d'analyser plus avant plusieurs lois adoptées par la nouvelle équipe gouvernementale depuis son arrivée au pouvoir, dont quatre dans la foulée de l'adoption de la Loi fondamentale. Le marathon législatif que connait la Hongrie depuis les dernières élections générales - 360 lois adoptées en un an - permet de préciser les contours de la révolution idéologique entreprise par le gouvernement. Ce rythme effréné est, selon le Premier ministre, dicté par la crise. C'est d'ailleurs là, à ses yeux, la grande différence avec la Commission européenne, créée à une époque « paisible » et agissant toujours lentement, conduisant l'Union européenne à marcher « à reculons ».

La réforme de la justice, la loi sur les Églises, la création de l'Autorité hongroise de protection des données ou le texte sur les médias sont, à cet égard, assez emblématiques d'un double discours de la part du gouvernement Orbán, faisant mine de prendre en considération certaines observations de la Commission européenne ou du Conseil de l'Europe tout en imposant subtilement dans le pays le respect de l'« esprit de la loi », quand bien même le texte serait in fine amendé.

1. L'indépendance de la justice menacée

La réforme de l'appareil judiciaire annoncée par le gouvernement hongrois s'est traduite par l'adoption de deux lois en novembre dernier, l'une concernant l'organisation et l'administration des tribunaux, et l'autre le statut et la rémunération des juges. Elles sont entrées en vigueur le 1 er janvier. Dans son avis sur la nouvelle Loi fondamentale, la Commission de Venise avait regretté que ce texte ne mette en place qu'un cadre très général pour le fonctionnement de l'appareil judiciaire et qu'il renvoie à la loi organique le soin de le préciser. La Commission soulignait, en outre, que la Constitution ne faisait pas clairement référence au principe d'indépendance du pouvoir judiciaire et que celui-ci ne voyait pas son autonomie administrative garantie. Si la loi organique concernant l'organisation et l'administration des tribunaux affirme théoriquement le principe de l'indépendance judiciaire, qualifié de « constitutionnel » à l'article 65, elle comporte cependant un certain nombre de dispositions qui contredisent nettement cet objectif.

De fait, si la Commission de Venise, sollicitée par le gouvernement hongrois, a retenu dans un avis rendu public le 19 mars dernier que le système judiciaire précédent devait être réformé, elle rejoint les inquiétudes des observateurs sur la menace que font peser les lois organiques sur l'indépendance de la justice, soulignant que les mécanismes mis en place étaient uniques en Europe. Il semble, en effet, délicat d'avancer aujourd'hui que le droit à un procès équitable puisse être totalement garanti aujourd'hui en Hongrie

a) La réforme du Conseil judiciaire national

Le législateur a ainsi dissout le Conseil judiciaire national (OIT), l'équivalent hongrois du Conseil supérieur de la magistrature, fonctionnant de manière collégiale pour le remplacer par un Office national des magistrats (OBH), où la décision appartient en réalité à une seule personne : son président. L'OIT, présidé par le président de la Cour suprême et composé de 15 membres - Ministre de la Justice, président du Conseil national des barreaux, Procureur général, deux parlementaires nommés par les commissions « affaires constitutionnelles » et « finances » et dix magistrats du siège élus - avait constitué une avancée en Europe centrale et orientale. La Hongrie fut, en effet, le premier État à se doter d'un tel dispositif, un transfert important de compétences autrefois dévolues au Ministère de la justice étant réalisé à cet effet. L'OIT supervisait notamment l'administration de l'ensemble des tribunaux. Il disposait d'un organe administratif : le Bureau du Conseil judiciaire national (OITH), qui assumait, selon certains observateurs, la réalité du pouvoir.

Selon les promoteurs de la loi organique, l'OIT ne se réunissant qu'une fois par mois, il n'était pas en mesure de résoudre certains problèmes structurels urgents, à l'image de l'engorgement des tribunaux, notamment à Budapest. L'importance du nombre de juges en son sein conduisait, selon ses détracteurs, à un traitement corporatiste des dossiers.

Une réforme du fonctionnement de l'OIT qui se réduit à sa suppression et au transfert des pouvoirs au sein d'une structure résumée à une seule personne peut néanmoins laisser sceptique. Le président de l'Office national des magistrats disposera d'une autorité complète sur l'administration, la gestion et le contrôle des tribunaux. Il propose notamment au Président de la République les candidats au poste de juge. Il se fonde, à cet effet, sur une liste proposée par un comité des juges chargé d'évaluer les candidatures. Le président de l'OBH n'est, cependant, pas tenu par le classement contenu dans cette liste et peut donc s'en affranchir pour proposer des candidats moins bien classés au chef de l'État. Il convient de s'interroger sur la nature objective de la sélection des candidats. Le président de l'OBH dispose également de pouvoirs importants en matière de nomination des présidents de juridiction (présidents et vice-présidents de tribunaux), ses décisions n'étant pas susceptibles de recours. La procédure disciplinaire, qui n'offre pas, selon la Commission de Venise, toutes les garanties nécessaires est également marquée par la prééminence du président de l'OBH.

Par ailleurs, au-delà de ses fonctions d'administrateur des tribunaux hongrois, le président de l'OBH est habilité à confier une affaire à une autre juridiction. Contredisant le principe d'inamovibilité des juges, le président de l'OBH peut affecter un juge à un autre tribunal, si celui-ci ferme ou si son ressort ou sa juridiction territoriale diminue au point de rendre impossible le maintien du magistrat à son poste. Un président de tribunal, dont on connait le degré d'indépendance relatif à l'égard du président de l'OBH, peut, par ailleurs, réaffecter les juges sans leur accord à une fonction judiciaire au sein d'un autre service, tous les trois ans, pour une période maximale d'un an.

Les rédacteurs de la loi organique estiment qu'une telle réforme est opérée dans le but de protéger le pouvoir judiciaire contre une influence du gouvernement. A l'instar de la Commission de Venise, il convient de s'interroger sur le degré d'indépendance du nouvel organe, dès lors que le Président est élu directement par le Parlement à la majorité des deux tiers parmi les juges, quand bien même la durée de son mandat - 9 ans - ne coïncide pas avec celui du Parlement. On relèvera ainsi que le premier président de l'OBH élu par l'Assemblée nationale début décembre est Mme Tünde Hando, épouse de M. Jozsef Szajer, parlementaire européen issu du Fidesz , connu pour sa contribution à la nouvelle Loi fondamentale et proche de l'actuel Premier ministre.

Un conseil consultatif - le Conseil national de la magistrature - composé de juges représentants les différentes juridictions, pourra émettre des avis sur les décisions de l'OBH et des recommandations sans toutefois pouvoir engager la responsabilité de son président. Rappelons, par ailleurs, que les membres du Conseil sont des juges et se trouvent donc placés sous l'autorité du président de l'OBH. Le Conseil national de la magistrature peut cependant proposer la destitution du président de l'OBH s'il estime qu'il n'est plus digne d'exercer ses fonctions. Cette destitution doit néanmoins être confirmée par un vote des deux tiers des députés de l'Assemblée nationale.

Une demande d'informations sur l'indépendance et les pouvoirs de l'Office national des magistrats ainsi que sur la possibilité de transférer des juges sans leur accord a été envoyée par la Commission européenne au gouvernement. La Hongrie a, dans le même temps, indiqué qu'elle entendait engager des discussions avec la Commission de Venise en vue d'amender son dispositif. La Commission européenne se réserve le droit, si aucune modification substantielle n'était apportée aux deux textes, de former un recours en infraction.

Les amendements qu'a présenté le gouvernement en mai demeurent limités et manquent surtout de précision. L'extension des compétences du Conseil national de la magistrature, chargé désormais de contrôler et de limiter le pouvoir de nomination de l'OBH et de recommander et d'encadrer le dépaysement des affaires, est néanmoins tempérée par certaines dérogations, à l'image de celle laissant au président de l'OBH la possibilité de transférer des dossiers entre juges en raison de « quotas d'affaires » : ces quotas d'affaires étant eux même définis par le président de l'OBH.

b) Le départ en retraite forcé des juges

La loi organique relative au statut et aux rémunérations des juges modifie, quant à elle, l'âge obligatoire de départ en retraite qui passe de 70 à 62 ans de façon immédiate. Les juges disposaient jusqu'alors de la faculté de demeurer en fonction jusqu'à 70 ans, l'âge d'ouverture des droits étant fixé à 62 ans. Avec le nouveau système, 236 juges sur environ 2 900 sont ainsi mis à la retraite d'office, dont un tiers des 90 juges de la Cour suprême. Cet abaissement apparaît d'autant plus brutal et illogique, que l'âge de la retraite sera progressivement relevé à 63 ans en 2014 puis à 65 ans à long terme. Aucune justification de la part du gouvernement hongrois ne semble, de fait, recevable. L'argument selon lequel une telle mesure devrait permettre d'avoir des juges plus jeunes et donc plus au fait de leurs charges, plus ambitieux et plus souples et susceptibles, en conséquence, de mieux faire face à leur charge de travail ne résiste à l'examen.

A l'instar de la Commission de Venise, il convient de s'interroger sur les motivations politiques qui entourent une telle mesure. L'effet rétroactif n'est, en effet, pas sans incidence sur l'indépendance de la justice. Toute une génération de juges, sans doute jugée réfractaire à la « révolution par les urnes » du gouvernement, se voit ainsi mise à la retraite. La crainte d'une politisation extrême de tout l'appareil judiciaire n'en est que renforcée. Par L'application de cette mesure donne, en effet, la possibilité à 1 200 juges d'être promus : il semble évident qu'aucun magistrat espérant cette promotion ne courra le risque de s'élever contre ces dispositions. On relèvera, enfin, que la formation des nouveaux juges est, quant à elle, placée directement sous la tutelle du Ministre de la justice alors qu'elle était jusqu'alors sous la responsabilité de la Cour suprême. Le principe d'une école supérieure de la magistrature avancé, en son temps, par le président de la Cour suprême, a été abandonné.

Cet abaissement de l'âge de départ en retraite a fait l'objet d'une lettre de mise en demeure de la Commission européenne adressée au gouvernement le 17 janvier 2012, dans le cadre du lancement d'une procédure d'infraction accélérée. La disposition en question remettrait, en effet, en cause les objectifs de la directive 2000/78 sur la non-discrimination au travail. Le gouvernement hongrois a indiqué dans sa réponse qu'il pouvait repousser le départ à la retraite au-delà de 62 ans en fonction des dossiers. Une telle option n'a pas été jugée satisfaisante par la Commission qui a adressé le 7 mars dernier un avis motivé au gouvernement, dans le cadre de l'article 258 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Celui-ci disposait d'un délai d'un mois pour se conformer au droit communautaire. Faute de réponse cohérente, la Commission européenne a saisi, le 25 avril dernier, la Cour de justice de l'Union européenne dans le cadre d'une procédure accélérée. Le gouvernement hongrois a été invité à suspendre l'application de cette mesure le temps que la procédure aboutisse. Près de la moitié des magistrats ont, néanmoins, déjà été congédiés.

La Cour constitutionnelle hongroise a finalement condamné, le 16 juillet, cette disposition, estimant qu'elle représentait une atteinte à l'indépendance de la justice. La Cour annule rétroactivement son application au 1 er janvier. La Cour de justice de l'Union européenne tiendra, quant à elle, une audience sur ce sujet le 18 septembre prochain. La Commission entend, de son côté, observer comment cet arrêt sera pris en compte par les autorités hongroises.

c) La Cour suprême affaiblie et le Procureur général renforcé

Le législateur a également souhaité changer le nom de la Cour suprême désormais appelée Kuria , terme historique destiné à rappeler l'époque de la Sainte Couronne. Ce rappel du passé n'est pas la seule marque du nouveau pouvoir sur l'équivalent hongrois de la Cour de cassation. Aux termes de la loi organique sur l'organisation et l'administration des tribunaux, l'ensemble des juges de l'ancienne Cour suprême deviennent membres de la Kuria , à l'exception notable de son ancien président, pourtant élu pour six ans en juin 2009. L'article 114 fixe, en effet, un nouveau critère d'éligibilité : le président de la Kuria doit faire état d'un certain nombre d'année d'expérience de magistrat en Hongrie. Un éventuel détachement auprès d'une Cour internationale n'est pas pris en compte. Une telle disposition élimine d'office l'ancien président Andras Baka, juge à la Cour européenne des droits de l'Homme pendant 17 ans. L'hostilité de M. Baka à l'abaissement de l'âge de la retraite des magistrats n'est sans doute pas étrangère à la rédaction de l'article 114 de la loi organique, qui apparait d'ailleurs contradictoire avec l'article 28.3 de la loi organique sur le statut et la rémunération des juges, aux termes duquel le détachement d'un juge à l'étranger pendant une longue période doit être pris en compte dans le déroulement de sa carrière.

Le Procureur général se voit doté, quant à lui, de deux nouveaux droits : celui de choisir le tribunal où sera déposé l'acte d'accusation pour les affaires d'importance quel que soit le lieu des faits ainsi que celui de participer aux sessions de la Kuria .

2. Loi sur les Eglises et liberté de conscience

Les Églises peuvent bénéficier en Hongrie de subventions étatiques mais aussi de dons de contribuables qui peuvent ainsi leur attribuer 1 % de leur impôt sur le revenu. Pour bénéficier du statut d'association religieuse ou d'Église, la communauté devait bénéficier du parrainage de 100 citoyens. 370 communautés religieuses ont ainsi pu bénéficier de ce système. Une soixantaine d'entre elles - les business churches - ne présentent pas les caractéristiques d'une association cultuelle classique, à l'image de cette association de soutien psychologique des concurrents d'un concours sportif. Afin de lutter contre la dérive fiscale et budgétaire induite par une telle disposition, le gouvernement a souhaité mettre en place une procédure d'enregistrement. Une première loi en la matière, adoptée en juin 2010, avait été annulée quelques mois plus tard par la Cour constitutionnelle pour des raisons formelles.

Adoptée en juillet dernier et entrée en vigueur le 1 er janvier 2012, la loi organique relative à la liberté de conscience et de religion et au statut juridique des églises, des dénominations et des communautés religieuses accorde ainsi un statut officiel à 14 communautés religieuses. Afin d'obtenir ce statut, les associations cultuelles concernées doivent être présentes en Hongrie depuis au moins vingt ans ou avoir une histoire internationale datant de plus d'un siècle. Le parrainage de 1 000 citoyens est, par ailleurs, indispensable. Les activités de cette communauté religieuse doivent, en outre, respecter la Constitution, l'ensemble des lois et règles du pays, mais aussi la « sécurité nationale » au sens large.

Les communautés issues de l'Islam, du Bouddhisme et de l'Église méthodiste ont néanmoins été écartées de la première liste. Comme les représentants de ces trois religions, les associations n'ayant pas intégré cette première liste de quatorze Églises ont dû faire acte de candidature auprès du Parlement. Le comité des affaires religieuses de l'Assemblée nationale est, en effet, chargé d'examiner les candidatures. Il peut solliciter le vote à la majorité des deux tiers du Parlement pour confirmer son choix. Aucun appel ne peut être interjeté à l'issue du vote. 18 communautés religieuses dont celles citées plus haut ont ainsi pu obtenir ce statut en février 2012. L'Assemblée nationale a néanmoins écarté 66 autres demandes, soutenues par l'opposition. Elles pourront présenter une nouvelle requête en 2013. Les observateurs estiment entre quarante et cinquante le nombre de communautés susceptibles de bénéficier à terme de ce statut.

Si la nécessité d'éviter que certaines organisations au rapport à la foi quelque peu douteux abusent de la possibilité d'obtenir un financement public n'est pas illégitime, il convient cependant de s'interroger sur la nature politique de la loi, dès lors que l'Assemblée nationale hongroise est sollicitée. Le Parlement apparaît, en effet, comme la seule instance apte à décider quelles organisations religieuses ou églises doivent être enregistrées. Ce point a notamment été soulevé par la Commission de Venise dans l'avis qu'elle a rendu sur cette loi, à la demande du gouvernement hongrois, le 19 mars dernier. Elle souligne, en effet, que les critères retenus, notamment le respect de la Constitution ou de la sécurité publique par ces communautés, font partie d'un ensemble de conditions excessives, fondées sur des critères qu'elle juge arbitraires pour ce qui concerne la reconnaissance d'une Église. La question du choix politique de certaines associations religieuses est notamment illustrée par le cas de la communauté juive ultra-orthodoxe du rabbin Slomó Köves, affiliée au mouvement hassidique de Habad Loubavitch . Certains observateurs estiment, en effet, qu'elle a pu être retenue pour concurrencer la Fédération des communautés juives de Hongrie, proche de l'ancienne majorité.

Par-delà la procédure d'enregistrement, il convient de s'interroger sur l'intégration du facteur religieux dans la politique gouvernementale. L'économie générale de la nouvelle Loi fondamentale ne laisse aucun doute quant au souhait de l'équipe en place de rappeler l'histoire chrétienne du pays. Cette démarche ne se limite pas pour autant à une simple évocation historique ou culturelle. Une loi adoptée en juin 2010 a notamment facilité les conditions de transfert des établissements scolaires publics vers les institutions religieuses privées. La loi supprime notamment l'obligation de cofinancement de l'établissement par la municipalité durant 5 ans. Dans un contexte d'endettement croissant des communes, le nombre d'écoles gérées par des communautés religieuses a augmenté de 25 %. Ces écoles bénéficient des subventions octroyées aux institutions religieuses. L'État n'a néanmoins aucun droit de regard sur leur utilisation.

Une telle évolution, qui ne suscite pas l'unanimité au sein de la majorité parlementaire, pourrait toutefois être enrayée par l'adoption prochaine par le Parlement d'une loi sur la centralisation, destinée à permettre à l'État de reprendre le contrôle des établissements primaires et secondaires. Néanmoins, les écoles paroissiales pourraient, dans le même temps, se voir accorder le droit d'exiger un engagement idéologique de leur personnel et de leurs élèves ainsi que leur participation à la vie religieuse.

3. L'Agence de protection des données : cas d'école du double langage gouvernemental

La nouvelle Loi fondamentale a mis en place une Agence nationale de la protection des données, destinée à remplacer le médiateur chargé de la protection des données. La loi organique du 15 juillet 2011 précise les modalités de son fonctionnement. Aux termes de celle-ci, l'Agence est indépendante et uniquement soumise au principe de légalité. Elle ne peut recevoir d'instructions et de nouvelles tâches ne peuvent lui être transmises que par le Parlement. Ses activités sont contrôlées par le Médiateur des droits fondamentaux. Le président de l'Agence est nommé par le Président de la République, sur proposition du Premier ministre, pour 9 ans. La loi organique est ainsi censée répondre aux réserves émises par la Commission de Venise dans son avis sur la Constitution.

La Commission européenne s'interroge, néanmoins, sur la réalité de l'indépendance de cette agence. La loi organique qui l'institue pourrait, en effet, violer l'article 16 du Traité sur l'Union européenne et contrevenir à l'article 8.3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Elle est également en contradiction avec la directive 95/46/CE sur la protection des données. Le nouveau dispositif laisse, en effet, la possibilité pour le Président de la République - agissant sur proposition du Premier ministre - de révoquer le nouveau responsable de la protection des données pour des raisons qui apparaissent à la Commission européenne à la fois trop larges et trop vagues. Une lettre de mise en demeure a été adressée, à ce titre, au gouvernement hongrois le 17 janvier dernier. Les réponses fournies par le gouvernement hongrois n'ont pas été jugées satisfaisantes. Un avis motivé a en conséquence été adressé au gouvernement le 7 mars. La Hongrie a modifié sa législation le 3 avril dernier afin de tenir compte de certaines de ses observations. La possibilité pour le chef d'État de révoquer le responsable de l'agence a ainsi été supprimée.

Si la Commission a annoncé qu'elle allait lever certaines de ses réserves sur ce texte, elle a néanmoins rappelé que le gouvernement hongrois, en créant cette Agence, avait souhaité mettre fin au mandat de l'ancien contrôleur de la protection des données, nommé en septembre 2008 pour un mandat de 6 ans. Le droit de l'Union européenne met pourtant en avant l'indépendance personnelle du contrôleur de la protection des données, quand bien même l'autorité qu'il a sous son contrôle devrait être réorganisée. La Hongrie n'a pas tenu compte, à ce sujet, des observations de la Commission. Celle-ci a donc décidé, le 25 avril dernier, de transmettre cette affaire devant la Cour de justice de l'Union européenne.

4. La loi sur les médias et la liberté de la presse
a) Un texte amendé sous la pression de la Commission européenne et de la Cour constitutionnelle

La loi sur les médias est entrée en vigueur un an avant la nouvelle Constitution, en janvier 2011. Examinée en moins d'un mois, ce texte imposant - 200 pages - porte sur les conditions d'exercice de tous les médias audiovisuels mais aussi électroniques (presse en ligne et blogs) ainsi que sur la presse écrite. Elle institue notamment une Autorité nationale des médias et des communications (NMHH), dotée d'un organe exécutif, le Conseil des médias (MT), dont les 5 membres sont élus par le Parlement. Le président de l'Autorité est, quant à lui, nommé par le Premier ministre. Tous les médias audiovisuels mais aussi électroniques doivent s'enregistrer auprès de cette autorité.

La rédaction initiale du texte indiquait que les médias ne pouvaient contribuer à blesser les minorités, les Églises, les groupes religieux, les peuples et les nations. Elle était doublée d'une obligation pour les médias, publics comme privés, de corriger des informations jugées « partiales, d'atteinte à l'intérêt public, l'ordre public et la morale » et de fournir en conséquence une information « équilibrée » sous peine de se voir infliger de très lourdes amendes financières par la NMHH.

Le montant des amendes infligées pouvait aller jusqu'à 10 millions de forints (plus de 36 000 euros) pour les hebdomadaires, les magazines et les portails de nouvelles, jusqu'à 25 millions (90 000 euros) pour les quotidiens, jusqu'à 50 millions (180 000 euros) pour les médias électroniques, voire atteindre 200 millions (730 000 euros) pour les chaînes de radio et de télévision. Les particuliers, à l'image des blogueurs, étant susceptibles de se voir infliger une amende équivalant à 2 millions de forints (7 250 euros), soit environ une année et demi de salaire moyen net en Hongrie.

La NMHH avait également le droit d'avoir accès aux documents avant leur publication, les journalistes devant révéler leurs sources sur les questions relevant de la « sécurité nationale » ou de la « protection de l'ordre public ».

La loi prévoyait, en outre, le regroupement dans une même entité de la télévision nationale publique MTVA, de la radio nationale publique MR, de la télévision par satellite Duna TV et de l'agence de presse MTI. Ce regroupement a conduit à plus de 1 000 licenciements répondant, selon les observateurs, tout autant à un souci de rationalité qu'à des motivations politiques certaines. 500 journalistes ont ainsi été limogés au sein de l'agence de presse MTI.

La publication de la loi a conduit la Commission européenne à intervenir alors que la Hongrie s'apprêtait à accéder à la présidence de l'Union européenne. La commissaire chargée de l'agenda numérique, Mme Nelly Kroes, a invité le 21 janvier 2011 le gouvernement hongrois à réviser le texte afin d'amender les dispositions concernant l'obligation de fournir une information équilibrée, qu'elle juge en contradiction avec le principe de proportionnalité et le droit fondamental de liberté d'expression prévu par la Charte des droits fondamentaux. Elle pointait aussi le non-respect par le texte du principe du pays d'origine, contenu dans la directive Services médias audiovisuels du 10 mars 2010. La procédure d'enregistrement de tous les médias audiovisuels était, par ailleurs, considérée comme un obstacle injustifié pour tous les fournisseurs de médias qui souhaitent s'établir en Hongrie. Le gouvernement hongrois disposait d'une quinzaine de jours pour modifier le texte, sous peine de voir ouvrir une procédure de mise en demeure.

La loi sur les médias a été, en conséquence, révisée en mars 2011, afin de prendre en compte ces observations. Plusieurs points ont ainsi été amendés : l'obligation de traitement équilibré ne concerne plus les services de médias audiovisuels, l'État hongrois ne peut plus sanctionner un média basé dans un autre pays, l'obligation d'enregistrement des sites internet auprès de la NMHH est abandonnée.

La NMHH ne peut plus, par ailleurs, obliger les journalistes à révéler leurs sources, cette prérogative revenant à un tribunal ou à une autorité d'investigation.

Aux termes de la loi modifiée, le Conseil des médias (MT) définira le nombre de chaînes de télévision et de stations de radio autorisées à émettre. Les licences sont par ailleurs renouvelées tous les sept ans. Les radios et télévisions devront, en outre, consacrer 35 % de leurs programmes à des oeuvres hongroises. Par ailleurs, les amendes pour infraction à la loi infligées par le NMHH relèvent désormais de l'impôt public et pourront donc, en cas de non-paiement, faire l'objet de saisies sur les avoirs des entreprises du secteur des médias.

La Cour constitutionnelle hongroise a, le 19 décembre 2011, rendu un arrêt qui annule plusieurs dispositions de la loi, en particulier celles liées à la réglementation du contenu des médias et à la protection des sources d'information des journalistes. Les pouvoirs du Conseil de médias sont également revus à la baisse en ce qui concerne le contrôle du contenu des médias. La Cour avait donné au législateur jusqu'au 31 mai dernier pour amender à nouveau le texte.

Les amendements adoptés le 28 mai dernier par le Parlement renforcent, notamment, la protection des informateurs des journalistes qui ne seront tenus de révéler l'identité de ceux-ci qu'à la condition qu'un tribunal ne le juge indispensable pour la résolution d'une enquête sur un acte criminel passible d'au moins trois ans de prison.

b) Au delà du texte révisé : autocensure et pressions

En dépit de ses révisions successives, le texte a favorisé l'émergence d'une certaine autocensure au sein des médias hongrois et contribuer à un appauvrissement réel du contenu qu'ils proposent.

La qualité de l'information est ainsi sujette à caution dans les médias publics. Les licenciements constatés au sein de l'agence MTI n'ont pas été, à ce titre, sans conséquence, alors que ses dépêches constituent la première source d'information pour la radio et la télévision publiques. Celles-ci peuvent être considérées comme le relais complaisant de l'équipe gouvernementale. Il n'est, ainsi, pas anodin que le Premier ministre participe chaque vendredi matin à une émission sur Kossuth radio , la radio publique. La télévision publique est, par ailleurs, au centre d'une polémique en Hongrie pour avoir flouté le visage d'un ancien président de la Cour suprême de Hongrie, M. Zoltan Lomnici, critique à l'égard du gouvernement Orbán, afin qu'il n'apparaisse pas en arrière plan dans un reportage sur Duna TV . Alors même que ce reportage était plutôt favorable au gouvernement. Pour protester contre cette manipulation d'informations, deux journalistes de la télévision publique ont entamé une grève de la faim le 10 décembre dernier. Ils ont été licenciés deux semaines plus tard.

Les médias privés ne constituent pas, quant à eux, de véritables contre-pouvoirs. Les deux chaînes dominantes, TV2 et RTL Klub , proposent ainsi 90 % d'émissions de divertissement ou de téléréalité. La proximité de la direction de TV2 avec Viktor Orbán est, par ailleurs, notoire. Seule la chaîne ATV programme quotidiennement un débat politique, même si son indépendance est contestée. Sa diffusion est, de surcroît, restreinte : 10 % de la population, essentiellement localisée à Budapest.

La presse écrite, fragilisée comme partout par la concurrence d'Internet, est confrontée, quant à elle, à des difficultés financières certaines. Celles-ci sont d'autant plus aiguës si le journal concerné est proche de l'opposition. La Loterie nationale, considérée comme le plus gros investisseur publicitaire, ou les grandes entreprises publiques ne passent plus aucune publicité dans les journaux d'opposition que sont Nepszadbasag ou Nepszava . Les grands groupes privés sont également incités à ne plus acheter d'encart dans ces quotidiens, sous peine de perdre des marchés publics pour lesquels ils concourent. De telles pressions pourraient s'expliquer si les tirages des journaux étaient conséquents et menaçaient gravement le pouvoir en place. Il convient pourtant de rappeler que Nepszadbasag , premier quotidien du pays, est lu par 60 000 personnes en Hongrie, principalement à Budapest. Viktor Orbán estime néanmoins que cette presse de gauche est une des responsables des échecs électoraux de 2002 et 2006.

On relèvera, en outre, que les amendements ou les décisions judiciaires favorables aux médias ne suffisent pas à leur permettre d'exercer pleinement leur métier. Le cas de la radio Klubradio est, à ce titre, assez emblématique. Radio mêlant informations et divertissements, elle consacre un quart de sa programmation à la musique contre 60 % pour les émetteurs publics. Une émission phare « Parlons-en », animé par un journaliste proche de l'opposition, attire, quant à elle entre 300 000 et 500 000 auditeurs quotidiennement. Le ton critique à l'égard du gouvernement contribue à faire de ce média un des derniers bastions de l'opposition.

Anticipant l'expiration de sa licence pour la fréquence qu'elle utilisait, la radio a répondu, il y a deux ans, à un appel d'offres pour l'octroi d'une nouvelle position sur la bande FM. Ayant obtenu cette fréquence, elle a signé, à cet effet, un contrat. La NMHH a, cependant, dénoncé ce contrat. L'action menée en justice par l'émetteur a confirmé en première instance la valeur du contrat. Le Conseil des médias a immédiatement fait appel. Dans le même temps, Klubradio a répondu à l'appel d'offres pour le renouvellement de sa fréquence historique, au terme duquel elle est arrivée derrière une radio inconnue, Autoradio . Considérant que le cahier des charges de celle-ci ne répondait pas au cahier des charges de l'appel d'offres, Klubradio a intenté une action en justice. La Cour d'appel de Budapest, la plus haute instance du pays, a ainsi rejeté le 14 mars dernier le dossier d'Autoradio, sans toutefois désigner Klubradio comme vainqueur.

Les problèmes de cette antenne critique à l'égard du pouvoir ne sont, de fait, pas résolus. Klubradio peut continuer à émettre sur son ancienne fréquence mais est soumise à un régime payant d'autorisation temporaire, renouvelable tous les deux mois. Ce qui n'est pas sans conséquence sur l'équilibre financier de la station : la station est, en effet, au bord de la faillite. Pire, les amendements adoptés le 28 mai dernier renforcent les marges de manoeuvres du Conseil de médias en lui laissant la liberté de ne pas tenir compte d'une décision de justice attribuant une fréquence au vainqueur d'un appel d'offres. Par ailleurs, la loi amendée stipule qu'une fréquence ne pourra être attribuée que dans le cadre de procédures lancées par le Conseil des médias. La décision dont avait bénéficié Klubradio concernant l'attribution d'une nouvelle fréquence en 2010 peut donc être considérée comme nulle et non avenue. La radio est, en conséquence, quasiment condamnée à disparaître.

A ces difficultés juridiques s'ajoutent des pressions moins subtiles. M Attila Mong, éditorialiste pour le site Origo , très critique à l'égard du gouvernement, a ainsi cherché à utiliser le réseau social Facebook pour relayer son souhait de rencontrer les hommes d'affaire qui entourent l'équipe Orbán. Le journaliste a immédiatement subi des menaces, qui l'ont contraint à quitter Origo et à fermer sa page Facebook . Il vient d'obtenir une bourse d'études pour les États-Unis.

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Le cas des médias est assez révélateur du climat politique dans lequel évolue la Hongrie. Il montre surtout les limites, pour partie légitimes, de l'intervention du Conseil de l'Europe ou de l'Union européenne dans les affaires internes d'un État membre. Si le gouvernement hongrois a tenu compte des réserves exprimées par la Commission européenne mais aussi celles du juge constitutionnel, il n'en demeure pas moins que l'esprit de la loi a déjà conditionné tout ou partie de la presse locale. Il y a fort à craindre, qu'en dépit des procédures accélérées lancées par la Commission sur la question des juges ou sur celle de l'Agence de protection des données, le temps profite également au gouvernement hongrois pour laisser s'installer sur place un cadre favorable à ses intérêts, assimilable à une véritable appropriation de l'État.

Si la démarche de la Commission européenne doit être soutenue, il convient de suivre également les suites qui seront données à la résolution adoptée par le Parlement européen le 16 février dernier. Celle-ci reprend les observations de la Commission en y ajoutant des réserves sur le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, sur la nouvelle loi électorale et sur la loi sur les Églises. Au terme de cette résolution, la commission des libertés civiles a été chargée de rédiger un rapport qui pourra proposer, le cas échéant, au Parlement européen d'inviter le Conseil à vérifier si la Hongrie contrevient aux valeurs de l'Union européenne et à agir conformément à l'article 7 du traité sur l'Union européenne. Celui-ci dispose qu'en cas de violation grave et persistante par un État membre « des valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que le respect des droits de l'Homme, le Conseil statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l'application des traités à l'État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil ».

Il n'existe pourtant pas, à l'heure actuelle, de consensus sur l'application de l'article 7, tant au Parlement européen - le groupe PPE, auquel est affilié le Fidesz , est assez réservé sur le dossier hongrois - qu'au sein du Conseil où la Hongrie peut bénéficier de l'appui de certains pays d'Europe centrale et orientale. Le double langage de Viktor Orbán, conciliant à Bruxelles et souverainiste acharné à Budapest, pourrait néanmoins lasser rapidement. Sa volonté de voir renforcer l'autonomie des minorités hongroises chez deux de ses partenaires de l'Union européenne ne pourrait pas non plus être sans conséquence.

La situation économique du pays et le besoin vital d'une aide financière pour faire à ses engagements en 2012 pourraient également constituer un moyen de pression sur le gouvernement hongrois. La Commission a d'ailleurs souhaité conditionner le versement d'une aide financière à Budapest à la révision de sa réforme judiciaire.

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