II. UN DIRIGISME ÉCONOMIQUE À REBOURS DES INTÉRÊTS DU PAYS

La crise économique et financière qui affecte la Hongrie depuis 2004 n'a pas été sans incidence sur l'atmosphère politique hongroise. La victoire des socialistes du MSZP aux élections législatives d'avril 2006 a été suivie immédiatement de l'aveu, par le Premier ministre de l'époque, d'un échec de la politique en matière de stabilisation financière menée par ses équipes entre 2002 et 2006. La nouvelle législature a donc été dédiée à la réforme budgétaire, le déficit qui représentait plus de 9 % du PIB en 2006 étant ramené à 3,8 % deux ans plus tard. Deux mesures symbolisent cette rigueur : l'adoption d'une taxe sur toute consultation médicale et l'augmentation des droits d'inscription à l'université. Le Fidesz , alors dans l'opposition, a demandé et obtenu l'organisation d'un referendum sur ces mesures en mars 2008. Celui-ci s'est conclu par un rejet massif, 83 % de la population votant contre, et par l'éclatement de la coalition gouvernementale, incapable de s'entendre sur le rythme des réformes à imposer au pays.

Le gouvernement technique qui succède à celui de M. Gyurcsany poursuit néanmoins un programme d'austérité. Dirigé par Gordon Bajnai, ministre de l'Économie sortant, il fait voter un gel des salaires et la suppression du treizième mois dans la fonction publique ainsi que le gel des pensions de retraite et la suppression de certaines aides versées aux familles. Il convient de rappeler que la Fonction publique emploie plus de 7 % de la population hongroise et que 3 millions de personnes sont retraitées. Le traitement des ministres est, quant à lui, symboliquement réduit de 15 % alors que le chef du gouvernement fixe sa propre rémunération à 1 forint. M. Bajnai estimait à la veille du scrutin de 2010 que la politique rigoureuse mise en place par son gouvernement devait permettre à la Hongrie d'intégrer la zone euro à l'horizon 2014.

Le succès relatif de ce programme de rigueur ne saurait occulter la violence de la crise économique à la veille du scrutin de 2010. L'économie hongroise s'est ainsi contractée de 6,7 % en 2009, alors que l'inflation atteignait 4 % par an. Le taux d'emploi était en 2009 en-deçà des 50 %.

Le retour du Fidesz au pouvoir va cependant remettre en cause cette option. S'il ne rompt pas totalement avec les mesures de rigueur, comme en témoignent le plan Széll Kálmán adopté en mars 2011, un certain nombre de choix idéologiques contribue à fragiliser un peu plus la situation économique de la Hongrie et à atteindre notamment sa capacité à attirer durablement les investisseurs. Cette politique économique, qui confine parfois à l'improvisation, hésite entre souverainisme et respect partiel des règles communautaires.

A. UNE ÉCONOMIE ATONE, FRAGILISÉE PAR LES OPTIONS IDÉOLOGIQUES DU GOUVERNEMENT

1. Un pilotage politique de l'économie à courte-vue

La philosophie économique du gouvernement Orbán se résume pour l'essentiel à une contestation du libéralisme, jugé responsable de la crise que traverse le pays depuis près de dix ans. A la dérégulation, le Premier ministre oppose le retour de l'État dans le domaine économique au travers d'une politique industrielle volontariste censée relancer la croissance. Viktor Orbán entend, à cet effet, s'inspirer du modèle des dragons du Sud-Est asiatique, quand bien même la réalité économique de son pays est toute autre. C'est à l'aune de cette ambition qu'il convient d'analyser les investissements récents de l'État dans l'industrie automobile ou dans le secteur énergétique. Le rachat des 21,2 % du groupe pétrolier et gazier MOL, détenus par l'opérateur russe Surgutneftegas , illustre cette stratégie. L'ensemble des économistes indépendants du pays relève cependant qu'une telle option est tout aussi coûteuse (1,88 milliard d'euros alors que le déficit public s'élève à 3,6 milliards d'euros) qu'inadaptée. Par ailleurs, même si le montant est élevé, il demeure inférieur au prix du marché, ce qui suppose, sans doute, des contreparties : élargissement des capacités de la centrale de Paks ou concessions dans la future négociation de l'accord de fourniture de gaz avec Gazprom qui devrait s'ouvrir en 2015. De telles conditions mettraient à mal le discours officiel de lutte pour l'indépendance énergétique hongroise et de réduction de l'influence russe.

Le cas de l'industrie automobile est également assez révélateur de cette volonté gouvernementale de soutenir artificiellement le secteur manufacturier sans toutefois arriver à l'affranchir définitivement du lien qui l'unit aux grandes puissances européennes : la Hongrie reste une terre d'accueil pour les filiales des grandes entreprises que sont Daimler , Audi , Opel ou PSA . Il est indiscutable que l'activité industrielle constitue le principal moteur de la croissance hongroise. Toutefois, en subventionnant les investissements de ces sociétés, Budapest ne jette pas les bases d'une stratégie de développement autonome, plus en phase avec son idéal revendiqué d'indépendance économique nationale. Il n'écarte pas, en outre, la menace d'une délocalisation à moyen terme de cette production.

Taux de croissance du PIB et de la production industrielle (en %)

2007

2008

2009

2010

2011

PIB

+ 1

+ 0,6

- 6,8

+ 1,3

+ 1,7

Production industrielle

+ 8,1

- 1

- 17,3

+ 9,9

+ 3

(Source : Service économique de l'Ambassade de France en Hongrie)

Ce parti-pris industriel fait dépendre la croissance des exportations. Or, si celles-ci étaient encore dynamiques l'année dernière contribuant à maintenir le taux de croissance au-dessus de 1 %, elles pâtissent aujourd'hui d'une baisse de la demande externe en provenance de la zone euro.

a) L'éviction progressive des sociétés étrangères du secteur des services

Le retour de l'État dans la sphère économique et la rupture avec le libéralisme se sont également traduits par l'adoption de dispositions tendant à favoriser l'éviction d'entreprises étrangères dans le secteur des services. Cette forme de « patriotisme économique » suppose que les sociétés locales peuvent aisément se substituer aux autres, essentiellement européennes. Celles-ci sont accusées d'abuser de positions dominantes et de capter, pour ne pas dire piller, une partie de la richesse nationale. Cette stratégie se heurte pourtant à une réalité, celle des difficultés maintes fois soulignées des sociétés hongroises à se moderniser ou à faire face aux difficultés du marché, comme en témoigne la faillite de la compagnie aérienne Malev . Cette nouvelle approche économique idéologiquement marquée apparaît, de surcroît, à rebours des règles propres au marché commun dont la Hongrie est membre.

Le cas des concessions de service public de distribution et de traitement des eaux à Budapest attribuées à Suez est assez révélateur. Le maire, membre du Fidesz , estime en effet que le contrat conclu est défavorable à sa commune et que le groupe franco-belge abuse de sa position dominante pour surfacturer les services. La mairie souhaite ainsi récupérer la part de capital dévolue à Suez et à son partenaire allemand RWE au sein de la compagnie des eaux en l'achetant à un prix légèrement inférieur à celui de 1997, date de l'entrée de Suez sur ce marché, soit 51 millions d'euros. La mairie menace, faute d'accord, d'annuler le contrat. La ville n'exclut pas de contracter un nouveau crédit pour assurer le fonctionnement de la compagnie ni de créer de nouveaux impôts sur les services de base, comme l'eau, l'électricité ou le gaz. La mairie Fidesz de Pecs avait également agi de la sorte, fin 2009, en annulant le contrat avec Suez. Elle a, depuis, été condamnée à verser des dommages et intérêts par la Cour suprême. La gestion locale n'apparaît pas pourtant garantie de succès. La société des transports de Budapest, la BKV, au matériel datant du régime communiste, est ainsi proche de la faillite, non sans avoir annulé un contrat de 247 millions d'euros avec Alstom destiné à rajeunir son parc de tramways.

Ces stratégies municipales, préoccupantes au regard des règles communautaires, sont pourtant en accord avec la politique gouvernementale, comme en témoigne le cas des tickets restaurant, dont le marché était, jusqu'à la fin de l'année dernière, partagé entre la Sodexo , Edenred et Accor , trois entreprises françaises. Le Parlement a, depuis, adopté une loi faisant du ticket un monopole d'État à compter du 1 er janvier 2012 et mettant en place des conditions discriminatoires visant les activités des ces sociétés dans d'autres gammes de produits. La Commission européenne s'est d'ailleurs saisie de ce dossier.

La grande distribution est, de son côté, fragilisée par l'adoption de nombreuses lois et en premier lieu l'adoption d'une taxe de crise en octobre 2010. Si les chaînes de distribution locales échappent peu ou prou à cette réglementation en raison de leur construction juridique (le chiffre d'affaires qui est pris en compte est celui de chaque société franchisée), il en va différemment pour les groupes étrangers, la taxe se basant sur le chiffre d'affaire du groupe. La loi a même pris en compte la situation particulière du groupe franco-belge Delhaize, qui dispose de trois enseignes en Hongrie. Le texte prévoit le cumul du chiffre d'affaires de ces trois enseignes pour le paiement de la taxe. Une telle évolution a conduit le groupe à annoncer son retrait du marché hongrois. D'autres entreprises dans d'autres secteurs ont également quitté le pays, suite aux changements de réglementation à l'image d'EDF, de Daikin ou de TDF. Certains observateurs s'interrogent sur les bénéficiaires de ces nouvelles dispositions pro-hongroises, manifestement proches du pouvoir. Il n'y a en tout cas pas lieu de s'étonner de voir la Hongrie passer en un an, chez les entrepreneurs allemands, du quatrième rang des pays membres de l'Union européenne propice aux investissements au dixième.

Cette stratégie assumée d'éviction des sociétés étrangères peut laisser sceptique tant elle n'est pas sans conséquence sur la croissance puisqu'elle crée les conditions d'une insécurité juridique pour tout investisseur. Elle se heurte à une limite, celle de l'Union européenne, la Commission s'intéressant de près aux dispositions récemment adoptées touchant l'urbanisme commercial qui écarte implicitement les grandes entreprises étrangères, la vente au détail de tabac, la gestion des déchets ménagers ou la distribution du courrier. Il convient néanmoins de relever que toute démarche de la Commission, même dans le cadre d'une procédure accélérée, conforte le gouvernement hongrois. Le temps que devrait mettre la Cour de justice pour rendre sa décision est forcément trop long pour des entreprises qui sont, sur place, progressivement asphyxiées.

Ces entorses aux règles du marché intérieur peuvent conduire à s'interroger sur la sincérité de l'engagement européen du gouvernement. Le double langage tenu à Bruxelles et à Budapest par le chef du gouvernement ou ses ministres atteste d'un euroscepticisme croissant. Le soin d'inscrire dans la Constitution le fait que le forint constitue la monnaie du pays illustre un peu plus cet état d'esprit. L'objectif d'une adhésion à terme à la zone euro était pourtant une opportunité envisagée par le précédent gouvernement à moyen terme.

b) Les banques jugées responsables de la crise

Le secteur bancaire a, dans le même temps, été frappé par différentes mesures, censées tout à la fois permettre au gouvernement d'augmenter ses recettes et afficher, vis à vis de la population, une certaine fermeté à l'égard du monde financier, jugé pour partie responsable des difficultés économiques rencontrées par le pays. On notera ainsi la création d'une taxe de solidarité et d'une taxe de crise, la nationalisation des fonds de pension relevant du deuxième pilier retraite, le moratoire sur les saisies immobilières ou la mise en place d'un dispositif de remboursement anticipé des prêts hypothécaires en devises.

Le plan d'aide aux ménages endettés en devises étrangères fait, à cet égard, figure de symbole du volontarisme de l'État en matière financière mais aussi de son échec patent. La dépréciation du forint a notamment contribué à rendre difficile, voire impossible, le remboursement de prêts le plus souvent immobiliers, libellés pour l'essentiel en francs suisses. La part des devises dans le taux d'endettement des ménages atteint, en effet, 60 %. Un premier plan a ainsi été mis en place en juin 2011 permettant de reporter à une échéance plus lointaine le différentiel entre le taux du marché et un taux de change fixe de référence. Constatant l'impact limité de ce plan, le Parlement a mis en place un deuxième dispositif, plus radical permettant aux ménages de rembourser en une seule fois leurs crédits à des taux de change fixé par l'État, inférieurs de 25 % au cours de l'euro sur le marché. Les pertes pour les banques seraient ainsi estimées à 100 millions d'euros. Si la visée sociale d'un tel dispositif est compréhensible, les conséquences semblent avoir largement été sous-estimées par le gouvernement, comme l'a relevé la Banque centrale européenne (BCE) dans un avis rendu le 4 novembre 2011. Les motivations politiques ne sont pas non plus absentes de ce plan. Le Jobbik entendait, en effet, déposer une pétition début septembre 2011 sur la question des ces prêts et la défense du « logement hongrois ».

Ces mesures peuvent laisser songeur au regard de la forte dépendance du financement de l'économie locale à l'égard des banques étrangères, mais aussi compte tenu de la détention par ces établissements de bons du trésor hongrois. La première banque autrichienne, Erste Group, a ainsi indiqué qu'elle envisageait de renforcer sa présence en Europe de l'Est, à l'exception de la Hongrie, où le groupe bancaire pourrait plutôt licencier 15 % de ses effectifs et fermer une quarantaine de ses 184 agences. Le groupe Banques populaires s'interroge également sur les conditions du maintien de sa présence dans le pays. Au delà du cas des banques étrangères, les pertes annoncées ne sont pas sans conséquences pour de banques hongroises déjà fragiles. La BCE note également les externalités négatives d'un tel plan : pressions sur le forint, augmentation des primes-risques pays, contraction des financements et donc ralentissement de la croissance. L'adoption de ce plan a d'ailleurs été suivie par la mise sous surveillance de sept banques hongroises par l'agence de notation Moody's . La dégradation de la note de l'Autriche par Standard & Poor's, le 13 janvier dernier, n'est pas non plus sans lien avec la menace que fait peser le risque hongrois sur les banques autrichiennes.

L'annonce de la mise en place d'une taxe sur les transactions financières pourrait contribuer à rendre encore plus délicate la situation des banques en Hongrie. Censée rapporter 300 milliards de forints (autour d'un milliard d'euros), elle intégrerait notamment les transactions entre les établissements bancaires et la Banque centrale de Hongrie. Ce projet, qui n'est pas le même que celui actuellement au débat au sein de l'Union européenne, a bien sûr été avancé sans concertation préalable avec la Banque centrale européenne.

c) Une réforme fiscale en trompe-l'oeil

La réforme de la fiscalité traduit également une vision idéologique dépourvue de connexion avec la réalité. La loi organique du 23 décembre 2011 introduit un taux unique de 16 % pour l'impôt sur le revenu. Il convient en premier lieu de s'interroger sur l'inscription, au sein d'une loi organique difficilement révisable, d'un principe fiscal et d'un taux d'imposition. Comme l'a remarqué le Fonds monétaire international (FMI), ce moyen de procéder constitue une réelle contrainte pour la gestion macro-économique du pays. Il est également permis de douter de l'efficacité d'une telle mesure. Si l'ambition recherchée, à savoir la relance de la consommation, est simple à saisir, sa traduction se heurte à une réalité : cet impôt bénéficie plus aux classes moyennes et supérieures, dont la propension à consommer est considérée comme faible. On relèvera, en outre, que l'augmentation du salaire minimum de 18 % souhaitée par le gouvernement afin de compenser les effets de cette flat tax sur les faibles revenus, jusque-là exonérés d'impôt, se traduit par une augmentation de l'épargne plus que de la consommation.

Par ailleurs, alors que le pays voit son endettement progresser, cette réforme fiscale devrait conduire à une diminution des rentrées fiscales d'environ 500 milliards de forints (1,8 milliard d'euros). Le gouvernement a souhaité, pour atténuer ce manque à gagner, augmenter sa taxe sur les jeux, le tabac, l'alcool et le gazole. Il a, dans le même temps, introduit une contribution fiscale exceptionnelle pour toute personne touchant plus de 750 euros par mois (le salaire moyen atteignant 450 euros mensuels) et augmenté la TVA de 25 à 27 %, soit le taux le plus haut enregistré au sein de l'Union européenne. Ce type de disposition fragilise de facto la réalité de la flat tax .

Ultime signe de cette idéologisation extrême de la politique fiscale du gouvernement, l'expérimentation, dans certaines régions, d'une taxe sur les chiens d'origine non-hongroise laisse également songeur. Bien qu'anecdotique, elle témoigne tout à la fois de la dérive nationaliste empruntée par le gouvernement que d'une quête éperdue de nouvelles rentrées fiscales.

2. Les menaces sur l'indépendance de la Banque centrale de Hongrie

Adoptée le 30 décembre dernier, la loi organique sur la Banque centrale peut être analysée comme une nouvelle tentative du gouvernement de renforcer le poids de l'État dans le domaine économique et financier, au mépris de principes fondamentaux comme celui de l'indépendance du banquier central.

La première rédaction de la loi prévoyait, en effet, que le Gouverneur de la Banque centrale ne pouvait plus choisir ses adjoints, désormais nommés par le chef du gouvernement. Leur nombre passait de 3 à 2. Le Conseil monétaire, en charge de la définition des taux d'intérêt, était, quant à lui, élargi à 9 membres contre 7 auparavant, tous nommés par le Parlement. Tout concourrait à une dilution des pouvoirs du Gouverneur.

La Banque centrale de Hongrie avait, par ailleurs, obligation de soumettre au gouvernement les agendas du Conseil monétaire. La présence d'un représentant du gouvernement lors de ses réunions était également autorisée.

Le texte permettait à terme une fusion de la Banque centrale et de l'Autorité de supervision des institutions financières (PSZAF). Cette fusion permet de soumettre le Gouverneur de la Banque centrale à l'autorité d'un échelon supérieur. La loi retenait également le principe d'une dissolution du Conseil monétaire dès lors que la Hongrie aurait adopté l'euro.

La Commission européenne s'est rapidement interrogée sur la compatibilité de la loi avec les articles 127 et 130 du traité sur l'Union européenne ainsi qu'avec l'article 14 du Statut du système des Banques centrales et de la Banque centrale européenne. Elle a, à cet effet, engagé une procédure d'infraction accélérée le 17 janvier 2012, adressant dans le même temps une lettre de mise en demeure. La réponse du gouvernement hongrois a donné lieu à une demande d'explications complémentaires par lettre administrative, en ce qui concerne notamment la rémunération du Gouverneur de la Banque centrale. Le gouvernement a, en effet, décidé en septembre 2010 de réduire de 75 % la rémunération du Gouverneur, ce qui peut être assimilé à une forme de pression pour le départ de M. Andras Simor, actuel titulaire du poste, assez critique à l'égard de la politique économique menée.

Les réserves exprimées par la Commission se sont traduites par une révision des dispositions contestées : suppression de l'obligation de soumission de l'agenda du Conseil monétaire, suppression de la participation d'un membre du gouvernement aux réunions de celui-ci, suppression de la possibilité de fusion avec la PSZAF. La Commission a, en conséquence, décidé le 25 avril de mettre fin à la procédure d'infraction, seules les questions liées au plafonnement des salaires et au serment du Gouverneur au gouvernement étant susceptibles d'être transmises ultérieurement à la Cour. Les autorités hongroises devaient, dans le même temps, se rapprocher de la Banque centrale européenne (BCE) en vue de trouver un accord sur plusieurs points.

Après le rejet d'une première version, la BCE a, de son côté, estimé le 29 juin dernier que la révision de la loi proposée par le Parlement clarifie la procédure de révocation des membres du Conseil monétaire et l'aligne avec la procédure prévue pour les 17 autres banques centrales de l'Eurosystème. La BCE insiste surtout sur le fait que le gouvernement a renoncé à nommer de nouveaux membres au Conseil monétaire avant la fin du mandat de son actuel gouverneur ce qui apparaît comme une marque supplémentaire de respect de l'indépendance institutionnelle de la Banque centrale de Hongrie.

Les changements fréquents, sans consultation préalable, de rémunération des responsables de la Banque centrale ou l'absence de garantie dans la procédure de remplacement de son Gouverneur demeurent cependant une source d'inquiétude pour la BCE. On notera également l'absence de réponse à une observation de la BCE sur la question de l'autorité sur les réserves en devises étrangères de la Banque centrale de Hongrie confiée au Conseil monétaire, dont les membres reflètent la sensibilité politique de l'Assemblée, au détriment du président.

3. Une croissance introuvable dans un pays fragile socialement

La politique économique menée par le gouvernement hongrois, combinant effets d'annonce, rigueur, pressions sur le système bancaire et menaces sur les positions des entreprises étrangères, contribue à renforcer l'incertitude économique entourant le pays, fragilisant toute reprise de la croissance. Si la Banque centrale de Hongrie et le ministère de l'Économie tablent sur une quasi stagnation - + 0,1 % -, la Commission européenne prévoit, quant à elle, une récession de 0,3 %. L'institut de recherche indépendant GKI estime, pour sa part, que la Hongrie devrait connaître une contraction du PIB de 1,5 %.

L'effondrement des investissements, qui ont chuté de 5,4 % en 2011 après une première baisse de 9,7 % en 2010, traduit bien le climat économique qui règne en Hongrie. Les taxes sectorielles destinées à compenser les effets fiscaux de la crise, qui frappent les banques mais aussi l'énergie, le commerce de détail ou les télécommunications, retardent notamment les décisions d'investissements des entreprises étrangères (575 millions d'euros attendus en 2012) ne sont pas sans conséquence. On observe, à cet égard, un recul constant des investissements directs étrangers depuis la mi-2010.

Il convient, en outre, de souligner que ces taxes sont elles-mêmes contestées par l'Union européenne. La Commission européenne a ainsi ouvert une procédure d'infraction en mars 2011 concernant la taxe sur les télécoms, qui rapporte environ 200 millions d'euros par an au gouvernement hongrois. Faute de réponse valable à l'avis motivé adressé en septembre, la Commission a saisi la Cour de justice le 21 mars dernier. Elle estime notamment que les règles de l'Union européenne en matière de télécommunications n'autorisent les taxes sectorielles qu'à la seule fin de couvrir les coûts liés à la réglementation du secteur et non pour apporter des recettes supplémentaires à l'État. Elle juge, en outre, que l'accroissement de la charge financière pour les opérateurs pourrait contribuer à dissuader l'investissement. La taxe sur les télécoms est, de fait, assez emblématique du pilotage à vue du gouvernement en matière économique, s'affranchissant des règles communautaires, souhaitant avant tout restaurer le primat du politique sans réellement tenir compte d'éventuelles conséquences, et créant les conditions d'un climat d'insécurité juridique pour les entreprises.

Les difficultés spécifiques que traversent les banques, contraintes de se conformer aux normes Bâle III et de répondre dans le même temps à la pression fiscale et règlementaire du gouvernement, pèsent également sur les conditions de financement de l'économie.

La consommation des ménages ne peut pas non plus contribuer à relancer croissance tant elle est marquée par une certaine faiblesse, soulignant un peu plus l'échec de la politique fiscale du gouvernement. Au-delà de l'échec de la flat tax , le plan Széll Kálmán n'est pas, non plus, sans incidence sur le comportement des ménages, confrontés à une réduction drastique des prestations sociales. La limite supérieure de l'allocation-chômage a été ainsi ramenée de 120 % du salaire minimum au montant exact du salaire minimum, la période d'éligibilité au dispositif étant, quant à elle, ramenée de 270 à 90 jours. Dans le même temps, le régime des retraites a été complètement révisé n'autorisant le taux plein que pour les personnes partant à l'âge légal, soit 65 ans. Les possibilités de départ anticipé en retraite sont supprimées depuis le 1 er janvier dernier. Les indemnités d'assurance maladie sont, dans le même temps, plafonnées à deux fois le salaire minimum contre quatre fois antérieurement alors que le taux de remboursement des médicaments est révisé à la baisse. La suppression d'avantages sociaux ou familiaux versés par les collectivités locales est également décidée, alors que les allocations familiales sont gelées.

On relèvera néanmoins qu'au-delà des traditionnelles réductions des effectifs de fonctionnaires, les mesures proposées par le gouvernement Orbán pour faire face à la crise des finances publiques visent directement l'enseignement. Le nombre de bourses a ainsi drastiquement baissé, notamment dans les filières du droit et de l'économie. Cette situation contribue à l'exode observé des meilleurs élèves vers l'étranger, ce qui ne sera pas, à terme, sans conséquence sur la reprise de la croissance. L'objectif de la nouvelle équipe gouvernementale était pourtant que 30 % de la population possède un diplôme supérieur, contre 28 % actuellement.

L'absence de croissance n'a qu'une incidence relative en matière de chômage, qui a même décru courant 2011 pour descendre en dessous de la barre des 10 %. Le gouvernement Orbán a, notamment, mis en place une politique volontariste destinée tout à la fois à répondre aux effets sociaux de la crise, mais aussi à séduire les électeurs tentés par le Jobbik d'extrême droite, prompt à dénoncer les « parasites » qui fragiliseraient le pays. C'est ainsi qu'a été adopté, en septembre dernier, un programme de travaux d'intérêt public obligatoire (programme Start), le versement des aides sociales aux chômeurs étant conditionné à leur participation à celui-ci. Les allocations-chômage, 95 euros par mois, sont alors complétées par un salaire brut mensuel de 203 euros. Le programme Start, encadré par le ministère de l'Intérieur, prévoit la participation de sans-emplois à l'amélioration des infrastructures communales mais aussi à la construction de stades, de digues et de barrages. Le gouvernement entend ainsi créer 300 000 emplois d'ici 2014. Dans la droite lignée de cette lutte contre l'inactivité, le Parlement a généralisé, en novembre dernier, des mesures expérimentées à Budapest visant à criminaliser les sans-abris. Dormir dans la rue est désormais un délit passible d'environ 500 euros ou d'une peine de prison de 60 jours. Le gouvernement entend ainsi favoriser la réinsertion. Il convient, néanmoins, de rappeler que près de 3 millions de Hongrois vivent sous le seuil de pauvreté.

En dépit de ces dispositions, le chômage de longue durée demeure cependant une des caractéristiques de l'économie hongroise : près de 50 % des chômeurs sont à la recherche d'un emploi depuis plus d'un an, la durée moyenne de l'inactivité étant estimée à 17,9 mois. Le taux d'emploi demeure par ailleurs, un des plus faibles de l'Union européenne, 56 % contre 65 % en moyenne.

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