B. L'INDISPENSABLE AIDE FINANCIERE

1. Une dérive des comptes publics enfin enrayée ?

La dérive des comptes publics a conduit l'Union européenne, le 13 mars dernier, à menacer la Hongrie d'une suspension du versement des crédits au titre du Fonds de cohésion, à compter du 1 er janvier 2013. Cette mesure concernait l'enveloppe des fonds de cohésion pour 2013 qui ne sont pas encore engagés, soit 495,184 millions d'euros (29 % des crédits). Les projets en cours n'auraient pas été, quant à eux, remis en cause. Les fonds de cohésion concernent principalement deux programmes opérationnels en Hongrie : l'énergie-environnement (6,2 milliards d'euros sur la période 2007-2013) et les infrastructures (4,18 milliards d'euros sur la même période).

La menace d'une suspension venait sanctionner le non-respect, par Budapest, de la recommandation du Conseil du 7 juillet 2009 qui invitait la Hongrie à mettre fin à la situation de déficit excessif de ses comptes publics. Aux termes de celle-ci, le déficit public devait être inférieur à 3 % du PIB d'ici à 2011. Le pays fait l'objet d'une procédure pour déficit public excessif depuis son adhésion à l'Union européenne en 2004. Il a, entre-temps, bénéficié d'un soutien à sa balance des paiements.

Déficit public et dette publique (en % du PIB)

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Déficit public

6,4

7,9

9,3

5

3,8

4,4

4,2

3,6

2,8

Dette publique

59,4

61,8

65,6

65,9

72,9

78,4

81,3

80,6

76,5

(Source : Eurostat)

D'après les estimations de la Commission, la Hongrie devrait enregistrer un excédent budgétaire d'environ 3,6 % du PIB en 2011, contre un déficit public évalué à 4,2 % du PIB lors de l'exercice précédent. Cette correction ne serait cependant due qu'à des mesures ponctuelles (transfert de fonds de retraite privés vers le budget de l'État) représentant environ 10 % du PIB. En l'absence de celles-ci, le déficit public du pays aurait atteint 6 % du PIB en 2011. La diminution pour 2011 ne s'appuyant pas sur une base soutenable et structurelle, le Conseil a adopté le 24 janvier 2012 une décision constatant que la Hongrie n'avait pas pris de mesures suivies d'effets et invitant la Commission à proposer des sanctions adaptées, en application du règlement du 11 juillet 2006.

La date de suspension des crédits, le 1 er janvier 2013, laissait à la Hongrie la possibilité et le temps de prendre des mesures correctives. La Commission a, à cet effet, présenté une nouvelle recommandation sur les actions à entreprendre. Un bilan des mesures correctives annoncées par le gouvernement hongrois devait également être effectué dans les six mois qui suivent. Le Premier ministre avait immédiatement réagi dénonçant une politique « bête », punissant « les bons » et récompensant les « mauvais », et « avec [la] mentalité [de la Commission] il est impossible de gérer un bazar de campagne ». L'absence de légitimité démocratique de la Commission européenne avait également été soulignée, les dirigeants européens ayant perdu, eux, la « foi » dans le projet européen, refusant de faire appel « à la force qui tenait au fait que l'Europe est le monde de la culture chrétienne ».

Le programme de stabilité que le gouvernement a néanmoins présenté le 23 avril dernier prévoit une réduction du déficit public à 2,5 % du PIB en 2012 avant d'être ramené à 1,5 % lors de l'exercice suivant. Ces prévisions rejoignent les observations de la Commission qui estime que le PIB devrait rester inférieur au critère de 3 % en 2012 et en 2013. Le gouvernement hongrois a, de la sorte, répondu aux demandes du Conseil, quand bien même le cadre de la gouvernance budgétaire hongroise reste, selon la Commission, à améliorer. La suspension des engagements du Fonds de cohésion en faveur de la Hongrie a donc été levée. Dans un contexte où la croissance demeure moins élevée que prévue, la Commission est néanmoins invitée à continuer à suivre de près l'évolution de la situation budgétaire locale.

Le poids de la dette publique n'est, à ce titre, pas à négliger. Cette dette est libellée à 50 % en devises et 50 % en forints. Une part significative de la dette émise en monnaie locale est, par ailleurs, détenue à 37 % par des non-résidents. Le fonds d'investissement américain Franklin Templeton possède un quart de cet encours. De fait, au total, près des deux tiers de la dette publique hongroise est détenue par des investisseurs étrangers ce qui fragilise sa position sur les marchés. Le contexte politique et les attaques répétées contre le secteur bancaire pourrait contribuer à rendre encore plus délicate cette situation.

Par ailleurs, le fait que la dette publique soit libellée pour moitié en devises étrangères la rend extraordinairement sensible aux fluctuations des taux de change. Ainsi, alors que le gouvernement pensait ramener la dette publique à 75 % du PIB fin 2011, la dépréciation du forint d'environ 20 % au cours du second semestre a bouleversé ce programme, la dette atteignant fin 2011 près de 81 % du PIB. La Banque centrale de Hongrie estime que la dépréciation du forint expliquerait à hauteur de 65 % l'augmentation du niveau de la dette.

La dépréciation du forint a même inversé les gains que le gouvernement pensait avoir retiré du produit exceptionnel lié à la nationalisation des fonds de pension relevant du deuxième pilier retraite. Les recettes dégagées étaient évaluées à environ 9 % du PIB, dont 7 points devaient permettre la réduction de la dette publique, via l'annulation des titres détenus par ces fonds de pension.

Il va de soi que la sévère dépréciation du forint enregistrée au cours de l'hiver dernier n'est pas sans lien avec les errements économiques du gouvernement Orbán, dont la rhétorique nationaliste a créé les conditions d'une défiance à l'égard de la monnaie et du marché hongrois.

2. L'aide internationale comme moteur de réforme de la politique économique gouvernementale ?

L'augmentation de la dette publique intervient alors que les besoins de refinancement de l'État hongrois dans les deux années à venir sont très élevés et coïncident avec le début de remboursement du prêt du FMI mis en place en 2009 : l'État doit ainsi rembourser 4,7 milliards d'euros en 2012, soit environ 4 % du PIB. Au total, le gouvernement hongrois devrait lever 15,2 milliards d'euros sur les marchés, soit plus de 15 % du PIB. 13,2 milliards correspondent à des renouvellements de dette, les 2 milliards restant à de nouveaux emprunts. Les deux tiers de ces bons devraient être libellés en devises étrangères.

Ce besoin conséquent de refinancement s'inscrit dans un contexte de détérioration du risque souverain hongrois, mû notamment par les craintes des investisseurs face aux orientations économiques du gouvernement. L'agence de notation Moody's a ainsi abaissé le 24 novembre dernier la note souveraine du pays au rang d'investissement spéculatif, Standar & Poor's agissant de la sorte un mois plus tard. La décision de Moody's a contribué à la décision de la Hongrie de solliciter une aide conjointe de l'Union européenne et du Fonds monétaire international. Les taux d'intérêts à 10 ans dépassaient les 10 % sur les marchés.

La demande d'aide internationale formulée par la Hongrie, estimée entre 15 et 20 milliards d'euros, ne constitue pas une première. Le pays a déjà bénéficié, en octobre 2008, d'une aide de 20 milliards d'euros sur trois ans versée par le Fonds monétaire international (12,5 milliards d'euros), l'Union européenne (6,5 milliards d'euros) et la Banque mondiale (1 milliard d'euros). Cette aide était censée aider le pays à faire face à l'importance du déficit de sa balance des paiements qui s'élevait alors à 5 % du PIB et à la chute concomitante du forint. 5 milliards d'euros avaient été injectés au préalable par la Banque centrale européenne. L'aide internationale était accordée sous conditions, Budapest s'engageant notamment à réduire son déficit public et à recapitaliser les banques installées sur son territoire.

Ce prêt a néanmoins été suspendu à l'occasion du changement de gouvernement. L'audit mené par les experts du FMI et de l'Union européenne avant le versement de la dernière tranche de 5,7 milliards d'euros s'est conclu, en juillet 2010, sur un désaccord avec la nouvelle équipe au pouvoir. Les experts ont notamment relevé que le gouvernement n'avait pas effectué d'études de faisabilité quant aux effets de la taxe sur les banques. Ils ont également estimé que les chiffres avancés pour le budget prévisionnel pour 2011 étaient trop vagues. La rupture des négociations sur le versement de l'aide n'était pas, là encore, sans arrière pensée politique de la part du pouvoir. La perspective des élections municipales d'octobre et de la montée en puissance du Jobbik , hostile à toute négociation avec l'Union européenne et le Fonds monétaire international, a pu avoir une influence déterminante. Viktor Orbán a d'ailleurs présenté la suspension du versement comme la marque d'un retour à la souveraineté économique.

C'est à l'aune de ce contexte qu'il convient d'analyser cette nouvelle demande d'aide, moins d'un an et demi plus tard. On relèvera en premier lieu que le gouvernement, qui ne cesse de répéter qu'elle n'est pas forcément indispensable, souhaite avant tout obtenir une ligne de précaution ( Precautionnary line and liquidity line ) et non un accord de type stand by arrangement , comme celui obtenu en 2008. Ce faisant, il cherche à limiter toute conditionnalité au versement de l'aide. L'accord stand by s'avère pourtant le plus adapté à la problématique hongroise et à la nécessité pour Budapest d'accéder plus facilement aux marchés financiers. La solution intermédiaire qui pourrait être retenue par le gouvernement hongrois serait de traiter l'accord stand by comme une ligne de précaution : il renoncerait ainsi à mobiliser les fonds mis à disposition, tout en escomptant que la signature d'un tel accord contribue à faire baisser les taux. Cette option est utilisée actuellement par la Roumanie.

La question de l'indépendance de la Banque centrale a longtemps constitué un préalable à l'ouverture des négociations. En dépit des effets d'annonce du gouvernement, la Commission européenne n'a envisagé celle-ci qu'à la fin avril. Le Fonds monétaire international a, lui, salué le 28 juin, les dernières modifications apportées à la loi sur la Banque centrale, les estimant satisfaisantes. Comme la BCE, le Fonds relève néanmoins certains manques. On notera d'ailleurs que la Commission européenne a été plus conciliante que le FMI qui a attendu l'adoption du texte pour décider de l'ouverture effective des négociations, ce qui n'avait pas été sans irriter Viktor Orbán. Elle a néanmoins attendu le 19 juillet pour clore officiellement la procédure d'infraction sur cette question. Une mission conjointe Union européenne / FMI s'est rendue le 17 juillet à Budapest pour préparer ces négociations.

Il n'en demeure que le renforcement des garanties en matière d'indépendance de la Banque centrale de Hongrie ne devrait pas être la seule condition à l'octroi de cette aide. La question du dispositif de désendettement des ménages ayant emprunté en devises étrangères sera sans doute au centre des débats tant elle pèse aujourd'hui sur l'équilibre des banques dans le pays. La taxe de crise qui grève leurs comptes et qui ne devrait pas être supprimée avant 2014 sera sans doute au coeur des négociations. Le régime fiscal devrait, par ailleurs, être abordé, qu'il s'agisse de la flat tax ou de la multiplication des taxes indirectes. Si le principe du taux unique n'est pas négociable selon les autorités hongroises, une flexibilisation est néanmoins envisageable.

La Commission européenne a, par ailleurs, rappelé qu'elle n'entendait pas conclure les négociations financières avec la Hongrie avant que celle-ci n'ait tenu compte des observations de la Commission de Venise sur la réforme du système judiciaire. De telles réserves sont régulièrement dénoncées par le Premier ministre hongrois, considérant qu'il s'agit là d'une ingérence inacceptable, allant contre la nature même de l'Union européenne.

On relèvera néanmoins que la volonté de la Hongrie d'entamer réellement les négociations demeure sujette à caution. Le simple fait d'annoncer l'ouverture des négociations contribue à desserrer l'étreinte des marchés tant en matière de change que de taux. Ceux-ci, autour de 8 % à 10 ans, ne sont pas encore considérés comme insoutenables. Cette option présente de surcroît l'avantage de ne pas remettre en question outre mesure la stratégie d'indépendance nationale mise en exergue par le Premier ministre.

On observera cependant que, lorsque l'euro dépasse 300 forints, les autorités hongroises sont plus enclines à amender telle ou telle partie de leur législation contestée. Or, la crise grecque comme les difficultés de l'Espagne conduisent actuellement à un certain raidissement du marché, dès lors défavorable à la Hongrie. C'est d'ailleurs dans ce contexte que le Parlement hongrois a adopté le 6 juillet les amendements sur le statut de la Banque centrale, inspirés des observations de la Banque centrale européenne et du FMI.

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